Introduction
En 25 années consacrées à l’étude des vignobles et des vins de Rioja, nous avons assisté au développement exponentiel de l’œnotourisme dans cette région. Au cours des premières années de la décennie 1990, il s’agissait encore d’un phénomène marginal, dans la mesure où l’offre se limitait alors à quelques grandes bodegas1 historiques. Le tournant se situe à l’orée du nouveau millénaire, ce qui donne d’ailleurs lieu à une curieuse initiative : le dépôt, en 2002, au Registro General de Patentes y Marcas, du terme « enoturismo » par la municipalité d’Aldeanueva de Ebro, commune viticole de Rioja Baja.
Dans la logique du titre de cet article, nous présenterons d’abord le cadre, géographique et historique, puis les acteurs locaux du tourisme du vin, ainsi que ceux du tourisme gastronomique, les deux domaines étant étroitement liés. Avant de terminer sur les limites et les risques de l’évolution actuelle de ces phénomènes.
Cadre géographique et historique
Composée d’une seule province, celle de Logroño, La Rioja est l’une des plus petites Communautés Autonomes (CA) espagnoles : sa superficie se limite en effet à quelque 5 000 km2. Discrète, apparemment peu favorisée, elle pouvait passer relativement inaperçue jusque dans les années 1990 ; sauf en ce qui concerne son vin, car il s’agit, depuis des décennies, de la première Denominación de Origen2 espagnole pour la production et la vente de vins fins rouges.
La zone du vignoble est relativement homogène3, composée majoritairement de petites parcelles, ce qui ajoute à l’harmonie des lieux. La vallée de l’Ebre présente un relief ondulé, encadré par des chaines de montagnes dont les plus hautes dépassent 2 000 mètres. Il s’agit d’un paysage très humanisé, comme dans tous les grands vignobles, mais l’habitat y est groupé ; il s’en dégage un charme certain, indéniable.
Historiquement, les bodegas sont situées dans les villes ou les villages, avec un regroupement spectaculaire dans le Barrio de la Estación4 de Haro, dont les caves historiques datent de la deuxième moitié du XIXe siècle, à la suite de la création de la ligne de chemin de fer reliant Logroño à Bilbao et à la frontière française.
L’émergence du vignoble de Rioja comme région de production de vins fins se produit, précisément, au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle5. Déjà on y construit des caves modernes et spectaculaires, qui logiquement attirent les visiteurs, mais de façon marginale, et que nous pourrions qualifier de « mondaine » ; il s’agit en effet essentiellement de têtes couronnées, ou d’élites de tous ordres…
Depuis la montée en puissance de la DO (dans les années 1980) et surtout sa montée en gamme (dans les années 1990), on a assisté à la floraison de caves spectaculaires, avec des gestes architecturaux forts, et parfois érigées en plein vignoble, hors des villages, et par conséquent en rupture avec les usages traditionnels.
À partir de ces années 1990, avec la multiplication des constructions et des initiatives, l’œnotourisme s’est considérablement développé, marquant de façon déterminante à la fois le paysage et les pratiques touristiques locales.
Quels en sont les acteurs ?
Les acteurs du tourisme du vin
« La Rioja : La tierra con nombre de vino6 ». Très présent localement, ce slogan, fort efficace, marque une sorte de consensus entre les divers acteurs du secteur, en liant étroitement le territoire et sa production emblématique dominante, le vin de Rioja.
Pour aller du général au particulier, citons d’abord les instances politiques
La CA La Rioja est souvent décrite comme un véritable cluster du vin, avec certes le secteur vitivinicole, mais aussi les activités associées qui s’y sont développées (production de matériel agricole et technique, conception et production d’étiquettes, de bouchons, de cartonnages, d’emballages, de barriques, de cuves, mais aussi le tertiaire avec des agences de design, de marketing…). On évalue en général à 20 % l’apport du secteur à l’économie locale, et c’est clairement l’élément moteur de la prospérité de la région.
Les pouvoirs politiques investissent explicitement sur ce levier de l’économie locale. Il est d’ailleurs symptomatique que l’actuelle présidente de la CA de La Rioja, Concha Andreu, soit œnologue de métier. Autre signe, Amaia López de Heredia, une figure connue du monde de l’œnotourisme en Espagne et dans la région, a été recrutée en 2019 comme directrice générale du tourisme (et donc comme responsable de l’œnotourisme) par la Communauté Autonome de La Rioja7.
Parmi d’autres événements et actions, le festival « El Rioja y los cinco sentidos » est une émanation du Gobierno de La Rioja, dans le cadre de La Rioja Capital8. Les municipalités et les collectivités locales sont également très présentes dans l’organisation et le déroulement de fêtes viniques, comme la San Mateo à Logroño, ou la Batalla del Vino à Haro… Elles collaborent également, au côté des organisations professionnelles, aux diverses Routes du Vin.
Venons-en aux organismes, aux organisations professionnelles et autres (universitaires)…
L’OIPVR9 et le Consejo Regulador10 qui en émane, sont très actifs. Ils ont élaboré des plans stratégiques successifs, mettant en avant l’œnotourisme comme une composante majeure de la stratégie de développement et de marketing de la DOCa11.
Ils sont à l’origine de nombreuses opérations de promotion à l’international sur les marchés jugés prioritaires, avec des retombées en consommation, mais aussi en visites et en séjours dans la région ; de la réception d’une centaine de prescripteurs internationaux des pays visés, avec le même objectif ; d’initiatives du même type en Rioja même, et dans les grandes capitales régionales espagnoles ; ainsi que de sessions de formation au tourisme du vin.
On peut lire, dans la revue institutionnelle, La Prensa del Rioja, de nombreux articles sur l’œnotourisme, ou sur les lieux et les caves à valoriser et à faire visiter. Précisons que cette revue a été classée « Meilleure revue du vin au Monde » en 2017 par Gourmand Awards.
Citons encore l’organisation de la manifestation “Tempranillos del mundo”, pour la valorisation du cépage local dominant et emblématique, le tempranillo ; la mise en place de politiques marketing explicites, comme le ciblage d’une clientele jeune et premium ; le recrutement de parrains VIP, pour des manifestations de prestige, comme l’actrice Eva Longoria ou le basketteur Pau Gasol ; l’adhésion au groupe des « Grandes capitales mondiales du vin »12. Notons enfin de nombreuses collaborations avec l’Université de La Rioja, sur des aspects techniques, relevant de l’œnologie, avec un master destiné à la formation d’œnologues, mais aussi la création d’un diplôme de master en œnotourisme.
Actions développées au niveau des producteurs, des bodegas
Les acteurs sont extrêmement divers, depuis des bodegas énormes (dont certaines commercialisent des millions de bouteilles par an), jusqu’à ce que l’on nomme localement des cosecheros, c’est-à-dire de petits vignerons intégrés, ceci en marge du système dominant où les viticulteurs se limitent à la production de raisin, alors que les bodegas assument toutes les autres tâches de la filière du vin.
L’aspect le plus visible, et le plus emblématique, c’est le recours à une architecture spectaculaire et à des signatures de réputation internationale. On pense immédiatement à Marqués de Riscal : à sa bodega traditionnelle datant du milieu du XIXe siècle a été adjointe en 2006 une retentissante réalisation de Franck O. Gehry, dans la lignée du Musée Guggenheim de Bilbao, en faisant une des destinations privilégiées des visiteurs.
Pour le groupe Domecq-Pernod Ricard, Santiago Calatrava signe la (petite par ses dimensions) bodega Ysios, vouée à se fondre dans le paysage, près de Laguardia, alors que la réalisation de la gigantesque bodega Campo Viejo13, près de Logroño (70 000 barriques, 25 millions de bouteilles produites par an…) est confiée à Ignacio Quemada Saénz-Badillo, qui décide d’enterrer la quasi-totalité des installations, pour ne laisser émerger qu’une assez modeste -mais élégante- construction alliant bois, pierre et verre.
C’est la même logique qu’exploite Philippe Mazières pour la bodega Viña Real (Groupe CVNE), en creusant, près de Laguardia, une colline en profondeur, au point de faire appel, pour ce faire, à un tunnelier d’ordinaire destiné au creusement de lignes de métro. La partie émergée figure le sommet d’une énorme barrique comme fichée dans le sol.
Pour Baigorri, à Samaniego, Iñaki Aspiazu conçoit une bodega alliant habilement aspects technologiques, esthétique et développement durable. La cave est adossée à une colline, construite en escalier, permettant ainsi le transvasement du vin par gravité, d’un palier à un autre, lors des différentes phases de son élaboration puis de son stockage, limitant ainsi considérablement la consommation d’énergie. À l’étage le plus haut, les remorques déversent le raisin, et, au plus bas de l’installation, les camions prennent livraison des caisses de vin. Baigorri a acquis une réputation mondiale dans le monde des architectes, au point que, chaque année, elle accueille en voyages d’études de nombreux élèves d’écoles d’architecture, à l’échelle de la planète.
Même la très traditionnelle Bodega R. López de Heredia-Viña Tondonia, de Haro, s’est intégrée à ce mouvement. L’entrée des visiteurs à la cave se fait dorénavant par le « Frasco ». Cette carafe à décanter géante et stylisée, due à Zaha Hadid, est immédiatement devenue un des emblèmes du Barrio de la Estación de Haro.
Ce sont là quelques réalisations, parmi d’autres, parfois tout aussi spectaculaires, mais dont on ne met pas spécialement en avant les architectes, comme Dinastía Vivanco, avec son désormais célèbre Museo de la Cultura del Vino, à Briones ; mais aussi Marqués de Murrieta, dont la bodega construite dans les années 1870 aux abords de Logroño sur la Finca Igay, a été fastueusement restaurée et agrandie au cours des dernières décennies ; ou encore Bodegas Beronia14, à Ollauri, dont les toutes nouvelles installations, étroitement intégrées dans le paysage, revendiquent fièrement la certification environnementale WfCP, Wineries for Climate Protection.
Les retombées médiatiques sont nombreuses, et clairement ciblées. Par exemple, Lopez de Heredia Viña Tondonia et Marqués de Riscal ont été classés dans le top Ten de la « World’s Best Vineyards Academy » en 2019, et Marqués de Riscal accède même à la première place en Europe et la deuxième au monde en 202115.
Ces caves rivalisent de standing, de réalisations ou de projets parfois pharaoniques, vidéos, photos de prestige et reportages dans les revues à l’appui16.
Elles recourent également à une communication premium pour la promotion de leurs vins. On y organise des « événements » divers : concerts, défilés de mode ; les Bodegas Riojanas à Cenicero, ont inauguré en 2017 une « Sala de sensaciones del vino », dans l’esprit de ce qui existe à la Cité du Vin de Bordeaux.
Dans de nombreux cas, il s’agit de constructions impressionnantes, et visant, d’ailleurs, clairement à impressionner le visiteur, ainsi que le client potentiel. Ces bodegas ont recours à la construction de bâtiments neufs, mais également à l’achat et à la restauration de châteaux historiques, comme, par exemple, l’acquisition récente par CVNE du Castillo de Davalillo, quasiment à l’état de ruine, à San Asensio.
Certaines grandes bodegas ont imaginé des actions groupées. Par exemple, les bodegas históricas du barrio de la Estación de Haro, organisent chaque année « La cata17 del Barrio de la Estación », qui obtient un énorme succès populaire, avec même des trains spéciaux affrétés depuis Logroño.
Les petits bodegueros, dont les cosecheros d’Alava, ne sont pas en reste. Ces caves se situent historiquement dans ce que l’on appelle localement les « barrios de bodegas », avec leurs collines truffées de calados18, à l’orée des villages, en dehors des zones d’habitation. Citons, par exemple, les Bodegas Lecea, à San Asensio, qui organisent pour les (œno)touristes visites, dégustations, repas, et y compris des promenades en carrioles dans les vignes.
De son côté, Valdemar (Oyón) propose ses « Terrazas entre viñedos », où l’on déguste le vin de la cave sur une terrasse posée au bord même des vignes. D’autres prônent le retour à des usages anciens et mettent en scène des attelages de chevaux ou de bovins dans les vignes.
Au total, l’offre oenotouristique est extrêmement riche et diverse, avec énormément de buts de visites : les (nombreuses) bodegas, bien sûr, mais aussi les paysages (avec des « miradores » depuis les montagnes voisines), des villages pittoresques, de petites routes serpentant dans les vignobles.
En conséquence, les séjours des visiteurs sont en train de s’allonger ; ce qui induit des capacités hôtelières qui progressent et montent en gamme, ainsi qu’une offre variée en matière de restauration et de gastronomie.
La gastronomie et le gastrotourisme
« La Rioja gastronómica. La Rioja, la tierra que te invita a la mesa19 ». Ce slogan, émanant du Gouvernement de La Rioja et de La Rioja Capital, semble assez efficace. Il résume bien la proposition qui est faite à ses lecteurs et destinataires, les (futurs) visiteurs de la région.
Des produits locaux de qualité
La gastronomie locale s’appuie en premier lieu sur la notoriété et le prestige des vins locaux, mais aussi sur des productions agricoles variées et de grande qualité. Il s’agit de productions agricoles locales anciennes, de plus en plus valorisées : fruits, huile d’olive locale, produits maraichers ; les fameuses pochas, une variété locale de haricots blancs, par exemple, sont servies dans les restaurants étoilés, et par conséquent traitées comme un produit gastronomique.
Dans les zones de montagnes proches, on a maintenu ou reconstitué des élevages de moutons qui permettent de cuisiner le fameux cordero lechal20, et de chèvres : le cabrito21 est une des spécialités de la cuisine locale. L’offre de viande de bœuf est maintenant de grande qualité, ce qui est un phénomène relativement récent en Espagne. Elle est soit produite localement, soit en provenance de ce que les Espagnols nomment « el Norte », c’est-à-dire la zone cantabrique.
La proximité relative des ports basques et cantabriques, et la grande efficacité de la chaîne logistique du froid en Espagne, facilitent une offre très large, et d’excellent niveau, en poissons et mariscos22.
Comme souvent en Espagne, les cuisiniers bénéficient également de la production de conserves premium, très présentes dans la cuisine locale : asperges, extraordinaires poivrons cuits au feu de bois, pochas…, sans oublier des charcuteries locales, très appréciées.
Il convient de rappeler ici que les Espagnols prennent beaucoup leurs repas hors de chez eux, et qu’ils ne s’invitent guère mutuellement à leurs domiciles respectifs. En revanche, ils se retrouvent très souvent, surtout en fin de semaine, pour déjeuner ou dîner ensemble, au restaurant. Il s’agit là du mode de convivialité dominant. Ceci précisé, où ces produits (et d’autres…) sont-ils servis ?
Des structures de consommations diversifiées
Évoquons d’abord ce qu’on a coutume d’appeler les « Tables étoilées » locales, qui sont très diverses. Il en est de classiques, comme El Portal, à Ezcaray, où Francis Paniego réussit à proposer une haute gastronomie en valorisant les abats. D’autres sont des restaurants de village, « de pueblo », comme la Venta Moncalvillo, à Daroca de Rioja, avec jardin potager intégré, et proclamé comme une des bases de sa gastronomie. Certaines enfin, comme Íkaro, sont au confluent des influences terriennes, cantabriques et sud-américaines, avec un recours original aux produits de la mer.
Parmi les restaurants de qualité, il convient de ne pas oublier, par exemple, Lorenzo Cañas ou Delicatto, structures de restauration très majoritairement destinées à des fêtes de famille, baptêmes, communions, mariages, anniversaires, ou à d’autres repas de groupes. Ces adresses sont très reconnues et valorisées localement pour la qualité de leur cuisine et de leurs installations.
La gastronomie est également très présente dans les restaurants de village ou de bord de route, dont certains savent tirer un excellent profit des produits locaux.
On ne peut faire abstraction des bars à tapas, localement nommés « bares de pinchos23 ». Présents dans tous les villages, ils se regroupent souvent dans les quartiers anciens des villes. L’exemple emblématique est la Calle del Laurel de Logroño, devenue incontournable, au point que logeurs d’Airbnb et descriptifs ou publicités d’hôtels se situent souvent géographiquement par rapport à « Laurel ». Ces pinchos sont une institution et des concours, très médiatisés, sont régulièrement organisés, qui en récompensent les meilleurs auteurs.
Une pratique, ancienne, s’est amplifiée, consistant à recevoir des groupes dans des bodegas, pour leur servir des repas gastronomiques, qu’il s’agisse de réunions de famille ou de repas d’affaires. Certaines caves ont même organisé des clubs privés, destinés à leurs meilleurs clients, et ont créé des structures d’accueil pour les loger et leur servir des repas de ce type.
Chaîne hôtelière emblématique espagnole, Paradores est présente en Rioja, en particulier à Santo Domingo de la Calzada, sur le Chemin de Compostelle, comme le nom de la ville l’indique. La particularité est que Santo Domingo abrite deux établissements ; l’un est situé Plaza del Santo, dans un ancien hospice construit pour accueillir les pèlerins ; l’autre, Bernardo de La Fresneda, est un ancien couvent aménagé, et a longtemps formé des étudiants en hôtellerie et restauration, qui se plaçaient ensuite dans les établissements de la région.
Enfin, la situation géographique même de La Rioja, limitrophe du Pays Basque, et dont une partie du vignoble est située dans la province basque d’Alava, on l’a dit, favorise une porosité, un cousinage avec la gastronomie basque espagnole, considérée comme l’une des meilleures et les plus inventives au monde. Rappelons que Logroño est à moins de trois kilomètres de la « frontière » avec le Pays Basque, de sorte que la présence basque est importante en Rioja, ce qui se constate notamment par la densité de patronymes à consonnance basque, y compris parmi les chefs, étoilés ou non.
Logiquement, des relations suivies ont été établies, avec le Basque Culinary Center de San Sebastián, qui, à la fois, accueille les grands chefs basques comme formateurs, et attire des étudiants et futurs cuisiniers du monde entier.
Enfin, un environnement aussi favorable au monde du vin et à celui de la gastronomie a favorisé l’éclosion de sociétés, viniques (La Cofradía del Vino de Rioja) ou gastronomiques (La Academia Riojana de Gastronomía ou Los Amigos de La Rioja Gastronómica).
Conclusion, limites et risques
En 2019, on a recensé 860 000 visiteurs dans les bodegas de Rioja, et 168 millions d’euros de chiffre d’affaires direct, avec de nombreuses retombées en matière d’hôtellerie, restauration et autres. En 2020, à cause du Covid, ces chiffres ont chuté de 70 %.
En 2021, on a constaté une nette remontée des chiffres. Nous postulons que l’on va retrouver et dépasser rapidement les niveaux antérieurs. En effet, au cours des dernières décennies, une des caractéristiques de l’Espagne, c’est que les crises y ont été plus violentes que dans les pays voisins, mais qu’ensuite les reprises y ont été plus marquées et plus rapides.
Pour l’ensemble du secteur vitivinicole de Rioja, l’élément moteur, ce sont les grandes bodegas. Il en va de même pour le tourisme du vin et pour le tourisme de la gastronomie. Ces grandes bodegas, très puissantes financièrement, sont gérées comme des marques commerciales et servent de porte-étendard pour l’ensemble de la collectivité territoriale.
Les chefs étoilés jouent également un rôle important, mais les deux secteurs sont proches, et en quelque sorte interconnectés. Par exemple, c’est Francis Paniego, dont le restaurant El Portal à Ezcaray a deux étoiles au Guide Michelin, qui a été appelé pour diriger la cuisine du fastueux restaurant de la bodega Marqués de Riscal, à Elciego. On peut donc bien parler d’interaction entre les grandes bodegas, la gastronomie et l’hôtellerie premium. Y compris à propos du projet pharaonique de la Bodega Manzanos dans le centre-ville de Haro, projet qui, finalement, n’a pas résisté à la crise du Covid.
Il est patent, en tout cas, que la qualité des repas servis dans les restaurants de La Rioja a beaucoup progressé depuis deux décennies, avec la montée en gamme des vins locaux et avec le développement exponentiel de l’œnotourisme et du tourisme gastronomique qui l’accompagne.
Risques et limites :
Rançon du succès des vins de Rioja, on a assisté, ces dernières années, à une augmentation des surfaces plantées et intégrées à la Denominación de Origen, avec un risque de dilution de la qualité, surtout pour les vins d’entrée de gamme.
On peut craindre également ce que nous appellerons une « Disneylandisation » de la région, avec l’envahissement des lieux de visites et de dégustation par une clientèle peu éduquée.
Mais il s’agit là d’un phénomène très répandu, malheureusement. Lors du colloque qui s’est tenu à Paris au Collège des Bernardins (02/2015) dans le cadre de la candidature des Climats de Bourgogne au patrimoine mondial de l’UNESCO, une collègue états-unienne, se faisant l’écho de fonctionnements maintenant bien connus, s’était dite horrifiée par ce à quoi elle avait assisté la veille au Louvre, où de nombreux visiteurs avaient comme priorité absolue de se prendre en selfie devant la Joconde (sans même jeter un regard au tableau lui-même, du reste…). Elle disait craindre une dégradation du même type pour la Bourgogne viticole après son classement par l’UNESCO. Nous avons entendu et lu des réserves du même type pour la Cité du Vin de Bordeaux. L’avenir dira ce qu’il adviendra de tout cela, en Rioja et ailleurs, et si l’on parviendra à éviter que les grands vignobles ne se transforment en immenses parcs à thème.
Enfin, nous avons intégré à cet article différentes réalisations architecturales spectaculaires, souvent réussies, parfois remarquables ; mais il existe aussi quelques véritables verrues dans le paysage (que nous ne citerons pas, par charité, mais également par prudence, afin de ne pas provoquer de réactions épidermiques chez leurs auteurs…).
Pour terminer malgré tout sur une note positive, citons l’anthropologue local Luis Vicente Elías Pastor, qui, lors d’un séminaire de l’ICVV (Instituto de Ciencias de la Vid y del Vino24) à La Finca La Grajera25, Logroño, en 2019, défendant ce qu’il appelle « le patrimoine culturel du vin », présentait « le vin comme une ressource », en insistant sur le fait que le paysage du vignoble constitue une autre ressource26, tout aussi primordiale.