Le monde du vin : un monde de crises ?

Le cas de Cahors (2007-2017)

Résumé

En 2005, face à une situation de crises : crise politique, crise syndicale, crise économique, crise de gouvernance, crise marketing et communicationnelle, Robert Tinlot est appelé à jouer le rôle de médiateur et de diplomate dans le vignoble de Cahors. Il réussit rapidement à remettre tout le monde autour de la table et à convaincre de la nécessité de mettre en place une nouvelle stratégie marketing. A partir de 2007, s’ouvre une nouvelle ère : celle de la stratégie Cahors Malbec. Cette stratégie, en phase avec les tendances mondiales de l’époque, a permis une évolution ou une révolution dans le vignoble. A travers le cas de Cahors, exemple d’une situation que de nombreux vignobles traversent, nous nous interrogerons sur les crises qui nourrissent l’évolution d’une appellation pouvant la faire grandir ou la fragiliser.

Nous analyserons donc la stratégie de Cahors entre 2007 et 2017 dans le contexte général de l’évolution des marchés et des problématiques vigneronnes sur un niveau collectif mais aussi individuel. Par-delà le cas de Cahors, nous essayerons de poser les pistes de réflexions pouvant alimenter la stratégie actuelle d’un vignoble.

Plan

Texte

L’objectif de cette communication est d’abord de rendre hommage à Robert Tinlot, homme aux multiples talents et notamment à ses qualités de médiation et d’illustrer comment un vignoble, une appellation peut fournir un champ d’investigation pour comprendre les mutations et les crises des vignobles. Fin 2005, Robert Tinlot est mandaté par l’Etat pour une mission de conciliation dans le vignoble de Cahors. Face à une crise des cours sans précédent, à des dissensions syndicales et à une crise des ventes, il réussit à apaiser les débats, à remettre toutes les parties prenantes autour de la table ; ce qui permit l’établissement d’une stratégie de reconquête en s’appuyant sur l’embauche d’un directeur marketing Jérémy Arnaud qui assura entre 2007 et 2017 la définition et la mise en œuvre de la stratégie « Cahors Malbec ». L’analyse et l’étude de la stratégie Cahors Malbec s’appuient sur de nombreux échanges et partages avec Jérémy Arnaud, sur les recherches académiques que j’ai réalisées avec Jean-Guillaume Ditter et sur mon expérience du vignoble de Cahors, notamment lors des séminaires de la Cahors Malbec Académie avec mes étudiants du Mastère en Commerce International des Vins et Spiritueux de l’ESC Dijon. Je tiens particulièrement à remercier Robert Tinlot qui m’a fait partager sa grande sagesse, son pragmatisme et son expérience, Jérémy Arnaud pour son écoute et pour la mise à disposition d’un champ d’études fantastique, Jean Guillaume Ditter pour sa stimulation intellectuelle, et tous les vignerons de Cahors qui m’ont accueillie, et qui ont partagé leur expérience et vision d’une appellation attachante.

Le vignoble de Cahors est un formidable laboratoire de recherche, il concentre les principales problématiques de nombreux vignobles en ce début du XXIe siècle : une crise de l’offre, une crise de mutation, une crise générationnelle et une crise institutionnelle. Nous allons nous concentrer sur la période 2007-2017 et la mise en place de la stratégie Cahors Malbec pour mettre en perspective les enjeux de la filière viticole. Au travers du cas de Cahors, nous essayerons de comprendre l’origine et les racines des crises actuelles de la filière viticole.

Les leçons de l’histoire

Cahors, comme presque tous les vignobles, s’inscrit dans une démarche de mise en récit historique où l’histoire permet de légitimer une politique de qualité actuelle et une stratégie de positionnement. Si, effectivement, on peut retracer une histoire souvent bimillénaire, tous les vignobles ont connu des hauts et des bas, des mutations, des résiliences et de profondes transformations de leurs offres et de leurs réalités de productions. Entre réalité historique et storytelling, il est parfois difficile de faire la part des choses. Le storytelling largement utilisé par le marketing vise à cadrer un scénario de communication actuelle et de donner du sens à des stratégies et des actions des différents acteurs qu’ils soient institutionnels ou collectifs (Interprofession, ODG, territoire), ou individuels (marques et domaines), quitte à oublier, interpréter des faits historiques, mais en se légitimant de l’histoire.

L’histoire du vignoble de Cahors a fait l’objet d’une lecture éclairée notamment par Hélène Velasco-Graciet et Griset et Laborie et je ne reprendrai ici que quelques grands faits pour éclairer la lecture de la période qui nous intéresse : 2007-2017.

Au Moyen Âge, les vins du vignoble de Cahors dit "les vins du Haut-Pays" partent par voie fluviale vers Bordeaux pour être exportés vers l'Angleterre et notamment « améliorer » la qualité des vins de Bordeaux. C’est la grande période du « black wine », un élément qui sera repris plus récemment pour la stratégie des vins de Cahors en faisant du noir la couleur signature de l’appellation. Soucieux de préserver leurs intérêts, les Bordelais définissent des réglementations qui ne permettent l’arrivée des vins du Haut Pays qu’en décalage après la vente des vins de Gironde. Cantonner à être un vin de réserve jusqu’à l’abrogation de ces règles, le vin de Cahors, comme d’autres vignobles, subit le phylloxéra et entreprend une reconquête laborieuse de surfaces viticoles, surtout tournées vers une production de vins de qualité courante, pour une consommation essentiellement locale.

Comme dans d’autres régions c’est sous l’impulsion de la cave coopérative que s’amorce une nouvelle étape dans la vie du vignoble. En 1956, les grandes gelées condamnent une grande partie du vignoble essentiellement planté en hybrides, le choix est fait de replanter des cépages qualitatifs et d'évoluer vers une viticulture de qualité. La cave coopérative créée en 1947, prône la vente en bouteilles, ce qui permet une bonne valorisation (en 1962, le double du prix des vins de qualité courante) ; sa production a représenté jusqu’à 50 % de toute celle des vins de Cahors.

Mais le grand point d’inflexion de la destinée de Cahors est l’obtention en 1971 du statut d’AOC. En 1971, la surface viticole en AOC Cahors est de 507 hectares et atteindra 4 362 hectares à son apogée en 2001. Cette croissance très rapide et importante du vignoble entraîne une période de prospérité pour la viticulture. La préoccupation lors de l’établissement de l’appellation était d’obtenir une zone de production la plus importante possible. ce sont en effet 21 700 hectares qui ont été délimités, mais pour une seule couleur et une seule appellation. Le souci, très paysan, était de pouvoir bénéficier d’un maximum de potentiel dans l’espoir et l’hypothèse d’une croissance de la demande permettant de retrouver les contours historiques de ce qu’avait été le grand vignoble de Cahors.

À partir de 1971, s’ouvre une grande période de prospérité pour le vignoble et plus largement la région. Jean Fourastié dans son analyse qui a fait date, avait choisi le petit village de Douelle en bord du Lot pour situer à deux périodes différentes l’évolution sociologique et économique du milieu rural et mettre en évidence les fameuses « 30 glorieuses ». Le vignoble de Cahors vit bien alors, les cours sont élevés. Pour la campagne 2001-2002, les cours se situent à 129,43 € l’hectolitre alors que ceux-ci tomberont à 64,30 € en 2006-2007 et c’est seulement en 2013-2014 que le cours du vrac retrouvera son niveau des années 2000. Cette croissance économique porte en elle dès la fin des années 90, les racines d’une crise qui va survenir à Cahors mais aussi dans de nombreux vignobles européens qui doivent, dès le début des années 2000, affronter une concurrence internationale : les vins du Nouveau Monde et un nouveau business modèle du vin. Le vignoble de Cahors est peu exportateur : 15 % en 2005 contre 25 % en moyenne pour l’ensemble des vignobles français ; avec comme marchés dominants (en valeur), le Canada, le Danemark1, les USA, la Belgique et le Japon. La Carte Noire qui avait assuré la diffusion importante de volume, notamment en grande distribution est en train de ternir l’image des vins de Cahors en lui donnant une image qui ne correspond plus aux attentes des marchés. L’organisation de mise en marché des vins avec, notamment, un poids important de la cave coopérative, un négoce déjà fragilisé, une montée en puissance des vignerons indépendants mais qui n’ont pas encore organisé efficacement une montée en gamme, explique la crise que va rencontrer le vignoble.

Le nouveau monde comme modèle

On pressentait largement l’arrivée d’une crise pour les vins français ; de nombreux rapports d’experts ont été commandés. Déjà en 1993, l’ONIVINS demandait au cabinet de consulting international Booz Allen & Hamilton de fournir des recommandations pour la filière viticole mais c’est surtout le rapport Berthomeau2 en 2001qui reçut le meilleur écho parce qu’en plus du document, il fait l’objet d’une large diffusion lors de conférences de l’auteur dans les régions. Les principaux constats portaient sur l’absence de marques fortes, un trop grand nombre d’appellations, une faiblesse de la mise en marché, une réglementation trop contraignante, alors que les acteurs du Nouveau Monde faisaient des vins adaptés aux goûts des consommateurs en simplifiant leur approche et compréhension, mettant en avant le cépage. Adapter le vin aux goûts des consommateurs était vu comme une hérésie, une trahison de l’esprit de la production de vin, c’était aux consommateurs de s’adapter aux vins et pas aux vins de s’adapter au marché. Et pourtant l’histoire montre qu’il n’y a pas de vins immuables ; la survivance d’un vignoble s’est faite en s’adaptant aux contraintes de son époque, que ce soit en production ou en consommation.

Le cépage : nouveau facteur clé de succès

Force est de constater que la mise en avant du cépage a été un moyen de conquérir une nouvelle clientèle, plus jeune, plus féminine et de proposer des vins faciles d’accès, reconnaissables par un style œnologique et un packaging attractif. Avec 20 ans de recul, on comprend bien le mécanisme du succès de la stratégie des cépages qui est essentiellement lié à la conquête d’une nouvelle génération de consommateurs. Dans les années 2000, on avait un marché « traditionnel » de consommateurs et de clients « élevés » à la culture du vin connaissant, respectant les appellations et qui continuaient à acheter les vins français sous les codes classiques (appellations, élevage en fût de chêne…) ; en revanche, une nouvelle génération de consommateurs souhaitait des vins différents, plus simples, plus accessibles, plus fruités… En 2020, on connaît le même phénomène : une aspiration pour des vins différents, à l'image d'une nouvelle époque, plus respectueux de l’environnement, de la santé, éthiquement et esthétiquement différents de la génération précédente.

Le catalyseur de la crise institutionnelle : le 17 décembre 2002

On ne peut évoquer cette période sans évoquer le rôle d’Alain Dominique Perrin dans la dynamique de la réputation du vignoble. Alain Dominique Perrin est un homme d’affaires reconnu, à la tête du groupe de luxe Richemont (Cartier, Van Cleef & Arpels, Montblanc, Piaget…), il va devenir un vigneron en rachetant le château de Lagrezette, avec pour objectif de produire un grand vin reconnu, mais aussi d’accompagner le vignoble de Cahors dans le développement de sa réputation internationale. Il met son réseau au service de la communication du vignoble, et il a en tête le projet de hiérarchisation de l’appellation. Dans le vignoble commence alors à naître le besoin d’aller vers une hiérarchisation et une étude de référence est réalisée pour classifier les différents terroirs (Rouvellac) ; on travaille sur l’élaboration de cuvées de prestige (la Charte de qualité), un important travail de qualification des terroirs est réalisé, devant aboutir à la demande officielle de classification auprès de l’INAO. Cette décision devait être votée en assemblée générale de l’ODG des vins de Cahors en date du 17 décembre 2002. L’INAO était prêt à accepter cette demande, toutefois dans le cadre d’une révision de l’aire d’appellation de 1971. Une partie des vignerons inquiets de cette révision et craignant d’avoir des parcelles déclassées décidèrent de ne pas soutenir cette proposition. À la suite de ce vote négatif, Alain Dominique Perrin se retira de la présidence de l’UIVC (Union Interprofessionnelle des Vins de Cahors) et une grande division syndicale secoua le vignoble entraînant de nombreux conflits qui nécessitèrent l’intervention d’un médiateur, en l'occurrence, Robert Tinlot. La conjonction de cette crise institutionnelle, d’une crise de mévente et de baisse des cours conduit à une situation très critique. Si encore aujourd’hui le projet de hiérarchisation des terroirs reste une option pour le vignoble, de nombreux acteurs considèrent que la date du 17 décembre 2002 a été une occasion ratée.

La problématique restait alors entière. Comment valoriser un vignoble qui n’est pas hiérarchisé ? À titre de comparaison, nous avons étudié d’autres appellations de taille similaire et de caractéristiques semblables notamment Chablis. Chablis est mono couleur, sur une surface quasi identique avec une typicité liée à un style de vin comme le Cahors mais bénéficiant d’une hiérarchisation à la bourguignonne : (village, premier cru, grand cru). Un autre modèle est celui de Châteauneuf du Pape avec une classification des domaines, ou alors celui de la Wachau avec une classification marketing via des marques collectives. Ces appellations ont trouvé des axes stratégiques qui leur ont permis d’être compétitifs et de trouver une voie de valorisation de leurs produits.

La mise en place d’une nouvelle stratégie marketing

Il s’agissait donc de définir une nouvelle stratégie pouvant être rapidement mise en œuvre, compte tenu de l’urgence économique du vignoble et de s’appuyer sur les atouts mobilisables par le vignoble de Cahors. La piste de la hiérarchisation des terroirs ou celle de la classification des réputations demandant du temps, seule une hiérarchisation marketing pouvait répondre à l’urgence. La démarche fut de mettre en évidence l’ADN de Cahors et de la croiser avec les tendances sociétales et marketing du moment. Les pistes détectées furent le noir se référant au Black Wine mobilisé dès 2007, avec l’adoption d’un code couleur noir disruptif pour l’époque et la mise en avant du cépage : le malbec.

La mise en avant du cépage : un hold up marketing

Le cépage est un déclencheur d’achat dans cette période, en revanche dans le vignoble on parle du côt, d’auxerrois et du malbec. Le malbec n’était pas la dénomination la plus couramment utilisée à l’époque pour parler des vins de Cahors. La stratégie est simple et réaliste : le vignoble ne dispose pas de moyens suffisants pour imposer un nom de cépage inconnu sur le marché mondial ; en revanche, le malbec a été promu avec succès par les Argentins, notamment sur le marché américain, marché cible et de référence pour l’époque. L’Argentine est le premier pays producteur de Malbec et Cahors est le fief historique de ce cépage. Il n’y a pas de compétition sur le leadership, mais bien une opportunité de s’inscrire dans le sillage des vins argentins et de faire valoir sa différence et sa légitimité. En 2005, Robert Parker dans ses 12 prédictions pour 2015 publiées dans le magazine Wine & Food affirme que le malbec sera le cépage phare en 2015, confirmant ainsi l’intérêt de prendre le cépage Malbec comme fer de lance de la nouvelle stratégie.

C’est par la création d’un évènement, les Journées Internationales du Malbec (2008, 2010 et 2014, année où il fut rebaptisé en Cahors Malbec Days), que la nouvelle stratégie de positionnement du vignoble a été véritablement lancée.

Créé par l’UIVC et organisé pour la première fois en avril 2008, cet évènement a permis à l’appellation de revendiquer à nouveau son statut de capitale du malbec ; à cette occasion, journalistes, prescripteurs mais aussi producteurs de malbec du monde entier ont été conviés à Cahors pour étudier, déguster et fêter ce cépage sur ses terres d’origine.

Afin de s’assurer de la participation de producteurs argentins à la première édition de cet évènement, l’UIVC organise fin 2007 le déplacement à Lujan de Cuyo d’une délégation de vignerons, de négociants mais aussi d’élus territoriaux. À la suite de ce déplacement, producteurs et élus de Lujan acceptent de participer aux 1res Journées Internationales du Malbec d’avril 2008. Grâce à cet évènement, et pour la 1re fois, les vignobles de Cahors et d’Argentine sont médiatiquement et internationalement associés sur le thème du malbec.

Sur le plan politique, cet évènement donne naissance à un projet de coopération décentralisée entre les collectivités de Lujan et du Grand Cahors, qui devient effective de janvier 2011 à mai 2013.

Sur le plan médiatique, cette nouvelle stratégie de l’UIVC a permis d’accroître considérablement la visibilité de l’appellation en France et à l’international. En effet, les articles citant ou comparant les Malbecs de Cahors et d’Argentine se sont multipliés. Cette tendance a même été amplifiée par la création en 2011 du World Malbec Day par Wines of Argentina. Organisé tous les 17 avril, cet évènement initialement dédié aux malbecs argentins est progressivement devenu l’occasion de célébrer dans la presse et sur les linéaires des malbecs de nationalités différentes, dont le Cahors, the french malbec.

Sur le plan commercial, cette stratégie a été rendue visible par le placement systématique d’un pavillon « Cahors Malbec » à côté de celui des Argentins lors des salons Vinexpo à Bordeaux, en 2009, 2011, 2013 et 2015, mais aussi à Hong Kong, en 2010. En outre, des « Cahors Malbec Tours » ont été organisés aux États-Unis et en Europe pour assurer la mise en visibilité de l’offre de Cahors en malbec.

Sur le plan œnotouristique, cette stratégie a été déclinée en Villa Cahors Malbec, Cahors Malbec Lounge et depuis 2013 en Destination Cahors Malbec (labellisée Vignoble et Découverte), et cela en étroit partenariat avec les collectivités régionales du vignoble permettant le passage d’une stratégie produit à une stratégie territoriale.

Sur le plan packaging, cette stratégie a pris la forme d’un nouveau verre de Cahors, reconnaissable par son anneau au pied, et d’une bouteille gravée « Cahors Malbec » positionnée en milieu de gamme. De manière générale, la référence au malbec s’est généralisée sur les vins de Cahors, alors qu’elle demeure facultative (réglementation de l’étiquetage).

La déclinaison de la stratégie Cahors Malbec se fera au fil des années en : Cahors, the Original Malbec, Cahors the Capital of Malbec, Cahors the French Malbec, Cahors, the Terroir Malbec.

L’export comme moteur de la croissance

Le marché a ciblé les USA, acheteurs de malbec argentin et surtout un pays doté d'une dynamique de croissance forte pendant la période. Cette stratégie a permis d’augmenter significativement les exportations de l’appellation. Ainsi, de 2011 à 2016, les exportations de l’AOC Cahors ont progressé de 19 5003 hectolitres en volume (+96 %) et de 10 500 000 € HT en valeur (+107 %). Il aura donc fallu 5 ans (2007-2011) avant le déclenchement de ce boom à l’export.

Sur le marché français et notamment la grande distribution, des choix douloureux furent nécessaires, notamment l’abandon des cuvées à bas prix (les ex cartes noires), ce qui eut une incidence significative sur les sorties de chais (environ moins 40 % pour la grande distribution). Néanmoins, en grande distribution, le vignoble se repositionne progressivement, avec une progression régulière de son prix moyen d’achat (3,57 € TTC le col en fin d’année 2016, contre 2,47 € TTC en 2007, +47,2 % en 10 ans), à relier naturellement à la revalorisation du marché du vrac (126,57 € HT / Hl en 2015-2016, contre 64,70 € HT / Hl en 2006-2007, +95,6 % en 10 ans)

Une segmentation marketing de l’offre pour pallier la non-hiérarchisation

Les vignerons avaient coutume de proposer plusieurs cuvées pour structurer leur offre commerciale, cette structuration étant fondée sur une approche classique avec une cuvée de base souvent appelée « Tradition » et une cuvée « Prestige » sans réelle approche construite hormis le fait de réserver les meilleures cuvées pour l’assemblage de prestige. La mise en place de la nouvelle stratégie marketing s’est construite sur l’incitation de faire établir pour chaque domaine et opérateur une structuration de gamme à trois niveaux.

La segmentation marketing de l’offre des vins de Cahors

Niveaux de gamme Style % de Malbec Gammes de prix
Entrée de gamme Rond et structuré 70 à 80 % 5 à 7 €
Milieu de gamme Puissant et gourmand 80 à 100 % 7 à 14 €
Haut de gamme Intense et complexe 100 % + de 14 €

Progressivement, les vignerons ont refaçonné leur gamme en tenant compte de cette orientation tant dans la construction de l’offre que dans la stratégie tarifaire. La présentation des vins des Cahors dans le Cahors Lounge sur ce modèle a incité les vignerons à « hiérarchiser » leur offre. Cahors est aujourd’hui l’exemple que l’on cite pour une bonne hiérarchisation marketing d’un vignoble lorsque l’appellation n’est pas elle-même hiérarchisée. Ce remodelage de gammes s’est accompagné d’un réajustement stylistique des vins pour suivre les tendances du marché, plus fruité plus dans la « buvabilité » et dans un relooking stylistique des étiquettes et des packagings.

Cette stratégie a créé une dynamique de segmentation valorisant la diversité des vins de Cahors ; via la création d’intitulés purement marketing utilisés lors des dégustations professionnelles (médias, acheteurs) et grand public (Cahors Malbec Lounge), afin de caractériser les 3 principaux styles de Cahors : « rond et structuré » (entrée), « puissant et gourmand » (milieu) et « intense et complexe » (haut de gamme) ; avec la réaffirmation des deux grandes aires de terroir du vignoble, le Causse et la Vallée. Le Syndicat AOC Cahors souhaite déposer une demande auprès de l’INAO visant à obtenir l’autorisation d’utiliser sur les étiquettes de l’AOC Cahors deux dénominations géographiques complémentaires et donc deux nouveaux cahiers des charges correspondant à ces deux grandes aires de terroir, réactivant par là le projet de hiérarchisation de 2002

Une nouvelle image

Le vin de Cahors avait une image de vin rustique, il est souvent qualifié de « vin de chasseurs », avec des vins puissants et une structure tanique importante. Les packagings étaient très classiques, dans l’esprit des vins bordelais avec la mise en avant de bâtiments et de symboles héraldiques.

L’arrivée d’une nouvelle génération de vignerons a stimulé un élan de créativité et d’esthétisme contemporains dans la présentation des étiquettes, ou des noms de cuvées.

L’objectif de la communication était d’aller vers la modernité et de s’insérer dans des ambiances de consommation, plutôt que de production. L’Interprofession a choisi de créer une ambiance lounge pour présenter les offres de ses producteurs et aussi d’animer sa « maison des vins » dans l’esprit d’un lieu urbain avec de nombreux évènements (masterclasses, dégustations thématiques, accords mets-vins surprenants…) permettant d’insérer le vin de Cahors dans la vraie vie des consommateurs et pas uniquement pour des accords mets vins traditionnels, types confit de canard ou cassoulet.

Le monde du vin et crises à Cahors et ailleurs

La hiérarchisation plutôt que la diversification

Cahors, comme de nombreux vignobles, par exemple en Anjou, en Alsace pour les premiers crus, en Barolo, ou en Toscane se sont focalisés sur la volonté d’aller vers une hiérarchisation adoubée officiellement notamment par l’INAO pour les vignobles français. Le modèle "à la bourguignonne" avec une hiérarchisation de son parcellaire est le modèle rêvé, parce qu’il a conduit à une valorisation de cette « pyramide » par le marché et parce qu’une fois adopté il s’impose à tous.

Cahors ne propose qu’une seule couleur, le rouge. Certes, en 2007 le vin rouge était la référence internationale 78 % des Français achetaient du vin rouge contre 65 % en 2017, mais cette offre unique n’a pas permis de suivre une tendance forte du marché par exemple, le vin rosé qui représente 33 % de la consommation en France. Certes les vignerons ont proposé du rosé à leurs clients, mais pas sous l’appellation Cahors : en Vin de Pays du Lot. Ce transfert de volume d’une catégorie à l’autre a entraîné une baisse de revendication pour l’appellation Cahors (donc aussi une baisse des cotisations volontaires obligatoires et des moyens disponibles pour assurer la promotion) et surtout un volume de mise en marché de la « marque » Cahors plus faible entraînant une diminution de la visibilité de l’appellation. Historiquement, on produisait aussi du blanc à Cahors et le Kimmeridgien présent à Cahors permettrait de développer des blancs qualitatifs : démarche déjà entreprise par certains opérateurs4 en dehors de l’appellation.

La diversification est un enjeu important pour tous les vignobles, pouvoir proposer sous la même marque ombrelle (le nom de l’appellation) une offre diversifiée correspondant à des attentes différentes comme des couleurs différentes, des styles (vin tranquille, effervescent, pétillant naturel, vins fortifiés…). De nombreux vignobles, notamment ceux qui produisent majoritairement des vins rouges se sont lancés, quand le cahier des charges de l’appellation le permettait, dans le développement d’une nouvelle offre, par exemple les Côtes du Rhône ou les appellations du Languedoc. Dans d'autres cas, comme à Gigondas, les opérateurs cherchent à modifier directement le cahier des charges.

Dans un souci de bien faire, les vignerons ont été tentés par l’écriture de cahiers des charges très « restrictifs » se privant par là même de possibilités d’évolution de leurs offres rendues nécessaires par l’évolution de la demande ou par des contraintes d’adaptation aux changements climatiques en se privant de cépages ou de techniques pouvant rendre leurs vins plus adaptés à la demande. Pour s’exprimer, les vignerons ont donc été tentés ou obligés de sortir de l’appellation, privant par là même l’appellation de potentiel de valorisation.

On peut noter le succès des IGP qui ont bénéficié d’une flexibilité plus grande et d’un relatif immobilisme de certaines appellations (AOP), notamment les moins valorisées et les moins connues. Les appellations se sont donc trouvées privées de volumes et de source de diversifications et d’innovations. En étant polarisés sur un objectif de hiérarchisation, de nombreux vignobles ont raté le train de la diversification.

La difficile adaptation aux goûts des consommateurs

Les goûts des consommateurs changent, mais aussi les consommateurs changent parce que les modes de vie et de consommation évoluent. Dans un monde de changement, le vin doit s’adapter comme les autres produits. Le fromage qui n’est plus autant consommé en plateau entre le plat principal et le dessert est devenu un incontournable de l’apéritif ou en plat principal. Le vin est de plus en plus consommé à l’apéritif avec une préférence pour le blanc et les effervescents. Pour prendre place aussi pendant ce moment de convivialité, le rouge doit s’adapter, s’adapter en style (aller vers plus de fruité), mais aussi en température de service. De nombreux vignerons cadurciens l’ont bien compris et notamment la jeune génération en développant des vins issus du vignoble de Cahors souvent sous étiquette Vin de France avec des packagings, des noms de cuvées et des styles adaptés à cette nouvelle donne5.

Pour un certain nombre d’opérateurs (vignerons, prescripteurs, amateurs éclairés…) faire évoluer ses cuvées dans le sens de la demande des consommateurs est une trahison. Le vin est marqué par une conception d’immuabilité, depuis des siècles, alors que dans les faits, il n’a cessé de s’adapter. Certaines évolutions sont de l’ordre de l’ajustement, par exemple, l'évolution du goût boisé ou le recours à un élevage différent et restent donc acceptables. En revanche, l'évolution des Sauternes vers des vins secs provoque une polémique. Le monde du vin français a du mal à évoluer, il est marqué du sceau des usages locaux, loyaux et constants prônés par les appellations.

Un changement de business modèle

Particulièrement en France, nous sommes habitués à des acteurs bien formatés dans un rôle : les caves coopératives, les négociants et les vignerons et une organisation de mise en marché. Au fil du temps les rôles dévolus à chaque opérateur ont fortement évolué, les caves coopératives vont de plus en plus vers la mise en marché et développent des stratégies commerciales du marketing qui les rapprochent de leurs clients négociants ; le négoce s’est réorganisé ou a disparu et les vignerons ont souvent pris une carte de négoce pour répondre à la demande de leurs clients. À Cahors, la Cave coopérative qui avait été à l’initiative du redémarrage de la viticulture après la seconde Guerre Mondiale, s’est regroupée avec d’autres caves coopératives du Sud-Ouest. Le négoce cadurcien a quasiment disparu ou a rejoint des négoces multi vignobles et les vignerons ont pris de plus en plus leur destinée commerciale en main.

Le modèle dominant des années 2000 pour les vignerons a été de chercher à s’émanciper de la vente en vrac et de passer à la vente en bouteilles, si possible en direct, pour intégrer la marge de la médiation. Ce modèle de ventes directes est un modèle courant à Cahors et il n’est pas rare de voir un vigneron effectuer de nombreux salons de vins ou salons gourmands le weekend après avoir passé la semaine à la vigne et au chai. La vente directe au caveau est aussi largement utilisée lorsqu’on est sur un flux naturel de visiteurs ce qui n’est pas aussi évident lorsque les domaines sont éparpillés dans un vignoble étalé le long du Lot sur plus de 40 kilomètres. Face à la baisse des ventes en direct, notamment à cause d’un changement d’habitude (plus de stockage pour constituer des caves, la possibilité de trouver des approvisionnements chez les cavistes qui se sont fortement développés en ville ces dernières années…), l’œnotourisme est présenté comme la martingale pour les vignobles et les vignerons. Certes l’œnotourisme permet une dynamisation d’un territoire, et peut fournir un complément d’activités et de revenus mais il ne pourra permettre un écoulement des volumes disponibles. Il s’agit donc de se réinventer parce que la nouvelle génération de vignerons n’a pas nécessairement envie de sacrifier tous ses weekends à faire des salons ou à recevoir des clients, parce que l’internationalisation passe par une intermédiation et la nécessité de concilier des tarifs « pro » et « particuliers ». Le digital et la vente en ligne deviennent une réalité. Il faut donc choisir entre un business modèle à dominante « pro » c’est-à-dire impliquant une médiation via des agents, des distributeurs ou un modèle particulier visant la clientèle particulière. On parle maintenant de modèle « DtC » c’est-à-dire « direct to consumer » qui vient se rajouter au « BtB » « business to business » et au « BtC » business to consumer. Ce jargon professionnel définit des modèles de mise en marché nouveaux, notamment avec la prise en compte de la digitalisation de l’économie. Les vignobles et les vignerons ne sont pas toujours prêts à gérer cette nouvelle donne avec la coexistence d’une vente à des circuits professionnels (en France et à l’export), la vente directe en salon et au caveau, la vente en boutique sur internet, les wine clubs… Le phygital (fusion du marketing et commerce digital et commerce physique : distanciel et présentiel) prendra toute sa raison d’être en 2020 dans un contexte de crise sanitaire mais implique une organisation et une réflexion bien en amont pour organiser au mieux cette grande mutation. Ce bouleversement important des modèles de mise en marché touche les vignerons cadurciens comme les vignerons de toutes les appellations.

Le passage d’un vignoble d’image collective à un vignoble de personnalités et de « marques domaines »

L’appellation a été pendant longtemps le déclencheur d’achat majeur et elle occupait une place prépondérante sur l’étiquette. Progressivement le vigneron, le domaine ont été mis en évidence et dans le choix du consommateur le vigneron devient un critère de choix important. On dit que l’on vend d’abord du vigneron avant de vendre du vin. À l’image de la gastronomie et de la mise en scène des chefs, le vigneron est devenu un élément central de la communication des vins. Ce n’est pas la fonction de vigneron mais la personnalité du vigneron qui devient un élément clé dans la valorisation des vins. Des domaines et quelques vignerons emblématiques étaient connus des prescripteurs et des amateurs éclairés dès les années 2000 mais, depuis 2007, on a vu l’arrivée d’une nouvelle génération de vignerons, des jeunes vignerons reprenant les exploitations de leurs parents, des nouveaux venus : néo vignerons, investisseurs qui, croyant en l’appellation, ont décidé de mener des stratégies offensives de mise en avant de leurs vins. Très vite, cette nouvelle génération a retenu l’attention des médias, les prescripteurs ont été intéressés par la dynamique, les projets, et le nouveau style des vins de Cahors. La presse a largement fait écho de cette nouvelle dynamique, créant une sorte de cercle vertueux d’une compétition de talents. Le nombre de domaines cités dans l’appellation a fortement progressé que ce soit en France et à l’étranger par exemple, en 2017, un Cahors a été élu parmi les 10 meilleurs vins de l’année 6 La “starification” des vignerons est une nouvelle donne, elle implique une gestion de l’image du vigneron, du domaine, des cuvées dans le collectif de l’appellation. Le management d’un vignoble se trouve donc impacté par une compétition d’images d’hommes ou de femmes recherchés ou courtisés par les médias et les prescripteurs. L’individuel prend le pas sur le collectif mais le collectif à besoin de ses individus connus et reconnus qui jouent ou pas le jeu de l’appellation.

Une nouvelle génération de vignerons et de vigneronnes

La transmission des domaines est une préoccupation de la filière viticole, avec un problème de coût de transmission pour les vignobles les plus valorisés au foncier élevé et un problème de carence de reprises dans d’autres vignobles. Le jeune d’une famille n’est plus dans « l’obligation » de poursuivre l’activité viticole parce que les parents actuels ne mettent pas (ou moins) la pression pour une reprise et parce que parfois ils sont partis vers d’autres métiers. Certains, après une première carrière professionnelle reviennent à la propriété mais avec généralement une vision différente du métier. D’autres domaines se voient contraints de vendre à d’autres vignerons ou à des néo-vignerons ou des investisseurs. L’arrivée de néo vignerons et d’investisseurs est un signe d’une dynamique de l’appellation, ces nouveaux arrivants pensent pouvoir mener un projet en cohérence avec leur objectif de vie, établi pas uniquement en termes de rentabilité et de retour sur investissement, mais aussi de vision du métier et de partage de valeurs. Cahors a été un vignoble très attractif pendant la période 2007-2017 avec la reprise de domaines familiaux, l’arrivée d’investisseurs, notamment pour des domaines, des projets de tailles importantes et des néo-vignerons avec des projets de vie. Toutes ses nouvelles installations n’ont pas été couronnées de succès mais traduisent l’adhésion à une stratégie de vignoble considéré comme d’avenir. Une appellation qui a un projet, une stratégie clairement explicite est plus apte à attirer pour des reprises ou des créations de domaines. La compétition entre vignobles ne se fait pas uniquement sur les ventes mais sur la capacité à attirer et/ou retenir des talents.

Cette nouvelle génération envisage le métier différemment, notamment en adoptant des pratiques plus respectueuses de l’environnement, en calibrant l’exploitation en fonction de leur objectif avec parfois une réduction de la surface, en modifiant la commercialisation. Bref cette nouvelle génération remet en cause le modèle d’avant

Après le terroir, le néoterroir

Les trois variables clés du positionnement d’un vin sont : le made in (origine, l’appellation), le made of (cépages, techniques comme les vins fortifiés, liquoreux, oxydatifs), le made by (le vigneron, la marque, la signature…). Le poids et l’importance de chacune de ces variables dépendent de la stratégie de chaque domaine ou marque et ont varié selon les périodes. Il fut un temps ou le mot champagne pouvait être suffisant, même si la marque rajoute de la valeur. Aujourd’hui, la différenciation se fait en précisant l’origine (mise en avant du parcellaire) ou les techniques (dosage, solera, cépages…). Le terroir est plus que jamais une variable de valorisation mais la partition se joue différemment. Il véhicule plus qu’une origine, il est porteur de nouvelles valeurs : la naturalité. Le vigneron devient le garant et le connaisseur de son endroit de nature qu’il exprime dans son vin. Il ne suffit pas de mettre un nom de parcelle sur une étiquette, le producteur doit apporter les preuves de sa différence basée sur une connaissance fine de son vignoble. La labellisation de pratiques vertueuses et respectueuses de l’environnement, quel que soit le label, n’est plus suffisante pour convaincre le nouveau consommateur, elle devient la norme. Pour aller dans le sens de la demande de ces nouveaux consommateurs, de nouveaux codes, de nouvelles garanties sont à mettre en œuvre

Quelle est la bonne échelle pour gérer un territoire, un terroir ?

Il existe de nombreuses institutions en charge de la défense, de la promotion des vins, ODG, Interprofession, groupements de producteurs. Cahors a fait le choix pendant la période 2007-2017 de vivre seul son épopée et sa stratégie avec l’ODG des vins de Cahors et l’Interprofession des vins de Cahors pour un vignoble de potentiel modeste (4 000 hectares environ) avec le refus de rejoindre l’Interprofession des Vins du Sud-Ouest qui aurait pu aussi rejoindre les vins d’Occitanie. Châteauneuf du Pape est une fédération qui vit en dehors des vins de la vallée du Rhône comme de nombreuses appellations de Loire qui poursuivent leur propre stratégie sur le marché français. Il existe, bien sûr, des problèmes politiques et d’hommes, mais ces institutions « traditionnelles » sont-elles encore aptes à assurer la promotion et la valorisation des vins d’un territoire ? Contestées parfois par leurs adhérents, elles ont parfois du mal à mobiliser dans le sens d’un collectif, elles sont concurrencées par d’autres organisations collectives (ex. : groupements thématiques de producteurs). Dans le cadre de la stratégie Cahors Malbec, Cahors ne pouvait jouer sa destinée qu’au niveau de l’appellation mais dans le cadre d’un budget relativement limité.

Actuellement on préconise d’aller vers des regroupements et des entités importantes et de développer des stratégies multi-vignobles notamment afin de dégager des ressources suffisantes pour développer des actions de communication et de promotion. Cahors est un cas d’école d’une stratégie « robinsonnienne » mais avec une vraie stratégie qui correspondait complètement à son époque. La mise en avant du cépage, et pas n’importe quel cépage, le malbec, profitant ainsi du sillage développé par l’Argentine. Il lui faut maintenant passer à une autre stratégie, à une autre époque. Une nouvelle histoire doit se construire.

Robert Tinlot dans la préface de l’ouvrage l’Adn du vin édité en 2015 par l’Académie Amorin dont il était le président disait : « la référence aux traditions cache les réalités dynamiques qui construisent, pas à pas ; grâce à la science et l’innovation, le secteur du vin sans cesse approfondi et renouvelé. La science et la technologie l’adaptent à la société qui change ». Comment concilier tradition et adaptation ? La stratégie de Cahors entre 2007-2017 est une réussite parce qu’elle s'est adaptée à une époque, tout en s’appuyant sur les potentialités historiques, humaines du vignoble.

Le cycle du vin est un cycle long, les choix d’aujourd’hui impactent le devenir. Il faut être pragmatique, chaque vignoble possède les ressorts qui lui permettent de rebondir à condition de bien comprendre l’époque et ce qui fait sa véritable identité.
Alors que les rapports d’experts en 2000 préconisaient, une massification voire une industrialisation de la production, on va vers une « terroirisation » plus forte, un développement des marques commerciales c’est la marque de vigneron qui s’impose, une standardisation des produits alors que la niche devient la règle. Quels seront les nouveaux leviers des années 2020 ou 2030 ?

L’énergie d’un vignoble dépend des hommes et des femmes qui font au quotidien la vie d’une appellation, à la fois grâce à des initiatives individuelles mais aussi dans le sens d’un collectif. La gestion des collectifs devra être une des préoccupations des acteurs de la filière.
Il est bon d’avoir des hommes clairvoyants, engagés et pragmatiques pour prendre en charge la destinée des vignobles.
Robert Tinlot était un de ceux-là.

Bibliographie

Jérémy Arnaud, « Stratégie de l’Interprofession du vin de Cahors. Qualité et Identité », Revue des œnologues et des techniques vitivinicoles et œnologiques, Vol 34, n° 124, 2007, p. 70-71.

Joëlle Brouard, Jean-Guillaume Ditter, « L'articulation entre terroir et territoire dans les stratégies de la filière vitivinicole française. Une comparaison Chablis-Cahors », dans Serge Wolikow, Olivier Jacquet (dir.), Territoires et terroirs du vin du XVIIIe au XXIe siècle : approche territoriale d'une construction historique, Éditions Universitaires de Dijon, France, 2011.

Jean-Guillaume Ditter, Joëlle Brouard, « Institutions et territoires du vin en France : le cas de l'A.O.C. Cahors », Géographie, Economie et Société, vol. 14, n° 3, 2012, p. 303-325.

Jean-Guillaume Ditter, Joëlle Brouard, « The competitiveness of French protected designation of origin wines : a theoretical analysis of the role of proximity », Journal of Wine Research, vol. 25, n° 1, 2014, p. 5-18.

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Pascal Griset, Léonard Laborie, « Historiographie et réinvention du vignoble de Cahors, XXe-XXIe siècles », Rivar, Santiago de Chile, Vol 3, n° 7, 2016, p. 81-102.

Eric Rouvellac, « De la Cartographie des terroirs de l’aire AOC Cahors à la proposition d’un classement des terroirs en un “Premier Cru Cahors” », Territoires du vin [Online], 1 | 2009. http://preo.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/index.php?id=1440

Jean Christian Tulet, Hélène Velasco-Graciet, « Refondation d’un grand vignoble du sud de la France : Le Cahors », dans Antoine Casanova (dir.), La vigne en Méditerranée occidentale, Paris, Éditions du CTHS, 2008, p. 103-113.

Hélène Velasco-Graciet, Eric Rouvellac, « Le vignoble de Cahors au temps de l’économie monde », dans Jean Claude Hinnewinkel, Philippe Roudié, Les vignobles du Sud-Ouest européen, tome 4, 2002, p. 87-98.

Notes

1 Le château de Cayx à Luzech est la propriété de la famille royale de Danemark et cela a contribué à faire connaitre le vignoble de Cahors au Danemark et explique le poids de ce pays dans l’export des vins. Retour au texte

2 Quelques rapports sur l’avenir de la filière viticole, J. Berthomeau (2010), B. Pomel (2006), G. Cesar (2007), M. Roumegoux (2008). Retour au texte

3 L’ensemble des chiffres cités dans le document sont issus des données de l’IUVC. Retour au texte

4 On peut citer en autres les vins du domaine Belmont à Goujounac et le domaine Laroque d’Antan des spécialistes des sols Claude et Lydia Bourguignon. Retour au texte

5 On peut citer les cuvées « tu vins plus aux soirées », ou « À table » (vin de France) du Mas del Perié ou le « K’or, le K’non, le K’pot’ » du clos Troteligotte, le « Croizillon » du domaine les Croisilles, ou « la vigne juste derrière chez Carbo » de Combel la Serre. Retour au texte

6 Il s’agit de la cuvée Marguerite 2014 du domaine Cosse Maisonneuve. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Joëlle Brouard, « Le monde du vin : un monde de crises ? », Territoires du vin [En ligne], 12 | 2021, publié le 15 février 2021 et consulté le 16 avril 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/index.php?id=1928

Auteur

Joëlle Brouard

Consultante Terroir Manger, Chaire Unesco « Culture et Traditions du Vin » de l'Université de Bourgogne

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