Introduction
A quelques encablures de l’Institut universitaire qui porte son nom, il ne paraît guère nécessaire de vous présenter Jules Guyot, père de la taille et parrain de la poire du même nom, créée en 1870 en son honneur par son compatriote et ami troyen Charles Baltet, « pépiniériste de génie » selon son biographe Jean Lefèvre. Mais le titre choisi appelle quelques explications. Médecin-hygiéniste était le passeport préféré de cet oenophile qui, docteur en médecine de formation comme son illustre devancier Chaptal (1756-1832), entendait s’exprimer « au nom de l’hygiène et de la physiologie humaine » (Centre-Nord, conclusion), considérant également que « l’usage habituel et alimentaire des vins porte essentiellement à la conciliation » (Côte d’Or). Transfuge des vignobles résume son parcours. Jules Guyot est né en 1807 dans l’Aube, à Gyé-sur-Seine ; il a grandi au milieu du vignoble alors très dense de la Côte des Bar, où il a été définitivement acquis à l’amour de la vigne et des vignerons, comme il s’en est expliqué dans sa préface de 1868. Cinquante ans plus tard, il vient de passer quatorze ans (1844-1857) chez Jacquesson, célèbre et inventive maison fondée en 1798 à Châlons-sur-Marne (à ce jour Châlons-en-Champagne), et dirigée alors par Adolphe Jacquesson (1800-1876), le fils du fondateur, entré dans la galerie héroïque des pionniers audacieux et visionnaires (Claire Desbois-Thibault.) qui ont établi la fortune du champagne au XIXe siècle. Jules Guyot travaille aussi bien au siège imposant de la maison de négoce, située à Fagnières (depuis lors intégré à la commune de Châlons), que dans le domaine viticole créé de toute pièce près de Reims à Sillery, autant dans les vignes que dans les caves, ou s’occupant des divers bâtiments tant d’exploitation que d’habitation. C’est à l’issue de cette expérience et de l’autorité acquise en matière viti-vinicole qu’il reçoit du gouvernement du Second Empire la mission officielle d’enquêter sur les vignobles de France, qu’il parcourt de 1860 à 1867, pénétré de « satisfaction et gratitude pour l’intérêt et l’attention accordés enfin à la viticulture par le gouvernement de l’Empereur »1. De cette enquête sortent les volumes de la monumentale Etude des vignobles de France, devenue rapidement un classique et restée une référence obligée de l’histoire du vignoble français, pour des raisons qui valent d’être éclaircies. En 1870, l’invasion prussienne lui fait quitter précipitamment Puteaux, proche de Paris. Il trouve finalement refuge chez le comte de La Loyère, châtelain de Savigny-les-Beaune, et grand propriétaire viticole avec lequel il s’était lié d’amitié lors de sa visite de la Côte d’Or ; c’est chez lui qu’il meurt en 1872, et Jules Guyot est inhumé au cimetière de Savigny, où une souscription lancée en 1873 permet que lui soit érigé un monument funéraire dédicacé par Les vignerons reconnaissants. C’est en somme sur une naturalisation, adoption ou captation bourguignonne que se clôt la vie du Docteur Guyot. Les portraits de ses parents ornent toujours la mairie de Savigny, comme s’il s’agissait d’un enfant du pays, et c’est à l’Université de Bourgogne que voit le jour en 1995 l’Institut de la Vigne et du Vin Jules Guyot. Mais l’ancien inspecteur de la viticulture a aussi une vie posthume. Au long de la turbulente délimitation de la Champagne viticole (1907-1927), Jules Guyot a été maintes fois convoqué et cité par la défense marnaise comme témoin à charge pour disqualifier le vignoble aubois et exclure d’autorité le Barrois de l’aire d’appellation. Politiques, juristes et experts de l’époque se sont ingéniés, par des citations sélectives ou tronquées, à dresser Jules Guyot en faux-frère, sinon en renégat de ses compatriotes, qui ne se sont pas découragés pour autant, retenant même son village natal de Gyé-sur-Seine comme l’une des communes-type du vignoble pour obtenir des tribunaux leur réintégration dans l’aire d’appellation.
La formation de Jules Guyot jusqu’en 1860 et ses titres d’expertise.
A Gyé-sur-Seine, où son père était notaire et propriétaire de vignes, Jules Guyot a grandi au milieu de ce qui nous apparaît comme une « mer de vignes ». L’arrondissement de Bar-sur-Seine contenait la moitié des 23 000 ha du vignoble aubois à son apogée (1852). Les premiers cadastres, établis autour de 1830, font état de 571 ha vignes à Gyé (24 % du finage), dans les villages alentour de 634 ha à Neuville (44 % du finage), 410 ha à Mussy-sur-Seine (15 %), 632 ha à Essoyes (18 %), 546 ha à Landreville (38 %), 503 ha à Loches (36 %)…, sans oublier les 1 500 ha de l’immense vignoble des Riceys (35 %), joyau viticole et marchand du Barséquanais. La visite du Toulois, « périmètre immense où la vigne est reine », lui rappelle sa jeunesse, devant « la grandeur et la beauté des vignobles qui se développent à la vue dans un ensemble imposant…On reconnaît de suite le grand atelier rural d’une population vigneronne nombreuse, active, intelligente » (Meurthe). Jules Guyot a en effet gardé des souvenirs très vifs et chaleureux de son pays natal, où « la bourgeoisie avait encore gardé le culte des fins cépages en coteaux, ne plantant les gamays que dans les bas et les troyens2 que sur les replats » (Aube). Il se souvient avec émotion du temps des vendanges, « un des plus heureux souvenirs de la maison paternelle, vendanges faites à la troupe internée ». La métaphore militaire ne doit pas égarer : la troupe internée désigne l’équipe logée et nourrie par le propriétaire, réunie en de « joyeuses tablées de vendangeurs », par opposition aux vendanges confiées à une main d’œuvre recrutée au jour le jour à l’aube sur la place publique (le système à la grève et à la lanterne), abandonnée à elle-même pour ce qui concerne le logis et la subsistance, conditions d‘embauche et de travail dignes de la sauvagerie, et qui font honte à la civilisation (Yonne).
Après ses années de collège à Troyes, il entreprend en 1826 des études de médecine à Paris, où il est reçu docteur en 1833. La médecine n’est pas sa seule préoccupation. Chaptal s’était converti à la chimie ; le jeune docteur Guyot est davantage tenté par la physique, qu’il pratique en ingénieur manqué touche-à-tout. Il publie entre autres des Eléments de physique générale (1832), une brochure sur les Mouvements de l’air (1835), en 1840 un traité De la télégraphie de jour et de nuit, dans lequel il s’intéresse à un liquide d’éclairage pour la télégraphie nocturne... A l’exposition universelle de 1845, il présente un modèle de pont, dont il promène la maquette toute sa vie. Pour autant, il ne cesse de s’intéresser à la vigne, comme objet de science expérimentale : « Pendant neuf ans de mon séjour à Paris [1833-1842], je mis à l’expérience, dans un vaste enclos de trois hectares peu éloigné de la capitale [Argenteuil], mes idées sur la viticulture et la vinification » (préface de 1868). Il est également un citoyen très actif, qui prend part à la Révolution de 1830, passe six mois en prison à Sainte-Pélagie en 1831. En 1848, il est candidat du corps médical du département de la Seine aux élections à l’assemblée constituante, s’écarte des quarante-huitards sans se rallier aux monarchistes, publie ses Institutions démocratiques des républicains de 1830, ou réformes économiques, administratives et politiques, et accueille favorablement l’arrivée au pouvoir de Louis-Napoléon Bonaparte. Dans l’éventail de ses activités menées de front, il est, nous dit le commandant Coignet, « compagnon assidu des dernières années du Dr Jules Guyot » et son préfacier posthume, « l’apôtre infatigable de tous les progrès » (éd. 1876).
A partir de 1844, la « collaboration » engagée pendant quatorze ans avec Adolphe Jacquesson, jusqu’à la rupture de 1857, marque le tournant résolument viticole de sa carrière. Collaborateur à quel titre ? Si l’on suit le peu qu’il en confie, le Docteur Guyot se présente comme un associé, associé à mi-profits pour ce qui est du vignoble créé à Sillery après 1850 ; si l’on en croit la famille Jacquesson, le grincheux docteur, tranchant et doctrinal, n’est qu’un employé, au mieux régisseur ou intendant, chargé de valoriser ou aménager ses domaines de Fagnières et Sillery3.
« Je fis construire des bâtiments d’habitation et d’exploitation, des caves, des celliers, des vaisseaux vinaires, des pressoirs, des machines, je dus faire planter et dresser 16 hectares de vignes d’une part [à Fagnières] et 34 hectares de l’autre [à Sillery] ; je dus disposer et exploiter une ferme [à Sillery, 68 ha], créer des potagers, des vergers, et des bois, en même temps qu’un vignoble ». (préface de 1868)
Dans les vignes comme aux champs, sa démarche reste celle d’un praticien expérimental des sciences agronomiques et économiques :
« J’ai commencé, sur les données les plus positives de nos meilleurs vignobles et de notre agriculture la plus progressive, l’étude comparative de la viticulture et de l’agriculture ».
C’est dans sa période marnaise que Jules Guyot a mis au point le système de taille qui porte toujours son nom. La rupture avec Jacquesson intervient en 1857, « époque où j’ai rendu le domaine, base de mes expériences, à celui qui devait en rester le propriétaire ». (Culture de la vigne…, intro) Sur quels motifs ? Vraisemblablement, pour des querelles de propriété industrielle et de brevets avec Adolphe, pour des inventions qu’ils revendiquent l’un et l’autre : les puits de lumière verticaux pour éclairer les caves à la lumière du jour grâce à un système de réflecteurs, les paillassons anti-gel disposés dans les vignes (inventions précisément évoquées dans le chapitre consacré au département de la Marne, croquis à l’appui), la capsule et le muselet des bouteilles…, polémiques qui sévissent aujourd’hui encore parmi les érudits locaux. Le commandant Coignet reste elliptique sur les causes du divorce :
« Cette laborieuse existence fut interrompue [août 1857] par des manœuvres commerciales et industrielles contre lesquelles il n’était ni exercé, ni prémuni ». (préface, éd. 1876)
En tout cas, Jules Guyot prend date dès 1857 avec une brochure de seize pages, reprise par le Journal pratique d’agriculture :
« Notice sur les inventions, travaux d’art, d’industrie et de culture du Dr Guyot exécutés sous sa direction dans la maison Jacquesson et fils, à Châlons-sur-Marne et à Sillery, près Reims ».
Revenu à Paris, exerçant des responsabilités à l’Association Générale des Médecins de France, il publie en 1858-1860 dans le Journal d’agriculture pratique, au sous-titre évocateur de Moniteur des comices, des propriétaires et des fermiers, des articles sur la viticulture, rassemblés ensuite dans l’ouvrage qui va établir son autorité, et lui valoir, à l’heure du libre-échange, les honneurs officiels : la légion d’honneur et sa nomination comme chargé de mission d’études sur la viticulture française, pour en valoriser le potentiel commercial d’exportation. En 1860 paraît Culture de la vigne et vinification,qui connaît quatre éditions (1861, 1864, 1868).
Il y professe sa religion du cépage , qui va se transmettre à la première génération des ingénieurs-agronomes formée dans les établissements publics, appelés à jouer, comme titulaires des chaires départementales d’agriculture instituées en 1879-1880, un rôle actif, sinon décisif, dans la reconstitution post-phylloxérique des vignobles : ainsi de Georges Chappaz, nommé dans l’Yonne, puis dans la Marne (en 1904), ou de son collègue André Guicherd, professeur départemental d’agriculture dans l’Aube, puis en Côte d’Or à partir de 1905, et contributeur de l’Ampélographie Viala-Vermorel (1901-1910, 7 vol.), tous deux futurs inspecteurs généraux de l’agriculture impliqués dans la protection des appellations d’origine. J. Guyot s’avère un piètre ou médiocre ampélographe, comme le reconnaît Guicherd, qui a consacré une bonne partie de ses années auboises à identifier et débusquer ses approximations ou synonymies d’attribution de cépages4. En la matière, Jules Guyot s’efface volontiers derrière la compétence de son illustre contemporain le comte Odart (1778-1866), auteur d’un Manuel du vigneron (1837, 1845, 1861), et surtout d’une Ampélographie universelle éditée cinq fois entre 1845 et 1866, excellents ouvrages auxquels il n’hésite pas à renvoyer (Yonne). N’importe ! Jules Guyot ne se lasse pas de pourfendre l’invasion rampante ou galopante des « grosses races », « races inférieures », « espèces boissonnières », et autres « cépages d’abondance ». Dans la trilogie constitutive de l’alchimie des vins formalisée par Chaptal (climat-sol-cépage), la primauté revient sans conteste au cépage, comme il ne cesse de le proclamer en tout lieu, qu’il s’agisse du Cher ( c’est surtout le cépage qui fait le vin et lui donne son cachet propre), de la Champagne de la Marne, où la supériorité absolue de ses vins mousseux sur leurs imitations tient par-dessus tout au choix résolu de cépages fins, ou de la Côte d’Or, où il regrette que les « fines races » n’occupent pas plus de 10 % du vignoble :
« Le climat, le sol, le sous-sol et l’exposition sont les compléments nécessaires et efficaces de la perfection, de la richesse et de la réputation de ces vins, mais ils n’en sont pas les bases principales ni essentielles… L’essence des vins fins de la Côte d’Or, c’est le cépage ; c’est le pineau noir ou noirien pour les vins rouges, c’est le pineau blanc ou chardenet (sic) pour les vins blancs. »
Avec Jules Guyot, nous sommes encore dans la préhistoire de la valorisation des terroirs ; le « goût de terroir », c’est selon lui, en accord avec son temps, un goût « de champignon, de moisi, de pique » (Loire), un goût terreux, en rien valorisant.
Concernant la qualité des vins, il est également soucieux de morale et de loyauté négociantes et fustige les faussaires et plagiaires « qui font le vin de Champagne avec des vins et des raisins achetés hors du beau département de la Marne ». Aussi réclame-t-il avec force une loi protectrice, anticipation directe et précise (en 1860) de la loi de 1905 sur la répression des fraudes :
« Ce n’est pas que les oenophiles champenois ne comptent parmi eux quelques faux-frères, quelques exploiteurs émérites qui font le vin de Champagne avec des vins et des raisins achetés hors du beau département de la Marne, et qui même ajoutent à ces vins de nombreux hectolitres d’eau sucrée, mais cette tromperie sur la marchandise, ces falsifications très exceptionnelles sont encore plus rares en Champagne que dans la plupart des autres crus dont la grande réputation est toujours exploitée par l’audace de la spéculation. Tous ces abus cesseront aussitôt qu’une loi sévère, sans être oppressive pour l’industrie, ni restrictive pour l’honnête liberté, exigera que chaque producteur affiche les éléments de sa fabrication, et que chaque produit vendu porte avec lui son signalement et sa composition exacte, comme la loi qui exige un état-civil pour chaque individu résidant et un passeport pour celui qui voyage. » (Culture de la vigne…, « Falsifications », p. 377)
L’Etude des vignobles de France…
En 1860-1867, alors que le vignoble français est à l’apogée de son extension, il visite 71 départements, qu’il regroupe en 8 régions. Il commence à publier en 1861 sous forme de fascicules partiels et donne en 1868 une édition complète en trois volumes avec regroupement définitif des départements : Etude des vignobles de France pour servir à l’enseignement mutuel de la viticulture et de la vinification françaises. L’Aube, visitée en 1863/64, ainsi que les départements bourguignons sont intégrés à la Région du Centre-Nord ou région de la Bourgogne et de l’Orléanais ; la Marne, la Haute-Marne et l’Aisne (visitées en 1867) à la Région du Nord-Est.
La mission de Jules Guyot s’insère dans une incroyable période de prospérité viticole (M. Lachiver), qui court des années 1860 jusque vers 1880. Le revenu du vigneron a doublé sous le Second Empire ; le vignoble est considéré à l’abri de toute crise de mévente ou de chute des prix ; l’euphorie règne sur le marché des vins fins comme sur celui des vins communs5, euphorie largement partagée par le chargé de mission, malgré son sens critique. Grâce aux effets conjugués de la « révolution ferroviaire », de la croissance de la population urbaine liée à la révolution industrielle, et de la croissance de la consommation de vin tant parmi les élites que dans les milieux populaires, le marché intérieur paraît en pleine expansion. A partir de 1860 précisément, l’adoption du libre-échange, inauguré par le traité de commerce signé avec l’Angleterre, suivi de nombreux autres, ouvre une promesse d’avenir radieux aux exportations, qui doublent entre 1860 et 1880, car les vins français entrent en quasi-franchise dans de nombreux pays. L’essor des exportations est précisément la perspective assignée à la mission de Jules Guyot, celle d’une promotion de la qualité des productions vineuses, afin de soutenir et vaincre la concurrence étrangère. En outre, le vignoble est encore indemne des maladies fléaux de la vigne. L’oïdium a certes fait son apparition (Jules Guyot en fait de rares mentions), mais il est à peu près maîtrisé, présentant l’immense avantage d’être passible d’un traitement curatif. Le mildiou, qui ne peut faire l’objet que de traitements préventifs, n’a pas encore rendu le vigneron prisonnier (M. Lachiver) de la chimie et de ses coûts. L’irrémédiable phylloxéra n’a pas encore infesté et dévasté le vignoble. Rétrospectivement, la somme de Jules Guyot renvoie à un âge d’or définitivement révolu, et reste le témoignage-phare, précis et précieux, des vignes françaises au temps de leur splendeur, avant les catastrophes destructrices de la fin du siècle.
Le monument est d’autant plus réussi que le docteur réalise son enquête solidement armé d’une méthode de pointe, nourri d’ambitions et de convictions fortes, sinon d’idées fixes, et qu’il est doué par-dessus le marché d’une plume alerte, voire élégante (A. Guicherd), habile à manier la formule-choc jusqu’à l’aphorisme (« Le vin fin et le gros vin, c’est le pain blanc et le pain bis »), et au morceau de bravoure, telle la charge violente et emportée contre le cabaret, qui conclut le volume sur la Région du Nord-Est :
« Pour tout homme honnête et sérieux, le cabaret est un lieu de dépravation et de perdition : c’est la terreur et la perte des familles ; c’est le malheur et le désespoir des ménages, des pères, des mères, et des enfants ; c’est le cratère où bouillonnent sourdement toutes les mauvaises passions, toutes les violences, tous les désordres, tous les délits, tous les crimes, qui ne tardent pas à déborder et à jeter l’épouvante dans tout le pays.
Aux yeux des vrais législateurs, de ceux-là qui s’occupent du bonheur des hommes et non de ceux qui ne voient de l’humanité que les écus à en extraire per fas et nefas, l’établissement d’un cabaret est plus grave encore que la création d’une maison de prostitution qui menace toujours et flétrit souvent l’amour conjugal, qui déflore le cœur et le corps des jeunes gens, comme le cabaret détruit les ressources, l’union, la paix des familles, et prépare la jeunesse à une vie de paresse et de dissolution.
L’amour est la source des plus grandes vertus et l’inspirateur des plus belles actions humaines, lorsqu’il est soumis aux lois de la morale et de la conscience ; il engendre les actions les plus viles, les crimes les plus hideux, aussitôt qu’il n’admet ni règles ni frein.
Il en est de même de l’usage du vin : la famille est son SANCTUAIRE ; il y développe la cordialité, la franchise, l’intelligence, la force, l’activité et le contentement dans le travail. Le cabaret est son LUPANAR. »
A part le champagne mousseux, « vrai vin de Champagne », deux vins des vignobles du Nord l’inspirent particulièrement : les vins rouges de la Côte d’Or, qui « donnent la force du corps, la chaleur du cœur, et la vivacité de l’esprit au plus haut degré », et « l’emportent de beaucoup sur les grands vins du Médoc, lesquels se distinguent surtout par les qualités digestives, sensuelles et hygiéniques » (Côte d’Or), et le vin blanc de Chablis, remarquable « par l’excitation vive, bienveillante et pleine de lucidité qu’il donne à l’intelligence » (Yonne). Le praticien sait aussi trouver les mots pour instruire le profane, quand par exemple il décrit pour la Haute-Marne l’élaboration d’un rosé de macération, conduite moins à la couleur qu’au goût : on arrête la cuvaison après douze à quarante-huit heures, « quand la saveur vineuse, se joignant à la saveur sucrée du moût, donne le goût du vin sucré chaud ».
Dans sa démarche, J. Guyot ne part pas du néant. Il a non seulement une solide expérience personnelle, mais il s’inscrit aussi dans un lignage scientifique, agronomique et économique (autant d’économie politique que statistique), enrichi dans sa génération par la sociologie naissante, d’où les préoccupations sociales et de morale sociale ne sont pas absentes : savant cocktail d’ingrédients scientifiques et éthiques qui fondent la solidité et l’intérêt de l’enquête, dont l’érudition reste d’une totale discrétion.
A l’aube d’un avenir radieux, J. Guyot ne succombe pas à une euphorie béate, au contraire : la viticulture est injustement et aveuglément le parent pauvre, délaissé, de l’agriculture. « Dans le mouvement agricole moderne, la vigne n’a été mise ni à l’étude, ni à la mode... », et il déplore « l’absence de toute science sérieuse de la viticulture » (Yonne), ainsi que « l’anarchie qui règne dans les principes de la viticulture, faute de tout enseignement supérieur » (Bas-Rhin). Dans la plupart des régions, comme en Haute-Marne, la vigne est « cultivée à l’aventure…, abandonnée à elle-même, sans intérêt, sans émulation, et sans enseignement ». Le danger est d’autant plus grand que la croissance de la consommation populaire de vin incline à la facilité, à l’invasion des « grosses races » à hauts rendements, qui avilissent les vignobles : en Basse-Bourgogne, les fins crus sont « aux abois ». Le missionnaire impérial s’indigne : « Détruisez tous les bons vins de France, et la France n’aura plus rien à vendre à l’étranger ! » (Yonne, 38 000 ha de vignes) Heureusement subsistent quelques îlots de résistance et de référence notoires, dont il dresse précisément la courte liste : le Médoc, l’Hermitage, la Champagne de la Marne (sic), le Chablis, le Pouilly, et les grands crus de la Côte d’Or. (Yonne)
Les vins frelatés par un commerce sans scrupules, propres à dégoûter le consommateur et à dépraver le goût, offrent un autre cheval de bataille enfourché par le médecin-hygiéniste qui, soucieux de la santé publique, pourfend les vins trafiqués, « vin plâtré, coloré, alcoolisé, parfumé » (Yonne), dans une condamnation sans appel : « la fausse denrée alimentaire vendue est un attentat à la personne » (Centre-Nord, conclusion). Il parvient ainsi à une définition du vin naturel, qui frôle à la lettre celle donnée ultérieurement par la loi de 1907 : un « vin provenant du simple moût fermenté de raisin, tout à fait alimentaire et bienfaisant ». ((Centre-Nord, conclusion)
Pour ces impérieuses raisons, la viticulture doit faire l’objet d’études méthodiques, scientifiques et expérimentales, afin de mettre au point « un système rationnel de conduite des fins cépages », et plus largement établir « les vraies lois de la viticulture, de la confection et du commerce du vin » (Yonne). La viticulture appelle donc une législation spécifique, assortie d’un enseignement de masse programmé et encadré, pour s’améliorer et progresser au bénéfice de la société tout entière. Il faudrait y consacrer des « instituts spéciaux ». Vaste programme à longue portée, appelé à se mettre en place au temps douloureux des crises viticoles engendrées par l’invasion phylloxérique, et dont la création des chaires départementales d’agriculture en 1878-79 me paraît l’une des premières pierres. Comme il nourrit une ambition didactique et prescriptive dans le court terme, Jules Guyot ne craint pas de se répéter, non pour tirer à la ligne, mais parce que l’édition initiale en fascicules a été systématiquement envoyée par le ministre commanditaire au fur et à mesure de l’avancement de l’enquête
« … aux propriétaires, aux membres des sociétés d’agriculture, aux autorités ayant concouru à l’enquête, à toutes les sociétés agricoles et viticoles des départements, aux membres des grands corps de l’Etat et des sociétés savantes, aux viticulteurs émérites ». (préface de 1868)
J. Guyot n’ignore pas les classiques de l’agronomie, depuis l’Antiquité romaine. Il ne les révère pas tous, et écarte ceux qui sacralisent, folklorisent et figent les traditions et pratiques locales (pas encore consacrées comme « usages locaux et constants »), comme si « elles étaient intouchables et partie intégrante du sol et du climat » (Yonne). Il s’inscrit dans une filiation scientifique contemporaine, celle fondée par Chaptal, auteur de « la synthèse des sciences du vin de son époque » (Hugh Johnson), et dont les terrains gouvernementaux de prédilection avaient été précisément l’agriculture, viticulture incluse, avec la santé et l’hygiène publiques6. André Jullien (mort en 1832) est sa seconde référence et son devancier direct : marchand de vins et pionnier de l’œnologie, collaborateur inspiré de Jean-Rémy Moët pour le travail en cave7 avant de devenir son agent commercial à Paris, auteur d’un célèbre Manuel du sommelier (justement dédié à Chaptal)8, et plus encore de la Topographie de tous les vignobles connus9, « excellent ouvrage d’appréciation et de classification des vins », que Jules Guyot cite et auquel il renvoie sans cesse, car il ne saurait mieux dire, dont il reprend les critères de classement (« l’ordre d’estime ») des vins ainsi que la méthode de monographie départementale, base élémentaire d’une quantification statistique fiable. Mais il enrichit et actualise la méthode, à la lumière de la sociologie naissante et du courant informel et militant (L. Le Van-Lemesle) de l’économie politique de son temps. Il emprunte, suit ou transpose les règles d’enquête posées par son contemporain Frédéric Le Play (1806-1882), ingénieur de formation (Polytechnique-Mines), l’un des pères-fondateurs de la sociologie française, pionnier de l’étude de terrain théorique et pratique appliquée aux familles ouvrières, et lui aussi missionné par le Second Empire10. Le Play prescrit :
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l’observation de terrain, avec collecte des données auprès des autorités sociales locales, que Jules Guyot désigne comme les personnes instruites et distinguées, tel le comte de La Loyère, président du Comité d’agriculture de Beaune, à la tête des hommes de progrès.
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la démarche comparative, comme moyen de recherche
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la méthode monographique
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les techniques de quantification et d’évaluation à l’aune du budget familial ouvrier, révélateur de l’état social tout entier
Le Play est anti-socialiste et anti-révolutionnaire ; il regrette l’Ancien Régime et se pose en adversaire déclaré des « faux dogmes de 1789 », comme l’égalité successorale instaurée par la Révolution française. Loin de partager ces idéaux, J. Guyot partage toutefois ses préoccupations pour ce que Le Play a développé sous le terme d’économie sociale, terme apparu dans les années 1820 (L. Le Van-Lemesle) en réaction critique contre l’école des libéraux anglais et des physiocrates français, dans la lignée sinueuse de ce que Robespierre aurait souhaité être une économie politique populaire, les quarante-huitards une économie politique républicaine11, ou de ce que l’historien anglais E. P. Thompson, dans un célèbre article de 1971 consacré aux émeutes de subsistances du XVIIIe siècle, avait identifié comme la quête d’une économie morale12, ancrée dans le pacte social, porteuse de règles garantissant la paix sociale, soucieuse du développement du capital humain, « capital de connaissances ou de bonnes habitudes » (Charles Dunoyer), qui requiert formation et éducation13. La réussite d’une entreprise ne se mesure pas seulement à ses performances productives, quantitatives et/ou qualitatives, mais aussi à la qualité et à la valeur des relations sociales qu’elle institue et entretient. Le Play et ses partisans avaient fondé en 1856 la Société d’Economie Sociale, et à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris de 1867, dont il était Commissaire général, Le Play avait institué un concours d’économie sociale. J. Guyot suit et transpose la méthode de Le Play au « peuple des champs », à la famille rurale, en l’occurrence vigneronne, à ses besoins et à sa capacité de travail : au nom de « l’amour et du culte de l’humanité », c’est pour lui « l’unité agricole, le point de départ et la règle de mesure » (Cher). Sur ce chapitre, continuant un débat ouvert en France depuis ~ 1750, il est l’adversaire de la grande propriété ou de la grande exploitation rentière ou spéculative, et un partisan résolu de la petite culture familiale. Le vigneron doit être assuré d’une rémunération fixe ET d’un intéressement à la production ; c’est l’une des bases de sa sympathie pour le comte de La Loyère, « le premier et le seul sans doute à avoir donné une prime au rendement à ses vignerons », qu’en plus il rétribue en vendange au panier et non à la journée (Côte d’Or). J. Guyot préconise inlassablement une prime de 10 % de la récolte, faute de quoi « il en résulte la perte de toute la partie intelligente, morale et dévouée du travail humain » (Nièvre). Dans son activité, il faut que « l’ouvrier des champs » trouve « un attrait, une rémunération, un présent et un avenir meilleurs que ceux que lui offrent l’industrie et le séjour des villes » (Haute-Marne). En définitive, « la destinée de la terre est d’appartenir aux bras ». (Bas-Rhin). C’est pourquoi il admire tant le vigneronnage du Beaujolais (il y consacre une dizaine de pages, comptes d’exploitation à l’appui), « vrai modèle de l’association de la propriété et du travail », qui procure au métayer un domaine polyvalent permettant l’entretien complet de sa famille, et dont le propriétaire acquitte une partie des charges, pour conclure : « Ce n’est pas là l’école anglaise, c’est l’école française et c’est la bonne » (Rhône). Pour dresser l’état des lieux et collecter les données, J. Guyot collabore avec les notables locaux qu’il consulte, mais tient à préciser que « les opinions économiques et sociales, semées au courant de l’étude » n’appartiennent qu’à lui (préface 1868), ce qui nous vaut ses remarques incises, morceaux de bravoure ou mouvements d’humeur, qui rendent vivants ses tableaux descriptifs ou statistiques, et dans lesquels j’ai puisé l’essentiel des citations.
Sous la rubrique uniforme « Statistique et rôle économique de la vigne », ses entrées en matière départementales méthodiques et quantifiées sont systématiques. Se fondant sur la statistique préfectorale et des paramètres qui relèvent encore plutôt des coefficients multiplicateurs de la paléo-statistique, il indique la superficie occupée par la vigne par rapport à la superficie totale des terres agricoles, la part du produit brut viticole dans l’ensemble du revenu agricole, celle de la population vigneronne dans la population totale, pour mettre en relief la supériorité économique de l’exploitation viticole, qui rend à l’hectare 8 à 9 fois plus que les autres cultures : « Telle est la puissance colonisatrice de la vigne, telle est sa supériorité sur toutes les autres cultures, dans toute la France vignoble » (Yonne). C’est le premier degré de la démarche comparative. La démarche vaut également comme méthode de recherche expérimentale, car, en matière de viticulture, tout ne se vaut pas : les différentes pratiques de plantation, de taille, de conduite, d’entretien de la vigne (fumer ou terrer ?), de cuvaison (à marc flottant, immergé, arrosé, avec ou sans foulage, pendant combien de temps... ?) ne relèvent pas seulement d’une mosaïque pittoresque, et méritent examen comparatif et évaluation (d’où la mise au point de la « taille Guyot » pour les pinots et assimilés). La comparaison est aussi, comme l’indique le titre complet de l’Etude, au fondement d’une pédagogie pratique par l’exemple et d’un enseignement mutuel, en un temps où l’économie tarde à devenir « une science populaire, dont les vérités doivent être répandues parmi les hommes de travail »14.
Des pratiques de « mauvaise conduite » sont à proscrire. En matière agronomique, Jules Guyot soutient et martèle quelques idées fortes, sinon idées fixes, qui prêteraient aujourd’hui à sourire, car elles sont justement devenues la norme, mais se situaient à l’époque à contre-courant des idées reçues et des pratiques suivies. Contre l’opinion dominante qui en fait une source de rajeunissement perpétuel, propagée aujourd’hui encore par la plupart des historiens de la vigne, il combat inlassablement le provignage et le marcottage « à outrance », lourdes tâches dont la Champagne et la Bourgogne étaient les championnes, et ne leur concède par les temps qui courent qu’une vertu conservatoire des fins cépages. Il se demande bien par quelle bizarrerie « Tout le Rhône cultive en ligne et de franc-pied, toute la Côte d’Or est cultivée en foule et par provignage éternel ». Au contraire, proclame-t-il, ce système de perpétuité, qui n’est rien d’autre que l’édification d’une treille souterraine racinaire en expansion infinie (croquis à l’appui), épuise et éternise les plants jusqu’à la décrépitude absolue, en imposant, par le développement de la vigne « en foule », de fastidieux labours à bras (façon d’homme), interdisant toute conduite ordonnée et rationnelle. Dans la même veine, il s’élève contre l’usage des échalas (Champagne) ou paisseaux (Bourgogne), premier poste de dépenses en matière première et en main d’œuvre, qu’il faut ficher, déficher, entretenir, traiter ou remplacer chaque année, travail pénible, pourtant consacré façon de femme. Il faut « débarrasser la vigne des échalas » (Vosges). Par contre, il ne lasse pas de célébrer le modèle de conduite du Chablisien, qui cultive en lignes des vignes de franc-pied, arrachées au bout de 25-40 ans, et replantées après un assolement de cinq à six ans, comme en Beaujolais. Comme il l’a instauré lui-même chez Jacquesson, il prêche pour la vigne en lignes palissées sur deux fils de fer, qui présente « des avantages énormes d’air et de soleil, de facilité de culture et d’entretien » (Loiret), en permettant l’accès de la charrue et du cheval, outre l’économie des échalas. C’est ainsi que le comte de La Loyère avait « réformé » ses vignes de pinot, plantées en lignes espacées de 90 cm en laissant 70 cm entre les ceps. Les préjugés à vaincre n’étaient pas minces. En 1911 encore, aussi bien le Syndicat du Commerce que les syndicats vignerons marnais pouvaient soutenir contre les vignerons aubois que « cultiver à la charrue, c’est de la fraude », car les moyens anti-phylloxériques déployés dans la Marne avait permis la survie d’une majorité de vignes françaises, cultivées en foule et à bras, alors que l’Aube avait dû arracher, replanter et cultivait à la nouvelle manière. L’unité d’encépagement des parcelles reste une autre prescription tenace, alors que les encépagements mixtes étaient monnaie courante et considérés comme un avantage ou une sorte d’assurance minimum contre la gelée ou les maladies. Même le grand Jullien ne trouvait rien à redire contre ces assemblages frustes, quand il observait, dans la Marne, même dans les vignes fines que
Les raisins noirs et les blancs sont cultivés indistinctement dans les vignobles destinés à fournir des vins blancs… Ce mélange concourt à la perfection des vins de ce genre, et surtout de ceux qu’on tire en mousseux.
Jules Guyot soutient au contraire que chaque cépage appelle son propre mode de taille et de conduite, que la mixité nuit à l’optimisation de la maturation, et donc à la maîtrise de la vendange et des cuvaisons, et incline à l’approximation paresseuse des « vins de tous grains », passe-tout-grain natif et hasardeux. Il plaide pour un encépagement homogène et sélectif, résolument limité à un ou deux cépages tout au plus. Il loue hautement pour cette raison la viticulture de Saône-et-Loire (36 000 ha de vignes), qui a su entretenir « la religion des bons cépages », et s’en tient pour les rouges au petit gamay à grains ronds et au pineau (sic), et pour les blancs au pineau blanc ou chardenet (sic), offrant ainsi dans le Mâconnais et la Côte chalonnaise « les meilleurs types de vin d’ordinaire ». « Vin d’ordinaire » n’est pas un mince compliment chez un disciple de Jullien, dont il reprend les classements, en distinguant les « vins fins » des « vins d’ordinaire », qui n’ont rien à voir avec les « vins communs » ou « grossiers », et forment la deuxième classe des vins de garde, ceux qui « s’améliorent en vieillissant… La plupart de ceux que je nomme de première et de seconde qualité, précise Jullien, ne conviennent qu’aux personnes assez riches pour avoir des caves bien garnies. » A ce propos, les appellations Bourgogne Ordinaire et Bourgogne Grand Ordinaire consacrées en 1930 pourraient bien relever d’une filiation « jullienne » directe. Dans les 10 % (seulement) du vignoble de Côte d’Or producteurs de vins fins, Jules Guyot reconnaît « dans chaque cru, un bouquet et une saveur propres à ce cru », et mentionne fidèlement les 14 climats différents du clos de Vougeot.
Au final, dans les vignobles de la France du Nord, le docteur oenophile, puissamment inspiré par l’exemple de l’Yonne, tire avec optimisme la sonnette d’alarme, en déplorant l’avilissement général des encépagements comme des modes de conduite, à deux exceptions près : la Marne, où les plants fins ont progressé depuis sa venue en 1845, et la Saône-et-Loire, restée sagement fidèle à ses bons cépages. Contre la routine et les préjugés, contre les solutions de facilité ou la négligence inspirées à des propriétaires rentiers et à leurs tâcherons et vignerons généralement rétribués au forfait sans directive, sans contrôle ni intéressement, contre l’escroquerie et la fraude marchandes, Jules Guyot en appelle inlassablement à la science et à l’enseignement des adultes pour éclairer tous les esprits, sensibiliser les propriétaires à leurs responsabilités sociales et morales (« Propriété oblige plus que noblesse », note-t-il dans le Beaujolais), former les vignerons à leurs tâches, et les consommateurs à leurs droits bafoués par un commerce déloyal. Comme les autres branches de l’agriculture, la viticulture pour se soutenir a besoin de savants, d’enseignements (de pointe et de masse), d’émulation, qu’il s’agit de convaincre la puissance publique d’organiser, « en toute liberté, en toute égalité et en toute loyauté » avec les autres grands produits agricoles de la France (Centre-Nord, conclusion).
Par ses prescriptions et ses mises en garde, incision annulaire mise à part, Jules Guyot ne s’est guère trompé, avec plusieurs décennies d’avance sur le devenir de la viticulture. Visionnaire ? Le terme souvent avancé paraît déplacé. Ses anticipations résultent davantage d’un volontarisme nourri par une recherche et une réflexion expérimentales comparatives, avec une exigence de synthèse finale empirique, qui inspirent chacun des « Résumés synthétiques et analytiques » qui forment la conclusion systématique de ses études régionales.