Le goût du terroir... histoire d'une prescription internationale au XXe siècle

  • The taste of the terroir... a history of an international prescription in the twentieth century

Résumés

L’amateur de vin d’aujourd’hui donne une place très importante aux terroirs viticoles. Un rapport positif s’est en effet établi entre le lieu de production d’un vin et le goût de ce vin. Pourtant, cette acception positive du gout du terroir n’est pas un fait donné. Elle résulte d’un processus historique d’acculturation et qui a pris toute sa mesure dans le courant du XXe siècle. En effet, au XIXe siècle et même, pour bon nombre d’amateurs, jusque dans les années 1960, le goût de terroir associé à un vin possède une connotation très négative. Si, à ce moment-là, les vertus des sols et des conditions climatiques sont déjà repérées, parler d’un vin avec un goût de terroir, c’est avant tout parler d’un vin terreux, paysan, âpre, bref, un vin mauvais. Or, en une cinquantaine d’années, nous allons assister à une inversion du rapport au terroir et, à partir des années 1970-1980, le « goût du terroir » devient gage de qualité pour les vins mis sur les marchés.
Au cours de cette conférence, nous allons montrer comment ce changement de paradigme résulte de l’inédite modification des normes de production et de commercialisation des vins qui s’opère en France durant XXe siècle.
En effet, avec la mise en place des réglementations sur les appellations d’origine provoquée par les lois de 1919 et 1935, l’origine des vins devient progressivement le principal critère d’expression de leur qualité. Désormais, et même s’ils étaient pour certains déjà abondamment employés par le négoce, les noms de crus supplantent les marques des maisons de commerce. Au XIXe siècle, la production, principalement dominée par le monde du négoce, pouvait tout à fait désigner un vin sous le nom d’un lieu dont il n’était que partiellement, voire pas du tout originaire. Avec les réglementations sur les AOC, cela n’est plus possible.
Mais, dans ce nouveau système, les vins d’AOC vont pourtant éprouver de grandes difficultés à investir les marchés de consommation. L’appellation n’est en effet, après la seconde Guerre Mondiale, toujours pas perçue comme un critère de qualité. Il faudra dès lors attendre les années 1970 pour voir décoller la consommation de ces vins marquées par leur origine et que, finalement le consommateur accepte l’idée que la qualité d’un vin est liée à son origine.
Ce processus d’acculturation positive au terroir sera mis en œuvre par tout un réseau de prescripteurs qui émerge et impose ses vues aux cours du XXe siècle. Ces pionniers sont vignerons, négociants propriétaires, journalistes gastronomiques, ou encore sommelier, jeune profession en pleine reconnaissance de légitimité. Le mouvement s’accélère au cours de la fin du second tiers du XXe siècle avec l’entrée en jeu d’une toute nouvelle organisation gouvernementale : l’Institut Nationale des Appellations d’Origine (INAO). Dès 1945, l’INAO s’emploie ainsi à rehausser la qualité des vins vendus sous appellation d’origine. Cette reconnaissance des vins de terroir passe alors par un important travail de suivi et de contrôle. Dans ce contexte, l’analyse scientifique et surtout la dégustation, deviennent des éléments incontournables de ce contrôle qualitatif des vins d’AOC c’est-à-dire, finalement, d’agrément de leur typicité, de leur lien à l’origine. Ainsi, au tournant des années 1970, les mutations des modalités de la dégustation et, de fait, les nouvelles formes de prescription des vins, vont consacrer de nouvelles manières d'appréhender la qualité de cette boisson. Elles viennent fournir, de surcroît, des outils techniques et discursifs « objectifs » (dégustation organoleptique) capables de hiérarchiser mais surtout, d'identifier les vins selon leur provenance, ancrant et pérennisant durablement le système des AOC dans le paysage viticole Français.

Nowadays, the "terroir" of a specific wine is considered essential to the wine amateur. Indeed, the link between the place of production of a specific wine AND its taste has now been firmly established and is seen as positive for the connoisseurs, this link goes without saying. However, this taste for the "terroir" is a recent phenomenon. It is indeed an acquired taste : it results from an historical process of acculturation which only took place during the late 20th century.
Before this period, during the 19th century – and a great number of wine amateurs, not until the 1960s – the taste for "terroir" linked to a specific wine had a very negative connotation. Even if the virtues of a soil and the importance of climatic conditions had already been spotted by a minority, for the majority, praising a wine for its "terroir" taste was something unheard of, verging to heresy : indeed, the "terroir taste" was then considered earthy, bitter, unrefined, rough, good enough for the peasants : in short, a bad wine. This slowly began to change with the years, and we shall see how within 50 years, an inversion of this connatation occured, and how, as per the 1970s and the 1980s, the "terroir taste" has become a pledge of quality for the wines put on the market.
During this conference, we will show how this paradigm shift resulted from the unprecedented modification of wine production and marketing standards that took place in France during the 20th century. Indeed, with the 1919 and 1935 laws regulating the appellations of origin, this notion of origin of the wine gradually became an essential criterion for the expression of its quality. From then on, the names of the "Grands Crus"
gradually supplanted the brand names used in the wine trade.
You must remember that during the 19th century, it was common practice to designate a wine by the name of a place, place from which sometimes the wine was only partially – or even not at all – originated. With the « AOC » regulations, this no longer was possible. However, in this new system, AOC wines still had great difficulty in investing the consumer market.
The name of a wine, even after World War 2, was still not perceived as a criterion of quality. It will be therefore to wait for the 1970s to see the consumption of these wines, marked by their origin, take off in earnest ; and to have the idea that the quality of a wine is necessarily linked to its origin finally accepted by the wine consumers of the greater public.
This process of positive acculturation to the "terroir" will be implemented by a network of prescribers that emerged and imposed its views in the course of the twentieth century. These pioneers were winemakers, and last but not least sommeliers – a new profession that gradually imposed its legitimacy.
This movement accelerated in the late last third of the 20th century (1980-2000) with the appearance of a brand new French Governmental Organisation : The « Institut National des Appellations d’Origine», or the I.N.A.O. for short : the « National Institute for Appelations of Origin ». As soon as 1945, the INAO had been working to enhance the quality of wines sold under the appellation of origin. This recognition of local wines then went through then goes through an important work of management and control.
In this context, scientific analysis and above all wine tasting became essential components of the quality control of the AOC : in other words, the specificity of these wines and their bond with their soil of origin, the "terroir", became officially recognized, approved and officialized. Thus, during the 1970s, changes in wine tasting methods and the resulting new forms of wine prescription established new ways of understanding the quality of a wine.
In addition, those changes provided "objective" technical and discursive tools (such as organoleptic tasting) which then enabled the implementation of a wine hierarchy and above all the identification of wines according to their origin. That was how the AOC system was anchored and maintained sustainably in the French vineyards and the wine market, and this is still the case today.

Plan

Texte

Introduction

Même s'il suscite des critiques et subit diverses concurrences, le modèle français des AOC, largement imité dès a fin des années 1960 par l'Italie, puis par l'Espagne ou encore aujourd'hui par des pays comme le Brésil, s'impose encore comme l'expression d'une réelle réussite économique. Les chiffres annoncés en 2020 par le CNIV Comité National des Interprofessions des Vins d'Appellation d'Origine)1 soulignent ce succès. Sur seulement 3% de la surface agricole utilisée, le vin représente 15% de la production agricole française en valeur. En outre, avec un total de 12,7 milliards d'Euros en 2019, vins et spiritueux s'affirment comme le deuxième poste en valeur au niveau des exportations nationales. Or, les AOC représentent 50 % des exportations hexagonales en 2019 et surtout 83 pourcent de la valeur de ces expéditions2.

Illustration 1 : Consommation comparée des vins d'AOC et des vins de consommation courante en France de 1947 à 2000.

Illustration 1 : Consommation comparée des vins d'AOC et des vins de consommation courante en France de 1947 à 2000.

Longtemps restées en marge de la consommation nationale et des exportations, les vins d'AOC décollent ainsi réellement à la fin des années 1970. Ils représentent environ 20% des vins consommés en France en 1980, presque deux fois plus que 10 ans auparavant3. Les exportations de vins sont elles aussi "en progression régulière", avec des vins d'AOC4 qui, à eux seuls, représenteront en 1986 81% de la valeur des expéditions viticoles nationales à l'étranger5. Ce succès économique qui pointe à l'aube des années 1980 a, jusqu'ici fait l'objet de peu d'analyses historiques. Dans un ouvrage pionnier, l'historien Joseph Bohling a toutefois pu dégager un certain nombre de facteurs macro-économiques, sociaux et politiques à l'origine de cet essor des AOC durant les années 1960-1970. Il fonde très justement ce changement de paradigme sur la victoire d'une vaste coalition politique et économique unie de manière inattendue autour de la lutte contre l'alcoolisme, d'une certaine idée de la modernisation de l'économie française confrontée à la décolonisation algérienne et à l'intégration européenne. Pour autant, la lecture des sources issues de la filière vitivinicole au sens large (producteurs, marchands, organismes professionnels, institutions techniques, mondes scientifiques de la vigne et du vin, administration, etc...) révèle l'existence d'autres mécanismes parallèles décisifs. L'encadrement règlementaire des normes de production et de commercialisation de vins fins6 destiné à la consommation française comme aux exportations, le suivi beaucoup plus intense de la qualité7, les progrès en vigne et en cave, le développement de la propagande nationale à l'étranger8 sont, par exemple, de ceux-là.

Nonobstant, l'essor des exportations d'AOC qui démarre réellement au cours des années 1970 correspond aussi à l'émergence concomitante de deux phénomènes. D'une part, l'institutionnalisation d'un nouveau discours parvenant, pour la première fois et grâce notamment à un renouvellement inédit des modes de dégustation, à consacrer l'idée que les vins de terroir, par leurs singularités organoleptiques, possèdent des qualités intrinsèquement supérieures aux vins "hors sol" ; d'autre part, la reprise de ce discours par un ensemble de prescripteurs français et surtout étrangers qui deviendront vite incontournables sur les marchés du vin, les critiques et journalistes vitivinicoles9.

En effet, à partir des années 1970, l'idée de s'extasier sur les caractéristiques organoleptiques que confère tel ou tel terroir, l'appréciation admise de la complexité d'un grand cru, des saveurs qu'il possède en comparaison à celui de la parcelle voisine, l'identification de l'expression géographique des typicités de chaque AOC ou encore la familiarisation gustative aux hiérarchies subtiles inscrites dans les territoires sont autant de concepts très positifs qui s'insinuent fortement dans la société des oenophiles, en particulier par l'entremise de cette prescription montante. A ce moment-là, la dégustation devient un phénomène incontournable, de plus en plus partagé et qui permet la singularisation organoleptique des vins d'AOC pour en faire des produits à forte valeur symbolique, sociale et économique.

Dans cette contribution, chercherons à savoir pourquoi et grâce à quels acteurs émerge ce nouveau paradigme. Nous montrerons finalement comment la réussite internationale de cette réglementation récente qu'est celle des AOC s'inscrit aussi dans la construction et la diffusion auprès des prescripteurs les plus influents de l'époque, d'une nouvelle manière de déguster les vins.

Dans un premier temps, nous reviendrons sur la manière dont les tenants des AOC vont tenter, par l'introduction de l'agrément, de réintroduire et consacrer la notion de qualité dans des vins d'AOC au départ uniquement caractérisés par leur origine. Il s'agira ensuite d'évoquer la place nouvelle et les limites de la dégustation dans le cadre des délimitations. Ces emplois naissants de la dégustation des vins de terroir conduisent alors l'INAO et une partie du monde de la recherche vitivinicole à d'avantage encadrer et d'uniformiser l'exercice ainsi qu'à développer un vocabulaire riche et capable de distinguer nettement les profils des vins d'AOC. Enfin, nous nous interrogerons sur la manière dont, à l'aide de ses réseaux et profitant d'un nouveau contexte d'émergence de la critique viticole, l'INAO va parvenir à diffuser son nouveau discours sur la typicité et le caractère qualitatif des vins de terroir.

La nécessité de prendre en compte la qualité substantielle des vins

En 1913, sur proposition du député de Côte-d’Or, Etienne Camuzet, soutenu par la quasi-majorité des propriétaires-viticulteurs de France, la notion de qualité substantielle est supprimée des critères de délimitation de la future loi du 6 mai 1919 sur les appellations d’origine. Ainsi, durant tout l’Entre-Deux-Guerres, les appellations d’origine se créent essentiellement sur des critères géographiques et des critères d’encépagement, le tout, sur la base d’usages locaux, loyaux et constants.

Or, le 20 octobre 1943, lors d’une séance du Comité Directeur du Comité National des Appellations d’Origine (CNAO), le Président de l’institution, Joseph Capus, propose d’ajouter à l’article 23 du Décret-loi du 31 juillet 1935 sur les AOC et comme condition au droit à l’appellation, les mots : « et s’il présente les qualités substantielles caractéristiques des vins d’appellation »10. Cette demande, approu­vée par le Comité National de l’INAO, vise explicitement à introduire la dégusta­tion dans le contrôle de la qualité des vins d’AOC.

Et Capus d’ajouter : « ce projet pourrait être adopté lorsque l’on aura créé une brigade de dégustateurs attachés au ministère de l’Agriculture. Des cours pour­raient s’ouvrir à Bordeaux, Beaune et Angers, les experts seraient nommés par le Comité National »11.

Le Président du CNAO n’évoque pas les raisons qui l’amènent à réaliser une telle proposition. Il est pourtant fort probable que la recrudescence de la fraude durant la période d’occupation soit un des éléments moteurs de cette demande de modification12, sachant qu’une telle pratique est déjà en vigueur pour les eaux-de-vie dont il faut tout simplement vérifier la « buvabilité »13. S’ajoute sans doute à cela, d’une part, une volonté de réellement distinguer des AOC souf­frant d’un déficit de notoriété face aux autres productions et à l’émergence des Vins de Qualité Supérieure (VDQS à partir de 1949). D’autre part, la réaffirma­tion de la qualité substantielle, jadis soutenue par le négoce, pourrait s’apparenter à une tentative d’unification entre la viticulture et le commerce dans le contexte de naissance des premières interprofessions. Enfin, cette sortie de 1943 parachève en quelque sorte une incessante activité de Joseph Capus qui, depuis 1905, plaide en faveur du retour de la qualité pour les vins délimités14. Quoi qu’il en soit, cette demande est éconduite par le ministère de la Justice. En 1955, la proposition est de nouveau faite par l’INAO après une vive discussion au sein de Comité National. Pierre Le Roy, Président de l’Institut, souhaite ainsi que la qualité des vins d’appellation d’origine puisse être «contrôlée avant leur commercialisation par examen de leurs qualités organoleptiques à la demande du syndicat intéressé. Dans ce cas, [et à défaut de pouvoir modifier le décret-loi de 1935] une clause doit être insérée dans le décret définissant l’appellation considérée »15.

Que ce soit en 1943 ou en 1955, la demande ne passe pas. Elle est rejetée par l’autre ministère de tutelle de l’INAO, celui de la Justice. Pourtant, malgré ces réticences ministérielles et les débats contradictoires existant au sein de l’institut, l’intégration de la dégustation comme objet de contrôle de la qualité va s’imposer lentement et susciter un engouement de plus en plus important à l’INAO, comme au niveau de la production.

Les premiers types de vins à bénéficier du contrôle de la qualité par la dégus­tation sont les Vins Doux Naturel (VDN). Ainsi, l’AOC Pineau des Charentes, contrôlée le 12 octobre 1945, est la première appellation dont l’obtention est soumise « à une dégustation obligatoire »16. Comme le précise Dubois, le représentant des Vins Doux Naturels au Comité Directeur du CNAO, il existe bien une politique de la qualité adoptée pour les exportations de ces produc­tions spécifiques, notamment avec la création de commissions de dégustation17. Ici, il s’agit bien d’examiner la qualité des vins proposés sur les marchés. Suite à ces dégustations, les produits possédant des défauts peuvent être retirés de la vente en tant qu’AOC. Il n’est cependant pas précisé que l’existence de cette qualité serait intrinsèquement liée au fait que le vin soit caractéristique de son appellation.

Les exportations de vins reprenant fortement dès la fin des années 1940, les pressions sont de plus en plus importantes pour que la dégustation soit un critère de sélection des vins d’AOC destinés aux marchés extérieurs. Dès 1945, le secrétaire général du Comité Directeur du CNAO estime « que les vins français sont d’un prix très élevé et ne peuvent être vendus qu’en fonction de leur qualité et qu’il faut, dans ces conditions, tout faire pour maintenir la qualité à l’exportation »18. La réalisation de dégustations permettant de définir le caractère commercial ou pas d’une appellation fait l’objet de plusieurs demandes, dont celle du Comité Interpro­fessionnel du Vin de Bordeaux qui souhaite faire modifier lui aussi le décret-loi de 1935 pour que les syndicats délivrent eux-mêmes les titres de mouvement des vins d’AOC Bordelais dégustés par des commissions désignées par l’INAO. Les vins qui n’obtiendraient pas la certification, c’est-à-dire le droit de circuler pourraient cependant conserver le statut des vins d’appellation et échapper aux contraintes du Statut Viticole exercé sur les VDQS (Vins Délimités de Qualité Supérieure). Au final, plusieurs syndicats s’imposent cette discipline durant la période: c’est le cas pour les appellations Médoc et Haut-Médoc en 1955 puis, pour une bonne partie des appellations Bordelaises de prestige, dès 1958. En 1948, Lirac, Palette, Madi­ran, Pacherenc-du-Vic-Bilh, puis dans les années 1950 Clairette de Bellegarde et Clairette du Languedoc ou encore, en 1961, Muscadet, fournissent des exemples d’AOC s’astreignant à une dégustation obligatoire contrôlant la qualité des vins destinés à la vente.

Le contrôle de la qualité organoleptique des vins à la vente reste donc une priorité pour l’INAO et nombre de syndicats, une priorité qui prend lentement forme mais qui, en raison du caractère très rigide du décret-loi de 1935, va d’abord devoir s’imposer légalement au niveau international. C’est ainsi que dès le 1er mai 1955, la convention internationale de l’OIV pour l’unification des méthodes d’analyse et d’appréciation des vins introduit l’obligation d’un examen organoleptique pour les vins destinés à l’exportation entre les 11 pays signataires. L’analyse se fera sur la couleur, la limpidité, l’odeur et la saveur du produit19. Rien d’étonnant à cela alors que le Président de l’OIV n’est autre que le Baron Le Roy, égale­ment président de l’INAO et ardent défenseur de l’agrément. En France pourtant, il faut attendre l’intégration Européenne pour que la législation rende obligatoire l’agrément des vins d’AOC destinés à circuler. Conformément aux dispositions de l’article 11 du règlement (C.E.E.) 817/70 du conseil du 28 avril 1970, le décret du 19 octobre 1974 rend obligatoire la dégustation organoleptique dans ce cadre.

Cette progressive introduction de la dégustation organoleptique dont l’objec­tif est d’agréer le droit de circulation des vins d’AOC est souhaitée, nous l’avons vu, de longue date par l’INAO. Mais l’Institut n’a pas pour seule volonté de valider le caractère marchand des produits d’AOC et l’exercice de la dégustation est égale­ment amplement convoqué dans le cadre des délimitations. L’INAO se confronte ainsi à une autre problématique, celle de rendre la plus objective possible une dégustation qui doit valider, ou pas, des critères de délimitation géographiques des crus.

Délimiter par la dégustation. Définir le goût des terroirs

À partir de 1935, les premières délimitations de vins d’AOC avaient été réali­sées sur des critères liés aux caractères physiques des terroirs de production, et en tenant compte des modes de production définis pas des usages locaux, loyaux et constants. Ces délimitations reprenaient également les critères géographiques de définition des appellations d’origine non contrôlées instaurées par jugements suite à la loi du 6 mai 1919. La mise en place de ces dernières avait provoqué de nombreux conflits territoriaux que les nouveaux critères de délimitation imposés par le CNAO étaient censés apaiser. L’institution, en faisant appel à des experts issus des sciences expérimentales, principalement des agronomes et des géolo­gues, comptait s’appuyer sur leur légitimé scientifique pour valider les nouvelles AOC.

Le retour rapide de la notion de qualité substantielle dans les débats pose alors la question du rôle que pourrait jouer la dégustation dans les processus de délimi­tation. À notre connaissance, 5 territoires s’imposent historiquement comme les zones à « expérimenter » cette méthode sous l’ère des AOC : Chablis, le Beaujolais, l’Appellation Lirac et, à peine plus tardivement, le Saint-Emilionnais et la région des Graves.

Pour ces deux dernières, il s’agit clairement de déterminer des hiérarchies au sein d’une zone délimitée. Ce n’est pas tant la typicité qui compte ici, mais le degré intrinsèque de qualité des vins dégustés et leur capacité à les situer entre le sommet et le bas de la hiérarchie. Ainsi, dès 1948, une liste secrète de dégustateurs est déposée par l’INAO dans le but de déterminer les vins ayant droit aux appel­lations « Saint-Emilion », « Saint-Emilion Grand Cru » et « Saint-Emilion Grand Cru Classé », ces Grands crus classés bénéficiant d’une hiérarchisation interne en « Grand Cru Classé », « 1er Grand Cru Classé B » ou « 1er Grand Cru Classé A »20. Le classement est publié en 195521. On procède de la même façon pour le classe­ment des Grands Crus blancs et rouges de Grave. La dégustation est essentielle pour le syndicat de l’appellation qui estime « que le cours du vin sur le marché, même pendant une longue période, est un critère insuffisant et qu’il y aurait lieu de s’appuyer également sur la notoriété des vins et sur leur qualité qui serait jugée par dégustation »22. Pour le Bordelais, il s’agit de qualifier un ordre hiérarchique horizontal et non, comme pour Chablis et le Beaujolais, de justifier par la dégusta­tion une délimitation géographique.

Ainsi, le 19 décembre 1945, le Comité National de l’INAO rend compte de l’avancée de la délimitation du Chablis. Celle-ci pose problème depuis les années 1920 et se base, de façon fluctuante, sur des rapports d’expertise géologiques contradictoires confrontant les étages géologiques Kimméridgiens aux étages portlandiens à faciès Kimméridgien plus étendus23. La question récurrente est de savoir si l’appellation Chablis doit se limiter strictement à la zone Kimméridgienne ou si elle peut s’étendre au Portlandien. Afin de tenter de mettre fin aux débats et conflits qui règnent dans ce vignoble, l’INAO décide de nommer une commission de dégustation qui définira si, en fonction du sous-sol, les vins produits sont caractéristiques, du « véritable Chablis »24. Il est décidé que « seule une dégustation présentant toutes les garanties permettra de régler définitivement le problème »25. Toutefois, en 1945, l’analyse organoleptique reste mal cadrée et les experts nommés par l’INAO manquent cruellement de légiti­mité dans ce domaine. L’extension est ainsi demandée contre l’avis de Naudet, Président du Syndicat des propriétaires-viticulteurs des grands crus de Chablis qui siège au Comité National. Faute de dégustateurs patentés, la délimitation du Chablis (qui étend finalement l’ère du Chablis au-delà du Kimméridgien « originel ») n’aboutit donc pas avant 1960. Dès lors, pour cette dernière, une dégustation menée par une commission de trois experts, dont 2 courtiers gourmets, est réali­sée en 1959 sur des Petit-Chablis réclamant l’appellation Chablis, sur des Petits Chablis sans réclamations et sur des Chablis dont l’appellation n’est pas discutée. Elle concerne en tout 56 bouteilles. Les résultats de cette dégustation montrent que certains Petit-Chablis demandant le droit à l’appellation « Chablis » sont d’une qualité comparable à celle de leur « grand frère » alors que d’autres sont d’une parenté indéniable mais d’un niveau qualitatif moindre. L’analyse organoleptique tranche donc pour une légère extension de l’appellation Chablis, malgré le refus de Naudet, toujours présent dans le Comité National. La dégustation, comme les experts sollicités, est ainsi devenue en 15 ans, plus légitimes aux yeux du Comité National qui, cette fois, peut trancher.

Ainsi, entre 1945 et 1959, les choses ont, en réalité, beaucoup évolué et la dégustation est devenue mieux organisée, plus étayée, plus scientifique. Cette évolution, si elle découle, comme nous l’avons évoqué, de la volonté de l’INAO et des producteurs de vérifier de plus en plus systématiquement la qualité des vins par cet exercice sensoriel, prend surtout ses lettres de noblesse autour d’un travail débuté à la fin des années 1940 autour de quelques ingénieurs et techniciens de l’INAO et d’un petit négociant du Beaujolais, Jules Chauvet.

Définir le goût des terroirs

Il s’agit, en effet, pour l’INAO après 1945 de parvenir à délimiter et définir l’appellation « Beaujolais Village » dans la Bourgogne viticole. La question posée se résume ainsi : existe-t-il dans le Beaujolais une aire de production (en dehors de celle des crus : Brouilly, Fleurie, Juliénas, etc...) où le gamay noir à jus blanc donne des vins fins capables de se replier en appellation Bourgogne et non pas en Bourgogne Grand Ordinaire ? Les nombreuses expertises engagées liées aux sols ou aux usages locaux loyaux et constants demeurant, comme à Chablis, matière à débat. L’INAO organise alors une dégustation pour vérifier le caractère bourgui­gnon des beaujolais présentés.

Lors de la réunion du Bureau de l’Union Viticole du Beaujolais du 24 janvier 1949, le député Laborde, délégué du Beaujolais à l’INAO, fait connaître son point de vue. En accord avec l’Amicale des Beaujolais-Village, il demande le bénéfice de l’appellation Beaujolais-Bourgogne pour l’ensemble des vins beaujolais sous plusieurs conditions liées aux cépages employés, au rendement, au degré alcoo­lique et à condition qu’une commission de dégustation présidée par les agents de l’INAO contrôle ces vins, et les agrée comme vins de qualité.

Les dégustations ont bien lieu, mais les membres de la commission estiment finalement qu’ils ne peuvent étayer leur jugement définitif que par une dégustation comparée. A cet effet, ils demandent à l’INAO de faire procéder à la prise d’échan­tillons de 6 bouteilles de vin à AOC « Bourgogne » et de 6 bouteilles de vin à AOC « Beaujolais »26. Cette deuxième dégustation, comparative a cette fois lieu à Paris avec les membres de la commission. Les commentaires de dégustation sont néan­moins très sommaires et manquent clairement de précisions. Les résultats restent finalement médiocres en raison du faible nombre d’échantillons dégustés (8 en tout). Cependant, des termes intéressants jalonnent le compte rendu. Les experts parlent de vins ayant le « type Bourgogne », de « goût spécifique » au Beaujolais27. Intervient donc, dans le processus de délimitation, ici d’extension d’aire de l’appellation Bourgogne, l’idée que la dégustation pourrait permettre de qualifier le degré de typicité de certains vins.

Les éléments d’analyse mis à disposition des experts restent cependant, à ce moment-là, très caractérisés par les modes de dégustation d’avant-guerre initiés au XIXe siècle. Durant cette période, pour qu’un vin puisse être commercialisé, ce qui comptait n’était alors pas tant la spécificité donnée à un vin par son origine géogra­phique, par son terroir, que son caractère loyal et marchand. Systématiquement recensée dans toute la littérature vineuse, l’étude des termes utilisés pour déguster les produits du négoce au XIXe siècle ou au début du XXe siècle montre d’ailleurs assez clairement le manque de distinctions gustatives pouvant exister à l’époque entre les crus. Importaient surtout la couleur de la robe, sa limpidité particulière­ment, et la structure du produit en bouche qui exprime sa plus ou moins grande valeur28.

Par exemple, dans son ouvrage intitulé « La vigne et le vin en Côte-d’Or », ouvrage de référence en matière de hiérarchisation des vins du département, Denis Morelot n’utilise principalement et avec précision que des termes ayant trait à la couleur ou au caractère tactile des vins qu’il déguste29. L’évoca­tion du goût ou des arômes ne relève que du jugement de valeur (ça sent bon ou mauvais ou ça sent moins bon ou meilleur que) ou d’une résonance morale (une odeur agréable, spiritueuse). Ainsi, il considère les vins du village de Santenay comme « fermes », « moins délicats que Chassagne dans la finesse, le goût et le bouquet », « toujours satisfaisants » et d’une « bonne tenue »30. Ces vins possèdent cependant toujours un « goût de terroir qui ne disparaît qu’après 4 ou 5 ans de tonneau ». Cette évocation du goût de terroir pour qualifier un vin difficile à boire, sans doute très tannique, est d’ailleurs récurrente dans les dégus­tations, au moins jusque dans les années 1960. Le terroir est même alors un terme souvent négatif dans l’appréciation d’un vin.

L’étude d’autres ouvrages du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle permet de généraliser l’analyse et d’affirmer que, dans leur ensemble, ce type de descriptions basées sur la texture et la vue est une constante dans la litté­rature vineuse.

Enfin, et même en 1947, le grand oenologue Bordelais Emile Peynaud reste fixé sur les caractères tactiles des vins. Souhaitant examiner quelques caractères de vins fins et leurs relations avec leur constitution chimique, il évoque unique­ment : la souplesse, le moelleux, le côté corsé, la vinosité, le gras, l’âpreté, la verdeur, la netteté. Il parle d’un vin « droit de goût », d’un vin qui « remplit la bouche » ou encore d’un « vin mâché ». Nulle trace d’olfaction dans l’analyse31.

La mise en avant de l’odorat et du goût dans les dégustations n’est pas encore à l’ordre du jour et si, parfois, certains caractères organoleptiques de vins sont défi­nis par des comparaisons avec des canons sensoriels collectifs liés à quelques fruits et à quelques fleurs, ce type de mentions reste extrêmement rare et les critères de comparaison impliqués très peu nombreux32.

Les termes employés juste après la Seconde Guerre Mondiale pour dégus­ter ne permettent donc que très mal une caractérisation des typicités par l’étude comparative. Aussi, plusieurs personnalités de l’INAO n’hésitent pas à demander que les experts et les agents techniques requis pour les délimitations ou les agréments puissent s’appuyer sur de véritables méthodes « objectives » de dégustation33. La conférence en 1966, à Bruxelles, de Pierre Charnay, Inspecteur régional de l’INAO en Vallée du Rhône, plaide ouvertement en ce sens. Il met, entre autres en cause « Le système actuel et plus ou moins généralisé » de dégustation en petits comités d’experts qui, par l’échange, mettent des notes aux vins qu’ils dégustent. Il plaide alors pour l’instauration de formations et de fiches de dégustation « scien­tifiques » qui puissent tenir compte de la variabilité des arômes contenus dans le vin34.

Et donc, d’ajouter : « Contrairement à ce que disent ceux qui refusent de penser, il n’est pas ridicule de trouver dans le vin des parfums qui, s’ils n’ont pas la même nature chimique que les parfums naturels identifiés, offrent à notre sens olfactif une sensation identique. Ces parfums sont floraux (rose, violette, narcisse, pivoine....), de fruit (pêche, cassis, groseille, prune, pomme, coing...) ou plus complexes lorsqu’il s’agit de vins âgés (truffe, kirch, ambre, cuir de Russie). Il est admis que la valeur d’un arôme est d’autant plus grande que le nombre de ses composants est lui-même plus grand. Il s’agit là d’un travail d’identification »35. Pierre Charnay fait partie de ces agents INAO conscients que le registre lexical de la dégustation doit s’élargir en tenant compte des canons sensoriels collectifs tels que les arômes de fleur ou de fruit. Il est d’ailleurs direc­tement confronté au problème dans le cadre de délimitations faisant appel à des commissions de dégustation pour la Vallée du Rhône. Ainsi, via cet agent, l’INAO affiche une volonté de parvenir à identifier les crus par la dégustation, à les distin­guer, à créer les outils à même de définir, vin par vin, ce que cette même institution nommera plus tard « le lien au terroir ». Mais, dans son article programmatique de 1967, Pierre Charnay évoque surtout l’influence primordiale du Chapellois Jules Chauvet36.

Malgré quelques publications fondatrices, les travaux précurseurs de Jules Chauvet sont encore assez mal connus37. L’œuvre de Chauvet semble néanmoins se situer aux racines des nouvelles formes de dégustation prônées par l’INAO. Petit négociant du Mâconnais et du Beaujolais, de formation scientifique (Ecole de Chimie de Lyon), Chauvet s’impose surtout comme un expérimentateur. Entretenant des correspondances régulières avec l’Allemand Otto Heinrich Warburg, prix

Nobel de Physiologie pour ses travaux sur la respiration cellulaire et les enzymes, Chauvet s’intéresse rapidement aux molécules aromatiques du vin et à leur percep­tion. Analysant les lois de la dégustation38, il développe des procédés d’analyse sensoriels visant à donner un maximum de cadres « scientifiques » à cet exercice. Pour lui : « L’analyse chimique […] est impuissante à réaliser un contrôle vraiment scientifique et objectif des propriétés du mets ou du vin », contrairement à l’ana­lyse organoleptique39. Et d’ajouter, en conséquence que, « la sélection (des vins) s’opérant à la base en reposant sur la garantie d’origine …. La deuxième garantie est apportée par l’expertise gusto-olfactive »40, donnant donc la primeur au bouquet et aux arômes des vins. Chauvet procède à de nombreuses dégustations expérimentales sur des vins du Beaujolais, dégustations totalement nouvelles dans leur approche et faisant appel, pour distinguer les vins, à des référents sensoriels collectifs. Par exemple, le Morgon 1949 qu’il dégusta en 1953, lui procurera une « impression de fraîcheur, de pureté », mais également de « fruit abricot, groseille, etc »41. Un Fleurie 1947 possèdera des notes « de parfum animal et intime (capiteux et troublant) d’ambre, de musc »42. Quant à l’échantillon 903/BP (peut-être un Beaujolais Primeur), il le décrit ainsi : « L’arôme tabac-coing persiste. Equilibre acide amertume, tabac, café, coing »43. Ces quelques exemples d’analyses réalisées au tout début des années 1950 par Chauvet rénovent ainsi totalement l’exercice de la dégustation et offrent des outils inédits capables de faire la distinction entre des crus d’appellations pourtant très proches.

Illustration 2 : Fiche de dégustation annotée par Jules Chauvet en 1951.

Illustration 2 : Fiche de dégustation annotée par Jules Chauvet en 1951.

Archives Jules Chauvet.

Illustration 3 : Fiche de dégustation annotée par Jules Chauvet en 1955.

Illustration 3 : Fiche de dégustation annotée par Jules Chauvet en 1955.

Jules Chauvet, « La physico-chimie des surfaces et l’arôme des vins fins », Cahiers techniques de l’INAO, n°3, Janvier 1955.

Même si Jules Chauvet ne possède pas la légitimité académique des grands œnologues californiens (à l’instar de Maynard Amerine) ou français de son époque, avec l'appui indéfectible de l'INAO et de ses agents, il parvient cependant à faire passer son message qui devient une norme à partir des années 1970 auprès des professionnels de la dégustation, puis des amateurs avertis, sur le plan français, comme international.

La dissémination internationale du modèle "olfactif" et ses transformations

Ici, la transmission du discours se réalise via les réseaux de prescripteurs fréquentés par Chauvet et issus de l’INAO. Il est en effet très proche des cercles syndicaux et des agents locaux de l’INAO qui souhaitent promouvoir les nouvelles AOC et en instituer les caractères de typicité. Jules Chauvet entretient d’importantes relations avec Camille Lapierre, vigneron de Villié-Morgon et secrétaire de la Fédération viticole de Saône-et-Loire, se tournant vers la mise en bouteille à la propriété après 1945. Il côtoie aussi d’autres syndicalistes vignerons de la région comme Claude Geoffray, propriétaire au Château de Thivin, un des fondateurs de l’appellation Côte de Brouilly dans les années 1930, de la maison du Beaujolais en 1953 et, avec des journalistes et gastronomes tels que Curnonski, de l’Académie Rabelais en 1948. Autre personne de son entourage, Albert Méziat, producteur de Chiroubles initiant également la mise en bouteille au domaine au même moment44. Ce sont ces viticulteurs qui, justement, demandent à l’INAO la révision de l’appellation Bourgogne pour les Beaujolais et incitent à l’organisation d’une dégustation comparative censée prouver la typicité bourguignonne des Beaujolais. A leur côté, lors des démarches, figure Pierre Orizet, Inspecteur Général de l’INAO nommé par le Baron Pierre Le Roy de Boiseaumarié. Chauvet travaille régulièrement avec Orizet, tant au sein du Groupement technique de recherches oenologiques de Mâcon que lors de multiples conférences sur la dégustation, comme celle offerte par l’INAO aux « médecins de France Amis du Vin » lors de la Foire de Mâcon de 195445. Personnage à la légitimité scientifique et technique initialement locale, il acquiert, via les multiples réseaux professionnels, journalistiques et propagan­distes de l’INAO, une dimension d’expert reconnu dès les années 1950-1960. Si son éloignement des mondes académiques le laisse quelque peu dans l’ombre d’universitaires comme Peynaud ou Max Léglise (Directeur de la Station Oenologique de Beaune), ses travaux et, surtout, ses méthodes et son vocabulaire de dégustation parviennent pourtant à s’imposer et à dépasser le cadre strict de l’INAO.

Des éléments matériels ou culturels concrétisent en premier lieu clairement ce rôle sur l’évolution d’une dégustation au service des AOC, d’un exercice olfactif capable de définir le goût du lieu. Ainsi, début 1970, apparaît le verre INAO en forme de tulipe46, spécialement conçu par l’Institut et l'un des ses agents bourguignons, André Vedel, en collaboration avec Jules Chauvet, pour permettre une bonne analyse du bouquet des vins.

Illustration 4 : les travaux de Jules Chauvet et André Vedel pour mettre au point le futur verre INAO. Non daté.

Illustration 4 : les travaux de Jules Chauvet et André Vedel pour mettre au point le futur verre INAO. Non daté.

Archives Jules Chauvet.

L'INAO possède en outre d'importantes connexions avec les techniciens et scientifiques de l'INAO. Au coeur d'un réseau composé de l'Institut Technique du Vin (fondé en 1947), de l'INRA, des Stations oenologiques et agronomiques régionales ou des universités, l'Institut oeuvre explicitement pour inscrire sa rénovation de la dégustation à l'agenda. Nous pouvons, entre autre, percevoir ces connexions lors de manifestations scientifiques ou de vulgarisation auxquelles participent Jules Chauvet, mais surtout une partie des agents de l'Institut.

AInsi, au passage des années 1960, Chauvet délaisse quelque peu l'exercice, délégué d'avantage aux agents de l'Institut. Ainsi, cette dégustation commentée de Louis Orizet autour des vins blancs de Bourgogne et des huitres à Paris les 29 janvier 1963, à l'occasion d'un évènement organisé par les interprofessions respectives de ces productions47. Mentionnons aussi la présentation, par Louis Orizet et Daniel Chantereau, de leur livre "Fragrances" pendant l'Exposition Universelle des Vins en 1964 à Paris48. Orizet, dont les connaissances en matière d'analyse organoleptique sont désormais reconnues nationalement comme internationalement, fait feu de tout bois puisqu'on le retrouve aussi membre du Jury au concours du meilleur Sommelier de France à Paris le 6 novembre 196849, ou dès 1960, nommé par le Directeur de L'OIV Jules Protin, expert dégustateur lors du Concours International des Vins de Budapest50. Au même titre que Pierre Charnay intervenant sur "la fiche de dégustation" au Centre d'Enseignement et de Recherche des Industries Alimentaire de Bruxelles le 24 septembre 196651, Louis Orizet assume son rôle de véritable missi dominici de l'uniformisation des méthodes de dégustation pour les vins. Il n'y a rien d'étonnant, par exemple, à ce qu'il participe en septembre 1961, en tant qu'observateur, à la Commission III de l'OIV sur problèmes économiques 41e session plénière du Comité. Durant cette mission, il interviendra pour "l'Unification des règlements des concours internationaux de vins"52. Mais le cercle s'élargit, se professionnalise, se structure et surtout agrège des dégustateurs issus d'autres régions. Monté avec l'appui des agents INAO un "Collège technique transnational de dégustateurs" voit le jour en octobre 1967. Ses statuts précisent ses objectifs : l'organisation devra « former les éléments d'une compagnie de juges-dégustateurs, elle contribuera à assurer, sur le plan universel, un jugement uniforme et constant dans l'appréciation organoleptique des différentes boissons alcooliques issues de la vigne, elle recherchera et mettra en pratique, à cet effet, les meilleurs principes et méthodes et aura enfin pour mission d'assurer le perfectionnement professionnel de ses membres et de diffuser largement les connaissances acquises »53. Nous mesurons bien ici son ambition internationale. Il est par ailleurs temps envisageable de capter l'oreille de pouvoirs publics très centralisateurs mais de plus en plus enclins à promouvoir et défendre les vins d'AOC face à des vins de consommation courante taxés de tous les maux. Enfin, la participation d'une partie des membres du Collèges à des évènements de vulgarisation de savoirs scientifiques aux côtés de chercheurs académiques reconnus et respecté. L'ITV semble tout à fait adapté à ce type de rencontres et, lors du 11e colloque œnologique de l'Institut du 7 au 10 juin 1966 à Dijon, Le Magnen, Chauvet, Orizet, Vedel, Ribereau-Gayon et Boidron se retrouvent à la tribune pour disserter sur la dégustation, chacun dans son créneau favori54. Le Magnen s'intéresse à la physiologie de l'analyse sensorielle, Depledt aux techniques d'appréciation organoleptique des aliments, Boidron et Ribereau-Gayon aux techniques de laboratoires destinées à identifier les arômes des vins alors que Chauvet, 0rizet et Vedel évoquent respectivement "la dégustation des vins", "la dégustation et l'homme" et la terminologie gustative oenologique". Nous ne possédons malheureusement aucune preuve de relations suivies, entre, par exemple Vedel ou Chauvet et Ribereau-Gayon, mais un Le Magnen et ou un Depledt semble en revanche entretenir des liens notables avec les agents INAO impliqués, tout du moins Vedel. L'hommage qui leur est rendu en 1972 dans cet ouvrage fondateur et prescripteur qu'est "essai sur la dégustation des vins" publié par Vedel, Tourmeau, Charnay et Charles est sans ambiguïté. Le Magnen (et son collaborateur Mac Leod) aurait "assisté de ses conseils les auteurs tout comme Depledt qui aurait "initié" ces derniers "aux principes modernes de l'analyse sensorielle" prodiguant largement "temps" et "conseil"55.

Enfin, l'essor inédit des guides viticoles, de la critique et du journalisme vineux à partir des années 1970-1980 sert de tremplin à cette nouvelle manière de déguster et d'appréhender les vins, à ce vocabulaire « sensoriel » formalisé pour qualifier et hiérarchiser les vins soumis à leurs jugements56. En France, il semblerait que le premier ouvrage tenant compte systématiquement de ces principes soit le Guide du Vin de Raymond Dumay, publié en 196757. L'auteur utilise régulièrement des canons sensoriels collectifs pour évoquer les vins qu'il décrit et propose même une discrimination de plusieurs appellations par ces caractères olfactifs. Rien d'étonnant à cela puisque, comme il l'indique dans son ouvrage, il tient son savoir de dégustateur de sa rencontre avec Pierre Orizet. La lecture complète des notes de dégustation dans la Revue du Vin de France de 1927 à 1983 souligne, à peine plus tardivement, la prise en compte de ce nouveau vocabulaire de la dégustation58. Si, jusqu'au milieu des années 1970, le lexique s'inspire très majoritairement du lexique en vogue au début du XXe siècle, les commentaires s'approprient par la suite allègrement et de plus en plus fréquement les principes de la dégustation initiés par Chauvet et l'INAO. Citons, par exemple, ce gewurztraminer 1974 qualifié de "très beau vin, riche, puissant de grande ampleur" aux "arômes de rose rouge évanescente succédant à des évocations épicées (coriandre notamment)59.

A l'étranger, les premiers grands critiques dégustateurs influents sont anglo-saxons60, anglais ou américains. Dès 1953, un Master of Wine est décerné par la Worshipful Company of Vintners and the Wine and Spirits Association qui crée l'Institut du même nom. Une partie des prescripteurs émergeants dans les années 1970-1980 possèdent ce diplôme aujourd'hui devenu une référence sur toute la planète. L'un d'entre-deux, John Michael Broadbent (master of Wine en 1960, marchand de vin puis responsable vin chez Christie's à partir de 1966), apparaît comme l'un des pionniers du mouvement de la critique anglo-saxonne61. Auteur, dès 1964, du "Guidance in the Techniques of Tasting"62, il publie surtout, en 1968, "Wine tasting", volume considéré comme le premier manuel (ou traité) de dégustation à la portée de tous". Pour autant, Broabdent, même si précis, reste relativement classique dans ses manières de décrire les vins. Il est trop tôt. Le passage, auprès de ces critiques internationaux, à la nouvelle dégustation fécondée par l'INAO aura lieu dans les années 1970 et agira alors comme un véritable catalyseur pour cette nouvelle forme d'analyse conçue pour les vins d'AOC. le 25 juin 1971, le journaliste et éditorialiste Constant Bourquin créé l'Académie internationale du Vin en compagnie d'une dizaine de compagnons dont un suisse et surtout Jacques Perrin, grand vigneron de Châteauneuf du Pape et proche de feu le Baron le Roy, ancien président historique de l'INAO. En 1975, l'association, présidée par Victor de la Serna, compte entre autres dans ses rangs des membres fondateurs du Collège technique transnational de dégustateurs comme Jacques Puisais et Robert Goffard, proches de Chauvet, Vedel, Charnay ou Charles. En 1973, une autre entité, cette fois d'essence anglo-saxonne voit le jour en France : l'Académie du Vin. Lancée par Steven Spurrier (marchand de vin à Paris) et le critique John Winroth, elle propose, à l'adresse des marchands et amateurs anglophones, des cours en Anglais puis en Français63. Selon Jean-Luc Fernandez, Winroth n'est pas un inconnu puisque correspondant-vin au New-York Herald, il se charge, du début des années 1960 à la fin des années 1970, de la traduction des articles de la RVF pour sa version anglaise64. Les réseaux INAO ne sont pas loin. De par sa carrière, Steven Spurrier s'affirme lui aussi comme un potentiel incontournable passeur de la dégustation olfactive. Son implication dans la citrique journalistique65 ou dans des formations à succès mondial comme le Wine and Spirit Education Trust66, en font un personnage centrale de ces réseaux de diffusion.

Mais ces entreprises anglo-saxonnes possèdent néanmoins leur originalité et posséderont également une influence sur les canons de la dégustation "à la Française". Anglo-saxonnes, elles s'approprient les canons de la dégustation proposés initialement par l'INAO mais elle contribue aussi à importer en France la dégustation comparative et notée dont le succès ne sera pas démenti ultérieurement.

A partir des années 1980, les nouveaux modes dégustation inventés par l'INAO s'inscrivent désormais dans la normalité de la dégustation. Le développement des Clubs67 et formations, non seulement en France, mais dans tous les grands pays d'importation répand le discours auprès des amateurs et de consommateurs. De plus en plus organisés68 et considérés comme acteurs prépondérants des marchés par le discours économique bientôt dominant, ils deviendront eux-même plus tard, grâce aux nouveaux médias, des prescripteurs, voire des critiques d'influence69.

Conclusion

Initialement réhabilitée par l’INAO dans un souci de lutte contre les fraudes perpétuées durant la seconde Guerre Mondiale puis, afin de contrôler la qualité les vins d’AOC destinés à la vente, la dégustation s’impose concrètement durant les années 1950 et 1960 à l’INAO. Mais c’est également dans le cadre particulier des délimitations que la dégustation va véritablement se métamorphoser. Sous l’im­pulsion d’agents techniques, de syndicats viticoles et du personnage atypique de Jules Chauvet, tous directement concernés par des délimitations problématiques en Bourgogne et vallée du Rhône, l’INAO va développer et définir des modes de dégustation totalement nouveaux laissant pour la première fois une place prépon­dérante au goût et aux effluves des vins. Ces nouvelles façons d’aborder les vins sont censées définir le rapport du produit à son terroir d’origine. Il s’agit de carac­tériser chaque appellation et d’envisager, même si le mot apparaît finalement tardi­vement, la typicité de chaque vin, typicité désormais perçue comme un gage de qualité.

Reste que l’INAO, par des recherches et des méthodes d’une extrême modernité, est parvenue en une trentaine d’années, de 1945 aux années 1970, à promouvoir un système déjà original en soi et né dans les années 1920, les appellations d’ori­gine. A la fin des années 1970, les AOC sont clairement devenues, pour la majorité des prescripteurs et pour nombre de consommateurs éclairés, l’élite des vins fran­çais. Certes, le respect croissant des contraintes normatives et analytiques pour les productions par les propriétaires et l’engagement inédit des pouvoirs publics en termes de formation vont permettre d’envoyer des vins de plus en plus qualitatifs sur les marchés. Avec ce travail sur la dégustation, l’idée d’un lien entre le goût du vin et le lieu de production est devenue concrète et, même gage de qualité pour les vins concernés. On goûte désormais le lieu et, de moins en moins, la marque.

En termes économiques, ce travail sur la typicité comme élément de qualité substantielle des vins d’AOC aura des conséquences relativement intéressantes pour ces vins délimités. En 1954, les exportations totales de vins français s’élèvent à 69 000 hl. Les AOC contribuent pour 1% à ces exportations avec un volume de 686 hl. En 1967, le volume total des vins français exportés s’élève désormais à environ 3 800 000 hl. Les AOC représentent alors 39 % de ce volume avec un total d’environ 1 500 000 hl70.

Nul doute que l’embellie commerciale pour les vins d’AOC à la fin des années 1970 prend sa source dans une ample politique de régulation et de propagande largement menée par les producteurs, les législateurs et les organisations professionnelles. Mais il est en même temps nécessaire de bien mesurer l’impact décisif des travaux de l’INAO en termes de dégustation.

Grâce aux importants réseaux journalistiques, scientifiques et professionnels au sens large (sommeliers, marchands, ...) de l'Institut, la diffusion de ce modèle auprès des nouveaux acteurs et prescripteurs français, mais aussi étrangers va institutionnaliser ce nouveau modèle et, in fine, le transmettre aux consommateurs. Si l'évolution des changements successifs de vocabulaire dans la dégustation s'explique par les mutations, au fil des siècles, du statut social du vin et de celui du consommateur71 ; si, les mondes anglo-saxons, scientifiques au départ, puis journalistiques et marchands, possèdent un réel impact sur l'implantation de système comparatif de notation aujourd'hui largement adopté par la critique et décisif dans le fonctionnement des marchés72, la réponse française aux enjeux dictés par les règlementations d'AOC créées au XXe siècle sera cruciale. Elle permettra en particulier par une rénovation du lexique de la dégustation, l’émergence d’une nouvelle perception des AOC chez les consommateurs. Elle conditionnera le succès des vins d'origine devenu alors qualitatifs de par leur singularisation. Il s’agit clairement ici, de l’ancrage réussi, auprès des marchés, d’une représentation faisant d’un vin de terroir un vin de qualité.

Notes

1 https://www.intervin.fr/etudes-et-economie-de-la-filiere/chiffres-cles. Site consulté le 20 septembre 2021 Retour au texte

2 France Agrimer, "La conjoncture vin et cidres 2019", https://www.franceagrimer.fr/fam/content/download/62407/document/NCO-VIN-note%20de%20conjoncture-A19M10.pdf?version=1 Retour au texte

3 Jean Dubos, La viticulture et le marché du vin en France, Medit, n°1, 1990, p. 21. Retour au texte

4 Avis présenté par Pierre Jambrun au nom de la commission des affaires économiques et du plan sur le projet de loi des finances pour 1982, Tome III, Industrie agricole et alimentaire, Annexe au PV du 23 novembre 1981, N°60, Sénat, p. 7. Notons aussi que de 1960-1961, les AOC ne représentent encore que 25% des expéditions de vin français à l’étranger. A la fin des années 1970, ces vins d'origine trustent régulièrement plus de 50 % des exportations. Retour au texte

5 Jean Dubos, Op. cit., p. 22. Retour au texte

6 Pierre Merel, Ariel Ortiz-Bobea et Emmanuel Paroissien montrent bien, par exemple, l'impact des législations d'AOC sur la montée des prix et l'essor de leur plus-value dès 1935. voir leur article "How big is the "Lemons" problem ? Historical evidence of the French wines", Working Paper SMART – LERECO N°20-05, mars 2020, 51 p. Retour au texte

7 Olivier Jacquet, “La question de la définition et du contrôle des vins d’appellation d’origine au XXe siècle”, O. Serra et S. Wolikow (eds.), Des appellations d'origine aux indications géographiques: un siècle de protection des réputations (1919-2019), Rennes, PUR, 2021 (à paraître) Retour au texte

8 Olivier Jacquet, "Entre discours et règlementations : le développement international des vins français d'AOC durant les Trente Glorieuses", Communication réalisée au cours de la journée d'étude L'internationalisation du marché du vin, les valeurs patrimoniales et l'oenotourisme, 14 octobre 2021, IRM-CMRP, Bordeaux, 2021. Retour au texte

9 Jean-Luc Fernandez, La critique vinicole en France, pouvoir de prescription et construction de la confiance, Paris L'Harmattan, 2004, p. 48 Retour au texte

10 « Rôle de la dégustation dans le contrôle des vins à appellation d’origine », Procès-verbal de la séance du comité national du 21 octobre 1943 à Paris, p. 520. Retour au texte

11 Idem. Retour au texte

12 Christophe Lucand, Le vin et la guerre. Comment les nazis ont fait main basse sur le vignoble français, Paris, Armand Colin, 2017, 427 p. Retour au texte

13 Ce contrôle perdure bien entendu après la guerre. Les quantités d’eau-de-vie agréées durant la campagne 1947-1948 sont très conséquentes : 25 000 hl pour les eaux-de-vie de vin ; 152 000 hl pour les eaux de vie de marc ; 46 000 hl pour les eaux de vie de cidre ; 17 000 hl pour les calvados. Procès Verbal du Comité Directeur du CNAO du 25 novembre 1948. Retour au texte

14 Comme l’explique Claudine Wolikow, lorsque Joseph Capus, brièvement ministre de l’Agriculture en 1924, avait créé un Comité juridique des AO chargé de définir l’acception-extension du concept dusages loyaux, antidote aux « abus constants », il ne lui restait que l’espoir de pouvoir « restituer au mot usages son plein sens… Je pensais qu’il eût été téméraire de reprendre l’expression qualités substantielles ». Une fois président du CNAO, le contexte compliqué de l’Occupation le pousse enfin à la témérité. Voir Claudine Wolikow, "Fiche biographique « Joseph Capus »", Wolikow S, Jacquet O, Gautier (dir.), Quel avenir pour les Appellations d’Origine. Histoire de la labellisation des produits et des terroirs, Dijon, EUD, 2021, p. 236-239. Cf. également Claudine Wolikow, "De territoires en terroirs du vin : le casse-tête législatif des appellations d’origine (1905-1935)", Crescentis : Revue internationale d’histoire de la vigne et du vin [https://preo.u-bourgogne.fr/crescentis/index.php?id=277], 1, 2018. Retour au texte

15 « Modification au décret-loi du 30 juillet 1935 en ce qui concerne les qualités substantielles ». Procès verbal de la séance du Comité National du 10 mai 1955, p. 24 Retour au texte

16 Florian Humbert, "Approche historique du processus de délimitation des AOC vinicoles françaises. Contribution à la compréhension des principes et de l’application d’une expertise", Sciences Humaines Combinées [http://revuesshs.u-bourgogne.fr/lisit491], numéro 5, 2010. Retour au texte

17 « Protection des appellations d’origine à l’étranger », Procès verbal du Comité Directeur du CNAO du 17 décembre 1945, p. 407 Retour au texte

18 Procès verbal du Comité Directeur du CNAO du 17 décembre 1945 « protection des appellations d’origine à l’étranger », p. 407 Retour au texte

19 Bulletin de l’OIV, n° 291, Mai 1955, p.31. Les pays concernés sont l’Allemagne, l’Autriche, le Chili, l’Espagne, la France, la Grèce, l’Italie, le Luxembourg, le Portugal, la Suisse, la Turquie, la Yougoslavie Retour au texte

20 Seuls ces derniers ne bénéficient pas d’une dégustation et sont uniquement classés sur des critères de notoriété. Retour au texte

21 Procès-verbal du Comité Directeur de l’INAO du 7 Juin 1948 : « réglementation intérieure des commissions de dégustation des appellations « Saint-Emilion », « Saint-Emilion grand cru » et Saint-Emilion grand cru classé », p. 9 Retour au texte

22 Idem. Retour au texte

23 Eric Vincent et Olivier Jacquet, « Statut de l’expertise et enjeux sociaux dans le proces­sus de délimitation de l’appellation Chablis (1920-1978). L’ « invention » d’un terroir : le Kimméridgien », Cahiers d’Histoire de la Vigne et du Vin, Beaune, n°12, 2015, p. 91-103. Retour au texte

24 Intervention de Naudet, Président du Syndicat des propriétaires-viticulteurs des grands crus de Chablis lors de la Commission Nationale du CNAO du 19 décembre 1945 Retour au texte

25 Commission Nationale du CNAO du 19 décembre 1945 Retour au texte

26 Compte-rendu de la réunion de la Commission d’enquête du 19 juillet 1949, Retour au texte

27 Conclusions adoptées le 9 novembre 1949 par MM. Barillot, Cormont, Gambert et Verdier (signé Gambert) Retour au texte

28 Olivier Jacquet, « Les sciences de la dégustation au XXe siècle : la consécration de l’odo­rat », Lavaud S, Chevet J-M et Hinnewinkel J-C (dir.), Vins et vignobles. Les itinéraires de la qualité (Antiquité – XXIe siècle), Bordeaux, ISVV, ADESS, Cervin, 2014, p. 261-270. Retour au texte

29 Denis Morelot, La vigne et le vin en Côte-d’Or , Dijon, Paris, Ed. Clea, 1931 (Rééd, 2008), 290 p. Retour au texte

30 Idem. Retour au texte

31 Jean Ribereau-Gayon et Emile Peynaud, Analyse et contrôle des vins, Paris, Liège, Librairie polytechnique Ch. Béranger (Coll. Manuels pratiques d’analyses chimiques), 1947, p. 25. Retour au texte

32 Il convient d’ailleurs de noter qu’une certaine pesanteur culturelle conditionne ce type d’approche. Nos sociétés occidentales ont longtemps considéré l’odorat comme un sens inférieur, presque animal et, quoiqu’il en soit, beaucoup moins intellectualisé que la vue. Contrairement à d’autres sociétés qui ont poussé loin l’art des odeurs, la société occidentale ne valorise pas l’odorat. Le discours social stigmatise plutôt les odeurs. En ce sens, David Le Breton rappelle que la langue occidentale possède un très pauvre vocabulaire définissant ces odeurs, vocabulaire relevant majoritairement du jugement de valeur, d’une résonance morale, de l’écho d’un autre sens, ou de l’évocation comparative de l’odeur d’autre chose. Cf. Joël Candeau, Mémoires et expériences olfactives. Anthropologie d’un savoir-faire sensoriel, Paris, PUF, 2000, 180 p. ; Jacques Le Breton, La saveur du monde. Une anthropologie des sens, Paris, Ed. Métailié, 2006, 451 p. Retour au texte

33 L’OIV exprime également le souhait, au même moment, que les examens organoleptiques, particulièrement délicats et subjectifs, « ne soient pas laissés à la seule appréciation de services non spécialisés ». Elle souhaite, par là, unification des méthodes d’analyse. Et d’ajouter que : « La dégustation ne doit pas se borner à former une opinion personnelle, mais elle doit permettre à cette opinion de s’exprimer d’une façon aussi précise que possible, pour se confronter à celle d’autrui. Elle est donc obligée de faire appel à la sémantique pour traduire dans le langage des excitations sensorielles. …Il est nécessaire de discipliner le langage des dégustateurs qui, comme les poètes, se laissent parfois entrainer par une imagination débordante ». Bulletin INAO, n° 90, Juillet 1964, p.63-64. Retour au texte

34 Pierre Charnay, , La fiche de dégustation, Conférences faites le 24 Septembre 1966 au Centre d’Enseignement et de Recherches des Industries alimentaires {Bruxelles), Bull. de l’INAO, n °100, janvier-avril 1967, p. 1. Retour au texte

35 Idem, p. 3 Retour au texte

36 Les Chapellois sont les habitants de La Chapelle de Guinchay, commune de Saône-et-Loire située à la limite du département du Rhône. Retour au texte

37 l’heure actuelle, aucune recherche universitaire n’a été réalisée sur Jules Chauvet. Trois ouvrages intéressants évoquent cependant son travail : Sébastien Lapaque, Chez Marcel Lapierre, Paris, Stock, 2004, 152 p. (Collection Écrivins) ; Jean-Camille Goy, , Jules Chauvet. L’homme du vin perdu, Paris, Jean-Paul Rocher éditeur, 2002, 110 p. (Coll. Magenta) ; Jacques Néauport, , Jules Chauvet ou le talent du vin, Paris, Jean-Paul Rocher éditeur, 1997, 332 p Retour au texte

38 « La dégustation des vins, son mécanisme et ses lois par Jules Chauvet », retranscription du discours réalisé par Jules Chauvet lors de la Foire aux Vins de Mâcon de 1951, Bulletin de l’OIV, n° 244, juin 1951, p. 172 – 179 Revue de presse, in La journée vinicole, Montpellier, n° des 30 mai, 2 et 7 juin. Retour au texte

39 Jules Chauvet, L’esthétique du vin, Paris, Jean-Paul Rocher Ed., Paris, 2008, p. 25 Retour au texte

40 Idem, p. 26 Retour au texte

41 Fiche de dégustation manuscrite, Archives privées Jules Chauvet, La Chapelle-de-Guinchay. Retour au texte

42 Fiche de dégustation manuscrite non datée, Archives privées Jules Chauvet, La Chapelle-de-Guinchay. Retour au texte

43 Idem. Retour au texte

44 Citons encore Georges Burrier, producteur à Fuissé. Retour au texte

45 Une dégustation offerte à des médecins : l’esthétique de la dégustation », Bulletin de l’INAO, n° 50, Juillet 1954. Les vins offerts ce jour-là étaient, par ordre de présentation gustative : Blanc Fumé de Pouilly 1952 ; Cérons, Château du Mayne 1951 ; Hermitage rouge 1947 ; Saint-Emilion Château Cheval Blanc 1948 ; Champagne Piper Heidsieck 1949. Retour au texte

46 André Vedel, Gaston Charles, Pierre Charnay, J. Tourmeau, Essai sur la degustation des vins, Mâcon, INAO, 1972, p. 12. Retour au texte

47 "Dégustation d'huitres et de Bourgogne Blanc à Paris", Bulletin de l'INAO, Janvier 1963, p. 150-151 Retour au texte

48 "Le vin et les éditions d'art", Bulletin de l'INAO, Juillet 1964, p. 109 Retour au texte

49 "M. Armand Melkonian. Meilleur sommelier de France 1968", Bulletin de l'INAO, Avril-Juillet 1969, p. 70-71, Article tiré de La Journée Vinicole du 13 novembre 1968. Retour au texte

50 23 aout au 3 septembre. Louis Orizet, "Au marathon de la dégustation", RVF, n° 10-12, 1959-1960, p. 38-40. Retour au texte

51 Conférence de Pierre Charnay, "la fiche de dégustation", Bulletin de l'INAO, Janvier-avril 1967, p. 1 à 23 Retour au texte

52 41e session plénière du Comité, 11-16 septembre 1961, Bulletin de l'OIV, n° 368, Octobre 1961, p. 99 Retour au texte

53 Article 2 des Statuts. Archives privées Jules Chauvet Retour au texte

54 Vignes et Vins, Numéro spécial, 1967 Retour au texte

55 Vedel et al., Op. cit, p. VII. Retour au texte

56 « Le fait que cette méthode est scientifiquement validée (variations subjectives comprises) et accessible par des manuels explicatifs lui confère une valence positiviste et une illusion d’universalité », Reckinger Rachel, 2012, Parler vin. Entre normes et appropriations. Rennes, Tours, Presses universitaires de Rennes, Presses universitaires François-Rabelais, p. 65. Retour au texte

57 Paris, Stock. Retour au texte

58 Adèle Lévecque, L'évolution de la perception de la Bourgogne et du gout de ses vins fins entre 1930 et les années 1990 a travers le regard de la Revue du Vin de France, Mémoire de Master II d'Histoire, Philippe Poirrier (dir.), Université de Bourgogne, 2021, Inédit. Retour au texte

59 n° sept.-oct. 1976, p. 40. Retour au texte

60 Mentionnons néanmoins l'existence, certes moins médiatisée, de critique issues d'autres pays importateur comme Robert Goffard, Courtier en Vin à Herve en Belgique qui noircit régulièrement les pages de la RVF dans les années 1960 et utilise aussi régulièrement des référents sensoriels collectifs pour décrire les vins. Sa présence au sein du "Collège technique transnational de dégustateurs" de Vedel et Chauvet expliquerait son caractère pionnier. Retour au texte

61 Des personnages comme les américains Franck Schoonmaker ou Alexis Lichine, journalistes, écrivains du vin et importateurs possède une oeuvre antérieur à celle de Broabdent. Toutefois, leurs ouvrages sur les vignobles, publiés dès les années 1930 pour le premier, revêtent essentiellement un caractère descriptif et ils ne s'intéressent que de loin à la dégustation et la critique des vins. Retour au texte

62 Harvey's of Bristol, Bristol Retour au texte

63 Jean-Luc Fernandez, La critique vinicole en France, pouvoir de prescription et construction de la confiance, Paris L'Harmattan, 2004, p. 48 Retour au texte

64 Adèle Lévècque Retour au texte

65 Decanter, créée justement en 1975 Retour au texte

66 Fondée en 1969 à Londres, la WSET est considérée aujourd'hui comme l'une des principales formations vitivinicole mondiale. Retour au texte

67 Savour Club de France, le Club français du Vin. Cf. RVF, janvier-février 1984, n° 298. Citons aussi le Clubs des Bons Vins à Namur, les Compagnons de la Paulée, toujours à Namur, le DUAD's Club regroupant les anciens du DUAD de Bordeaux (fondé par Peynaud en 1974) ou encore le Cercle Oenophile de la Banque de France. Cf. RVF, Novembre 1985 Retour au texte

68 Cf. le travail des premières associations de consommateurs médiatisées dans les revues de distribution à partir de 1976. Voir Combris, J. Hossenlopp, Elise Zitts, "L'évolution des associations de consommateurs et leur impact sur les industriels", Economie rurale, n° 121, 1977, Industries alimentaires, p. 67-72. Retour au texte

69 Stéphane Olivesi, Des vins et des hommes. une économie symbolique du goût, Grenoble, PUG, Coll. Libres cours, 2018. Retour au texte

70 Données récoltées dans les Bulletins de l’INAO et les Bulletins de l’OIV disponibles en ligne sur la plate-forme PANDOR de la MSH de Dijon. Retour au texte

71 Steven Shapin, “The Tastes of Wine: Towards a Cultural History”, Rivista di Estetica, n.s. 51, 2012? p. 49-94. Retour au texte

72 Steven Shapin, "A Taste of Science: Making the Subjective Objective in the California Wine World", Social Studies of Science, xlv, 2016, p. 438. Retour au texte

Illustrations

  • Illustration 1 : Consommation comparée des vins d'AOC et des vins de consommation courante en France de 1947 à 2000.

    Illustration 1 : Consommation comparée des vins d'AOC et des vins de consommation courante en France de 1947 à 2000.

  • Illustration 2 : Fiche de dégustation annotée par Jules Chauvet en 1951.

    Illustration 2 : Fiche de dégustation annotée par Jules Chauvet en 1951.

    Archives Jules Chauvet.

  • Illustration 3 : Fiche de dégustation annotée par Jules Chauvet en 1955.

    Illustration 3 : Fiche de dégustation annotée par Jules Chauvet en 1955.

    Jules Chauvet, « La physico-chimie des surfaces et l’arôme des vins fins », Cahiers techniques de l’INAO, n°3, Janvier 1955.

  • Illustration 4 : les travaux de Jules Chauvet et André Vedel pour mettre au point le futur verre INAO. Non daté.

    Illustration 4 : les travaux de Jules Chauvet et André Vedel pour mettre au point le futur verre INAO. Non daté.

    Archives Jules Chauvet.

Citer cet article

Référence électronique

Olivier Jacquet, « Le goût du terroir... histoire d'une prescription internationale au XXe siècle », Territoires du vin [En ligne], 13 | 2021, publié le 15 décembre 2021 et consulté le 18 avril 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/index.php?id=2269

Auteur

Olivier Jacquet

Chaire UNESCO "Culture et Traditions du Vin" de l'Université de Bourgogne, UMR CNRS-uB LIR3S

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