Quelques réflexions autour de la notion de prix dans le monde du vin

Résumé

En l'espace de quelques années, les consommateurs ont subi, dans leur rapport aux prix : les effets du passage à l'Euro, une variabilité du prix du pétrole associée à l'envolée du prix de l'énergie, la brusque hausse des prix de certains produits alimentaires alors que les prix de produits plus technologiques s’effondraient, etc. La multiplicité des promotions dans le monde du commerce de détail est croissante au point de poser la question essentielle des fondements d’un prix annoncé pour un produit.
Le monde du vin n’a pas été à l’écart de toute la complexification de la dynamique des prix. Ainsi, avec l’ouverture des marchés internationaux associée à une évolution de la demande des consommateurs et avec la complexification des politiques tarifaires des entreprises, notamment grâce aux apports des technologies de l’information et de la communication, le consommateur est souvent perplexe et cherche alors à se repérer parmi la myriade de vins à sa disposition. Tous ces phénomènes sont à l'origine d'un accroissement de la variabilité des prix des vins : pour une même catégorie de produits, en fonction du moment, du lieu, des variétés, et des profils des consommateurs. Au total, le consommateur a donc de plus en plus une représentation brouillée de ce qu’est un prix.
Il est alors possible de s’interroger sur ce qu’est un prix dans le monde contemporain du vin : est-il un « faux ami » ? Peut-on faire confiance au prix d’un vin en tant que signe de qualité de celui-ci ? La hiérarchie des prix des vins est-elle à l’origine d’une hiérarchisation objective et justifiée au sein des producteurs de vins ?
Notre intervention essaiera donc d’aborder ces différentes questions sachant toutes les difficultés que l’on peut rencontrer en tentant de comprendre ce qu’est « le juste prix » d’un vin.

Plan

Texte

En l’espace de quelques années, les consommateurs ont subi, dans leur rapport aux prix, les effets du passage à l’euro, la hausse des prix de l’immobilier, alors que les prix de produits plus technologiques s’effondraient, la multiplicité des promotions dans le monde du commerce de détail, etc. De plus, avec l’ouverture des marchés internationaux associée à une évolution de la demande et avec la complexification des politiques tarifaires des entreprises, notamment grâce aux apports des technologies de l’information et de la communication, le consommateur est souvent perplexe et tente de se repérer parmi la myriade des prix à sa disposition. Comprendre ce qu’est un prix est donc une question économique fondamentale. Est-ce un critère de choix pour un consommateur ? L’expression de la valeur d’un bien ou d’un service ? Une source de richesse pour un producteur ? etc.

Le monde du vin n’a pas été tenu à l’écart de toutes ces problématiques et questionnements. Tout intervenant dans les échanges de vin a donc de plus en plus une représentation brouillée de ce qu’est un prix du vin : Est-ce le reflet de l’équilibre des marchés ? Est-il un « faux ami » pour un acheteur non initié ? Peut-on faire confiance au prix d’un vin en tant que signe de qualité ? Comment comprendre la diversité des prix à un même moment pour un même vin ? etc. Par ailleurs, les producteurs comme les négociants sont confrontés à des rapports de force inégaux lors de leurs négociations avec la grande distribution, elle-même déstabilisée par la multiplication des plateformes de vente sur Internet. Existe-t-il donc un « juste prix » dans le monde du vin ?

Les quelques remarques et réflexions qui vont suivre ont pour but de porter un éclairage sur les prix dans le monde du vin à partir des concepts de base de l’analyse économique.

Le mythe du prix unique1 du vin

Dans un cadre théorique néo-classique, la formation des prix d’un produit est considérée comme résultant de la simple confrontation de l’offre et de la demande sur un marché. Un marché est alors considéré comme efficient car il aboutit à la fixation d’un prix unique, aux coûts de transaction près2. Mais ce prix est alors « subjectif » car il n’est qu’une représentation d’un équilibre situé et contextualisé entre une offre et une demande à un moment donné3. Donc il est difficile de considérer qu’il existe un marché générique du vin et donc un prix unique pour le vin même si l’on fait l’hypothèse que les marchés soient des marchés concurrentiels car cela signifierait aussi que le marché est bien arbitré, donc organisé de façon efficiente.

Mais alors, comment analyser le fonctionnement des échanges sans une référence unique ? Si l’observateur se concentre sur les données de l’offre et de la demande au niveau macroéconomique à un moment donné, il est alors possible d’étudier par exemple, le bilan concernant l’offre et la demande de vin en France et donc comprendre comment un équilibre macroéconomique effectif s’établit à cette échelle. Or le marché du vin, comme d’autres marchés agricoles, possède la particularité d’avoir une offre très inélastique, voire parfaitement inélastique. Cela signifie que l’offre ne réagit pas à la variation du prix à court terme (un an ou moins). Les temps d’ajustement de l’offre sont donc très longs. D’où : le rôle important des stocks. Dans certains cas, ceux-ci peuvent représenter plus d’une récolte moyenne. Leur fonction est alors de lisser l’offre mise sur le marché pour éviter une trop forte instabilité des prix liée aux variations de la récolte d’une année sur l’autre. En particulier, la rareté découlant du niveau de l’offre d’un vin peut être appréhendée par la probabilité de disposer de ce produit sur un marché. Ceci dépend chaque année du niveau de la récolte et donc de facteurs exogènes (climat, rendements, etc.) et des stratégies de valorisation des produits (production de vins de consommation courante ou vins de garde).

En conséquence, les variations du prix à court terme vont essentiellement venir des variations de la demande. Mais là encore, l’analyse de la demande est complexe à la fois en raison de la diversité des vins et des segments de consommation associés à une relative méconnaissance des usages industriels. Cependant l’approche statistique des marchés permet de repérer la différenciation de l’offre et/ou de la demande selon les régions ou les types de vins. Citons par exemple, le fait que la demande mondiale se déplace des pays traditionnellement consommateurs (« Le vieux monde du vin ») vers les pays où le vin n’est pas traditionnellement consommé (« Le nouveau monde du vin ») et que dans le cas du marché français, la demande des particuliers décroît régulièrement depuis les années 1960.

La nébuleuse des déterminants des prix à la production

Les déterminants de l’offre et de la demande sur les différents marchés du vin réagissent à des logiques propres avec des dynamiques très dissemblables liées aux caractéristiques intrinsèques et extrinsèques de chaque vin ainsi qu’à l’interaction entre l’offre et la demande pour ce même produit. Ainsi, en raison de la diversité tant des conditions de production que des goûts et traditions des consommateurs, le prix du vin à la production se différencie dès que l’on quitte le monde de la macroéconomie.

Plusieurs critères sont traditionnellement mis en avant pour expliquer la formation du prix d’un vin. Ils ne sont pas uniquement liés aux coûts de production et au rendement mais aussi à des facteurs que l’on résumera comme étant géo-viticoles (climat, sol, région, cépage) et temporels4 (Tableau 1).

Tableau 1. Principaux critères de la formation du prix d’un vin.

Facteurs géo-viticoles Climat – Sol – Région - Cépage
Facteurs temporels Age - Millésime
Coûts de production Coûts fixes et coûts variables – Rendements – Type de vin produit
Information Etiquette – Appellation – Réputation - Marque
Offre et demande Rareté – Culture - Tradition

La multiplicité de ces déterminants crée une incertitude et une variabilité des prix aussi bien dans une région donnée qu’au cours du temps. La disparité des trajectoires de prix ainsi que la segmentation des marchés montrent également que le vin, en général, ne peut être considéré comme un produit/actif homogène échangé sur un seul marché pour lequel la loi du prix unique fonctionnerait.

Les prix du vin sortant de l’exploitation, le reflet de la diversité des domaines

Le prix d’une bouteille de vin à la production dépend au départ de son coût de revient dans l’exploitation. Ce coût se calcule en prenant en compte tous les frais engagés pour l’élaboration du vin en question. On peut les diviser en quatre catégories.

  • Le coût du foncier : fermage éventuel, frais d’acquisition, etc.
  • Le coût des raisins : l’amortissement de la plantation, les frais de conduite du vignoble (taille, entretien des sols, travaux en vert, traitements phytosanitaires…) et des vendanges. Les vignobles ne permettant pas (ou peu) de mécanisation, par exemple à cause de leur topographie pentue (Savoie, Collioure, Côte-Rôtie…), ont des coûts de revient bien plus importants.
  • Le coût de la vinification et de la mise en bouteille : l’amortissement du matériel, les produits œnologiques, les frais d’analyses, les barriques, les matières sèches et le conditionnement5 (bouteilles, bouchons, étiquettes…), les charges du personnel.
  • Le coût de la commercialisation : les dépenses liées à la participation à des salons, à la communication et au marketing.

Une fois le vin produit, il doit être vendu. Mais dès la vente directe ou la vente en vrac le prix d’un vin va se différencier très rapidement d’une exploitation à une autre. Cependant pour des vins en bouteille vendus en dessous de 4 à 5 euros, le prix d’une bouteille reflète assez fidèlement son coût de production, sauf cas de déstockage à perte. Mais, entre 5 et 10 euros au départ de la propriété, on peut dire que le prix commence à refléter des différences de coûts liées à la rareté et à la qualité d’un vin proposé (des cépages plus rares, des terroirs prestigieux, des rendements plus bas ou un élevage partiel ou total sous bois, par exemple). Tous ces éléments peuvent alourdir le coût de production, comme peuvent aussi le faire le choix de bouchons plus coûteux, de bouteilles plus lourdes, ou d’autres éléments liés à la présentation du vin et à la stratégie promotionnelle. À partir d’environ 10 euros, d’autres éléments entrent en ligne de compte comme le positionnement de l’AOP ou de la marque, du millésime ou de la cuvée ou bien la demande suite à une réputation anciennement ou fraîchement acquise.

La région de production joue en particulier un rôle important dans le coût, car il est clair qu’un pinot noir en appellation Bourgogne coûtera plus cher qu’un colombard en Côte de Gascogne, par exemple, à cause du prix du foncier, d’une offre plus ou moins large et de conditions de production différentes, associées à des exigences croissantes en termes de qualité et de positionnement sur les marchés. On pourrait aussi comparer les mêmes cépages dans deux régions différentes : en coût de revient, un chardonnay en appellation Chablis vaut à peu près le double d’un chardonnay en Pays d’Oc. Pour prendre des cas extrêmes et comprendre la difficulté de comparer des vins uniquement par leur prix, un vin de Bourgogne à 7 euros est une entrée de gamme, tandis qu’un vin chilien à ce prix appartient déjà à la catégorie premium.

Là où l’offre se raréfie et la demande monte, les prix peuvent grimper bien au-delà, mais sans que cela ne coûte nécessairement plus cher au producteur6. Ainsi, une bouteille de vin d’un domaine réputé dans le monde entier, produite dans une grande région viticole comme la Bourgogne, pouvant être gardée plusieurs dizaines d’années, issue d’une récolte lors d’une année exceptionnelle et ayant suscité les louanges d’œnologues reconnus, a de fortes chances d’être commercialisée à un tarif élevé. À l’inverse, une bouteille de vin produite dans un vignoble confidentiel par un exploitant très exigeant, mais n’ayant reçu encore aucune distinction et qui doit être consommée dans l’année, risque de se retrouver dans la fourchette basse des prix du vin.

Du vigneron au client final, le vin (en bouteille ou en autres conditionnements) va encore passer entre les mains de différents intermédiaires, avec, pour conséquence, d’augmenter le prix final, auquel il convient d’ajouter, in fine, la TVA. La renommée médiatique, la qualité du vin par rapport à ses pairs, l’engouement des guides et des clients, la rareté de certaines bouteilles, les circuits de distribution utilisés par l’exploitant viennent progressivement augmenter et diversifier les prix des vins à la consommation.

Le prix d’un vin, un critère de choix difficile à interpréter pour le consommateur

Les chercheurs qui travaillent sur la compréhension des comportements de consommation de vin et sur les voies de segmentation de ce marché ont montré qu’au-delà des variables classiques de type psychologique (satisfaction, confiance, bien-être, etc.) ou de type comportemental (volumes, fréquences, lieux d’achat, etc.), la prise en compte de facteurs peu longtemps retenus comme les buts et les contextes de consommation, est importante7.

L’hétérogénéité des agents qui interviennent dans les échanges de vins (négociants, grande distribution, collectionneurs, consommateurs, investisseurs) est une des causes de la diversité des prix. Ils ont en effet tous des attentes différentes, des informations et des connaissances inégales et donc des consentements à payer différents ou des contraintes de marge spécifiques. Si l’on envisage en plus la dynamique des tarifications, ce prix évoluera aussi en permanence aux rythmes des promotions, des modes de conditionnement ou encore d’une multiplicité de critères plus ou moins connus. Le développement du e-commerce et plus particulièrement les places de marché a été aussi un vecteur très rapide de propagation de la tarification dynamique.

Pour un consommateur, le prix d’un vin est donc une information difficile à interpréter et plus particulièrement pour « un profane » et ceci d’autant plus qu’il existe une asymétrie d’information entre l’acheteur et le producteur qui possède de multiples façons de signaler la qualité de son vin : le style de la bouteille, le dessin de l’étiquette, des campagnes de publicité (le champagne est un bon exemple), etc. Ainsi, la réputation d’un vin associée ou non à des signes de qualité collectifs (AOP, IGP, etc.) a un effet majeur sur les choix et donc le niveau de la demande. Le rôle des experts et des « gourous » du vin agit également sur l’image d’un vin et donc sur son prix.

Ainsi, à un moment donné, alors que les consommateurs n’ont jamais eu autant de moyens de comparer les prix, ils sont de moins en moins nombreux à payer le même prix pour un vin. Selon que le consommateur potentiel recherche un vin sur une plate-forme de vente ou dans une grande surface ou encore chez un caviste, il ne paiera pas le même prix. De même, un prix modéré peut lui suggérer une opportunité d’achat (d’où les comportements d’achat lors des foires aux vins). Les ratings, les ventes aux enchères (virtuelles ou non) et les « gourous » du vin jouent également un rôle croissant.

La difficile recherche d’un juste prix dans le monde du vin

Le prix est un paramètre structurant des relations entre les offreurs (producteurs ou intermédiaires) et les acheteurs (distributeurs et consommateurs) sans que l’on sache toujours qui des uns ou des autres sera créateur de la dynamique des productions et des échanges : Faut-il un juste prix du raisin ou un juste prix du vin ? Faut-il rémunérer le vigneron ou le négociant ? Faut-il que le consommateur recherche toujours le prix le plus bas pour un vin ?

Le juste prix est un souhait sur des marchés libres et équilibrés avec des acteurs égaux dans un environnement marchand loyal. Un prix juste est idéalement celui qui serait le plus équitable pour tous et donc celui qui convient à la fois :

  • au vin lui-même et à sa qualité intrinsèque, pour ne jamais dévaloriser les conditions dans lesquelles il a été produit,
  • au vigneron et à son travail, pour le soutenir et l’aider à aller vers des pratiques viticoles durables et respectueuses de l’environnement,
  • aux consommateurs afin de rendre accessible le « bon » vin à tous, dans le meilleur rapport qualité/prix.

Mais dans le monde contemporain du vin, la quête du juste prix pour tous est souvent une illusion en raison d’un environnement d’une extrême complexité et mû par des forces et des principes contradictoires8. Au quotidien, pour un consommateur, un prix juste n’est pas forcément un prix bas car il relie souvent ce prix aussi à la notion de qualité. Le prix qu’un consommateur appréhende comme étant « effectif » est le plus souvent le prix auquel il s’est habitué car il l’a payé dans le passé, souvent régulièrement. Par conséquent, un prix juste est perçu majoritairement à partir de l’écart entre le prix effectif et le prix de référence. Le sentiment d’avoir payé un juste prix (« un bon prix ») est essentiel pour l’acte de ré-achat. Par ailleurs, pour un producteur, le juste prix est le plus souvent celui qui lui assure une rémunération suffisante pour assurer la survie de son entreprise : d’où les liens pour celui-ci entre ses coûts de production et de transaction.

En raison des nouvelles formes d’organisation des marchés (cotations électroniques, vente à distance, concentration du commerce de détail, allongement de la filière, etc.), les consommateurs se voient offrir des possibilités infinies de privilégier le pouvoir d’achat au détriment des exigences de juste rémunération à l’égard des producteurs. Ils trouvent ainsi réunis dans un même point de vente des biens à bon marché et dont l’origine importe finalement assez peu. Malheureusement, parfois les producteurs répondent à ce moins-disant en trichant sur la composition des produits proposés, comme le montrent certaines récentes tromperies sur la qualité de certains vins vendus.

Producteurs et consommateurs tendent ainsi à rompre le lien social qui les unissait, en raison d’un éloignement croissant engendré par ces métamorphoses des conditions de marché. L’équilibre de justice recherché par une gestion interprofessionnelle tout au long de la filière vin est donc désormais remis en cause dans de nombreuses régions. Les pressions à la hausse ou à la baisse des prix des vins proviennent de multiples facteurs qui s’avèrent difficiles à contrôler simultanément pour intégrer une norme de justice dans les rapports marchands9. Certaines initiatives récentes sur les marchés réels (vente directe, AMAP, commerce équitable, etc.) tentent toutefois de répondre ainsi à cette exigence sociale de justice dans la formation du prix à laquelle il serait souhaitable que les intervenants ne restent pas durablement insensibles. Mais la financiarisation du monde du vin ne va pas dans ce sens.

Le prix d’un vin remplacé parfois par la valeur d’un actif financier alternatif

La rareté d’un produit peut être appréhendée par la probabilité de disposer de ce bien. Cette rareté sur un marché peut être due à une limitation de l’offre réelle (production limitée, éventuellement par des conditions climatiques, coût de production très élevé, etc.) ou provoquée (le marketing de la rareté), ou bien à une demande accrue due à un effet de mode ou de collection, mais aussi à un niveau potentiel de stockage inhabituel lié ou non à la spéculation. La question de la rareté relative pose alors le problème d’évaluation de l’actif « vin » dans le cadre d’une vision financière sur certains segments de marché. Or le vin, en tant qu’actif financier alternatif, s’est considérablement développé durant les années 2000. Cette financiarisation de certains marchés du vin impacte fortement la dynamique des prix.

Les marchés étant non équilibrés en raison d’une offre restreinte et d’une demande croissante sur les segments de marché « Icône », l’augmentation des prix y a été rapide ces dernières années. Ces marchés sont donc devenus des marchés de niche sélectifs, élitistes et marqués par la présence de fonds d’investissement en quête de diversification des portefeuilles à la recherche de rendements après la crise financière de 2008-2009. Ainsi, les gestionnaires de ces fonds s’attachent plus à obtenir la plus forte performance financière. Un nombre sans cesse croissant de commentaires de presse favorables voire élogieux sur le profil rendement/risque, favorable de cette classe d’actifs, a contribué à convaincre des investisseurs des avantages de l’ajout de vin à leur portefeuille financier. Mais cela ne s’est pas toujours été sans désillusions…

La croissance de la demande de vins/actifs financiers contribue également à en accroître la rareté sur les marchés sachant que la mondialisation de la demande, avec l’augmentation rapide de nouveaux millionnaires souhaitant obtenir « un statut social », porte les prix de ces vins. Pour les acheteurs internationaux aux moyens financiers élevés sur un petit nombre de vins très rares, un effet ostentatoire est indéniable. Ainsi, certains vins sont de plus en plus recherchés par des investisseurs et des collectionneurs répartis à travers le monde et leurs prix ont fortement augmenté au cours des dernières années, à la sortie des domaines ou dans les ventes aux enchères.

Certaines bouteilles de vin sont considérées par les experts comme de véritables œuvres d’art et suscitent alors la convoitise des collectionneurs. Les vins issus du Domaine de la Romanée Conti en Bourgogne notamment, mais aussi des vins comme le Richebourg Grand Cru Côte de Nuits, figurent parmi les vins les plus chers au monde. Les vins les plus prestigieux relèvent alors du « marché des singularités » proposé par L. Karpik 10 en faisant partie des produits culturels pour lesquels le prix n’est pas nécessairement un critère de choix et n’est pas un signal de qualité. Pour de tels biens, la concurrence par la rareté l’emporte sur la concurrence par les prix, les critères d’originalité et de personnalité (du vigneron ou du vinificateur) devenant primordiaux.

Si leur place dans les volumes produits reste réduite, ils sont très largement évoqués dans l’ensemble des médias, ce qui donne une idée biaisée de l’ensemble des vins offerts aux acheteurs. La montée des prix de quelques vins « Icônes » se traduit par l’éviction des acheteurs aux moyens financiers plus limités ce qui reporte leurs achats sur d’autres produits repérés grâce aux notations ou dégustations.

À l’issue de ces quelques remarques, il apparaît que le monde du vin n’a pas été à l’écart de toute la complexification de la dynamique des prix avec un accroissement de la variabilité des prix pour une même catégorie de vins en fonction du moment, du lieu, des variétés et du profil des consommateurs. En conséquence, alors que les prix devraient coordonner les échanges dans le monde des vins, la transformation de la concurrence sur les marchés (de moins en moins parfaite) en une concurrence monopolistique (plus ou moins trompeuse) bouleverse les rapports marchands, et cela, le plus souvent, au détriment de nombreux producteurs comme de consommateurs souvent perdus dans la myriade des prix.

Notes

1 La loi du prix unique (LPU) implique qu’un actif a un prix identique quels que soient les marchés sur lesquels il est échangé, aux coûts de transaction près. Or le respect de la loi du prix unique au moins dans sa forme relative est une condition cruciale de l’efficience des marchés. Les économistes s’interrogent depuis longtemps sur la validité de cette loi du prix unique qui stipule que sur un marché en concurrence parfaite, des biens identiques devraient être vendus au même prix. Il est possible qu’en réalité, cette loi ne soit pas vérifiée parce qu’il existe des « imperfections » du fait, par exemple, de problèmes locaux de rationnement, d’une information limitée sur les biens disponibles à la vente ou de coûts de déplacements. Retour au texte

2 Dans la théorie néoclassique, la concurrence oblige à égaliser le coût marginal avec le prix (lui-même reflet de l’utilité marginale du consommateur), et à rechercher ainsi le minimum de coût pour le maximum de satisfaction. Retour au texte

3 J. M. Cardebat, Économie du vin, Paris, La Découverte, 2017, p. 94-116. Retour au texte

4 J.-Fr. Outreville, « Les déterminants du prix d’un vin : une revue de la littérature », Enometrica, 2010, vol. 3(1), 10 p. Retour au texte

5 Le seul conditionnement va représenter une part non négligeable des coûts des vins de base, et même des vins de qualité. En effet, il faut compter de 15 cents à 1 euro pour chaque bouteille, et à peu près la même chose pour le bouchon, puis l’étiquette. La qualité des matériaux va ici jouer un rôle primordial. Retour au texte

6 http://www.eccevino.com/courses/le-cout-de-production-dun-vin-12/. Retour au texte

7 N. Guibert & P.L. Dubois, « La segmentation, logique d’étude et logique d’action : une application au marché du vin », Décision Marketing, 2006, 42, p. 9-20. Retour au texte

8 P. Guillotreau, « Le juste prix des produits alimentaires : entre efficience des marchés et exigence de justice sociale », Économie rurale, 2015, n° 335, mai-juin, p. 87-94. Retour au texte

9 P. Guillotreau, op. cit., p. 91. Retour au texte

10 L. Karpik, L’économie des singularités, Gallimard, Paris, 2007, 373 p. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Catherine Pivot, « Quelques réflexions autour de la notion de prix dans le monde du vin », Territoires du vin [En ligne], 12 | 2021, publié le 15 février 2021 et consulté le 28 mars 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/index.php?id=1926

Auteur

Catherine Pivot

Université Jean Moulin (Lyon 3)

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