Ce deuxième numéro de la revue « Territoires du vin » continue d’explorer les modalités contemporaines de la formation des territoires du vin en mettant notamment l’accent sur l’interaction entre la délimitation géographique, la configuration spatiale de ces territoires devenus des terroirs et les modalités sociales par lesquelles ils acquièrent une consistance qui en tout état de cause apparaît décisive. Sans doute, la description et la mise en exergue des facteurs divers et de natures différentes qui interviennent dans leur processus de formation constituent un moment essentiel de l’analyse. Il reste que les activités économiques et sociales qui se déploient en parallèle doivent être également étudiées en dépit d’une moins grande visibilité. Leur consistance ne se lit pas directement dans le paysage mais elle peut pourtant s’observer en mobilisant les savoirs des sciences sociales. Il existe un point de vue selon lequel le marché, la réputation comme l’évolution des goûts des consommateurs décideraient en fin de compte de la dynamique du produit. Poussée à son extrême, cette affirmation conduit à relativiser au maximum la notion de terroir, à n’en faire qu’un espace finalement secondaire par rapport au marché. Il est de fait indispensable de penser la dialectique entre les espaces de production ou d’élaboration des vins et les lieux comme les modes de consommation. L’inscription sociale, culturelle aussi bien qu’économique de la consommation est fondamentale pour comprendre une partie des évolutions qui l’affectent et qui, en fin de compte, retentissent sur la production. Mais celle-ci ne saurait être réduite à un espace géographique, fut-il défini de longue date. Il est un espace productif définit par un système technique et un mode d’organisation qui reposent sur des exploitations, des entreprises et en définitive un milieu professionnel différencié mais rassemblé dans le cadre d’une filière productive. Sous-estimer cette dimension sociale, économique mais aussi politique, conduit à appauvrir la notion de terroir même si l’on souhaite en affirmer la pertinence. Il ne suffit pas d’évoquer et de montrer l’historicité des terroirs du vin, de mettre en scène leur construction historique et sociale, encore faut-il comprendre les modalités de leur fonctionnement. C’est ce à quoi les contributions rassemblées dans ce numéro concourent en mettant l’accent sur deux modalités de la structuration socio-économique des terroirs européens qui, parmi les plus réputés, sont associés à la production de vins de grande qualité. Centrés sur la période contemporaine, ces articles présentent des études consacrées aux interprofessions et aux modes d’interventions des différents acteurs de la filière. Ces approches sont essentielles pour comprendre le fonctionnement et la réalité des terroirs au cours du 20e siècle. Même si, bien sûr, existaient de longue date des formes d’ententes, corporations ou guildes, associant les producteurs, celles-ci officiellement disparues au cours du 19e, renaissent sous des formes nouvelles et différentes au cours du 20e siècle. En empruntant à l’organisation syndicale leurs références principales, elles associent différents acteurs de la filière : viticulteurs, négociants, petits exploitants et grandes maisons. Ce numéro rassemble donc des articles qui présentent la mise en place et le développement des interprofessions essentiellement dans la deuxième moitié du 20e siècle selon un modèle qui s’affirme après la Seconde Guerre mondiale. Les formes et les structures de ces organisations sont d’autant plus diverses qu’elles se développent, contrairement à certaines idées reçues, dans une économie internationale ouverte bien que régulée après les avatars du protectionnisme autarcique qui a culminé au temps du second conflit mondial. Même si les premières ébauches naissent, notamment en France, aux temps où l’économie dite dirigée est la référence internationale, c’est après 1945, dans le contexte d’une nouvelle économie mondiale où les règles du commerce international se mettent en place pour assurer le développement des échanges, que ces interprofessions se construisent. En fait elles sont inséparables de nouvelles formes de l’intervention publique. Au-delà de l’antinomie entre un marché sans règle, dominant au cours de la 2e moitié du 19e siècle et un marché de plus en plus fractionné géographiquement des années 1920 aux années 1940, se mettent en place des formes d’interventions publiques qui associent les professionnels autour de l’établissement de normes de production et de qualité concernant aussi bien la viticulture que l’élaboration des vins proprement dits. Cette intervention au niveau de l’offre entre en conflit avec les tenants d’un marché totalement libre où se confronteraient, dans une concurrence sans règle, des vins dont seuls les meilleurs s’imposeraient. Cette vision idéale, présente dans les discours de certains acteurs dominants de la profession en haute conjoncture et dans les écrits des thuriféraires d’un libéralisme sans limite, ne s’est pas développée en Europe au cours des dernières décennies du 20e siècle. Au moment où s’élargissait le marché commun notamment dans le domaine agricole, les règles mises en place en France ont eu tendance à se généraliser sous des formes spécifiques dans la plupart des pays viticoles qui entraient dans l’Union européenne. Loin de freiner l’essor des vignobles et de la filière vitivinicole, cette évolution a accompagné leur développement qualitatif. A l’inverse, depuis la fin du 20e siècle, dans un contexte mondial de dérégulation, la mise en question est redevenue à l’ordre du jour dans certains organismes internationaux et européens. Sur le terrain, de nouveaux acteurs, et pas seulement hors de l’Europe, mettent en cause aussi bien les interprofessions que les interventions publiques destinées à garantir la qualité des produits. D’aucuns n’hésitent pas à pourfendre en toutes occasions des formes de régulation considérées comme surannées. L’évolution internationale des marchés depuis 2008 qui relativise en grande partie ces discours ne dispense pas d’un travail d’analyse et de réflexion sur la construction sociale et historique des terroirs du vin d’autant que, dans les pays du nouveau monde, confrontés à leur tour à des problèmes que les pays européens ont rencontré il y a près d’un siècle, certains se posent la question des formes de l’intervention publique et de l’organisation interprofessionnelle pour établir des normes partagées de qualités des vins.
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Serge Wolikow, « Éditorial », Territoires du vin [En ligne], 2 | 2009, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/index.php?id=1423