Le tourisme œno-gastronomique, levier du développement des territoires

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Le tourisme œno-gastronomique, aussi appelé « tourisme gourmand » connaît, depuis quelques décennies, un succès grandissant en France et dans le monde. La multiplication des diplômes universitaires, en France comme ailleurs, créés sur la thématique illustre d’ailleurs cette tendance Ce tourisme intègre plusieurs dimensions culturelles et œuvre au développement des territoires. Il combine à la fois la découverte du « bien manger » et du « bien boire » - le patrimoine culinaire et vitivinicole - la rencontre avec les acteurs du savoir-faire gastronomique et très souvent aussi la fréquentation de sites historiques, de monuments ou d’écosystèmes typiques du lieu de visite.

Les racines de ce tourisme sont très anciennes. Au cours de l’Histoire, l’attrait pour les cultures alimentaires est confirmé par l’existence de très nombreux ouvrages ou mémoires de voyageurs insistant non seulement sur les richesses historiques ou archéologiques des pays visités, mais aussi sur les productions culinaires et vineuses à goûter. Il faut pourtant attendre le XIXe siècle pour qu’apparaissent les premiers « guides gourmands », dont le célèbre « Almanach des gourmands » de Grimot de la Reynière, publié de 1803 à 1812, qui conseille pour la bonne chère et le bien boire et contribue par la suite à la multiplication des restaurants à vocation gastronomique. Enfin, et comme le montre Jean-Robert Pitte, nous assistons à l’apparition d’une cartographie gourmande qui culmine dans l’entre-deux-guerres et commence à dessiner concrètement les prémices de l’œnotourisme gastronomique en France.

Au début du XXe siècle, ces tendances se renforcent donc. À cette époque, tant à l’échelle nationale qu’au niveau local, des tendances se dessinent dans les élites sociales, parisiennes ou provinciales, pour une découverte et une connaissance du territoire français. À Paris, le gouvernement républicain, pour favoriser le développement du pays et faire connaître ses richesses et ses particularités, vote la mise en place de régions économiques dans l’Hexagone ; en même temps le développement des voyages en automobile permet à la bourgeoisie parisienne et à celle des grandes villes de parcourir la France. Comme le montre Kilien Stengel, la Nationale 7, la « route bleue », constitue alors et jusqu’à nos jours l’un des axes œno-gastronomiques majeur de ce cheminement où identité culinaire et vineuse, paysage et patrimoine se côtoient.

Durant les Trente Glorieuses et principalement, à partir des années 1960, dans un contexte d’essor démographique et économique et de croissance des mobilités, nous assistons à l’essor sans précédent d’une viticulture de qualité axée, en France, puis dans une partie du reste de l’Europe sur le développement de la réputation des vins d’AOC et de la mise en bouteille au domaine. Agencés autour des premières routes des vins comme en Alsace ou en Bourgogne, les territoires viticoles profitent de la démocratisation du tourisme. En outre, sur une échelle plus globale et dans un contexte général de « mondialisation », des organismes internationaux comme l’UNESCO, l’ICOMOS et l’OMT commencent à focaliser leurs actions sur le développement du tourisme, considéré comme un important volet de stimulation des échanges culturels, du rapprochement entre les peuples et de la paix dans le monde. Dans les années 1980, les institutions onusiennes élaborent et diffusent des textes sur un véritable droit universel d’accès à la culture et aux diversités culturelles et sur la préservation du patrimoine, incluant « la culture traditionnelle et populaire ». Après de nombreuses campagnes d’information et d’actions portées notamment par l’UNESCO et l’OMT, à la croisée du XXe et du XXIe siècle, le tourisme ciblé sur les patrimoines alimentaires et culinaires se développe ainsi dans de nombreux espaces géographiques avec, par exemple, le food tourisme et le wine tourisme dans les pays anglo-saxons, slow-food en Italie, le tourisme gastronomique, l’œnotourisme, le tourisme gourmand ou tourisme œno-gastronomique en France ou en Espagne.

Ce nouveau tourisme culturel se focalise sur les manières de « bien boire » et de « bien manger », sur les produits locaux, régionaux et nationaux typiques des territoires. Il met en vedette des professions orchestrant la gastronomie dont les représentants se sont multipliés dans les dernières décennies : les grands chefs cuisiniers, les sommeliers et les journalistes/chroniqueurs de la bonne chère, ou encore les cavistes indépendants.

Développé initialement dans de nombreuses régions d’Europe, ou encore, de manière pionnière, en Afrique du Sud dès 1971 avec l’inauguration d’une route des vins, ce tourisme ne cesse d’étendre son aire géographique. En Amérique latine (Mexique, le Brésil, Argentine, Pérou…) en Asie (Inde, Thaïlande, …), en Amérique du Nord (Californie, Canada), ou encore en Océanie (Australie, Nouvelle-Zélande), se développe cette « stratégie gourmande » visant à accroître l’attractivité de ces territoires.

Les grands organismes onusiens continuent à stimuler ce tourisme culturel particulier : plusieurs vignobles du monde, dont celui de Bourgogne, sont désormais inscrits au Patrimoine mondial de l’Humanité par l’UNESCO. Plusieurs régimes culinaires, plats, techniques ou ingrédients alimentaires ont récemment été classés au patrimoine immatériel de l’UNESCO. Tel est le cas pour la cuisine japonaise, les plats mexicains traditionnels, la diète méditerranéenne, la vinification géorgienne en qvevris et bien sûr, depuis 2010, le repas gastronomique des Français qui a conduit à la création des 4 cités internationales de la Gastronomie, dont la Cité Internationale de la Gastronomie et du Vin de Dijon.

Cependant, ces grandes actions de reconnaissance des patrimoines culturels se jouent à des échelles plus locales, à l’initiative d’acteurs innovants. C’est cette valorisation des “petits” patrimoines régionaux et leur mise en récit qu’André Deyrieux aborde dans ce volume. Par une échelle plus locale, il montre en particulier l’intérêt économique et touristique que revêt ce travail de mise en discours autour des patrimoines vitivinicoles et gastronomiques régionaux.

Ainsi, s’il s’appuie sur des fondations historiques déjà anciennes, le développement actuel et sans précédent au niveau mondial de l’œno-gastrotourisme s’inscrit à la fois dans des stratégies globales et locales et fonde son succès sur une multitude de stratégies dont l’objet consiste à séduire des amateurs de vin et de gastronomie toujours plus nombreux.

Plusieurs contributions à ce numéro spécial de Territoires du vin, issues de conférences présentées lors du colloque international « Le tourisme œno-grastronomique, levier du développement des territoires » organisé par la Chaire UNESCO « Culture et Traditions du Vin » à la Métropole de Dijon les 12 et 13 novembre 2021, appréhendent ces phénomènes sous un prisme pluridisciplinaire et multispatial. Par des exemples géographiques spécifiques, elles évoquent les différents aspects de ce mode touristique en plein essor, elles en dégagent les particularités et identifient leurs impacts sur chacun des territoires étudiés.

Partant, Sophie Lignon Darmaillac, dans l’article introductif à ce numéro, propose d’explorer et de donner différentes définitions d’un tourisme œno-gastronomique qui varient finalement profondément en fonction des espaces et des acteurs qui s’emparent du sujet. En s’intéressant au food and Wine tourism californien, aux différentes offres œno-gastronomiques européennes, dans la pionnière route des vins et des saveurs italiennes, elle souligne le caractère pluriel des offres œno-gastronomiques contemporaines.

Mis à l’épreuve de la diversité des territoires, ce tourisme œno-gastronomique possède donc des développements à chaque fois différents. Ainsi, par exemple, Joël Brémond revient sur les tenants et aboutissants de l’essor du gastro-tourisme dans le vignoble de la Rioja. Initié de concert par l’ensemble des acteurs locaux (pouvoirs publics, organisations professionnelles, entreprises vitivinicoles), ce mouvement s’appuie aussi sur une offre gastronomique de plus en plus qualitative et sur des concepts originaux comme l’exploitation des spécialités locales de tapas/pinchos. Dans un autre ordre d’idée, Sylvaine Boulanger étudie les difficultés rencontrées pour mener une politique œno-gastronomique cohérente dans un vignoble Alsacien éclaté et très marqué par son passé de pionnier en la matière, mais qui, depuis quelques années, parvient à mieux articuler collectivement son offre auprès des touristes. La synergie réussie entre l’ensemble des acteurs d’un même territoire constitue en revanche l’un des leviers importants du déploiement récent de l’offre œno-gastronomique dans le vignoble italien de la Piana Rotaliana Königsberg. Rosa Roncador et Francesco Anderlini, acteurs de ce mouvement inédit, en dévoilent les particularités. Enfin, Laure Ménétrier, présente l’activité œnotouristique du vignoble de Champagne, caractérisée par un dynamisme récent dû, en particulier, à l’inscription des Coteaux, Maisons et Caves de Champagne au Patrimoine Mondiale de l’UNESCO en 2015. Directrice du tout nouveau musée du vin de Champagne et d’Archéologie régionale d’Epernay, elle insiste sur le rôle central et original que sera amené à jouer cette institution au sein de ce système.

Enfin, évoquer le tourisme œno-gastronomique importe de se pencher autant sur l’offre que sur la demande. Le point de vue du consommateur, l’évolution des marchés ou des contextes nationaux et internationaux constituent des éléments sur lequel les acteurs de l’œnotourisme doivent s’appuyer pour constituer une offre efficiente. À ce titre, Roxanne Corbel, Patrick Bouchet et Anne-Marie Lebrun font part d’une grande enquête réalisée par leurs soins sur les perspectives de la valorisation du tourisme œno-gastronomique en Bourgogne. Il s’agit, pour eux, de mieux comprendre les spécificités des demandes des consommateurs selon qu’ils sont débutants, amateurs ou experts. Cette identification du niveau d’expertise met en avant la pertinence des études intéressées aux représentations qui touchent les touristes. C’est aussi, mais cette fois sous l’angle de la socio-anthropologie que Felipe Koch évoque l’importance du rôle de l’imaginaire dans l’adhésion du consommateur aux produits de terroir.

Jean-Jacques Boutaud, enfin, interroge la capacité de rebond de l’écosystème du tourisme œno-gastronomique face aux crises les plus récentes : la pandémie de COVID et la guerre en Ukraine. Il souligne l’existence de phénomènes de résilience et insiste tout particulièrement sur la place de l’imaginaire et de la quête d’expérience comme éléments moteurs de ces rebonds.

Citer cet article

Référence électronique

Olivier Jacquet et Jocelyne Pérard, « Le tourisme œno-gastronomique, levier du développement des territoires », Territoires du vin [En ligne], 14 | 2022, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/index.php?id=2403

Auteurs

Olivier Jacquet

Chaire UNESCO « Culture et Traditions du Vin » de l’Université de Bourgogne

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Jocelyne Pérard

Chaire UNESCO « Culture et Traditions du Vin » de l’Université de Bourgogne

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