La viticulture durable vue à travers le prisme de 90 ans de résolutions de l’OIV

Résumé

Depuis sa création en 1924, l’OIV a adopté un large ensemble de résolutions relayant l’expression de positions politiques communes des États membres de l’Organisation ou portant des lignes directrices, des bonnes pratiques ou protocoles constituant des normes techniques de référence internationale pour la production, l’analyse, les échanges commerciaux, les plants de vigne ou des produits de la vigne. Parmi ces résolutions, 252 d’entre elles s’intéressent spécifiquement à la viticulture. Adoptées entre 1928 et 2017, elles couvrent un champ étendu de thématiques telles que les maladies et ravageurs de la vigne, les techniques viticoles, la production de raisins secs, les terroirs viticoles, l’environnement, la qualité des produits ou encore le matériel végétal.
La présente communication revient sur l’analyse synthétique du contenu de ces 252 résolutions qui permet une lecture rétrospective des préoccupations d’ordre nationales et internationales ainsi que des efforts menés par l’Organisation pour accompagner la viticulture. On remarque notamment que le matériel végétal (sélection, état sanitaire, échanges internationaux, génétique de la vigne) a été, durant 90 ans et avec une relative constance, l’objet de nombreuses résolutions.

Plan

Texte

Introduction

En 1987, Yann Juban1 réalise son mémoire de D.E.S.S. de droit de la vigne et du vin2 sous la direction de Robert Tinlot, alors Directeur Général de l'OIV. Ce travail porte un regard sur la doctrine de l'Office International du Vin (1928-1958) et de l’Office International de la Vigne et du Vin (1958-2001) par le prisme des résolutions qu'il a adoptées. L’inventaire de plus de 600 résolutions sur la période 1928-1987 est alors réalisé. Les résolutions sont classées par thème : viticulture, œnologie, économie vitivinicole ou structure de l'OIV. Un index est élaboré en fonction d'un grand nombre de mots-clés qui permettent de retrouver, au fil du temps et dans un détail assez fin, les différentes thématiques qui sont traitées par ces résolutions. Outre l’analyse de la doctrine de l’OIV qui en est faite par l’auteur, le travail d’indexation et de synthèse permet une lecture d’ensemble rapide et complète des thématiques portées par les différentes résolutions.

À la lecture de cet index, on identifie des mots-clés, apparus dès les années 70, en lien avec certaines questions adressées frontalement par la filière vitivinicole en ce début de XXIe siècle. Citons par exemple l'anhydride sulfureux (SO2), dont l’index des résolutions rattachées à l’œnologie rapporte la mention dans une résolution en 1973 qui adresse son impact sur santé. L’ajout et la présence3 des sulfites dans les vins font l’objet aujourd’hui de nombreux débats et défis, avec notamment l’émergence de vins sans intrants.

Les termes qui composent l’index relatif aux résolutions viticulture révèlent une grande diversité de thématiques abordées par l’Office, couvrant certes des aspects biologiques, agronomiques, mais également des considérations d’ordres économique, social et environnemental, non sans écho aux trois « piliers » du développement durable. Ce concept, au cœur des préoccupations et des politiques du début de XXIe siècle (dont celle de l’OIV4), a été formalisé à la fin du XXe siècle (notamment dans le document appelé couramment « rapport Bruntland »5) même si les idées qu’il porte sont bien plus anciennes6. Aussi, avons-nous souhaité explorer sa résonnance au travers de presque un siècle de résolutions portées par l’OIV.

À cette fin, nous avons entrepris de compléter jusqu’au début du XXe siècle l’indexation des résolutions de l’OIV entreprise par Yann Juban (en 1987) à l’initiative de Robert Tinlot, mais de façon plus modeste : les travaux sont limités aux seules résolutions liées à la viticulture. En réalité, nous avions initié ces travaux en 2016, avec l’aide du Secrétariat Général de l’OIV, dans l’objectif d’apporter un regard synthétique, thématique et chronologique sur le format et le contenu des résolutions viticulture. Pour sa réalisation, nous nous sommes appuyés sur le répertoire tenu par le Secrétariat Général de l’Organisation7 pour compléter l’indexation 1928-1987 réalisée par Yann Juban. Toutefois, rappelons que l’ensemble des résolutions de l’OIV adoptées jusqu’en 1988 est accessible en ligne suite à la numérisation et à l’indexation des Bulletins de l’OIV8 dans le cadre d’une collaboration entre l’Organisation et la Maison des Sciences de l'Homme de Dijon, en partenariat avec la Chaire Unesco « Culture et Traditions du Vin » de l'Université de Bourgogne.

L’identification des résolutions portant sur la viticulture a été facilitée par l’indexation réalisée préalablement9. Par ailleurs, le nom de la résolution fait mention de la commission à laquelle elle est rattachée dès 1983. Certains sujets transversaux mobilisent des experts de diverses Commissions. Ils élaborent des résolutions qui sont alors rattachées au Comité Scientifique et Technique (CST) de l’OIV à partir de 2004. Parmi ces dernières, nous avons isolé celles qui présentaient un enjeu en rapport avec la culture de la vigne et la production de raisin.

Ainsi, deux-cent-cinquante-sept résolutions viticulture ont été répertoriées. Dans le cadre de la présente communication, nous avons ajouté à l’inventaire de 2016 deux résolutions supplémentaires adoptées en 2017, portant le corpus étudié ici à 259 résolutions. Un travail numérique sommaire a été conduit, visant à mesurer la longueur de chaque résolution en comptabilisant le nombre de pages de chacune d’entre elles. Soulignons ici que le format du texte a évolué au cours des décennies, faisant du nombre de pages un estimateur imprécis du volume de texte de chaque résolution. Nous verrons toutefois que les écarts concernant la longueur des résolutions est si large, que l’évaluer en considérant le seul nombre de pages nous a paru un indicateur pertinent.

Nous avons rattaché le contenu de chaque résolution à dix-neuf thématiques : il s'agit par exemple du matériel végétal, de la phytopathologie, des techniques viticoles, de la formation en viticulture, de la viticulture tropicale, de la physiologie de la vigne, des sous-produits de la vigne etc.

Nous présentons ici dans un premier temps une analyse quantitative de ces résolutions en considérant à la fois le nombre de résolutions viticulture adoptées chaque année par l’OIV depuis sa création ainsi que le nombre de pages que ces résolutions contiennent. Dans un second temps, les différentes thématiques adressées au fil du temps sont décrites. Enfin, une étude des résolutions viticulture qui s’inscrivent dans les principes de la vitiviniculture durable formalisés par l’OIV en 2016 est présentée.

L’analyse quantitative révèle la transformation du sens des résolutions viticulture

On note que, jusqu'au début du XXIe siècle, les résolutions viticulture de l’Office sont pour l’essentiel des textes très courts faisant rarement plus de quelques lignes voire une demi-page (Figure 1). Jusqu'en 2004, seules cinq résolutions dépassent plus de deux pages, et cela sur un total de 230 résolutions adoptées. Il s’agit d’une résolution de 9 pages relatives aux normes sur le jus naturel de raisin prêt à la consommation (résolution 14/70), d’une méthodologie relative au prélèvement des échantillons (feuilles de vigne) en vue de réaliser un diagnostic basé sur l’analyse du limbe ou des pétioles à des fins d’assistance technique aux professionnels (VITI4/1995), ainsi que trois textes portant sur la sélection et la multiplication du matériel végétal : deux résolutions particulièrement longues (12 pages) et complémentaires définissant le programme sélection clonale de la vigne (VITI6/1990 et VITI1/1991) ainsi qu’un ensemble de recommandations pour la sélection de bois et plants de vignes en vue de leur multiplication (8/1970). Les textes restants (98 % des résolutions) sont courts. Ils présentent des positions politiques communes des États membres : « les États souhaitent », « recommandent », « encouragent », « le congrès émet le vœu », etc.

À partir de 2004, la plupart des résolutions dépassent la demi-page. De 2008 à 2017, une résolution compte en moyenne 9 pages (Figure 1), avec un minimum d’une page par résolution (comme lorsqu'il s'agit de définir le terroir vitivinicole, résolution OIV-VITI333/2010) et au maximum 27 pages (dans un document qui définit le protocole OIV du calcul du bilan des gaz à effet de serre pour le secteur vitivinicole ; résolution OIV-CST 431-2011). L'objet des résolutions a changé : la plupart des textes sont des lignes directrices, des protocoles… bref, des textes formalisant un cadre normatif international davantage que des positions politiques. Citons à titre d'exemple le guide de viticulture durable pour les raisins secs et les raisins de table (OIV-VITI 467-2021, 13 pages), les lignes directrices OIV pour établir des zonages viticoles au niveau du sol et du climat (OIV-VITI 423-2012, 19 pages) ou encore le protocole OIV pour la sélection clonale des vignes (OIV-VITI 564A-2017, 9 pages).

Figure . Évolution du nombre de résolutions viticulture adoptées chaque année et de leur longueur moyenne de 1928 à 2017.

Figure . Évolution du nombre de résolutions viticulture adoptées chaque année et de leur longueur moyenne de 1928 à 2017.

Les courbes épaisses correspondent aux moyennes glissantes sur l’année en cours et les neuf années qui la précèdent (moyenne mobile sur 10 ans).

Ainsi, s’agissant des sujets relatifs à la viticulture, on observe une mutation du rôle des résolutions de l'Office International de la Vigne et du Vin à l'Organisation Internationale de la Vigne et du Vin. Elles portent davantage au XXe siècle sur des positions politiques, alors qu’elles constituent des textes fonctionnels normatifs au XXIe siècle. Cette évolution semble faire écho à l'explosion normative de la fin du deuxième millénaire10, de manière concomitante avec la création de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), en 199411.

Cette dérive normative tardive dans le domaine de la viticulture n’est cependant pas représentative de la doctrine de l’OIV. L’organisme international a fait en effet preuve d’un avant-gardisme singulier dans la création une norme emblématique : la définition du vin12.

En outre, contrairement au domaine de la viticulture, la normalisation est omniprésente dans les résolutions de l’OIV relatives à l’œnologie. Au cœur de cette entreprise normative ayant trait au vin, débutant quant à elle dès le milieu de XXe siècle, on trouve l’unification des méthodes d’analyses (proposée pour la première fois par la résolution 4/1950/C). S’en suivront un grand nombre de textes proposant des méthodes de références pour harmoniser, sur le plan international, la description physico-chimique des vins. Ces résolutions feront l’objet en 1962 d’un recueil, mis à jour chaque année à partir de l’année 200013.

Le matériel végétal, principale thématique des résolutions viticulture de l’OIV

La classification des résolutions de l’OIV par catégories permet un regard synthétique sur les thématiques abordées dans le domaine de la viticulture au fil du temps. Par essence, cette synthèse entraîne une simplification car le contenu de certaines résolutions peut convenir à plusieurs des catégories retenues, que nous avons, du reste, établies arbitrairement. L’éventail de thématiques couvertes par les résolutions est assez large, mais on observe que plus de la moitié des résolutions concerne seules trois d’entre elles : le matériel végétal, les aspects phytopathologiques et les techniques viticoles (Figure 2). La prépondérance du matériel végétal (29 % des 259 résolutions répertoriées) est constante au cours de la période étudiée, allant d’une résolution invitant à poursuivre les études sur les porte-greffes et à améliorer leur dénomination, entre autres (C5/1932), à la production de lignes directrices en vue de reconnaître les collections de vigne (résolution OIV-VITI 539-2017).

Figure . Distribution en 19 catégories des 259 résolutions relatives à la viticulture adoptées par l’OIV de 1928 à 2017.

Figure . Distribution en 19 catégories des 259 résolutions relatives à la viticulture adoptées par l’OIV de 1928 à 2017.

Chaque secteur correspond à une catégorie, indiquée par une étiquette. Lecture des étiquettes : nom de la catégorie, nombre de résolutions qui y sont rattachées, proportion (exprimée en pourcent du corpus des 259 résolutions).

Ces résolutions relatives au matériel végétal de la vigne suivent des objectifs variés : adapter la variété (hybride, cépage) au lieu (résolutions C1/1935, AG4/1958), encourager la conservation du patrimoine génétique via des collections (C1/1938, VITI1/1990, OIV-VITI 539-2017), inciter à l’amélioration variétale (porte-greffes C5/1932, 2/1976, variétés résistantes aux maladies 4/1960, 1/1979, groupes d’experts dédiés 5/1963/C), normaliser des méthodes de sélection, de production et de commercialisation de plants de vigne (encouragements 1/1967, 3/1968, standardisation des méthodes 8/70, VITI6/1990, OIV-VITI 564A-2017) ou encore décrire des variétés de vigne (notamment avec la résolution majeure 1/82 qui aboutira deux ans plus tard à la première édition du « Code des caractères descriptifs des variétés et espèces de Vitis »).

La viticulture durable résonne dans les résolutions OIV au fil des décennies

Dans sa première définition, le développement durable est présenté comme « un développement répondant aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs »14. La Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement15 de 1992 met l’accent sur les trois piliers portant le développement durable : l’efficacité économique, le progrès social et le respect de l’environnement. L’OIV propose en 2004 une définition de la vitiviniculture durable, déclinaison du concept de développement durable pour la filière vitivinicole (résolution OIV-CST 1-2004) : la vitivinicutlure durable est une « approche globale à l’échelle des systèmes de production et de transformation des raisins, associant à la fois la pérennité économique des structures et des territoires, l’obtention de produits de qualité, la prise en compte des exigences d’une viticulture de précision, des risques liés à l’environnement, à la sécurité des produits et la santé des consommateurs et la valorisation des aspects patrimoniaux, historiques, culturels, écologiques et paysagers ».

Dès lors, l’OIV décline sa définition de vitiviniculture durable, en produisant dans un premier temps deux guides OIV sur son application (l’un ayant trait à la production, la transformation et au conditionnement des produits, et l’autre portant sur la production de raisins secs), puis l’Organisation énonce les principes généraux de la vitiviniculture durable dans une résolution de 12 pages, en 2016 (OIV-CST 518-2016). Cette résolution précise cinq principes, dont trois reprenant les piliers du développement durable : le respect de l’environnement, de sensibilité aux aspects sociaux et culturels et le maintien de la viabilité économique. Au sein de ces trois principes, quatorze items sont identifiés, tels que la gestion des sols, les conditions de travail du personnel ou encore la résilience et l’efficience économique. La lecture des thématiques adressées par les résolutions viticulture de l’OIV, par le prisme de ces items, révèle que presque soixante résolutions adressent partiellement, depuis 1946, les principes de la vitiviniculture durable. Le Tableau 1 présente une classification des différentes résolutions à la fois par une entrée temporelle (décennie durant laquelle la résolution a été adoptée) et par une entrée catégorielle (rattachement de la résolution à l’un des quatorze items énumérés dans la résolution OIV-CST 518-2016).

On dénombre précisément 58 résolutions16 en lien avec les principes de la vitiviniculture durable. Trois d’entre elles sont en opposition avec les actions encouragées par ces mêmes principes. Il s’agit de la résolution CC1/1928, qui encourage l’usage de l’arsénite de soude, produit efficace pour contrôler les maladies du bois17, mais dont l'impact sur la santé humaine et l'environnement est sensible (conduisant à l’interdiction de son utilisation en Europe à partir de 2003). Soulignons que quatre ans plus tard, la résolution C9/1932 a émis le vœu que l’emploi des produits arsénicaux soit discipliné. La seconde résolution (C3/1938), adoptée en 1938, encourage la monoculture et recommande l’abandon des cultures associées, car elles font « obstacle pour le progrès, en contribuant à la désorientation de la viticulture ». Ces injonctions tranchent avec la volonté contemporaine d’encourager la biodiversité fonctionnelle, elle-même bénéficiant de la présence de haies ou d’arbres dans une approche agroécologique18. Enfin, la résolution C2/1959 présente un aspect dual : d'un côté elle encourage la perte de biodiversité en favorisant le remembrement. Mais, d'un autre côté, cette volonté est motivée par un souhait d'accroissement de l'efficience des travaux viticoles par une mécanisation accrue, car le remembrement limite la consommation de carburant (extrant) en réduisant les déplacements entre parcelles. Cette résolution illustre bien la difficulté du développement durable : pouvoir concilier de concert le respect de l'environnement et la rentabilité économique.

Dès les années 1930, l’Office International du Vin adopte des résolutions que l'on pourrait juger particulièrement modernes aujourd'hui, au sens qu’elles encouragent des pratiques en accord avec le maintien du patrimoine génétique de la vigne via des collections ampélographiques (C1/1938) ou encore une gestion vertueuse des extrants par « l’utilisation intégrale des résidus de la vinification » (C3/1932). Cet encouragement, mû initialement par des considérations d’ordre économique, vise à promouvoir ce que l’on désignerait aujourd’hui comme une démarche « d’économie circulaire »19.

À la lecture du Tableau 1, on observe que le pilier économique n’est finalement adressé qu’à l’aune de l’efficience économique. Tout du moins, nous n’avons pas identifié de résolutions viticulture qui adressent la notion de résilience. L’efficience est adressée à travers la résolution 7/1956/C qui « recommande aux pays producteurs d’accorder la plus grande attention au problème de l’équipement rationnel de l’exploitation », considérant une « place toujours plus grande prise par le machinisme dans les exploitations viticoles ». On a donc ici un appel à éviter le gaspillage (suréquipement) dans une perspective de limiter les coûts superflus. On retrouve un souhait similaire dans la résolution C3/1962 : « réduire le nombre des types d’engins dans un but d’économie ». Par ailleurs, cette résolution encourage la normalisation des techniques d’établissement et d’entretien du vignoble, et de les documenter en vue de préserver la multitude de modes de gestion du vignoble, notamment inspirées du passé, qui tend à décroître avec la mécanisation. Cette résolution vise ainsi à adapter la culture de la vigne au milieu naturel, en tenant compte du savoir collectif passé. Elle évoque, à bien des égards, la vitiviniculture durable.

Tableau . Inventaire, par décennie, des résolutions « viticulture » adoptées par l’OIV, en lien avec les différents items des 3 piliers de la vitiviniculture durable (respect de l’environnement, sensibilité aux aspects sociaux et culturels et maintien de la viabilité économique) présentés dans la résolution CST-518-2016.

Tableau . Inventaire, par décennie, des résolutions « viticulture » adoptées par l’OIV, en lien avec les différents items des 3 piliers de la vitiviniculture durable (respect de l’environnement, sensibilité aux aspects sociaux et culturels et maintien de la viabilité économique) présentés dans la résolution CST-518-2016.

Une couleur est attribuée selon que la résolution est en accord avec ces items (fond vert pâle) ou qu’elle est en opposition avec ces items (fond orange foncé). NB : une même résolution peut apparaître dans plusieurs items.

Sur le plan social et sur le plan culturel, l’OIV adresse dans les années 1960 un grand nombre d’items mentionnés dans les principes de la vitiviniculture durable. La formation des personnels et des exploitants y est maintes fois évoquée (résolutions 8/1963, 2/1964, 3/1965, C5/1965). L’usage de la mécanisation, quand il est encouragé ou constaté, suppose entre autres qu’il doit permettre d’« épargner la main-d’œuvre » (résolution C5/65), ou d’améliorer la protection « des opérateurs du secteur vitivinicole » (résolution VITI 2/97). Le respect des spécificités culturelles ou du patrimoine que représente la viticulture est évoqué dans la résolution C4/1971. La santé des consommateurs est essentiellement abordée via la production de raisins secs, dont la valeur nutritionnelle est mise en avant (résolutions C9/1950 et 2/1983) et ou quand il s’agit de la dangerosité [pour le consommateur] des pesticides appliqués sur le raisin (résolutions 11/66 et VITI 3/94). La résolution C4/1965 met en avant la notion d’équité : « la satisfaction des goûts des consommateurs de vin justifie la rémunération de tous, du producteur au distributeur » ou encore « la juste rémunération du producteur ». La résolution C1/1950 réunit les piliers sociaux et économiques du développement durable en recommandant l’application de « toutes les mesures […] pour assurer […] l’équilibre économique de la production et la prospérité durable des producteurs ».

Mais c’est sur le plan environnemental que les résolutions OIV ont le plus résonné, depuis les années 1930, avec les principes de la vitiviniculture durable. Le choix du site le mieux adapté à la culture de la vigne est évoqué tout au long du XXe siècle (résolutions 2/1946, 3/1964, 1/1967, 4/1967, C1/1977, 1/1983). Au sujet de la gestion des sols, la résolution 5/1964 encourage les études portant sur les impacts agronomiques et environnementaux des herbicides (microflore, microfaune) « dans le but de préciser les conditions climatiques, agrologiques, topographiques et autres dans lesquelles l’emploi des herbicides se justifie économiquement ». La volonté de limiter l’usage des herbicides pour préserver les sols, entre autres, est invoquée par la résolution VITI 1/93. La préservation des sols viticoles face à l’urbanisation et aux installations industrielles est considérée dans la résolution C2/1971. Concernant la biodiversité, sa préservation concerne essentiellement le patrimoine génétique de la vigne, via notamment l’encouragement à créer ou à reconnaître des collections ampélographiques (résolutions C1/1938, 2/1982, VITI 1/1990, OIV-VITI 539-2017). Mais c’est surtout la limitation des intrants que les résolutions viticulture de l’OIV traitent en majorité, et plus particulièrement celle des fongicides20 (résolutions C9/1932, C3/1950, C4/1959, C3/1960, C2/1977, 1/1979, VITI 6/93, VITI 4/94, VITI 1/99), celle de l’utilisation de l’eau d’irrigation (1/1975, VITI 1/2000, VITI 2/2003), des désinfectants des sols (C3/1977), des fertilisants (C1/1976, VITI 2/92) ou encore ces carburants (bilan carbone, résolutions CST 431/2011 et CST 503AB-2015). Concernant la gestion des extrants, on a déjà mentionné plus haut la résolution C3/1932 encourageant l’utilisation des sous-produits de la vigne (pour des raisons alors essentiellement économiques). La séquestration du carbone est présentée dans les résolutions OIV-CST 431-2011 et OIV-CST 503AB-2015 relatives au calcul du bilan carbone.

D’une manière générale, la durabilité, au sens littéral du terme (long lasting en anglais), est invoquée dans deux résolutions : la résolution 2/1946 qui évoque après-guerre la durabilité de la viticulture (« un vignoble sain, durable et prospère ») ou encore, la résolution C1/1950 qui définit la notion de « prospérité durable des producteurs ».

Conclusion

Notre travail d’inventaire, grandement simplifié par l’indexation menée en 1987, offre un regard historique sur l’évolution de la nature et de la forme des résolutions de l’OIV ayant trait à la viticulture entre 1928 et 2017.

L’analyse thématique souligne que la question du matériel végétal a été depuis la création de l’OIV un enjeu scientifique, technique et politique central pour la viticulture. Le rôle des hybrides puis des porte-greffes comme solutions à la crise phylloxérique, l’importance du choix cépage pour gérer la qualité des produits de la vigne en lien avec conditions pédoclimatiques, la nécessité de normaliser l’identification des variétés ainsi que le rôle stratégique des échanges internationaux de plants de vigne sont autant de raisons qui ont motivé la production de résolutions OIV dans ce domaine. L’analyse montre aussi que, sous couvert de promouvoir une optimisation économique, la performance agronomique et la pérennité du vignoble, de nombreuses résolutions encouragent l’utilisation raisonnée d’intrants, notamment d’herbicides et des pesticides, et cela depuis les années 1930. Par ailleurs, les résolutions viticulture de l’OIV témoignent de la vigilance portée au milieu du XXe siècle par l’organisation intergouvernementale vis-à-vis d’une mécanisation à outrance et d’un suréquipement, en dépit du confort apporté et de l’amélioration de la rentabilité économique qu’elle apporte. Cette lucidité tranche avec l’élan productiviste d’après-guerre pour l’agriculture. Si de nombreux items que l’on retrouve dans les principes de la viticulture durable sont adressés depuis les années 1930, certains, ne font, semble-t-il, l’objet d’aucune résolution per se à date : la notion de résilience ou encore de la préservation des aspects culturels et des relations entre communautés viticoles.

En résumé, le présent travail révèle une évolution rapide à partir du début du XXIe siècle de l’orientation politique de la Commission « Viticulture » de l’OIV qui focalise alors ses travaux sur la production de documents cadre et des guides adressés à la filière vitivinicole, et dont une part substantielle est consacrée à encourager et favoriser la mise en œuvre d’une vitiviniculture durable.

Notes

1 Juriste spécialisé en droit de la vigne et du Vin, Yann Juban est, depuis 2004, Adjoint au Directeur Général de l’OIV, après avoir été en charge de la documentation (1988-1996) et chef de l’Unité économie et droit (1997-2004). Retour au texte

2 Yann Juban, L’Office International de la Vigne et du Vin et sa doctrine au travers ses résolutions - Tome 2, Mémoire de D.E.S.S. de Droit de la Vigne et du Vin, Université de Droit d’Economie et des Sciences d’Aix-Marseille, 1987, 134 p. Retour au texte

3 La présence de sulfite, considéré comme allergène, est obligatoirement mentionnée sur l’étiquette du vin dans de nombreux États suite, entre autres, à la directive européenne 2003/89/CE. Retour au texte

4 La promotion de la viticulture durable est le premier axe du plan stratégique 2015-2019. Le plan stratégique 2020-2024 l’inscrit dans ses trois premiers axes (http://www.oiv.int/public/medias/7158/fr-oiv-planstrategique.pdf). Retour au texte

5 Rapport Bruntland, « Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement », Our common future. Oxford University Press, 1987. Retour au texte

6 A. Jégou, « Les géographes français face au développement durable », L’Information géographique, vol. 71(3), 1987, p. 6-18. Retour au texte

7 À l’heure où ces mots sont écrits, les résolutions depuis 2006 sont accessibles en ligne : http://www.oiv.int/fr/normes-et-documents-techniques/resolutions-de-loiv. Retour au texte

8 https://pandor.u-bourgogne.fr/cdc.html. Voir également l’article de Serge Wolikow évoquant la numérisation des Bulletins de l’OIV. Serge Wolikow, « L’histoire du vin comme patrimoine et atout économique », Conférence donnée lors du 40th World Congress of Vine and Wine of OIV - Sofia – 30 mai 2017, Section “Vine & Wine: Science and Economy, Culture and Education”, Territoires du vin, n° 8, 2018. http://preo.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/index.php?id=1360. Retour au texte

9 Op. cit. Retour au texte

10 J.P. Galland, Normalisation, construction de l’Europe et mondialisation. Éléments de réflexion, Centre de prospective et de veille scientifique, 2001. Retour au texte

11 Yann Juban, « L'harmonisation et normalisation réalisées par l’OIV dans la perspective de l'Organisation Mondiale du Commerce », Bulletin de l'OIV, nov-déc 1994, n° 765-766, p. 964-978. Retour au texte

12 Résolution II du Congrès international du vin en 1928. Hervé Hannin, J.M. Cordon, & S. Thoyer, « L’office international de la vigne et du vin et l’organisation mondiale du commerce : Les enjeux de la normalisation dans le secteur viti-vinicole », Cahiers d’économie et sociologie rurales, 55-56, 2000, p. 112-138. https://pandor.u-bourgogne.fr/ead.html?id=FRMSH021_00019&c=FRMSH021_00019_BOIV_1994_11-12_n765-n766_art03. Retour au texte

13 http://www.oiv.int/fr/normes-et-documents-techniques/methodes-danalyse/recueil-des-methodes-internationales-danalyse-des-vins-et-des-mouts-2-vol. Retour au texte

14 Rapport Bruntland, op. cit. Retour au texte

15 Appelée communément « Sommet de Rio » qui débouche sur l’adoption d’une déclaration présentant 27 principes relatifs aux droits et responsabilités des pays dans le domaine de l’environnement. https://www.un.org/french/events/rio92/rio-fp.htm#three. Retour au texte

16 Le lecteur constatera ce chiffre est bien supérieur aux 7 résolutions associées à la catégorie « viticulture durable » indiquées dans la Figure 2. Ces sept résolutions adressent le concept de la vitiviniculture durable de manière générale. Toutefois, on a dénombré 58 résolutions en lien avec ces principes. Retour au texte

17 P. Larignon, G. Darné, E. Ménard, F. Desaché & B. Dubos, « Comment agissait l’arsénite de sodium sur l’esca de la vigne ? », Le Progrès agricole et viticole, 125(23), 2008, p. 642-651. Retour au texte

18 S. Stefanucci, A. Graça, I. Belda, C. Carlos & J. Gautier, Functional biodiversity of the vineyard, 1st edition, OIV publications, 2018. https://pandor.u-bourgogne.fr/functions/ead/detached/BOIV/BOIV_2000_01-02_n827-n828.pdf. Retour au texte

19 B. Renaud, « Les coproduits de l’industrie agroalimentaire au regard des politiques publiques : Bioéconomie, économie circulaire, gaspillage alimentaire », Le Déméter 2019, IRIS éditions 2019, p. 277-296. https://www.cairn.info/le-demeter--0011662115-page-277.htm. Retour au texte

20 Via notamment grâce aux variétés résistantes (C3/1960, 1/1979) ou par la pratique de la production intégrée ou raisonnée du vignoble (C2/1977, VITI 6/93, VITI 1/99). Retour au texte

Illustrations

  • Figure . Évolution du nombre de résolutions viticulture adoptées chaque année et de leur longueur moyenne de 1928 à 2017.

    Figure . Évolution du nombre de résolutions viticulture adoptées chaque année et de leur longueur moyenne de 1928 à 2017.

    Les courbes épaisses correspondent aux moyennes glissantes sur l’année en cours et les neuf années qui la précèdent (moyenne mobile sur 10 ans).

  • Figure . Distribution en 19 catégories des 259 résolutions relatives à la viticulture adoptées par l’OIV de 1928 à 2017.

    Figure . Distribution en 19 catégories des 259 résolutions relatives à la viticulture adoptées par l’OIV de 1928 à 2017.

    Chaque secteur correspond à une catégorie, indiquée par une étiquette. Lecture des étiquettes : nom de la catégorie, nombre de résolutions qui y sont rattachées, proportion (exprimée en pourcent du corpus des 259 résolutions).

  • Tableau . Inventaire, par décennie, des résolutions « viticulture » adoptées par l’OIV, en lien avec les différents items des 3 piliers de la vitiviniculture durable (respect de l’environnement, sensibilité aux aspects sociaux et culturels et maintien de la viabilité économique) présentés dans la résolution CST-518-2016.

    Tableau . Inventaire, par décennie, des résolutions « viticulture » adoptées par l’OIV, en lien avec les différents items des 3 piliers de la vitiviniculture durable (respect de l’environnement, sensibilité aux aspects sociaux et culturels et maintien de la viabilité économique) présentés dans la résolution CST-518-2016.

    Une couleur est attribuée selon que la résolution est en accord avec ces items (fond vert pâle) ou qu’elle est en opposition avec ces items (fond orange foncé). NB : une même résolution peut apparaître dans plusieurs items.

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Référence électronique

Benjamin Bois, Mario Rega et Yann Juban, « La viticulture durable vue à travers le prisme de 90 ans de résolutions de l’OIV », Territoires du vin [En ligne], 12 | 2021, publié le 15 février 2021 et consulté le 21 novembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/index.php?id=1918

Auteurs

Benjamin Bois

Institut Universitaire de la Vigne et du Vin, Université de Bourgogne

Mario Rega

UMR Biogéosciences, Université de Bourgogne

Yann Juban

Organisation Internationale de la Vigne et du Vin

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