La publication de ce numéro spécial et bilingue (anglais ou français) s'inscrit dans la période inédite et tout à fait particulière des bouleversements sanitaires, sociaux et économiques provoqués par la Pandémie de COVID 19. La vitivinisphère n'est pas épargnée par cette crise. Les prévisions du cabinet IWSR annoncent ainsi une baisse de 13% des ventes de vins dans le monde pour l'année 20201, une tendance que de nombreux autres indicateurs semblent confirmer2. Pour autant, et si la crise épidémique mondiale semble posséder un effet non négligeable sur les marchés internationaux du vin, la compréhension de ces derniers relève d'une analyse multifactorielle et diachronique qui mérite de prendre en compte des échelles et des facteurs variés. Les perspectives actuelles de baisse des ventes ne concernent pas tous les vignobles ni tous les pays d'importation et surtout, elles prennent leur source dans des processus économiques, réglementaires, politiques et culturels larges qu'il convient de mesurer sur le temps long et au prisme des diversités territoriales qu'elles impliquent. A ce titre, il notable de constater que, par exemple, les transactions sur les vins français ont accusé un fort rebond en 2020-20213. Les exportations ont, en particulier profité d'une hausse de 6% en volume et de 18% en valeur par rapport à la campagne précédente, comme en témoignent les progressions sur des marchés comme les Etats-Unis (+19% en volume par rapport à la compagne précédente) ou la Chine (+35% par rapport à la compagne précédente)4. Il semble néanmoins que la parenthèse de la pandémie, qui parcours toujours le globe, n'est pas refermée. Si, en effet, le niveau de 2019 est retrouvé en 2020-21 un certain nombre de modifications semblent engagés dans le commerce international comme dans les modes de consommation. En ce sens, les évolutions, déjà amplement perceptibles avant la crise du Covid s'avèrent également qualitatives avec l'arrivée de bouleversements à l'intérieur même des catégories et l'émergence, par exemple, de nouvelles réputations mondiales pour des vins hors appellations d'origine ou pour des catégories autrefois peu valorisées comme les vins rosés.
Les communications présentées dans ce numéro imaginé avant la pandémie, pourront ainsi donner des pistes pour comprendre certaines de ces évolutions structurelles déjà à l'œuvre avant 2019.
Issus de plusieurs communications présentées lors d'un colloque pluridisciplinaire "Marchés du vin et cultures de consommations" organisé par l'Université Polytechnique de Hong-Kong et la Chaire UNESCO "Culture et Traditions du Vin" de l'Université de Bourgogne les 3, 4 et 5 juin 2019, les textes compilés dans ce numéro proposent, à ce titre, de nombreuses pistes de réflexion. Ainsi, cette publication vise à appréhender la réalité et l'importance du commerce des vins, de ses évolutions, de ses mutations, de ses enjeux actuels et de ses acteurs, tant sur une échelle globale que locale.
Pour autant, ces interrogations n'ont de sens que si elles s’inscrivent dans une réflexion sur le temps long, tant les flux économiques et les cultures de consommation observés aujourd'hui puisent dans le passé. Ces enjeux possèdent des fondements historiques dont il est nécessaire de rappeler les mécanismes.
Depuis les travaux pionniers de Roger Dion en France5, il y a déjà plus de 60 ans, les différentes études menées sur les vignobles soulignent le rapport étroit existant entre l'émergence et la réussite des grands vignobles et l'existence, à proximité, de marchés ou de voies de commerce efficientes. Cette publication reviendra en filigrane sur la teneur de ces échanges et donc, sur l'organisation et la place des espaces de production, de transit ou de consommation des vins. Pour autant, le renouvellement des approches, en particulier par l'histoire globale, la socio-économie politique6, l'économie des échanges, des productions alimentaires de qualité7 et des réputations8, met désormais en exergue l'importance pour mieux comprendre les transactions vitivinicoles, des mécanismes politiques, réglementaires, sociaux et culturels sur une échelle large ainsi que leurs interdépendances. Ces approches nous permettent aujourd'hui de proposer un regard différent et sans doute davantage pluridisciplinaire sur ces processus d'évolution et de fonctionnement des marchés, en particulier du vin.
Ainsi, depuis le XIXe siècle, les grands pays producteurs Européens, la France en particulier, inscrivent leurs expéditions de vin dans un commerce largement mondialisé qu'ils dominent et façonnent. Durant la seconde moitié du XXe siècle cependant, l’affirmation d'autres pays producteurs (Argentine9, Chili, Australie10, Nouvelle-Zélande, Etats-Unis, Uruguay, Afrique du Sud) et, concomitamment, le développement de nouvelles zones d'importation autant que la baisse de la consommation dans les "vieux" pays producteurs vont profondément modifier cet ordre mondial. Les conséquences de ces transformations s'avèrent multiples et touchent tous les agents impliqués, qu'il s'agisse des producteurs, des négociants, des importateurs, des prescripteurs et des consommateurs. L’essor de ces échanges entraîne, rapidement un renforcement des réglementations internationales considérées comme nécessaires à l'efficience des marchés. Des tentatives d'encadrement de la production et du commerce des vins voient ainsi le jour dès la fin du XIXe siècle et vont se développer de manière irrégulière mais persistante tout au long du XXe siècle . Il s'est agit tout d'abord d'empêcher la fabrication frauduleuse de vin et, par là même prévenir toute concurrence déloyale. Dès 1889, la France impose alors la première définition officielle du vin en 1889 : "Le vin est le produit exclusif de la fermentation du raisin frais », texte suivi de nombreux autres tendant à interdire des pratiques propres à engendrer surproduction et problèmes sanitaires. Dans le même temps, ou peu après, de nombreux pays adoptent des lois similaires. Roumanie, Grèce, Italie, Allemagne ou Autriche, mais également, dès 1904 Argentine, ou dès 1929 Chili et Brésil s'engagent dans cette première voie d'organisation des productions11.
Au début du XXe siècle, l'autre type de fraude contre laquelle souhaitent lutter les "anciens pays producteurs", touche à l'usurpation des dénominations géographiques des vins. Il est en effet tout à fait possible de vendre des vins sous des noms prestigieux des vignobles européens alors même que ces boissons ne sont pas du tout issues des zones géographiques dont elles portent les noms. Déjà, à la fin du XIXe siècle, fleurissent les "Chablis Californiens" ou les "Bordeaux d'Australie". La législation s'oriente donc vers la protection des vins d'origine. Avec la délimitation du Vino Verde (Regiao Demarcada do Vinho Verde) et celle de la Champagne en 1908 (puis avec les textes du 6 mai 1919 et du 30 juillet 1935 sur les Appellations d'Origine), le Portugal et surtout la France lance un mouvement suivi, à leurs manières, par d'autres nations. En 1933, l’Espagne vote des lois de protection de la Rioja et du Jerez et fondera finalement en 1970, ses Denominaciónes de Origen. C'est en 1963, que l'Italie créée ses Denominazione di Origine Controllata.
Mais toutes ces protections n'ont initialement de valeur que sur les marchés intérieurs et n'empêchent pas les usurpations sur les marchés mondiaux. En ce sens, et malgré des premières résolutions internationales adoptées au XIXe siècles (Convention de Paris du 20 mars 1883, complétée par l’arrangement de Madrid du 14 avril 1891), les choses évoluent peu dans la première moitié du XXe siècle et les cadres réglementaires adoptés peinent à offrir une protection efficace pour les dénominations d’origines revendiquées par certains pays au sortir de la guerre. Trop peu de pays signataires et des conventions n’empêchent nullement la vente sous une dénomination d’origine française pourvu que lui soit accolé un nom géographique propre au pays de production. Sous la pression du Portugal et de la France, le 31 octobre 1958, est cependant signé par 6 (Cuba, Haïti, France, Portugal, Mexique, Tchécoslovaquie) puis rapidement 8 pays (Hongrie, Italie), l'Arrangement de Lisbonne concernant la protection des appellations d’origine. Il pose les bases d'une nouvelle définition et protection de l'Appellation plus restrictive. Son article 8 donne enfin plus de moyen à la poursuite internationale contre les fraudes les dénominations. Les 9 pays signataires s'y conformerons mais en revanche, pas par exemple ces grands pays importateurs que sont la Belgique, la Grande-Bretagne, la Suisse, les Pays-Bas, la Suède et les Etats-Unis avec lesquels cet encadrement normatif devra s'inscrire, au coup par coup dans des accords bilatéraux ou, dès 1962 (30 juillet) pour certains, dans le cadre de la Politique Agricole Commune. La mondialisation croissante des échanges et la volonté de les organiser, contribuera ensuite à développer les discussions et traités internationaux au sein de l'Organisation Mondiale du Commerce.
Mais cette histoire globale prend forme à travers un organisme incontournable pendant presque tout le XXe siècle, l'Office International de la Vigne et du Vin. Fondé sous la férule Française en 1924, l'OIV, cette entité intergouvernementale, prend dès lors une place décisive dans l'organisation de ces marchés du vin. Aujourd'hui composée de 48 Etat membres, son rôle, ne cessera de s'accroître au cours du temps. La numérisation de ses publications et de ses archives initiée par la MSH de Dijon et la Chaire UNESCO "Culture et Traditions du Vin" de l'Université de Bourgogne offre désormais, à ce titre, d'importantes perspectives aux chercheurs qui souhaitent cerner son incontournable activité réglementaire, scientifique et économique ainsi que sa place dans l'affirmation du modèle défendu par les producteurs européens12.
A partir des années 1970-1980, ces normes vont se confronter à d'autres visions du commerce vinicole, un commerce moins réglementé, plus libéral, moins territorialisé. Soutenues par les vignobles en plein développement dans les années 1980-1990 (USA, Australie, Afrique du Sud, Chili, Argentine, Nouvelle-Zélande, ...) ces manières de faire les zones de production revêtent une importance moindre face à la mise une mise en avant du cépage ou de marques commerciales. Dans ces "nouveaux vignobles", les possibilités techniques sont infinies ou pour le moins, peu réglementées. Certes, on délimite des zones pour donner une origine géographique aux vins, mais il s'agit alors plus de marques d'origine que d'appellations d'origine. Ainsi, si la délimitation Napa Valley, en Californie, circonscrit des zones de production, à l'intérieur de ces zones, les possibilités techniques sont très larges. Aucun type de vin, aucun cépage, aucun procédé œnologique interdits. En Napa, il est possible d'étiqueter un vin en nommant le cépage si au moins 75% des raisins utilisés appartiennent au cépage en question. De la même façon, un vin peut être étiqueté Napa Valley si au moins 85% des grappes proviennent de la région viticole du même nom. Ici, les vignerons peuvent ainsi s'approvisionner dans d'autres régions, aux prix souvent moins élevés, pour assembler leur vin. Or, nous retrouvons ce système libéral et très concurrentiel dans la majorité des "nouveaux" pays producteurs.
Les modèles Européens très réglementés des Appellations d'Origine est donc depuis les années 1980 en conflit avec des pays producteurs proposant une vision très libérale et concurrente. Ce combat se joue au niveau international sous la bannière de puissantes organisations. Ainsi, L'OIV est aujourd'hui concurrencée par le très libéral World Wine Trade Group13. Ce dernier réuni le Canada, le Chili, l'Argentine, la Nouvelle-Zélande, l'Afrique du Sud, l'Australie et surtout les Etats-Unis qui, eux, ont même quitté l'OIV en 2001. Par ailleurs, des aspirations à sortir des cadres internationaux peuvent émerger au gré de rapports de force plus généraux tel, récemment, la décision Russe d'autoriser la dénomination Champagne (shampanskoye) pour ses vins effervescents. Les réflexions sur les marchés contemporains et les cultures de consommation menées dans ce numéro de "Territoires du Vin" s'inscrivent encore dans cette nouvelle donne, d'autant que, depuis les années 2000, le contexte s'est encore complexifié avec l'arrivée de nouveaux acteurs issus, principalement du monde asiatique.
Depuis une vingtaine d'années l'Est de l’Asie, s’impose en effet comme l'une des plaques tournantes majeures des marchés vinicoles mondiaux. Hong-Kong était en ce sens pleinement légitime pour accueillir le colloque dont sont issus ces actes aujourd'hui publiés dans « Territoires du vin ». Centre névralgique d'un développement exponentiel des transactions et achats de vins fins en Asie aujourd'hui, l'île s'imposait en 2019, à l'instar de Singapour ou Shanghai comme un des lieux incontournables du commerce des vins de crus du continent. L'Asie commerce et consomme de manière exponentielle14, mais au-delà, un pays comme la Chine fait aujourd'hui partie des vignobles qui, en 2018, avec une surface de vignoble de plus de 875 000 ha (2ème rang mondial derrière l'Espagne) et une production de plus de 13 millions d'hl, comptent sur la planète15.
Les journalistes dégustateurs qui ont marqué une époque, créant ou défaisant des réputations. Une page se tourne après la retraite de Robert Parker, la disparition de Michael Broadbent et de Steven Spurrier : intervenant de notre colloque. Résumer en quelques lignes la vie de Steven Spurrier (1941-2021), n’est pas chose facile mais c’est aussi retracer l’épopée du vin des 50 dernières années. Il est surtout connu pour son rôle dans le Jugement de Paris en 1976 qui est un marqueur de la montée des vins du Nouveau Monde. A l’origine, il s’agissait de fêter le bicentenaire des Etats Unis, en proposant une dégustation de vins californiens, le format a évolué vers une dégustation comparative à l’aveugle de vins français et californiens. Les résultats favorables aux vins californiens ont fait l’objet de nombreuses polémiques, remises en cause mais surtout médiatisation, amorçant l’arrivée de nouveau acteurs.
Steven Spurrier à l’origine caviste à Paris (les Caves de la Madeleine) s’est lancé de nombreux projets entrepreneuriaux, l’Académie des Vins qui a essaimé dans de nombreux pays, bars à vins, Vinopolis à Londres, vigneron dans le Dorset mais surtout à partir de 1993 comme journaliste dégustateur à Decanter qu’il a acquis sa notoriété internationale. Toujours en quête de nouveaux projets, il nous présentait justement lors de notre colloque les nouvelles orientations de Decanter. Fin dégustateur, amoureux du vin, des vins, gentleman, il restera à jamais le témoin malicieux d’une grande épopée du monde du vin.
Gardons-nous néanmoins de simplifier ces évolutions des mondes de la vigne et du vin. Comme l'expliquent très bien certaines contributions contenues dans ce numéro, selon les territoires et les jeux d'échelles convoqués, les conclusions données permettent d'affiner et de complexifier le tableau. Or, ces marchés ne sont bien entendu pas uniformes et la planète vin reste en réalité très hétérogènes et entremêlée. Nombre de vignobles tels que ceux d'Australie ou de Chine, par exemple, doivent une partie de leur extension à des investissements ou partenariats d'entreprises européennes, Françaises en particulier. En Europe, certaines zones comme la Rioja espagnole de production laissent aussi la part belle à une certaine industrialisation finalement assez proche du modèle Argentin. Inversement, au Brésil, les Denominacion des origem créés dès les années 2000 impliquent le suivi d'un vrai cahier des charges dans les pratiques alors qu'un nombre croissant de producteurs chinois se tournent vers une production de vins dits "de terroirs", à l'instar de ce que montre Jacky Rigaux16.
Depuis le début du XXe siècle l’économie du vin est devenu mondiale de sorte que le fonctionnement des marchés vinicoles du XXIe siècle en est indéniablement l'héritier. Le panorama historique et actuel des réglementations sur les vins d'origine brossé par Caroline Le Goffic évoque avec force ces continuités.
Reste que, en fonction des approches, des territoires étudiés, cette économie procède aussi de nombreuses singularités contemporaines. Nombre de textes rassemblés dans ces actes et proposés par de chercheurs issus du monde entier (Grande-Bretagne, France, Chine, Australie, Etats-Unis, Canada) et de diverses disciplines (Economie, Droit, Marketing, Géographie, Histoire) en font pleinement état. Observant ces problématiques sous différents angles géographiques et sous plusieurs échelles territoriales (Chine, Japon (Chuanfei Wan), France, , vignobles du Ningxia (Beifang Zhai, Joanna Fountain et Michael Mackay), de Tokaj (Aline Brochot), de Napa Valley (Cao Yu, Mingxuan Liu, Yufeng Li et Haiyan Song), de Caroline du Nord (Bonnie Farber et Erick T. Byrd), de Bourgogne...) ces études donnent à voir les marchés du vin, leurs normes de production et de commercialisation dans toute leur diversité.
Par ailleurs, cette transformation historique et contemporaine des marchés, la baisse relative de l'influence Européenne, le développement d'une concurrence des vins du nouveau monde, le décentrage actuel vers l'Asie également, soulèvent de surcroît de nombreuses interrogations sur l'évolution et la diversité des modes et des cultures de consommation, interrogations nécessaires que cette publication ne pouvait ignorer. Dans ce paysage, s'affirme d'ailleurs un univers concurrentiel plus large dominé par d'autres boissons alcoolisées (bières, spiritueux,...), peu alcoolisées ou pas du tout (jus, eaux, sodas) et qui, pour une part, s'inscrivent dans l'évolution de certaines populations vers des consommations modérées, voire hygiénistes (par exemple, la question des jus en Inde évoquée par Sharad Kumar Kulshreshtha et Ashok Kumar).
Il était important, pour mieux cerner cette diversité de l'appréhender au prisme des cultures, au sens large, qui caractérisent qualitativement et quantitativement les consommations de vin. Ces modes de consommation, pour une part civilisationnels, s'adossent à des espaces géographiques singuliers, porteurs de goûts, de symboles, et de représentations parfois très variés. Tel est le cas entre la consommation de vins de fruits dans la province de Meghalaya en Inde et la culture traditionnelle locale. Les accords mets vins évoqué dans ce volume par Jean-Robert Pitte, Yu King, Yau Tao et Markus Schuckert tiennent, à ce titre, une place considérable dans ces modes de consommation. Ils sont, aujourd'hui comme hier, des éléments forts de la sociabilité des buveurs. Or, si dans certains pays, principalement en Europe du Sud ou en Amérique Latine, nous constatons un fort lien entre le repas et la consommation de vin, tel n'est pas forcément le cas dans les pays anglo-saxons ou encore, au cours d'autres périodes de l'histoire17. Néanmoins, le développement contemporain d'un tourisme œnologique, gastronomique voire oenogastronomique dans de nombreux centres de consommation à travers la planète, en Asie par exemple18, mais aussi, comme l'évoquent Zhensen Chen et al. le cyclotourisme viticole en vignoble de Barossa (Australie), confèrent une dimension supplémentaire, voire nouvelle à la consommation de vin et donc, à son achat. La Pandémie a cependant révélé récemment la dépendance de ces modes de consommation à la capacité des touristes à pouvoir se déplacer et, en partie leur "remplacement" par les visiteurs plus locaux. Enfin, cette thématique ne peut faire l'économie d'une réflexion sociologique visant à situer et expliquer les modes de consommation autour des déterminismes et positionnements sociaux, voire des imaginaires. Sur ce dernier point, l'oenotourisme bourguignon évoqué par Charles Rigaux donne plusieurs pistes. Au bout du compte, toutes ces pratiques touchent elles aussi, aux structures des marchés vinicoles, à leurs volumes et à l'émergence de vignobles, c'est-à-dire de territoires tournés vers l'économie viticole.
Ces cultures de consommation interrogent en outre l'ensemble des phénomènes de prescription des vins19. Ce recueil porte donc également son attention sur ces acteurs, images ou lieux20 qui conditionnent ou guident les consommateurs. A titre d'exemples, Joëlle Brouard revient ainsi sur l'évolution des communautés d'amateurs de vins, de la confrérie aux clubs ; Darcen Esau et Donna Senese s'interrogent sur l'impact des étiquettes dans les choix du dégustateur ; de manière plus large, Jennifer Smith Maguire et Dunfu Zhang questionnent la place des intermédiaires culturels dans la création d'une culture de consommation des vins fins en Chine. En outre, si de nombreuses publications se sont déjà intéressées aux prescripteurs que sont les Gastronomes du début du XXe siècle en France21, la critique journalistique, les bloggeurs ou les sommeliers, ce numéro aborde, quant-à-lui, la question de l'évolution des modes de dégustation des vins, de leur diffusion et le rapport de ces processus avec la question de réglementations des normes de production et de commercialisation22. Quoi qu'il en soit, tous ces incontournables faiseurs de marchés contribuent fortement à la création des réputations, à l'organisation spatiale des marchés, à leur efficience. Tous ces "territoires" caractérisent donc eux aussi l’évolution des espaces de commercialisation des vins. Ils modulent les fluctuations des marchés en agissant directement sur les modes de consommation.
Centré autour des thématiques des marchés du vin et des cultures de consommation dans le monde et, en particulier, en Asie, ce numéro n'a pas pour objectif de proposer une vision exhaustive de la problématique. En revanche, il souhaite ouvrir de nombreuses pistes pour travailler sur ces thématiques et propose d'interroger, de manière diversifiée, les recherches engagées qui combinent la pluralité des disciplines et la variété des territoires du vin.