De la plume au verre, l’autre facette des chansons à boire

Résumé

Le vin est présent dans une multitude de chansons de genres très différents. Labeur du vigneron, fléaux climatiques, crises économiques, commerce et même fraudes… Les chansons disent tout, souvent avec simplicité et toujours beaucoup d’émotion. Elles s’ouvrent comme des fenêtres sur le passé, sans filtre, en connexion directe avec le peuple, reflétant, comme le dit si bien l’historien Claude Duneton, son histoire, son langage, ses préoccupations et surtout ses sentiments.
L’exploration de ce répertoire fait ressortir des auteurs particulièrement prolixes, pour la plupart totalement inconnus aujourd’hui. Ainsi, Philippot dit « le Savoyard » est une vedette du XVIIe siècle. Il chante durant plusieurs décennies devant le Pont Neuf, à Paris. Grâce à la publication de ses textes, on peut apprécier le langage cru mais sincère de ce chansonnier érudit, amateur de bonne chère et de bon vin. Autre exemple remarquable de la même époque, Adam Billaut, plus connu sous le nom de « Maître Adam » qui fit connaître ses talents vocaux auprès des grands du Royaume en exerçant son métier de menuisier. On peut aussi citer Pierre Dupont, auteur du célébrissime « Ma Vigne » en 1844. Mais c’est aux joyeux membres du Caveau, société bachique et chantante créée en 1720 dont l’activité se prolongea sous des noms divers jusqu’au début du XXe siècle, que l’on doit le plus grand nombre de chansons sur le vin.

Plan

Texte

Introduction

Le vin est présent dans une multitude de chansons, pas seulement dans les chansons à boire dont le répertoire est encore bien ancré dans la mémoire collective, mais des chansons du quotidien, celles qui reflètent le labeur du vigneron, évoquent ses difficultés, parlent de la joie du buveur et des lieux où il se rend.

Car les chansons disent tout, souvent avec simplicité et toujours beaucoup d’émotion. Elles s’ouvrent comme des fenêtres sur le passé, sans filtre, en connexion directe avec le peuple, reflétant, comme le dit si bien l’historien de la chanson Claude Duneton, son histoire, son langage, ses préoccupations et surtout ses sentiments.

L’exploration, de ce monde aussi passionnant qu’inconnu, recouvre les trois domaines clés du vin : la culture de la vigne avec ses aléas climatiques, ses maladies et ses parasites ; puis l’économie avec les crises viticoles, les fraudes mais aussi le marketing ; et enfin la consommation avec ses consommateurs et lieux de consommation.

Ensuite, il est intéressant de dresser le portrait de quelques auteurs particulièrement prolixes, pour la plupart totalement oubliés aujourd’hui : Philippot le Savoyard, Adam Billaut, Pierre Dupont ou encore les chansonniers de la Société bachique et chantante du Caveau.

Les sources sont nombreuses et variées : des anthologies de chansons, des partitions anciennes, des recherches d’historiens… Parfois, elles ne sont pas totalement identifiées car les chansons en question se sont transmises oralement et sont arrivées jusqu’à nous on ne sait trop comment.

Ces recherches se sont beaucoup appuyées sur les travaux de Claude Duneton, écrivain, romancier, chanteur, historien du langage, comédien… et notamment sur son « Histoire de la chanson française », un monumental ouvrage où il fait revivre des auteurs inconnus et leurs chansons.

« Grand Dieu ! quel métier d’galère » – Culture de la vigne, fléaux climatiques et maladies

L’élaboration et la commercialisation du vin sont le sujet de nombreuses chansons, à commencer par le labeur du vigneron, difficile, routinier et pénible. Une vieille chanson de Bourgogne de l’Auxerrois, dont les variantes sont très nombreuses dans les différentes régions françaises, s’en fait l’écho :

Grand Dieu ! Quel métier d’galère,
Que d’êtr’ vigneron !
Toujours à gratter la terre,
En toute saison !1

Le désherbage en particulier donne du fil à retordre au vigneron :

Peu profond, tu vas rebeuiller [labourer],
Mais à l’herbe, l’herbe succède ;
Il faut tiercer, gratter, sarcler,
Tant qu’à la fin l’herbe te cède.2

Si les vendanges donnent souvent lieu à des couplets joyeux de la part des chansonniers heureux de bientôt pouvoir déguster le vin nouveau, le son de cloche n’est pas le même de la part des vendangeurs, comme l’évoque cette chanson populaire du Val de Loire :

Allons en Vendange
Chez la mèr’ Camus.
On y boit, y mange,
Des naviots tout crus.
On couch’ sur la paille,
On attrap’ des poux.
On a ben d’la peine
A gagner six sous.3

Les fléaux climatiques sont également très présents dans les chansons. Armand Gouffé, un chansonnier du XIXe siècle, déplore la désastreuse récolte de 1816 en Bourgogne au travers d’une chanson qu’il intitule « Le buveur désappointé ou les suites de la vendange de 1816 ».

… J’entends les Beaunois penauds
Sangloter sur leurs tonneaux !…
J’entends les pâles cardinaux
Redire en plein conclave :
Je n’ai plus de vin dans ma cave !4

Le gel est très redouté, comme le déplore Gaston Couté dans sa chanson « Les vignes sont gelées ».

Quant au phylloxera, il désespère les chansonniers qui voient là leur source d’inspiration… se tarir comme en témoigne cette chanson originaire du Mâconnais et du Beaujolais, citée par Octave Pradel dans son ouvrage « Le vin et la chanson » publié en 1913 :

Sois maudit, ô Phylloxera !
O fléau qui nous désespère !
Si la vigne meurt, ô misère !
Sa fille, la chanson, mourra.
Si tu nous causes la disette
De ce vin que nous bénissons
Où puiserai-je mes chansons,
Il faudra briser ma musette !5

On écrit même une « Chanson pour encourager les savants à lutter contre le phylloxera »6. Et lorsque le greffage est mis au point par Pierre Viala, professeur à l’Ecole de viticulture de Montpellier, les chansonniers s’en félicitent.

« Allons enfants de la Courtille » – Les crises économiques, les fraudes et le marketing

Sur le plan économique, les crises viticoles sont à l’origine de nombreuses chansons car c’est un moyen très pratique de s’exprimer. On retient facilement les paroles et cela permet de transmettre les actualités, surtout pour ceux qui ne savent pas lire. Il m’a semblé intéressant de citer, à cette occasion, les différents pastiches de la Marseillaise.

Ainsi, « La Marseillaise de la Courtille », publiée le 25 novembre 1792 dans « La Feuille du Matin » se félicite de la suppression des octrois par l’Assemblée nationale en 1791 dans tout le Royaume. Elle débute ainsi :

Allons, enfants de la Courtille,
Le jour de boire est arrivé !
[Refrain]
A table, citoyens, videz tous les flacons ;
Buvez, buvez, qu’un vin bien pur abreuve vos poumons !…7

Lors des révoltes de 1907 dans le Midi de la France, la « Marseillaise des vignerons » dénonce les fraudeurs :

Alerte Vignerons,
Sus à ces Mascarons,
Chassez, chassons ces Frelateurs,
Saignant les Producteurs.8

Plus connue, la « Marseillaise des viticulteurs » d’Auguste Rouquet est scandée durant les grandes manifestations du Languedoc :

Pour affirmer nos droits de vivre,
Fils du Midi, assemblons-nous ;
Les fraudeurs à la mort nous livrent,
Qu’ils redoutent notre courroux ! (bis)
Entendez-vous dans nos campagnes,
Retentir nos cris et nos pleurs ?
Depuis trop longtemps les fraudeurs
Affament nos fils, nos compagnes9

On pourrait encore citer la Marseillaise des bouilleurs de cru du Jura qui, en 1905, réclament, avec succès, le droit de continuer à bénéficier de leur privilège qu’un député veut limiter.

Allons ! Enfants de la chaudière,
Le jour de cuire est arrivé.
Contre nous, d’une loi meurtrière
Le décret cinglant est levé (bis).10

Certaines chansons sont étonnantes car elles relatent des pratiques illicites tel le mouillage. L’une d’elles s’intitule « Le vigneron qui met de l’eau dans son vin ». Elle est originaire du Nivernais et du Morvan.

En voici l’histoire : un jeune apprenti découvre que son maître met de l’eau dans son vin et s’en étonne :

— Eh ! là, mon maître, que faisez-vous ?
Pourquoi ce vin baptisez-vous ?11

Mécontent, son maître veut le renvoyer mais sa femme ne l’entend pas de cette oreille et ordonne au jeune apprenti de rester.

Enfin, les chansons sont également un excellent support marketing et c’est en Champagne qu’on en trouve le plus bel exemple.

Du milieu du XIXe siècle aux Années Folles, les Maisons de Champagne rivalisent en effet d’ingéniosité pour se faire connaître, faisant appel à des chansonniers pour faire la promotion de leurs marques. « Ruinart-Polka », « Champagne Mercier », « Vive le Cliquot »… les titres sont explicites, les mélodies gaies et enjouées.

On organise également des concours pour faire l’éloge du champagne sans distinction de marque : « Amour et Champagne » (valse chantée d’Eugène Marquet), « Buvons le vin de Champagne », « Coule Champagne », « Valse pétillante »…12

A la fin des années 1880, Paulus triomphe à L’Alcazar d’Eté avec « Champagne »13 qui allie la fantaisie à la note patriotique, très en vogue après la défaite de 1870. En 1892, Yvette Guibert rencontre un franc succès avec « Je suis pocharde »14 où elle confie son petit faible pour le… Moët & Chandon !

« Nous sommes les moines de Saint Bernardin » – Consommateurs et lieux de consommation

Les chansons évoquent également les consommateurs de vin : soldats, ouvriers, écrivains…

En Vendée, on se moque des « Religieux qui boivent »15 car ils sont assoiffés à force de chanter toute la journée ! Tout le monde connaît « Les moines de Saint Bernardin »16, qui se couchent tard et se lèvent matin, pour aller à matines, vider leur flacon ! Mais peut-être ne connaissez-vous pas ce menuet publié par Christophe Ballard en 1725 qui indique que :

Boire à la Capucine,
C’est boire pauvrement ;
Boire à la Célestine,
C’est boire largement ;
Boire à la Jacobine,
C’est chopine à chopine ;
Mais boire en Cordelier,
C’est vider le Cellier.17

Bien sûr, cela est totalement injuste, compte tenu de la contribution des moines à la viticulture. Il faut replacer dans leur contexte ces chansons qui ont souvent été composée au XVIIIe, en pleine poussée anticléricale.

De façon étonnante, les femmes se révèlent être de grandes buveuses dans de nombreuses chansons. Ainsi, le Manuscrit de Bayeux, qui rassemble des chansons de la fin du XVe siècle, contient la célèbre « Bevons ma commère »18 qui retrace la virée de trois dames dans un cabaret.

Une autre, originaire du Val de Loire retrace l’histoire d’une femme qui boit avec sa cousine alors que son mari moissonne19. Même Jean-Baptiste Clément, l’auteur du Temps des Cerises, s’y met en révélant que les femmes se rendent à la cave quand leurs hommes sont au cabaret !

J’allons payer un coup à boire,
Vous verrez si notr’vin est bon ;
C’est moi, qui s’rai la mère Grégoire,
Et vous entonn’rez la chanson ;
C’est qu’y n’faut pas s’rendr’ trop esclave,
Ni s’laisser m’ner comm’ des baudets,
Nous, j’trouvons ben la clef d’la cave,
Quand nos homm’ sont aux cabarets.20

Mais l’alcoolisme des femmes n’est pas toujours joyeux comme en témoignent les auteurs de chansons « réalistes », très à la mode à la fin du XIXe siècle.

Ainsi, « La Soularde »21 de Jules Jouy, cette pauvre fille vivant dans une mansarde, errant dans les rues et se faisant malmener par les gamins, fait le succès d’Yvette Guibert.

Dans le même esprit, « Viens maman »22 évoque une pocharde que son petit garçon doit ramener à la maison sous les quolibets.

Pour ajouter une note plus joyeuse, on peut citer Gilbert Garrier et son Histoire sociale et culturelle du vin lorsqu’il évoque le vocabulaire pour décrire l’ivresse dans les différents corps de métiers. Ainsi, pour le musicien, un ivrogne est « fa bémol » parce qu’il vomit (vaut mi) et s’il tombe, il est un fa dièse car il est près du sol !

Pour terminer, évoquons les guinguettes, ces lieux de détente situés en dehors de la barrière de l’octroi et donc bon marché car non soumis aux taxes perçues par la municipalité.

Les premières dates du milieu du XVIIIe, tel Le Tambour Royal tenu par un certain Ramponneau, dans le quartier de la Courtille, à Paris (à la limite nord du Faubourg du Temple). En 1760, Charles Collé dédie une chanson à la guinguette de Ramponneau23.

Chantons l’illustre Ramponneau
Dont tout Paris raffole,
L’on a chez lui du vin nouveau
Et la fille qu’on cajole.
C’est là que Michaud
Renverse Isabeau
Sur le cul d’un tonneau
Et ziste, et zeste, point de chagrin !
L’on s’y rigole avec son vin.

Avec le développement du chemin de fer, les guinguettes se déplacent en bord de Seine et de Marne et vont donner naissance à de nombreuses chansons : « A la Varenne », « Quand on s’promène au bord de l’eau… » et bien sûr, « Ah ! Le Petit vin blanc »24, écrit en 1943 par Jean Dréjac dans une guinguette de Champigny sur Marne, après avoir gagné au tiercé !

Quelques vedettes de la chanson française

Beaucoup de chansons n’ont pas d’auteur connu, où peut-être faudrait-il faire des recherches plus poussées pour les identifier. Néanmoins, quelques personnalités se détachent et il est légitime d’en citer quelque unes.

Adam Billaut, le menuisier de Nevers

Claude Duneton rapporte l’histoire d’Adam Billaut, le « menuisier de Nevers » ou « Maître Adam » qui entre dans la postérité malgré une origine modeste.

En effet, c’est grâce à son métier qu’il fait connaître ses talents vocaux auprès des Grands du Royaume durant les dernières années du règne de Louis XIII. Il devient même la coqueluche des salons.

En 1644, il publie un premier recueil de chansons et poèmes « Les Chevilles » et meurt en 1662 avant d’avoir terminé son deuxième ouvrage : « Le Villebrequin ». Ses chansons à boire (« bouère » selon la phonétique de l’époque) inspireront largement les chansonniers du XVIIIe siècle.

L’un de ses rondeaux25, composé pour un ami cloué au lit, devient célèbre car Voltaire le reproduit intégralement dans « Les écrivains du siècle de Louis XIV ».

En gros, il donne la recette pour se guérir d’une sciatique. Elle consiste à préparer deux brocs « d’un fin jus de sarment », d’en appliquer deux doigts là où ça fait mal et de boire le reste !

Philippot dit « Le Savoyard »

Né au début du XVIIIe siècle, ce joyeux rimeur chante durant plusieurs décennies à Paris, devant la Samaritaine et le Pont Neuf. Claude Duneton le considère alors comme la « première vedette de la chanson populaire ». Grâce à la publication de ses textes, on peut apprécier le langage cru mais sincère de ce chansonnier érudit des rues, amateur de bonne chère et surtout… de bon vin !

Malgré sa cécité, qui est probablement la conséquence d’une consommation excessive d’alcool de mauvaise qualité, Philippot est un fin lettré connaissant la mythologie et l’histoire ancienne. Il évoque ainsi les grands héros de l’Antiquité, affirmant qu’Alexandre était invincible parce qu’il partageait le vin avec ses soldats avant d’aller au combat26.

Son répertoire de chansons à boire est vaste, à commencer par « Quand un homme de bien est ivre » qui décrit les effets du vin sur un buveur :

… Il connaît par expérience
Le centre et la circonférence
D’une bouteille et d’un jambon,
Il se rit des hommes d’études,
Etouffant dedans un flacon
Ses ennuis et inquiétudes27.

Pierre Dupont

D’origine lyonnaise, Pierre Dupont naît en 1821. Il débute comme apprenti canut avant de devenir employé de banque. Auteur, compositeur et interprète, il développe un genre de chanson rustique (Les Bœufs, La Chanson du blé, Le Chant du pain…) qui trouve un écho favorable, aussi bien auprès des ouvriers que de la bourgeoisie.

Ainsi, il écrit vers 1844 dans la région d’Ampuis, au Nord des Côtes du Rhône, « Ma Vigne », une chanson totalement oubliée aujourd’hui mais que Pierre Larousse qualifie alors, en pleine flambée nationaliste du début des années 1840, « d’immense succès ». En voici le refrain :

Bon Français, quand je vois mon verre
Plein de son vin couleur de feu,
Je songe, en remerciant Dieu,
Qu’ils n’en ont pas dans l’Angleterre28.

En 1848, il compose un « Chant du vote » pour les élections de 1852 qui n’auront jamais lieu. Le comble de la misère y est d’être « mangeurs de pain noir, buveurs d’eau » ! Louis-Napoléon Bonaparte n’apprécie pas ses couplets critiques et le condamne à sept ans de déportation. Pierre Dupont fait alors amende honorable pour obtenir sa grâce, préférant désormais aux sujets politiques des thèmes plus fédérateurs tels qu’un hommage à sa « cave » où il faut bon chanter car sa voûte résonne !29

Malgré son succès, Pierre Dupont meurt oublié de tous en 1870 à Lyon, noyé dans l’alcool et la misère.

Les Chansonniers du Caveau

La « Société bachique et chantante du Caveau » dont l’existence couvre une période allant de 1729 jusqu’au milieu du XXe siècle, avec des périodes d’activité et de sommeil, contribua grandement, selon Claude Duneton, à créer la « chanson moderne » avec des couplets, un refrain et, surtout, une musique inédite. Leur publication a permis d’en conserver les paroles.

Les membres du Caveau sont avant tout des amateurs de bonne chère et de bon vin. Certains vivent de leurs écrits et tirent souvent le diable par la queue, d’autres bénéficient de rentes ou disposent de fortune personnelle.

De la première période, on peut retenir le talent d’Alexis Piron, d’origine dijonnaise, ou de Charles François Panard, un auteur de vaudevilles, qui s’énerve contre les buveurs d’eau :

L’eau n’est bonne sur cette terre
Que pour les fleurs d’un parterre,
Pour le chou, pour le poireau,
Les melons et les citrouilles.
Eh ! Pourquoi donc boire de l’eau ?
Sommes-nous des grenouilles ?30

L’instauration de la liberté des théâtres, en 1791, donne un bel essor au Caveau qui devient « Les Dîners du Vaudeville », avec des réunions à date fixe. Ils cessent en 1801 avant de renaître en 1805 sous le nom de « Société épicurienne du Caveau moderne ». Les dîners ont lieu tous les 20 du mois –forcément- dans un modeste cabaret spécialisé dans les huîtres, Le Rocher de Cancale. Sponsorisées par un libraire, les réunions donnent lieu à de nombreuses publications.

C’est une grande époque où se croisent des chansonniers tels que Armand Gouffé, employé au ministère des Finances, Marc-Antoine Désaugiers, un talentueux écrivain loué par Pierre Larousse qui lui reproche de se consacrer trop exclusivement « à la victuaille et au jus de la treille ».

En 1813, Pierre-Jean de Béranger rejoint le groupe et se fait connaître grâce à lui. Jamais il ne reniera les chansons légères de ses débuts telles que « Ma grand-mère », que chantera plus tard Yvette Guilbert :

Ma grand’mère un soir à sa fête,
De vin pur ayant bu deux doigts,
Nous disait en branlant la tête :
Que d’amoureux j’eus autrefois !
Combien je regrette
Mon bras si dodu
Ma jambe bien faite
Et le temps perdu !31

Conclusion

La chanson, en tant que support historique, est très peu exploitée, encore moins dans le domaine du vin. Même si son contenu est souvent subjectif, qu’il n’est pas toujours possible de la dater avec précision, elle apporte un éclairage nouveau et inédit.

Il existe un très grand nombre de chansons qui évoquent le vin, notamment en France mais c’est aussi le cas dans de nombreux autres pays vinicoles.

Etudier en profondeur ce répertoire contribuerait à enrichir la dimension culturelle du vin selon un axe inédit et original.

Notes

1 « Dès l’matin, on prend la hotte », Anthologie des chants populaires française, t. 3, p. 278, Bourgogne Auxerrois, Joseph Canteloube. Consulté sur [www.rassat.com] le 2/2/2014. Retour au texte

2 Cité par Claude Royer, « Les activité du vigneron », La vigne et le vin. Ouvrage réalisé dans le cadre de l’exposition « La vigne et le vin » présentée à la Cité des sciences et de l’industrie, Lyon, La Manufacture, 1988. Retour au texte

3 M. Chevais, « Allons en vendanges », Chansons populaires du Val de Loire, p. 120. Consulté sur le site [www.rassat.com] le 2/2/2014. Retour au texte

4 Armand Gouffé, « Le buveur desapointé ou les suites de la vendange de 1816. Sur l’air du vaudeville de la Belle Fermière », Les Soupers de Momus, recueil de chansons inédites pour 1818, 5e année, Paris, Arthus Bertrand libraire. Retour au texte

5 Cité par Octave Pradels, Le Vin et la chanson, Paris, Flammarion, 1913. Retour au texte

6 E. Grangé et Fenée, « Chanson pour encourager les savants à lutter contre le phylloxera », dans Octave Pradels, Le Vin et la chanson, Paris, Flammarion, 1913. Retour au texte

7 « La Marseillaise de la Courtille », La Feuille du Matin, 25 novembre 1792. Cité par Gilbert Garrier, Histoire sociale et culturelle du vin, Paris, Larousse Bordas, 1998. Retour au texte

8 Lou Manobro, « La Marseillaise des vignerons (1905) ». Cité par Jean Sagnes, La vigne et la civilisation du vin en pays languedocien et catalan, Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, Montpellier, 1984. Retour au texte

9 Auguste Rouquet, « La Marseillaise des viticulteurs ». Cité par Gilbert Garrier, op. cit. Retour au texte

10 « La Marseillaise des bouilleurs de cru », Chant du Jura, 1905. Cité par Edouard Lynch, « Les bouilleurs en République : Pratiques manifestantes et mobilisations antiétatiques », Vin et République, Actes du colloque organisé à Montpellier les 17 et 18 octobre 2007, Paris, Editions Pepper, L’Harmattan, 2009. Retour au texte

11 « Le vigneron qui met de l’eau dans son vin ». Cité par A. Millien, Chansons populaires du Nivernais et du Morvan, t.5, p. 74. Consulté sur le site [www.rassat.com] le 2/2/2014. Retour au texte

12 Ces chansons sont répertoriées sur le site [http://www.maisons-champagne.com]. Retour au texte

13 Delormel et Garnier, « Champagne », musique de Félix Chaudron. Cité sur le site [www.maisons-champagne.com] consulté le 2/2/2014. Retour au texte

14 Léon Laroche, « Je suis pocharde ! » (1890), musique Louis Byrec. Cité par Martin Pénet, Mémoire de la chanson, tome 1, Paris, Omnibus, 2001. Retour au texte

15 Chansons à boire : Chanter les vins de Loire, Livre et CD. Douarnenez, Editions du Chasse-Marée, 2004. Retour au texte

16 « Les moines de Saint Bernardin ». Cité par Théophile Marion Dumersan et Noël Segur, Chansons nationales et populaires de France, tome 2, Paris, Librairie de Garnier frères éditeurs, 1866. Retour au texte

17 « Les menuets chantants sur tous les tons », recueillis par Christophe Ballard, imprimeur du Roy, Tome 2, Paris, 1725. Retour au texte

18 Eloge du vin et de la vigne, CD et livret, La Maurache, Paris, Arion, 1993. Retour au texte

19 « Buvons ma cousine », Chansons à boire : Chanter les vins de Loire, Livre et CD, Douarnenez, Editions du Chasse-Marée, 2004. Retour au texte

20 Jean-Baptiste Clément, « Quand nos homm’s sont au cabaret » (1863), musique de Joseph Dacier. Cité par Martin Pénet, Mémoire de la chanson, tome 1, Paris, Omnibus, 2001. Retour au texte

21 Jules Jouy, « La Soûlarde » (1894), musique Eugène Poncin. Cité par Martin Pénet, op. cit. Retour au texte

22 Maisondieu et Pothier, « Viens maman » (1925), musique de Léojac. Cité par Martin Pénet, op. cit. Retour au texte

23 Chanson attribuée à Collé, « La Guinguette de Ramponneau » (1760). Cité par Claude Duneton, L’Histoire de la Chanson française, tome 1, Paris, Seuil, 1998. Retour au texte

24 Jean Dréjac, « Ah ! Le petit vin blanc (1943) », Musique de Charles Borel-Clerc, Copyright, Les nouvelles éditions Méridia. Cité par Martin Pénet, op. cit. Tome 2. Retour au texte

25 Adam Billaut, Rondeau Cité par Claude Duneton, L’Histoire de la Chanson française, tome 1, Paris, Seuil, 1998. Retour au texte

26 Philippot, « Ce grand guerrier Alexandre, Chanson bachique dédiée aux enfants de la jubilation, sur le chant A présent je vous confesse ». Cité par Claude Duneton, idem. Retour au texte

27 Philippot, « Quand un homme de bien est ivre, Chanson à boire dédiée aux enfants de Bacchus ». Cité par Claude Duneton, op. cit. Retour au texte

28 Pierre Dupont, « Ma Vigne », Chants et Chansons, tome 1. Paris, Chez l’Editeur, 1851. Retour au texte

29 Pierre Dupont, « La Cave (dédié à Bonvallet) », Chants et chansons, poésie et musique, vol 4, Paris, Lécrivain et Toubon Libraires, 1859. Retour au texte

30 Panard, « Chanson bachique, sur l’air Eh ! pourquoi, quoi, quoi », Œuvres choisies, Hommage rendu à sa mémoire par Armand Gouffé, tome II. Paris, libraire Capelle, 1803. Retour au texte

31 Béranger, « Ma grand-mère sur l’air de En revenant de Bâle en Suisse », Chansons, tome 1, Paris, Editeurs Perrotin, Guillaumin, Bigot, 1829. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Sylvie Reboul, « De la plume au verre, l’autre facette des chansons à boire », Territoires du vin [En ligne], 12 | 2021, publié le 15 février 2021 et consulté le 24 novembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/index.php?id=1940

Auteur

Sylvie Reboul

Journaliste spécialisée et auteur de livres

Droits d'auteur

Licence CC BY 4.0