Introduction
La Denominación de Origen Calificada Rioja1 est répartie entre trois Communautés Autonomes du centre-nord de l’Espagne, La Rioja, le Pays Basque (avec la province d’Álava2) et la Navarre. C’est la première appellation d’origine espagnole pour la production de vins de qualité : plus de 63 000 hectares de superficie et une production annuelle moyenne de 2,5 millions d’hectolitres. Environ 40 % des vins espagnols d’AOC vendus en Espagne ou à l’export proviennent de ce vignoble, qui est clairement devenu le plus réputé du pays.
Culture de la vigne et production du vin sont des activités éminemment sociales, en ce sens qu’elles se réalisent rarement de façon isolée et qu’elles s’inscrivent généralement dans un cadre culturel et/ou organisationnel collectif. La manifestation la plus voyante en a été l’organisation, au cours du XXe siècle, des interprofessions et des Appellations d’Origine Contrôlées.
Dans le même temps, c’est, en Rioja, une activité où coexistent des acteurs qui sont certes complémentaires et qui ont besoin les uns des autres, mais dont les intérêts individuels peuvent diverger fortement et même s’opposer.
De tout temps, on a tenté de réguler ce secteur. D’abord avec des règlements de type régalien, mais qui veillaient cependant à ne pas s’opposer totalement aux intérêts des groupes locaux dominants. Plus tard, en organisant l’interprofession, en l’occurrence par la création, dans les années 1930, d’un Consejo Regulador qui ne trouva cependant son plein rendement que plusieurs décennies plus tard.
La présence en Rioja de nombreuses (très) grandes bodegas3 est notoire, ne serait-ce que par l’impact médiatique de certaines réalisations architecturales comme celles de Riscal, Ysios, Viña Real, ou Vivanco. Peut-être sait-on moins qu’une grande partie du raisin est produite par des viticulteurs qui n’élaborent pas eux-mêmes de vin. Comment s’organise cette filière ? Comment s’y distribuent les rôles ? Ce partage est-il équitable, ou bien se fait-il au bénéfice des plus puissants ? Le Conseil « régulateur » y joue-t-il réellement un rôle de « régulation » ?
C’est à ces questions complexes que nous allons tenter de répondre dans cette contribution, en faisant d’abord le constat d’une forte présence réglementaire, et ce, depuis des siècles ; puis en décrivant les différents acteurs présents dans le secteur ; en posant enfin la question de la réalité du modèle de « pacte entre inégaux », présenté officiellement comme en vigueur en Rioja.
De longue date, des réglementations foisonnantes
Présente en Rioja comme dans une grande partie de l’Espagne depuis l’antiquité romaine, la vigne y a subi une longue éclipse pendant la période de domination arabe. Cette dernière s’est maintenue sur une bonne partie de l’Aragon voisin jusqu’au XIe siècle4, transformant durablement la région qui porte le vignoble actuel de Rioja en zone frontière, potentiellement en zone de combats, et par conséquent d’insécurité, peu propice par conséquent à une culture comme la vigne, qui nécessite de s’inscrire dans la durée.
La « Reconquête » est certes une conquête territoriale, mais l’aspect religieux est tout aussi fondamental. Les terres reprises aux Arabes passent sous domination chrétienne, et les ecclésiastiques, qui sont souvent des moines-soldats, contribuent largement à la réintroduction ou à la diffusion de cette plante chrétienne par excellence qu’est la vigne. Le vin est en effet indispensable à la célébration de la messe, surtout à une époque où les fidèles communient sous les deux espèces, mais il est également la manifestation au quotidien de la domination des vainqueurs sur des musulmans à qui leur religion interdit toute consommation d’alcool.
La plantation de vigne se concrétise de diverses manières. A titre individuel, ou par petits groupes, des hommes libres défrichent des terres nouvellement libérées pour les mettre en culture. C’est ce que l’on nomme en espagnol la « presura5 ». Certains de ces paysans demandent ensuite la reconnaissance de leurs droits de propriété, que la Couronne accorde volontiers, pour favoriser la colonisation de ces terres. Mais, le plus souvent, ce sont les ecclésiastiques qui prennent l’initiative de ces colonisations et de ces défrichements : ils y contribuent personnellement, mais ne manquent pas de mettre à contribution les paysans qui ont combattu sous leurs ordres. A côté d’eux, se créent également de grands domaines, octroyés par les divers pouvoirs royaux espagnols aux Ordres militaires ou religieux, ainsi qu’à des nobles et aux chefs de leurs armées. Dans ce contexte, la main d’œuvre paysanne est placée sous la protection, mais aussi sous la domination, des détenteurs locaux du pouvoir.
La séparation de l’Espagne en divers royaumes laissera des traces durables dans les législations locales. Le vignoble de Rioja est situé dans une zone frontière entre l’ancien Royaume de Navarre et celui de Castille. De plus, ces frontières bougent selon les époques, et les vignerons de Logroño (qui appartient à la Couronne de Castille), par exemple, doivent, au XVIe, faire face à la concurrence des vins de Laguardia (alors sous domination navarraise), alors même que les taxes en vigueur ne sont pas les mêmes en Castille et en Navarre.
Cette complexité administrative est probablement en partie responsable du foisonnement de règles que les études historiques mettent en lumière6. Les viticulteurs de Logroño maintiennent, par exemple, jusqu’au XIXe siècle l’interdiction de faire entrer dans la ville des vins d’autres provenances. Comme la frontière avec l’Álava est aux portes de la cité, le trafic et les fraudes se développent, au point que l’on impose aux muletiers de stocker le vin dans une halle (alhóndiga) construite à cet effet. Suivant que la récolte est maigre ou prolifique, des textes interdisent l’exportation ou l’encadrent, afin dans le premier cas d’éviter les pénuries, et dans le second, de lutter contre l’effondrement des prix7.
Dans les situations d’excès de l’offre, et dans un contexte général de fixation des prix par les autorités municipales, des tirages au sort sont même organisés pour déterminer qui sera autorisé à proposer son vin aux acheteurs, les autres attendant leur tour ou devant même parfois renoncer à le vendre. Par contre, en cas de pénurie, le blocage des prix vise à empêcher une spéculation à la hausse, qui découragerait les acheteurs. Les autorités de Logroño, en particulier, sont particulièrement vigilantes à ce sujet, dans la mesure où leur ville est désavantagée vis-à-vis de ce que l’on nomme maintenant la Rioja Alavesa, plus proche du reste du Pays Basque, où se concentre l’essentiel des consommateurs.
A la fin du XVIIIe siècle, la Rioja découvre les méfaits d’une monoculture de la vigne qui débouche sur la surproduction. Comme le résume bien Alain Huetz de Lemps : « Les bonnes récoltes sont aussi dangereuses pour les viticulteurs que les mauvaises, et dans de nombreux centres de la Rioja apparaissent de temps à autre des mentions de vins invendus qu’il faut jeter pour faire de la place pour la récolte suivante8. »
Afin de tenter de réguler le marché, on va jusqu’à faire une sorte de « veille » avant l’heure, en rémunérant par exemple un employé municipal pour guetter les fluctuations des prix dans les villes voisines. On oblige, pendant certaines périodes, les arrieros9 basques, qui alimentent le commerce local en apportant le poisson, l’huile ainsi que des outils ou autres produits de la métallurgie de leur région d’origine, à repartir avec leurs bêtes chargées de vin local pour une valeur correspondante. A l’inverse, si telle ville manque de vin, elle pourra obliger les muletiers de passage à vendre une partie de leur cargaison aux tavernes du lieu10.
Ces quelques exemples montrent que, de longue date, la production et le commerce du vin ont été sujets à des crises, et ont suscité la production d’un arsenal réglementaire complexe, visant à tenter de réguler ce marché par nature cyclique.
Au XVIIIe déjà, les rôles se répartissent entre différents acteurs. De nombreux viticulteurs cultivent la vigne, mais ne disposent pas d’installations de pressage ou de stockage, ces cuves maçonnées que l’on nomme localement « lagos ». Lagos et pressoirs sont aux mains de quelques grands propriétaires, qui facturent leurs services aux petits vignerons, et disposent ainsi d’une rente de situation. Mais surtout, ils sont les seuls à commercialiser le vin, et les petits vignerons sont réduits au rôle de viticulteur, de fournisseurs de matière première, sans réelle capacité d’influer sur les cours11.
Les bodegas industriales apparaissent au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle12, et elles vont à terme devenir le pivot de l’ensemble du secteur vitivinicole de Rioja. On englobe en général en Espagne la première génération de ces caves dans la catégorie des « bodegas prefiloxéricas ». Les pionnières furent Marqués de Riscal13 et Marqués de Murrieta14, auxquelles s’ajoutèrent López de Heredia, CVNE, La Rioja Alta, et un certain nombre d’autres, dont la plupart sont encore en activité.
Ces caves, « industrielles » au sens valorisant et moderniste du mot, adoptent les méthodes bordelaises15 et progressivement rendent courante la production de vin « criado », c’est-à-dire pressé sans la rafle, élevé en barrique de chêne, filtré et régulièrement soutiré, de façon à entrer sur le marché international des vins de qualité. Leur capacité de production de vin devient vite considérable, et sans commune mesure avec leur propre production de raisin. Elles suscitent donc une sorte d’appel d’air chez les petits viticulteurs auprès desquels elles se fournissent, et qui sont ainsi encouragés à planter de nouvelles vignes pour produire davantage de raisin.
Les divers opérateurs actuels
C’est à la charnière entre XIXe et XXe siècles que se met en place le modèle économique qui régit le Rioja actuel. Les documents techniques du Consejo Regulador de la Denominación de Origen Calificada Rioja classent en général les opérateurs entre « Production » (c'est-à-dire viticulture), « élaboration » et « commercialisation », en fonction de la tenue de registres respectifs qui s’attachent à chacune de ces fonctions. Mais cette classification, a priori commode pour l’esprit, ne rend compte qu’imparfaitement de la situation, car les trois catégories sont loin d’être étanches, dans la mesure où certains opérateurs sont partiellement ou totalement intégrés.
La viticulture
Toute personne ou structure opérant dans le domaine du vin de Rioja est inscrite et répertoriée auprès du Consejo Regulador, qui publie régulièrement des statistiques très précises à ce sujet. Les 25 dernières années ont vu le nombre de viticulteurs inscrits augmenter de façon sensible, en même temps que l’on notait une concentration des surfaces détenues par les grandes bodegas.
Cet apparent paradoxe s’explique par la prospérité qui a globalement dominé dans le secteur, malgré des fonctionnements cycliques. Cette prospérité a provoqué une forte hausse de la demande de vin, et donc de raisin. Elle a également favorisé le maintien sur place de la population locale, grâce aux nombreux emplois créés dans la région, directement dans le domaine du vin, mais aussi chez les fournisseurs, sous-traitants, ou structures commerciales, administratives ou de service, annexes ou induites. De ce fait, non seulement la majorité des petits exploitants ont conservé leurs vignes, mais de nombreux habitants de la zone ont acquis ou reçu en héritage des parcelles qu’ils exploitent, au titre d’une activité secondaire. S’y ajoutent enfin un certain nombre de retraités, qui trouvent là un complément de revenus.
Le surface totale du vignoble est ainsi passée entre 1983 et 2007 de 38 347 à 63 570 hectares, et le nombre de vignerons inscrits s’est stabilisé entre 18 000 et 19 000 (18 806 en 2007), pour un total en 2007 de 121 187 parcelles, dont 88 % ont une superficie inférieure à un hectare ; la surface moyenne d’une parcelle s’établissant à 0,52 hectare, ce qui cependant ne préjuge pas du nombre de parcelles possédées par chacun des viticulteurs.
Cela dit, le tableau ci-dessous montre qu’il existe également de grosses exploitations, qui sont souvent le fait de bodegas visant à une intégration de plus en plus prononcée.
L’impression globale qui domine est bien celle d’un émiettement des surfaces de vigne, et le corollaire de cette structure de minifundio est que l’immense majorité des vignerons ne sont pas en situation de rentabiliser des installations de vinification individuelles. Ils se contentent donc de livrer leur raisin à d’autres acteurs de la filière, essentiellement coopératives ou « bodegas criadoras ».
Mais, dans la logique de complexité exposée plus haut, il existe des exceptions : les cosecheros, petits producteurs de vins issus de leurs propres vignes. Dans les statistiques, ils sont souvent intégrés dans la catégorie des « criadores », de ceux qui élaborent le vin, et, si leur présence parait alors importante en pourcentage du total (718 sur 1 205, soit près de 60 %), ils ne vinifient que moins de 6 % de la récolte de l’ensemble de la D.O. Ca.
Leur rôle n’est réellement significatif que dans la Rioja Alavesa, la partie basque du vignoble, où ils font en quelque sorte partie du paysage traditionnel local, alors que la Rioja Alta est dominée par les grandes bodegas, et que la Rioja Baja connaît une présence significative de structures coopératives. Cependant, le rôle des cosecheros tend à diminuer : de 2 080 en 1982, ils sont passés à 718 en 2007, et, alors qu’en 1990 ils élaboraient 15 % du vin de Rioja, ce chiffre se situe maintenant aux alentours de 5 %.
Mais ces données synthétisent des situations fort diverses. Certains cosecheros ne vinifient qu’une partie de leur raisin, et livrent le reste à des bodegas. D’autres ont augmenté leur production et appartiennent logiquement à la catégorie des « bodegas criadoras ». D’autres enfin, sans rien changer à leurs pratiques, ont été versés dans cette catégorie des « bodegas criadoras », du simple fait que les règlements ont changé, et qu’il suffit maintenant de posséder 50 barriques pour se voir attribuer ce titre.
Cela dit, l’évolution la plus significative de ce secteur de la viticulture est sans aucun doute l’augmentation des surfaces possédées par certaines grandes caves, dont l’objectif est clairement une intégration de plus en plus poussée.
Elaboration et commercialisation
L’élaboration du vin de Rioja se partage entre quatre types d’opérateurs, les « cosecheros », les coopératives, les « almacenistas » et les « bodegas criadoras ». Tous participent, à des degrés divers, à la commercialisation.
Les cosecheros ne peuvent réellement rivaliser avec les grandes caves pour ce qui est des vins élevés en barriques. Ils ne disposent pas des mêmes moyens financiers, ni par conséquent des installations techniques ou de stockage suffisantes. Ils produisent traditionnellement surtout des vins jeunes, mais au cours des dernières décennies, ils ont mis en valeur ces vins jeunes en commercialisant des vins adaptés à de nouvelles demandes, comme les vins de macération carbonique (qui sont en fait une adaptation de leurs pratiques traditionnelles, mais avec une maîtrise technique dont ils ne disposaient pas antérieurement), ou des vins nouveaux, à la beaujolaise, ou encore des cuvées « monovarietales » (monocépages), en vogue en ce moment en Espagne. Mettant en œuvre des stratégies marketing modernes, et imitant en cela les grandes bodegas, certains d’entre eux élaborent également des vins « haut de gamme », comme les « vinos de alta expresión », influencés par la tendance Parker, et très concentrés en couleur, en matière et en alcool, ou les « vinos de autores », (vins d’auteurs), catégorie très vague au plan technique, et qui relève essentiellement du langage de la communication et du marketing : il s’agit là d’insister sur l’originalité d’un vin présenté comme la matérialisation d’un talent personnel, et/ou d’un lieu précis, d’un microclimat, ou de vignes très anciennes.
Ces pratiques ont permis aux cosecheros de valoriser les produits proposés en les faisant monter en gamme, de diversifier leur offre au plan commercial, mais, peut-être surtout, de sortir de créneaux de vins jeunes peu rémunérateurs pour accéder à d’autres plus rentables, parce que dégageant de plus fortes marges. Seuls ou regroupés en associations, ils sont très présents dans les foires ou sur les salons, y compris internationaux, que ce soit sous la bannière de l’ICEX, l’Instituto Español de Comercio Exterior, de la D.O. Ca., ou des autorités locales ou régionales basques, très enclines à promouvoir les vins de cosecheros de la Rioja Alavesa.
Le phénomène coopératif est ancien en Espagne. Une première phase de développement se situe aux alentours des années 1900, mais, dans la logique de l’idéologie « national-syndicaliste » franquiste, une seconde vague a lieu dans les années 1940, assortie d’avantages qui contribuent à fidéliser la clientèle rurale du régime. Cela dit, en Rioja, les puissantes positions établies par les grandes bodegas ont empêché l’instauration de nombreuses structures coopératives, à l’inverse de ce qui s’est produit dans d’autres vignobles comme celui de la Mancha, par exemple. La première fut créée en 1943, et les autres se sont installées surtout en Rioja Baja, mais quelques-unes également en Rioja Alta. Après les regroupements intervenus au cours des dernières décennies, le Consejo Regulador dénombre actuellement en Rioja 37 coopératives, qui élaborent 30 % de la production totale de vin. En 2007, ces coopératives regroupaient 7 667 viticulteurs (soit 40 % du nombre total), titulaires de 22 134 hectares (36 % de la superficie totale). Ces pourcentages sont donc importants, mais en baisse depuis plusieurs décennies.
Au plan organisationnel enfin, elles sont depuis quelques années regroupées dans trois fédérations, FECOGAR, UCAN et DOLARE, correspondant respectivement aux coopératives de la Communauté Autonome de La Rioja, de la Rioja Navarraise et de la Rioja Alavesa.
Ces coopératives se sont longtemps cantonnées dans un rôle de fournisseurs de vin nouveau aux bodegas industriales, mais, tout en gardant cette fonction, elle produisent maintenant de plus en plus de vins en bouteille, vendus sous des marques commerciales, captant ainsi une plus grande part de la plus-value produite par le secteur. Suivant en cela la montée en gamme générale constatée en Rioja depuis l’accession au grade de D.O. Ca. en 1991, elles ont construit des installations et acheté un parc de barriques, qui leur permettent d’élaborer maintenant en quantité des vins « criados ». De sorte que leur capacité de stockage cumulée est passée de 85 millions de litres en 1982 à 253 millions en 2007, et leur capacité d’élevage en barriques de 500 000 litres en 1990 à 9 millions en 200716. Disposant de services commerciaux performants, elles sont bien implantées dans les circuits de la grande distribution, aussi bien sur le marché intérieur qu’à l’export.
Certaines structures ont atteint des dimensions considérables. Le groupe ARCO Bodegas Unidas est au départ le fruit du regroupement de sept coopératives, qui achètent dans les années 1990 la cave Berberana d’Ollauri, puis d’autres exploitations en Espagne (en Rioja et dans d’autres régions viticoles) et dans le Nouveau Monde (Argentine et Australie), avant de se diversifier dans « l’œnotourisme » : il possède plusieurs hôtels de prestige dans divers vignobles. Le groupe dépasse maintenant les 200 millions d’euros de chiffre d’affaires, il élabore en moyenne 26 millions de litres de vin par an et contrôle en Rioja 3 000 hectares de vignes. Une filiale, « United Wineries », à même été créée dans la City de Londres, afin de gérer l’export (50 % du chiffre d’affaires).
Les almacenistas, tout en constituant une catégorie à part, jouent un rôle moins important. Ils transforment en vin du raisin acheté à des producteurs indépendants, qui ne sont ni cosecheros, ni affiliés à une coopérative, ni sous contrat avec une bodega criadora. Leur production, qui représentait encore 5 % en 1983, puis en 1998, se limite en 2007 à 2,4 % du total, soit malgré tout 6,5 millions de litres de vin. Ils jouent le rôle de grossistes, traditionnellement utiles dans une fonction de régulation et d’ajustement du secteur, mais il semble que la modernisation des circuits de distribution tende à marginaliser leur présence et leur utilité. Cela dit, ni leur nombre (86 en 2007), ni les quantités brutes traitées ne baissent sensiblement.
Mais dans la Denominación de Origen Calificada Rioja, la position centrale est clairement occupée par la bodega, que l’on appelait industrial lors de l’apparition de ce type de structure à la fin du XIXe siècle, mais qui est en général nommée « bodega criadora » de nos jours. C’est, littéralement, la cave qui « élève » le vin, qui se charge de sa conservation et de son vieillissement. Depuis 1999, il suffit de posséder 50 barriques pour être autorisé à s’inscrire au registre des « bodegas de crianza » ; le chiffre minimum était de 100 depuis 1991, et de 500 précedemment17.
Derrière l’apparente simplicité des catégories18 proposées à la lecture par le Consejo Regulador se cache une grande diversité. Certains auteurs tentent d’en rendre compte en classant les bodegas en petites, moyennes ou grandes19, en fonction de leur chiffre d’affaires et de leur notoriété. Un autre clivage peut apparaître en fonction de leur pari sur la modernité, et parfois sur l’avant-garde, ou de leur attachement à la tradition. Notons qu’il y a là une part non négligeable de « communication » et de marketing, même si ces choix sont bien réels. On peut également opposer les bodegas qui ne vinifient que les raisins produits dans leurs propres vignes à celles qui transforment exclusivement de la matière première achetée aux viticulteurs, avec toutes sortes de situations intermédiaires.
Tentons plutôt ici de définir le rôle joué par les bodegas dans la filière vitivinicole locale en énumérant les tâches dont elles s’acquittent, culture de la vigne, élaboration du vin, élevage et commercialisation, tout en rappelant que certaines caves se limitent à certaines d’entre elles.
Parmi les caves « pré-phylloxériques », il en est qui ne possédaient au départ aucune vigne. C’est le cas de CVNE, à qui il fut d’ailleurs reproché, lors de l’arrivée du phylloxéra dans la Rioja, de continuer à produire autant de vin de « Rioja » qu’avant l’arrivée du puceron20, alors même qu’il n’y avait pratiquement plus aucun raisin disponible localement… CVNE, habitué à acheter sa matière première à des viticulteurs, s’était contenté de changer de fournisseurs, en faisant appel à des partenaires simplement plus éloignés, ce que le développement du chemin de fer rendait possible.
D’autres, comme Murrieta21, ou López de Heredia22, affirment ne vinifier que leurs propres récoltes de raisin, revendiquant ainsi une pleine maîtrise de l’ensemble de la chaîne de production.
L’immense majorité des entreprises concernées se situent entre ces deux extrêmes, toutes les répartitions de pourcentages étant possibles. Muga annonce 200 hectares en propre et des achats de raisins extérieurs correspondant à la production de 250 hectares. Riscal, respectivement 220 en propre et 1300 extérieurs. Viña Real, 500 en propre et 500 extérieurs. Beronia, sans citer spontanément de chiffres, fait allusion à des accords stables et durables avec des viticulteurs « partenaires », ce qui, d’ailleurs, semble bien devenir la pratique dominante23. Toutes les combinaisons sont donc possibles, mais il semble bien qu’une partie du discours tenu par les bodegas à ce sujet relève de leur politique de communication, la figure du pur négociant étant plutôt mal perçue de nos jours.
Quoi qu’il en soit, de nombreuses bodegas possèdent de longue date des vignes, et/ou font le choix d’en planter ou d’en acheter, afin d’intégrer au moins une partie de leur production. Ce sont elles qui apparaissent dans les statistiques24 comme grands propriétaires, possédant plus de 20, ou a fortiori plus de 50 hectares. Cela dit, le vin provenant de vignes appartenant en propre à des bodegas criadoras ne représente encore pour 2007 que 14 % du total de la D.O.Ca.25, pour une surface estimée entre 8 000 et 9 000 hectares26.
Ces caves se chargent également de la transformation du raisin en vin. La « Memoria anual » 2007, publiée par le Consejo Regulador, précise pour cette année-là que 62 % du vin agréé a été élaboré par les bodegas criadoras (contre 30 % pour les coopératives, 6 % par les cosecheros et 2 % par les almacenistas)27.
Mais, ce qui constitue, peut-être plus que toute autre chose, les quartiers de noblesse de la bodega criadora, ce sont ses capacités de stockage et de vieillissement. Les cuveries des grandes caves, alliant en général des « depósitos » en acier et d’autres en béton, peuvent être considérables. On présente, par exemple, au visiteur de la cave Marqués de Riscal, 151 cuves inox à température régulée, pouvant contenir chacune 20 tonnes de raisin, auxquelles s’ajoutent 56 autres d’une capacité de 17 000 kg, où se réalise la fermentation malolactique. Viña Real annonce 71 cuves inox, et autant en béton, dans des installations qui, d’une cave à l’autre, rivalisent d’efficacité technique et d’originalité architecturale.
Ces bodegas interviennent pour les 2/3 des quantités de vin de Rioja stockées en cuves28, le reste se répartissant entre les cosecheros (9 %), les almacenistas (3 %) et surtout les coopératives (23 %), dont une partie des vins d’ailleurs est destinée à grossir les stocks des bodegas criadoras.
Cela dit, c’est avant tout le vieillissement en barriques qui est l’apanage de ces bodegas : leurs barriques bordelaises de chêne29, dont le nombre, en milliers ou en dizaines de milliers dans les plus grandes d’entre elles, est spontanément précisé au visiteur, non sans quelque fierté, représentent 96,6 % du total30, ne laissant qu’un maigre, et récent, 3,4 % aux coopératives. Certaines caves possèdent d’ailleurs, dans leurs locaux même, un atelier de tonnellerie, pour la fabrication et la réparation de leurs propres barriques. Maître d’œuvre d’un contrôle extrêmement rigoureux, le Consejo Regulador, peut même rendre public le nombre précis de barriques en usage pour l’élevage des vins : 1 239 291, par exemple, au 31 décembre 2007, pour l’ensemble de l’appellation31.
Après un passage en barrique dont la durée minimum est règlementée32, un vin criado doit être conservé un temps en bouteille par le producteur avant d’être commercialisé. Les calados33 des caves recèlent donc des quantités considérables de bouteilles, en attente d’être mises en vente, ou bien conservées à dessein pour y augmenter leur valeur marchande : 4 millions de bouteilles dans le botellero de Riscal, 2 millions chez Viña Real, empilées jusqu’à dix mètres de hauteur dans des réceptacles de métal grillagés34. Le total pour l’appellation dépassant 77 millions de bouteilles35. En tout, barriques et bouteilles cumulées, c’est l’équivalent de quatre récoltes qui repose dans les caves des différents opérateurs.
A cela s’ajoutent des installations, calibrées en conséquence, d’embouteillage, d’étiquetage et de conditionnement avant expédition. Logiquement, les services administratifs et commerciaux ne sont pas en reste. On conçoit, par exemple, que les 4 à 5 millions de bouteilles vendues annuellement par Riscal, dont 60 % à l’export, nécessitent une organisation et des techniques de vente modernes et rigoureuses.
L’impression générale qui ressort de l’étude de ces caves est, sans conteste, celle de leur puissance. D’autant que les dernières décennies ont vu l’implantation de nouveaux arrivants, ainsi que la modernisation et la montée en puissance des sociétés en place.
Dès les années 196036, pendant les années du « desarrollismo37 », le groupe basque SAVIN s’installe en Rioja Baja. Il créera plus tard la bodega Campo Viejo, l’une des plus importantes caves actuelles (70 000 barriques et 6 millions de bouteilles en cave en 200538). Azpilicueta, García Lafuente et Entrena fusionnent pour créer AGE, et construisent à Fuenmayor des installations ultra-modernes pour l’époque. Riscal, Paternina, CVNE, Bodegas Franco-españolas et Bodegas Bilbaínas modernisent les leurs, de même que leurs méthodes commerciales.
De nouveaux investissements se produisent au cours de la décennie 1970. De nouvelles caves apparaissent : El Coto, Marqués de Cáceres, Bodegas Alavesas, Olarrra, Lan, Viña Salceda, Beronia, Domecq, (ces deux dernières, émanation de groupes de Jerez, respectivement González Byass et Pedro Domecq). D’autres, déjà en place, Riscal, Paternina, AGE, Berberana, Faustino Martínez, se renforcent et accroissent leur capacité de stockage et de production. Des sociétés étrangères (Seagram, Pepsico, Croft…) entrent en scène, s’ajoutant aux opérateurs espagnols. La montée en puissance de ces structures implique une augmentation sans précédent des stocks immobilisés et du nombre des barriques.
Après quelques années difficiles, l’expansion des années 1980 induit une autre vague, avec la construction de Contino, Campillo, Heredad de Ugarte, Sierra Cantabria, Remelluri, Barón de Ley, Torre de Oña, Murua…, dont certaines choisissent le style « château », à la bordelaise39.
Enfin, au cours des 15 dernières années, on assiste à de fortes concentrations. Par exemple, Domecq, qui avait été intégré au groupe britannique Allied Lyons, devenant ainsi Allied Domecq, rachète Bodegas y Bebidas (AGE, Campo Viejo, Ysios…), avant que l’ensemble ne soit ensuite repris par Pernod-Ricard. Mais surtout, la montée en gamme et une certaine euphorie ambiante amènent, d’une part, à la réalisation d’actes architecturaux spectaculaires, dans des caves comme Riscal, Ysios, Vivanco, Juan Alcorta, Baigorri…, et d’autre part à l’ouverture de nouvelles bodegas. De sorte que l’on atteint en 2007 le chiffre total de 364 criadores (hors cosecheros) et de 477 installations, certaines sociétés disposant de plusieurs sites40.
Des acteurs certes inégaux, mais un Conseil « Régulateur »
Manifestement, les acteurs, et les forces, en présence sont extrêmement divers et leur capacités de négociation respectives a priori très inégales. Le viticulteur individuel, s’il ne souhaite pas devenir cosechero, aura le choix entre l’adhésion à une coopérative et la vente de son raisin à une bodega criadora. Vu la disparité de moyens que nous avons décrite, on pourrait craindre pour le vigneron qu’on ne lui impose de façon systématique des conditions peu avantageuses pour lui.
La réalité est plus complexe. Les études consultées41 montrent que le marché a toujours été cyclique, des périodes de prix élevés de la matière première alternant avec d’autres, plus favorables au secteur acheteur, c'est-à-dire aux bodegas criadoras. Traditionnellement, il s’agit d’un marché libre, où chacun défend au mieux ses intérêts, en fonction d’un contexte extrêmement fluctuant. Le coopérateur pourrait sembler mieux protégé, mais la coopérative à laquelle il a adhéré, elle-même actrice sur le marché, contribue à en provoquer les oscillations et les incertitudes, à la hausse ou à la baisse, la rémunération du coopérateur en étant affectée en conséquence en fin de chaîne.
Barco Royo a calculé que ce marché concernait chaque année à la fois 50 % du raisin et 28 % du vin nouveau disponibles, mais avec des cours dont les fluctuations ne se superposaient pas entre les deux produits d’une même récolte : celui du vin nouveau, logiquement fixé l’année qui suit la vendange, étant le résultat d’une situation qui a eu le temps de changer entre-temps. Le corollaire est que les coopératives, qui vendent une part importante de leur matière première aux bodegas, sont amenées à faire en permanence des choix spéculatifs pour vendre celle-ci immédiatement sous forme de raisin, ou plus tard sous forme de vin fraîchement élaboré. Et ces options interfèrent également sur les prix.
Enfin, pour en terminer avec la description de cet environnement, on constate une tendance marquée à l’intégration de l’activité : si 14 % du raisin traité par les bodegas provient actuellement de leurs propres vignes, cette proportion pourrait passer à 33 % pour les années à venir42.
Face à cela, un certain nombre de viticulteurs, que les bodegas qualifient de « partenarios » (partenaires) font le choix d’une collaboration et de contrats durables avec celles-ci, mais il semble que cela ne les a pas totalement préservés des sautes de prix caractéristiques du marché. A cause de la crise récente, on cite même des cas de blocage total des achats par certaines bodegas.
Devant une situation apparemment paradoxale, où les prix de la matière première ne baissent pas mécaniquement les années de forte production, et ne montent pas obligatoirement en cas de pénurie de raisin, le constat a été fait que les variations de prix étaient avant tout la résultante de l’évolution des stocks de vin dans les bodegas, ainsi que du taux d’utilisation de leur capacité de stockage. Barco fait une analyse très convaincante des fluctuations des ratios qu’il a élaborés dans ce sens43.
Parmi les objectifs de son « Plan Estratégico del Vino de Rioja 2005-2020 », le Consejo Regulador a mis en bonne place « Le développement de la région sur la base de la collaboration et la coopération entre les agents publics et privés qui inter-agissent dans le secteur » et « l’intégration de tout le secteur producteur et de celui chargé de la commercialisation du vin, ainsi que la normalisation des relations internes pour le bon fonctionnement de l’ensemble44 ». Il s’agit en clair de tenter d’en finir avec des prix instables, avantageant tantôt l’un, tantôt l’autre, mais pénalisant finalement l’ensemble du secteur : les fluctuations induites, parfois fortes, des prix à la vente du produit fini nuisant finalement à la fidélisation du consommateur de détail. En conformité avec les objectifs annoncés ci-dessus, le Consejo Regulador, dans la logique de sa nouvelle composition, maintenant réellement représentative de l’ensemble de l’interprofession, et dans le cadre d’un véritable « Pacte entre inégaux45 », tente de répartir de façon aussi équitable et consensuelle que possible la prospérité commune.
La prise en compte des ratios mentionnés par Barco a débouché sur la constitution d’un « Stock cualitativo », annexé au nouveau règlement de la D.O. Ca. publié par le Consejo Regulador en 200446. Pour chacune des quatre campagnes allant de 2007 à 2011, tout viticulteur peut livrer à une bodega 10 % de raisin en plus du contingent qui lui est attribué par le Consejo en fonction de la surface qu’il cultive. Ces 10 % sont vinifiés par la cave et mis de côté, en attendant que le Consejo décide s’il pourra être agréé47, et donc commercialisé ou non. Cette décision sera prise en fonction des résultats globaux de la campagne suivante, sur la base d’un ratio entre la quantité totale vin en stock et le volume total des ventes réalisées par le secteur chargé de la commercialisation. En dessous d’une certaine valeur de ce ratio (2,85), le vin additionnel sera agréé, sinon il sera distillé48.
Ce dispositif semble avoir largement contribué à la relative stabilité des prix constatée depuis quelques années, mettant fin à un comportement cyclique du marché de la matière première pénalisant pour la majorité des acteurs de la profession49.
Le Consejo Regulador dispose également d’un règlement précis et contraignant, lui permettant d’exercer un contrôle efficace sur l’ensemble de la filière50. Grâce à la vérification périodique des registres tenus par les différents opérateurs, il connaît précisément le nombre de barriques détenues par chaque cave, leur contenu, la composition des stocks, par couleur de vin, par catégorie et par millésime, ainsi que les quantités achetées et vendues par chaque opérateur51.
S’il peut valablement édicter les règles citées plus haut concernant le stock cualitativo, c’est parce qu’il contrôle également le viticulteur à chacun des stades de son activité, taille, densité de plantation, mais surtout quantité de raisin produite52. Lors de la livraison, chaque remorque est pesée, en présence du producteur, d’un membre du Consejo et d’un autre de la bodega acheteuse. La quantité pesée est immédiatement défalquée du total attribué au viticulteur par le Consejo, sur sa « tarjeta de viticultor », familièrement nommée cartilla53. Une fois le quota personnel atteint, la vente de raisin supplémentaire n’est plus autorisée.
Conclusion
Le modèle économique en place dans le vignoble de Rioja diffère sensiblement de ce qui est en général familier à un observateur français. En France, en effet, si le viticulteur tente maintenant de plus en plus de commercialiser son vin, ou au moins une partie de son vin, auprès de la clientèle de détail, il avait traditionnellement recours, une fois son vin élaboré, au négoce, qui se chargeait des assemblages, de la promotion et de la vente.
Ce modèle du Rioja est-il pour autant réellement spécifique ? Clairement non. Une bonne partie du vignoble espagnol fonctionne sur des bases comparables, et le système de wineries qui domine les productions du Nouveau Monde présente avec lui de nombreuses similitudes, avec des viticulteurs qui sont essentiellement des fournisseurs de matière première, et des entreprises vinicoles (winery ou bodega selon le cas et le lieu), qui se chargent de toutes les autres fonctions.
Certes, les coopératives représentent en Rioja environ un tiers du secteur, en nombre de viticulteurs, en surface cultivée et en quantité de vin produite, mais elles ne s’écartent finalement pas réellement du modèle ambiant. Elles alternent seulement les rôles : elles collectent le raisin auprès de leurs adhérents viticulteurs, occupant là une fonction comparable à celle de la bodega, mais elle vendent également de la matière première aux bodegas privées, se mettant là dans la position du producteur (collectif) de raisin. De plus, empiétant sur les fonctions emblématiques de ces bodegas, elles font maintenant vieillir des vins, qu’elles se chargent ensuite de commercialiser.
Seuls les cosecheros, reproduisant les fonctionnements de la viticulture artisanale qui domine en France ou dans les pays de la « vieille Europe », s’écartent du modèle local.
En dehors de cette exception, s’il faut tirer des conclusions sur le sort réservé à chacune des catégories en place en Rioja, on fera le constat de relations actuellement assez paisibles et satisfaisantes, et d’un équilibre plutôt stable entre les divers groupes d’opérateurs, sans doute en grande partie grâce à la cohérence de l’action menée par l’Organización Interprofesional del Vino de Rioja (OIPVR), en charge de l’interprofession. A l’évidence, la puissance financière et industrielle est aux mains des grandes bodegas criadoras, capables d’investissements et de campagnes promotionnelles parfois considérables, ainsi que de réalisations architecturales impressionnantes, et parfois mêmes voyantes. Mais, comme nous l’avons vu, certaines coopératives ne sont pas en reste en matière de moyens. Quant aux « petits » producteurs, leur sort est a priori incertain, dépendants qu’ils sont de leurs acheteurs de raisin et fragilisés par moments par le caractère cyclique du secteur. Les études consultées concordent cependant pour constater les effets positifs de la politique de régulation mise en œuvre par le Consejo, ainsi que l’enrichissement notable de nombre d’entre eux et la hausse de la valeur de leurs terres.
A bien y regarder, le partage des rôles en Rioja n’est pas si différent de celui qui régit l’interprofession en Champagne, où les producteurs de raisin, là aussi essentiellement fournisseurs de matière première des grandes « maisons » locales, ont su défendre leurs intérêts et capter une part sensible de la plus-value produite par le vin. Le prix de l’hectare de vigne, cependant, n’atteint pas en Rioja les sommets rencontrés en Champagne54.
Quels seront les effets de la crise actuelle sur le secteur vitivinicole de Rioja ? Il est évidemment difficile de le prédire au jour de la production de cet écrit, mais la stratégie offensive de l’OIPVR, consistant, pour y faire face, à augmenter sensiblement les budgets de communication, aussi bien en Espagne que sur les principaux marchés export, ainsi que la bonne santé financière préalable de la plupart des principaux opérateurs, portent à augurer une tendance à une plus forte concentration du secteur au profit de ces derniers, quand d’autres acteurs, plus spéculatifs, se seront retirés ou auront été éliminés.