Plant d’Anjou, pineau blanc, chenin ? La diversité des cépages avant l’ère phylloxérique, 1500-1860

Plan

Texte

Introduction

L’histoire des cépages reste un domaine mal connu1. Trois raisons expliquent une relative méconnaissance de cette histoire. Tout d’abord, le cadre de l’étude des cépages a été très borné par le cadre régional de la plupart des études. Les historiens ont avant tout cherché à identifier les premières mentions des cépages de leur région d’étude2. La présence d’autres cépages, aux noms souvent imagés et obscurs, a été perçue avant tout comme un élément de curiosité3. Au mieux, certains cépages ont une histoire régionale, sans véritable comparatisme. Ensuite, les explications générales dans la répartition des cépages se sont enfermées dans un débat qui traverse les études viticoles depuis Roger Dion. D’un côté, des historiens ont développé une vision teintée de darwinisme : la nature est bien faite, les meilleurs cépages ont trouvé leurs meilleurs terroirs ; au mieux, les hommes n’ont fait que découvrir ce que la nature leur réservait. De l’autre côté, une vision possibiliste défendue par les héritiers du grand géographe : les contraintes naturelles n’expliquent pas tout, et la géographie des cépages, très souple, relève surtout de choix humains en fonction du contexte4. Ajoutons enfin que les historiens n’ont pas forcément les bases pour mener cette étude. Leur inclination penche naturellement vers le possibilisme, mais elle doit accepter les avertissements des spécialistes des sciences de la nature5. Tous les cépages ne conviennent pas à tous les sols et sous-sols, à tous les climats, toutes les expositions, toutes les conditions d’ensoleillement. Il convient alors d’intégrer les données de la botanique, de la biochimie, de l’agronomie, de l’œnologie et de la génétique6. A l’inverse, les facteurs humains ne doivent pas être écartés. L’histoire du chardonnay en Champagne fournit un exemple. Limité et dénigré jusqu’à la fin du xviiie siècle, car donnant un vin jugé trop acide et trop jaune, il est promu au xixe siècle grâce au procédé de chaptalisation qui limite ses inconvénients et permet de tirer profit de ses qualités aromatiques sous le climat champenois7. De même, ce sont encore des facteurs humains qui expliquent les modifications profondes de l’encépagement bordelais depuis les années 1960 : d’une quasi-parité entre les cépages rouges et blancs, l’évolution du goût et de la réputation des vins de Bordeaux en a entraîné l’extension massive des cépages rouges8.

Je propose ici des pistes de réflexion autour du chenin, première ébauche en attendant d’autres recherches. Le chenin présente toutes les caractéristiques de cette histoire à construire. Son origine d’abord n’est pas clairement identifiée. Il paraît être un cépage autochtone des bords de la Loire, mais en 2001, Guy Lavignac a défendu une origine située dans le Sud-Ouest9. La date de son apparition reste incertaine, même si on parvient à suivre sa présence à partir du xvie siècle. Il est ensuite difficile à identifier, étant connu sous les noms de plant d’Anjou, pinet d’Anjou, pineau blanc et chenin. Comme nous allons le voir, la synonymie est, depuis la fin du xviiie siècle, un obstacle majeur aux études ampélographiques. Il a été dit qu’il viendrait du Mont-Chenin, rappelant la robustesse du chien10. Mais cela n’explique pas le « pineau », ou « pinot » on ne sait plus trop, ni pourquoi le nom de chenin, nom vulgaire du cépage au xviiie siècle, s’est peu à peu imposé. Il a enfin essaimé de manière importante. Au milieu du xixe siècle, il figure parmi les 15 cépages les plus répandus en France, avec une solide base dans la vallée de la Loire11. Sa diffusion en Afrique du Sud, antérieure au xixe siècle, reste assez obscure12. Nous verrons que pour quelques dizaines de cépages voyageurs, des centaines de cépages ont, au milieu du xixe siècle, une aire d’extension très réduire.

Je vais présenter ici les caractéristiques de l’encépagement ancien, fixant la barrière de cette ancienneté à la crise phylloxérique. En effet, cette crise a provoqué une révision en profondeur de l’encépagement, provoquant le repli voire l’abandon des cépages « mineurs », l’homogénéisation des vignobles et des parcelles, la généralisation des porte-greffe mais aussi la progression des hybrides. Par ailleurs, l’exigence de vins mieux identifiables et aux qualités constantes pousse dans le même temps à délaisser les cépages « pittoresques »13. Nous allons voir qu’au contraire, l’encépagement ancien était d’une très grande diversité – même si l’inévitable synonymie trouble largement notre regard –, et qu’il était loin d’être immobile.

La difficile identification des cépages anciens

La grande difficulté de l’histoire des cépages est l’étroitesse de la documentation écrite avant le xviiie siècle14. Pour le Moyen Age, les mentions sont rares. Les quelques traités d’agronomie du Moyen Age ne citent presque pas de cépages. Ainsi, le Rustican de Pierre de Crescens décrit la diversité des vignes, les blanches, les noires, la forme des grappes, les variations de la couleur du bois, mais il ne cite pas de noms de cépages15. On trouve des mentions de cépages dans des documents d’archives. La Bourgogne des xive-xve siècles fournit par exemple une lettre de 1375 mentionnant un « vin de pinot vermeil », et surtout le fameux arrêt de 1395 du duc de Bourgogne interdisant le gamay16. Pour la Champagne médiévale, Jean-Pierre Devroey a trouvé quelques mentions éparses : deux citations (du vin « fromenté ») à Epernay en 1284 et 1325 ; une autre à Châlons en 1383 (« vin de gouest » et le « vin fromenté »)17. Notons au passage que cela laisse entendre que les gens du Moyen Age étaient familier de la notion de « vin de cépage ». En Bordelais des xive-xve siècles, Sandrine Lavaud, constate qu’il n’y a pas de mention de cépages18. Pour le xvie siècle, Pierre Rézeau a identifié pour sa part plusieurs mentions dans la région d’Avignon : uniers (ugni) en 1514 ; borbolenque, ugni, esparse en 1550 ; piquepoule et ugni en 1566 ; ugni, clairette, roussane, verdot en 157719. Malgré tout, les archives médiévales (contrats agraires, règlements, documents fiscaux…) laissent entrevoir des perspectives assez limitées pour la connaissance des cépages.

Graphique 1. Nombre de cépages cités (après correction des synonymes avérés)

Graphique 1. Nombre de cépages cités (après correction des synonymes avérés)

Il faut se contenter de listes limitées et assez générales que l’on trouve dans les traités d’agronomie à partir de la Renaissance (graphique 1). La vendange du xvie siècle, tout en étant précieuse, est assez modeste. Dans La Maison Rustique (1583), Estienne et Liébault citent 22 cépages20. Parisiens, les deux auteurs privilégient la moitié nord du royaume et ignorent la quasi-totalité des cépages du Midi. Le « fin pinet d’Anjou » y est classé comme étant le troisième cépage le plus propre à faire du vin blanc, après le fromanteau (chardonnay ?) et le muscadet (melon). Un peu plus prolixe, Olivier de Serres monte à 37 cépages21. Gentilhomme du Vivarais, il ignore le plant d’Anjou, mais cite une liste plus longue de cépages du sud (clairette, ugni, picardan) ignorés des autres auteurs. Ce savoir ampélographique livresque se maintient jusqu’à la fin du xviiie siècle. Les listes sont à peu près les mêmes, avec quelques ajouts : 60 cépages dans L’abrégé des bons fruits, de Merlet en 1690, qui ignore lui aussi le plant d’Anjou22; 32 cépages chez Nicolas Bidet dans son Traité sur la culture des vignes en 1759, auteur rémois qui ignore lui aussi le plant d’Anjou23; 62 cépages chez Plaigne en 1785, qui plagie largement Merlet24; 39 cépages pour Dussieux dans le dictionnaire de Rozier en 180125; 37 cépages pour Salmon en 182626. Ces listes générales présentent des caractéristiques communes. Les cépages y sont décrits de façon sommaire, avec peu de précisions géographiques, quelques bribes sur les rendements, la maturité, les caractéristiques des vins. Enfin, les divers auteurs y privilégient les cépages des régions qu’ils connaissent. On ne trouve chez eux aucune volonté de classer les cépages, ni d’en expliquer la diversité.

La rareté du chenin dans ces listes ne présume pas du tout d’une faible extension. D’autres documents le mentionnent. Il a été fait grand cas de la citation de Rabelais : « avec gros raisins chenins, estuvèrent les jambes de Forgier fort mignonnement, si bien qu’il feut tantost guéry »27. Cette phrase n’associe pourtant guère vin d’Anjou et chenin, même si l’on peut apprécier au passage les vertus curatives des raisins. Les comptes de Diane de Poitiers, pour son domaine de Chenonceau à partir de 1547, mentionnent le « plant d’Anjou », dont l’implantation remonterait à Thomas Bohier, propriétaire du domaine dans les années 152028. Plus tard, dans un mémoire de 1765, Michel Drapeau cite le « chenin » comme étant le plant dominant de l’Anjou, ne laissant qu’une faible place aux plants rouges29. En 1827, le mémoire fourni à Cavoleau, auteur d’une grande enquête sur le vignoble français, cite explicitement le « pineau blanc » comme étant le cépage ordinaire de la région, aussi bien vers Angers que dans les environs de Saumur30.

La période 1800-1860 marque une profonde rupture, avec une volonté de dénombrer tous les cépages. Dès les années 1780, l’abbé Rozier propose de recenser et de classer les cépages. Grand spécialiste du vignoble dans les années 1770-1780, auteur d’un très grand nombre d’ouvrages, il envisageait de combattre la confusion et la synonymie des cépages, afin de promouvoir de meilleures techniques de culture. C’est dans ce cadre qu’il créé une pépinière à Béziers, en 1780-1786, élaborant un véritable protocole expérimental pour identifier les cépages31. Le projet est repris en 1800, avec l’installation à la demande de Chaptal d’une pépinière au Luxembourg, à Paris, administrée par Bosc32. On retrouve un inventaire des cépages conservés dans l’inventaire présenté par Hervy en 1809, qui permet de recenser 384 cépages33. Des confusions dans l’envoi des plants, dans leur identification et dans la gestion de la pépinière conduisent à un échec. Néanmoins, fort de son expérience, Bosc opère un saut quantitatif important avec 527 cépages cités dans le Nouveau cours complet d’agriculture, alors même qu’il n’a pas couvert la moitié sud de la France34. En enlevant les doublons identifiables à partir d’autres listes, on arrive à 284 noms différents. Le tome 17 du Cours complet d’agriculture de Louis Vivien de Saint-Martin en 1839 dénombre quant à lui plus de 300 cépages, mais avec beaucoup d’incertitudes concernant les noms. Le chenin est par exemple cité comme synonyme du « nantais », de toute évidence le melon, alors qu’est cité un « pineau blanc » du Maine-et-Loire, admis ailleurs comme un synonyme du chenin35.

Prolongateur de ce travail de recensement, le comte Odart, fournit pour sa part un inventaire précis de 140 cépages français en 1845. Il s’agit là d’une liste très sûre, qu’il a patiemment élaborée à partir des observations réalisées dans sa propre pépinière à Esvres, au sud de Tours36. Il établit dans son Ampélographie universelle de nombreuses synonymies, et a classé les cépages en « tributs » en fonction de leurs points communs, tout en restant prudent et non dogmatique, n’ayant « pas travaillé pour les savants, mais pour les propriétaires de vignes »37. Peu de temps avant l’extension du phylloxéra, Jules Guyot dresse une liste – après révision de notre part – de 431 cépages38. La méthode est très différente des auteurs précédents, puisqu’il a visité le vignoble pendant dix ans pour le compte du gouvernement impérial39. Il a alors recensé, sans forcément les voir personnellement, des cépages qui avaient échappé jusqu’ici aux spécialistes, complétant et critiquant les observations de ses prédécesseurs. Malgré ce travail de recensement, le savoir ampélographique reste incomplet et même incertain au milieu du xixe siècle. Mais la réalité du terrain avait de quoi rendre la tâche très difficile.

L’encépagement ancien : une grande diversité ampélographique

Des années 1780 aux années 1830, découvrant la diversité des vignes à l’échelle nationale, les agronomes tentent de l’expliquer40. Ils construisent alors une théorie de la dynamique des cépages. La grande aptitude de la vigne à muter ne leur a pas échappé. Dussieux rappelle en 1801 qu’« aucune plante n’est aussi sujette à varier dans ses formes et dans la qualité de ses produits que la vigne »41. Salmon confirme en 1826 : « les variétés de vignes changent en quelque sorte de forme et de nature après un certain nombre d’années »42. Cependant, cette mutation n’est pas perçue comme liée à des processus d’hybridation, mais plutôt à un mécanisme de dégénérescence à partir d’un petit groupe d’ancêtres communs. Anticipant les théories du xxe siècle, Dussieux envisage l’existence d’« essences primitives », provenant de Grèce, auxquelles il est possible de « rattacher les variétés qui en proviennent »43. Quant à Bosc, il rattache explicitement les cépages français aux 21 cépages recensés par un voyageur contemporain en Grèce.

Comme le souligne Jean-Claude Martin, les auteurs des années 1800-1850 adoptent un schéma darwinien, envisageant la mutation des cépages comme un mécanisme lié au temps et à l’espace44. Deux séries de facteurs sont identifiées comme primordiaux dans la mutation des cépages. Le sol et le climat ont un rôle décisif. Salmon rappelle ainsi que « les variétés de vignes changent en quelque sorte de forme et de nature après un certain nombre d’années, suivant les sols dans lesquels on les cultive et l’influence du climat »45. Mais ce sont surtout les mauvaises techniques de culture qui provoquent la dégénérescence. En taillant trop long, en poussant les rendements, les cultivateurs provoquent le changement de nature des cépages, jusqu’à le rendre méconnaissable par rapport au cépage originel. Dussieux cite comme argument décisif l’expérience de Villemorin, qui aurait vu une souche de meunier porter des sarments de morillon hâtif. Après avoir vérifié dans Columelle, il constate que rien n’y ressemble au meunier46. Salmon quant à lui prend à témoin la disparition des cépages méditerranéens issus des croisades, plantés dans le nord du royaume, dont on ne retrouve plus aucune trace à cause d’une mauvaise culture47.

Nombreux à l’échelle nationale, même si les synonymes conduisent sans aucune doute à une surestimation, les cépages sont aussi très variés à l’échelle départementale. La grande enquête de Guyot fournit le premier véritable tableau national, que nous proposons d’exploiter48. Il a d’abord tenté de localiser les cépages. Certes, il ne donne aucun chiffre concernant l’extension des cépages, mais des impressions : « on cultive beaucoup », « il est très répandu », « il domine ». Il est donc difficile d’avoir une représentation précise. En revanche, on peut calculer le nombre moyen de cépages par département, à partir des listes de noms qu’il fournit. Cette moyenne est de 12,75 cépages par département. Les écarts vont de 48 pour le Tarn-et-Garonne à un seul pour l’Ille-et-Vilaine (muscadet), et 15 départements ont plus de 20 cépages différents. La carte 1 montre que le Sud-Ouest se caractérise par un nombre de cépages moyen plus élevé. Cependant, le sud du Bassin Parisien, véritable zone de transition entre les cépages du nord et ceux du sud, est également très diversifié.

Carte 1. Les cépages en France vers 1860, d’après Guyot

Carte 1. Les cépages en France vers 1860, d’après Guyot

D’autres sources suggèrent une diversité encore plus grande. La comparaison entre le tableau de l’Anjou dressé par l’auteur angevin Guillory en 1851 et les données de Guyot trahit des décalages importants. Guyot ne recense que quatre cépages dans le Maine-et-Loire : cabernet, gamay, varenne et chenin. Or, Guillory fournit une liste beaucoup plus large, avec une quinzaine de cépages : 4 cépages blancs et 5 cépages rouges dans la région de Saumur, 5 cépages dans celle d’Angers49. Il témoigne de la présence de neuf cépages en petites quantités, dont le meunier, le gouais, le meslier, le teinturier, tout en affirmant la suprématie du chenin, dominant à hauteur de 5/6, ce qui ne laisse que 15 à 20 % pour les autres.

Dans la Marne, les topographies cantonales vont dans le même sens : la diversité y est plus grande encore que dans la description de Guyot. La « Topographie » du canton de Châtillon publiée en 1821 cite une dizaine de cépages paraissant différents – à en croire leurs noms qui les relient à un cépage connu par ailleurs –, quand Guyot n’en cite que six pour l’ensemble du département. A Binson, on rencontre le morillon noir, dit aussi « franc pineau » et « bourgogne noir », le meslier vert (dit aussi rochelle verte, qui est un nom fréquent de la folle blanche, ce qui nous laisse dans l’incertitude), le morillon blanc (dit aussi valesanne…), le gamay noir, le petit gamay (dit aussi « gouais noir », alors que le gouais est un cépage distinct du gamay…), le chasselas doré (dit plant d’Orient), le chasselas rouge, quelques meuniers et teinturiers50.

Carte 2. Les cépages dominants par département vers 1860, d’après Guyot

Carte 2. Les cépages dominants par département vers 1860, d’après Guyot

La répartition des différents cépages est très inégale. On peut identifier des cépages à haute fréquence (carte 2), avec en tête le gamay, de loin le cépage le plus fréquent avec 29 départements (37 % des départements viticoles), devant le chasselas (23 départements, 29 %), le pinot noir (21), le meunier (19), le côt (19), la clairette (18 ; mais il s’agit d’un nom générique), la folle blanche (17). Avec 7 départements, le chenin (carte 2) n’est pas en apparence un cépage très expansif, mais il est de très loin dans le petit groupe des cépages les plus répandus, avec pour centre le Maine-et-Loire, vers le nord la Sarthe et la Mayenne, vers l’amont de la Loire l’Indre-et-Loire, le Loir-et-Cher et l’Indre, et vers le sud la Vienne.

A l’inverse, 288 cépages ne sont mentionnés que dans un seul département. Certes, il y a parmi eux d’inévitables synonymes : certains doivent correspondre à des cépages cultivés ailleurs. Beaucoup ne sont plus cultivés aujourd’hui qu’en pépinière, et d’autres ont dû disparaître sous l’effet du phylloxéra51.

Le plus étonnant est que cette diversité est reproduite à l’échelle des parcelles. Certes, les agronomes s’accordent dès la Renaissance sur la nécessité de séparer les cépages. Olivier de Serres décrit un idéal, lorsqu’il préconise de planter « par carreaux distingués, selon les différences des races des raisins, qui facilement sont coupées, séparément et sans confusion, chacune en son point pour en exprimer le vin comme l’on désire »52. Mais dans la réalité, le complantage est la règle53.

Liébaut décrit la pratique dans les années 1570 : « la vigne, qui pour faire rendre le vin clairet, est plantée moitié de blanc et de noir »54. Cela signifie bien que les parcelles sont complantées, l’agronome indiquant même comme proportion un pied de meslier blanc pour quatre pieds de vigne noire. Une telle pratique convient parfaitement à la production de vin clairet ou rosé, qui est le type de vin dominant à cette époque55. Cependant, Bosc ajoute un autre avantage en expliquant « que l’une manquant l’autre en dédommage »56. Le propriétaire prudent se range donc du côté de la diversité. Naturellement, une telle pratique pose des contraintes importantes. Bosc dénonce ainsi un manque de bon sens dans la Sarthe : « le mancel charge beaucoup et donne de bon vin, mais il mûrit plus tôt que le pineau. Il faudrait le planter pour le vendanger à part »57. Dans le canton de Châtillon-sur-Marne, la topographie citée plus haut signale un complantage différencié. Si certains coteaux sont décrits comme exclusivement plantés en pinots, d’autres zones, en particulier les hauteurs, paraissent beaucoup plus bigarrées58.

L’homogénéité des parcelles paraît plutôt une exception jusqu’au milieu du xixe siècle. Elle est attestée principalement en Bourgogne, même si Lavalle lui-même signale en 1855 quelques pieds de blancs et des pinots gris parmi les pinots noirs59. Mais en général, les gamays, qui occupent alors la moitié des superficies des côtes de Beaune et de Nuits, sont soigneusement plantés à part. En Bordelais par contre, la pratique du complantage est aussi la norme, d’autant plus que les vins sont issus, comme en Champagne et dans beaucoup d’autres régions, d’assemblages. Un mémoire bordelais de 1759 rappelle qu’« on est assez généralement et assez raisonnablement persuadé que le mélange de divers cépages contribue essentiellement à la bonne qualité du vin : c’est pour cela que de tous tems, on a mêlé dans les mêmes terreins toutes sortes de cépages qui doivent être vendangés ensemble »60. Le Champenois Bidet conclut pour sa part : « il n’est pas permis de douter que ce mélange de différens cepages, contribue essentiellement à la bonne qualité du vin »61. Comme nous l’avons suggéré plus haut, le rosé (ou clairet) est considéré comme la meilleure couleur, tirant à la fois les avantages du rouge et du blanc. A une époque où l’on se méfiait, dans le cadre de la médecine galénique, des saveurs extrêmes, associées soit au vice et à la luxure pour la douceur, et – à juste titre – aux troubles de la digestion pour les vins trop acides, le mélange des cépages était une manière d’atteindre cet équilibre.

L’Anjou n’échappe pas à cette pratique du complantage, si l’on reprend le tableau de Guillory en 1851. Autour d’Angers, « quelques propriétaires ont mêlé avec plus ou moins d’avantage avec les rouges d’aunis, le côt de Touraine » et le pinot de Bourgogne62. Dans tout le vignoble, « au travers de ces divers cépages blancs et rouges se trouvent plus ou moins accidentellement épars pour les cépages blancs le gouais, le mêlier, le fié blanc, le fié jaune, le doux blanc ou blanc doux, la folle blanche »63. Il ajoute que des cépages noirs sont parfois présents.

Cependant, cette pratique est de plus en plus contestée au xixe siècle. En 1826, Salmon émet des doutes très sérieux, puisque selon lui, « la grande variété d’espèces qui n’ont entre elles aucun rapport, ne peut produire qu’un mauvais mélange, qui ne donne jamais un vin suave et franc »64. Guyot quant à lui y est vraiment hostile : la sélection est la voie du progrès allié à la raison. Il propose de limiter l’encépagement de chaque département à quelques cépages bien connus, dont les techniques de culture sont bien adaptées, et supprimer le mélange des raisins dans les parcelles.

Les dynamiques de l’encépagement

L’encépagement ancien est loin d’être totalement immobile, même s’il est difficile de l’approcher. Les sources insistent plus volontiers sur la diffusion « par le haut ». Les expériences de la Renaissance ont ainsi laissé quelques traces. Selon Dussieux, François Ier aurait implanté des cépages méditerranéens en Ile-de-France, faisant venir des plants de Grèce à Coucy et à Fontainebleau65. Il aurait également fait transférer des plants de Bourgogne (pinot ?) en Sologne. Un compte de 1518 fait mention de 80 000 plants enracinés transportés depuis la région de Beaune à Romorantin, où le roi désirait boire des vins semblables à ceux de Bourgogne66.

De son côté, Thomas Bohier aurait implanté le chenin en Touraine. Régulièrement reprise par les auteurs angevins, elle a été exposée pour la première fois par l’abbé Chevalier en 1860, à partir des comptes de Chenonceau. Originaire d’Auvergne, conseiller spécialiste des finances de Louis XI à François Ier, il acquiert Chenonceau en 1512 et y fait planter des cépages d’Arbois, d’Anjou et de Beaune67. Les comptes de 1547-1555, à l’époque de Diane de Poitiers mentionnent encore la culture de ces plants68.

Les auteurs angevins et tourangeaux racontent aussi l’arrivée du « breton » en Anjou au xviie siècle. C’est Guillory qui évoque le premier cette version69. En 1631-1635, l’abbé Breton, agent de Richelieu en Touraine, aurait fait planter plusieurs milliers de plants venus de Bordeaux. On y a reconnu le fameux cabernet franc, qui aurait pris pour l’occasion le nom de Breton. Il est difficile de confirmer tout à fait cette anecdote, l’abbé Breton n’ayant pas laissé de trace dans les ouvrages sur Richelieu70. Toujours est-il que le cabernet, originaire du Sud-Ouest, a bien migré en Anjou71.

De rares documents laissent aussi entrevoir la progression par le bas. Souvent citée, la fameuse interdiction du gamay en 1395 est à une fois de plus difficile à expliquer. Le duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, interdit et fustige le « très-mauvais et très-desloyal plant, nommez gaamez »72. Non appliqué, relevant sans doute davantage d’une posture que d’une volonté réelle, ce type de règlement est repris en Franche-Comté au xvie siècle, avec des effets limités. Les cépages « grossiers » ne semblent pas tout submerger, et les « bons cépages » maintiennent leurs positions, en marge des règlements.

L’offensive contre les cépages jugés « grossiers » s’intensifie vraiment au xviiie siècle, dans un contexte assez différent. On trouve des éléments dans les arrêts d’interdiction de planter des vignes de 1731. Reprenant à son compte les offensives des parlements provinciaux depuis le début des années 1720, le pouvoir royal entend limiter les plantations pour préserver les superficies céréalières. Le sujet est très sensible, puisque les superficies viticoles ont augmenté de 50 % au xviiie siècle73. Même si l’on se situe au début du processus, on peut supposer tout de même que les contemporains ont été sensibles à la conquête de nouvelles surfaces viticoles, alors que les destructions massives du vignoble après l’hiver 1709 ont sans nul doute conduit à des révisions profondes de l’encépagement. Les différents arrêts fustigent l’expansion des mauvais plants. L’arrêt du ressort de Besançon attaque « les melons et autres mauvais plants » plantés depuis 1701, alors que celui du ressort de Metz s’attaque aussi aux cépages productifs en 173174. Ainsi, la tendance serait au choix de cépages très productifs, surtout de la part des vignerons. En Champagne, on dénonce dans le courant du xviiie siècle les propriétaires plus attirés par la quantité que la qualité75. En Ile-de-France, l’évolution a été reconstituée par Marcel Lachiver. Le gros gamay serait apparu dans les années 1720, et l’usage massif des fumures permet de pousser les rendements à plus de 100 hectolitres par hectare, niveau inédit dans la viticulture ancienne, où la moyenne nationale est proche de 15 à 20 hectolitres par hectare dans les années 178076. Il faut rappeler que le vignoble est confronté à une hausse importante de la demande, principalement populaire. Alors que la population a augmenté d’environ un tiers au xviiie siècle, la consommation urbaine a le plus souvent doublé77. La hausse de la demande de vin bon marché a eu de toute évidence un impact majeur sur l’encépagement.

Logiquement, la mobilité des cépages connaît une accélération dans les années 1780-1850. Sur les bases que nous venons d’exposer, les plants productifs progressent partout, et le ton est volontiers alarmiste chez nos argonomes. Dès 1800, Dussieux rapporte un terrible adage : « le gamet tuera la Bourgogne ». Le gros gamay fournit sont selon lui totalement dénués de parfum, mais avec des rendements quatre fois supérieurs à ceux des autres cépages78. En 1823, Bosc s’attaque aux petits cépages et dénonce « la détérioration des vins jadis célèbres », mettant en cause le gouais en Champagne et le gros gamay en Bourgogne79.

Le tableau de Guyot donne un aperçu des dynamiques en cours dans les années 1850-1860. Le gros gamay est de loin le cépage le plus conquérant, envahissant l’Est (l’Isère, le Doubs et la Haute-Saône, la Meuse), la Loire (le Loir-et-Cher, le Maine-et-Loire), domine en Ile-de-France (Seine-et-Marne, l’Oise, Eure-et-Loir) et triomphe en Bourgogne et sur ses marges (Yonne, Saône-et-Loire, Puy-de-Dôme). D’autres cépages productifs progressent aussi. Le gouais se répand avec le gamay (il est très important dans le Doubs, sous le nom de gueuche), le grenache envahit le Sud, d’autant plus qu’il craint peu l’oïdium, tout en étant très productif, suivi par le picpoule. Le grolleau progresse en Indre-et-Loire, Loir-et-Cher, le gros meslier se renforce dans le Centre et en Champagne, alors que la folle-blanche règne dans l’Ouest atlantique.

Guyot explique ces progrès par l’avide intérêt des vignerons, sans pour autant exclure celui des bourgeois mal éclairés. Dans l’Yonne par exemple, beaucoup cèdent face au gamay pour gagner plus d’argent, « épouvantés de ne récolter que 10 à 20 hectolitres »80. Cruel inversion de l’ordre social, « le bourgeois imite le vigneron ». En Côte-d’Or elle-même, les grands propriétaires cèdent eux aussi en plantant du gros gamay81.

De leur côté, les grands propriétaires opèrent d’importantes transplantations, soutenus par les ampélographes des années 1830-1860, qui considèrent que l’on peut changer. Odart envisage par exemple un « perfectionnement » de l’encépagement. Comme il l’explique en 1845, « l’essai, sur un petit coin de terre, de quelques plants d’un vignoble lointain, de quelque renom, laissera toujours l’empreinte du passage d’un homme de progrès »82. Mais toujours prudent, le grand propriétaire tourangeau prévient qu’il ne peut y avoir de miracle absolu. Pour lui, des cépages produisant des vins excellents dans une région ne produiront pas les mêmes vins ailleurs : « je ne soutiendrai pas que le carbenet produirait ailleurs du vin d’une aussi haute qualité que dans le Médoc »83. Mais selon lui, il faut faire des essais, et chercher à améliorer les vins locaux.

Guyot défend quant à lui un véritable volontarisme en matière d’encépagement : « tous les efforts, dans la viticulture et dans la vinification, doivent tendre à la simplification dans la composition des vignes comme dans la confection des vins. Là est le progrès »84. Pour lui, de nombreux cépages peuvent réussir un peu partout, à condition de trouver le système de taille adapté au sol et au climat. Il propose une révision globale : dans la moitié sud, une extension du cabernet, du côt et du pinot ; dans l’Ouest, une expansion du breton et du cabernet ; dans l’Est, une vaste restauration du pinot85.

L’Anjou témoigne de ce grand brassage des cépages, sans pour autant entamer la suprématie du chenin86. Faute de statistiques précises, la carte 3 montre l’extension du chenin en 1849-1850, d’après les vins envoyés par de grands propriétaires pour le concours organisé par la société d’agriculture87. Le chenin paraît exclusif dans le centre du Maine-et-Loire, alors que le vignoble de Saumur est plus partagé, fournissant davantage de vins rouges. D’autres témoignages montrent que les propriétaires font des tentatives d’implantation d’autres cépages. Selon Planchenault en 1866, Théobald de Serrant aurait introduit le verdelho de Madère dans la fameuse Coulée de Serrant dans les années 178088. Mais il indique que cette tentative a fait long feu, le cépage ayant totalement disparu. Plus globalement, Guillory mentionne en 1851 trois cépages à la mode, qu’il a éprouvé lui-même dans sa pépinière de la Roche-aux-Moines depuis 1841 : le pinot noir de Bourgogne (Saint-Sylvain, Bouchemaine, Savennières), le petit gamay et le meunier, beaucoup plus rare.

Carte 3. Chenin et cépages rouges en Anjou en 1851

Carte 3. Chenin et cépages rouges en Anjou en 1851

Quoi qu’il en soit, le chenin n’est nullement menacé. Si Guyot propose l’extension du petit gamay autour d’Angers et celle du le pinot joint au chardonnay aux environs de Saumur et Baugé, il ne conteste pas la pertinence du chenin là où il est : « pour moi, le pineau blanc de la Loire peut réunir quantité et qualité »89. Il rappelle indirectement que le cépage, au-delà des aptitudes naturelles, est un point de rencontre une plante et des hommes, avec des goûts (pour les buveurs), mais aussi des savoir-faire (pour les vignerons) comme des systèmes de taille et de culture, des techniques d’entretien et de vendange, et plus en aval des techniques de vinification. Selon lui, le chenin a justement trouvé son équilibre en Anjou au moment où il visite la région, avec un système de taille adapté, « une des questions des plus graves », mais « à peu près résolue par l’expérience séculaire de Maine-et-Loire », et des vendanges faites « de temps immémorial sur les meilleures bases »90. Dans le débat sur l’adaptation / l’inadaptation des cépages, il replace les hommes au centre.

Conclusion

L’histoire des cépages est un chantier qui s’ouvre, et rejoint de nombreuses préoccupations d’une histoire environnementale en plein essor. Elle met en valeur l’interaction permanente entre les hommes et les plantes à l’intérieur d’un écosystème plus global. Dans ce système d’interactions, les cépages n’ont jamais été immobiles, même avant le phylloxéra. De nombreux paramètres concourent au changement. Le type de vin recherché n’est pas fixe dans le temps, et il est lui-même déterminé par l’évolution du goût pour des vins secs ou sucrés, blancs ou rouges. Les techniques de vinification changent, avec en particulier une tendance à l’allongement des cuvaisons au xviiie siècle, puis au xixe siècle le recours au sucrage qui permet de modifier les vins faibles. Le recul de la contrainte céréalière ouvre également la voie à une extension des superficies viticoles, entraînant une extension sans précédent des cépages robustes, adaptés à des sols moins favorables à la viticulture. Le réchauffement climatique, attesté du xiie au xive siècle, puis depuis le xixe siècle, a pu concourir aussi à modifier la répartition des cépages. Les paramètres, que l’on peut qualifier pour simplifier de naturels et d’humains, sont donc nombreux.

Dans ce contexte d’évolution souvent plus lente que rapide dans la durée, la stabilité du chenin est loin d’être un signe d’isolement ou d’immobilisme. Si le chenin est solidement enraciné en Anjou, c’est qu’il s’intègre, comme le souligne Guyot, dans un système viticole solide. Attesté au xvie siècle, le chenin fournit dans l’Anjou au xviie siècle des vins blancs liquoreux pour la Hollande, avant de fournir plutôt des vins blancs secs, plus appréciés sur le marché français, au xixe siècle. Ce cépage a donc été le support de vins très différents. L’apparente stabilité de ce cépage ne doit pas masquer la diversité des vins qui en ont été tirés, des marchés qu’il a conquis ou perdus, des techniques variées qui ont pu en diriger la culture. Un même cépage peut donc soutenir des réalités très différentes, et vient nous rappeler qu’en histoire, la stabilité interroge tout autant que le changement.

Notes

1 Les historiens ont beaucoup à apprendre des ampélographes. Pour une perspective historique présentant les tendances de la recherche, This Patrick, Lacombe Thierry, Thomas Mark R., « Historical origines and genetic diversity of wine grapes », Trends in Genetics, vol. 22, n°9, p. 511-519. Les auteurs nous montrent que les caractéristiques actuelles des vignes cultivées sont largement déterminées par les processus de sélection guidés par les hommes. Il faut cependant signaler les travaux en cours de Henri Galinié, que nous n’avons découvert qu’à l’issue de ce présent travail : « Le Pineau d’Aunis, Recherches sur l’histoire des cépages de Loire, 1 », 2014, <halshs-01081736>, consultable à l’adresse https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01081736 ; « Les graphies Pinot et Pineau (1375-1901) », 2015, <halshs-01215908>, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01215908. Retour au texte

2 Avant le xviiie siècle, les sources sont rares et les historiens ont par conséquent consacré peu de place à cette question. On trouve beaucoup d’informations dans l’ouvrage de Robert Chapuis sur le vignoble du Doubs et de Haute-Saône, grâce en particulier à de nombreux règlements interdisant certains cépages, du xvie au xviiie siècle ; Chapuis Robert, Vignobles du Doubs et de Haute-Saône. De la naissance à la renaissance, Besançon, Ed. du Belvédère, 2013, p. 41-50, p. 146-157. Voir encore Brumont Francis, Madiran et Saint-Mont. Histoire et devenir des vignobles, Biarritz, Atlantica, 1999, p. 76-79. Retour au texte

3 Ni Roger Dion ni Marcel Lachiver n’ont fait des cépages un fil directeur de leurs synthèses sur le vignoble français. Retour au texte

4 Pitte Jean-Robert, Bordeaux Bourgogne. Les passions rivales, Paris, Hachette, 2005, p. 146-155. Retour au texte

5 Voir les rappels utiles pour les historiens de Goutouly Jean-Pascal, « Qualité des raisins et des vins : une question de trajectoires écophysiologiques », dans Lavaud Sandrine (dir.), Vins et Vignobles. Les itinéraires de la qualité (Antiquité – xxie siècle), Bordeaux, 2014, p. 231-250. Retour au texte

6 Galet Pierre, Précis d’ampélographie pratique, sl., Pierre Galet, 1998, 300 p. Retour au texte

7 Musset Benoît, Vignobles de Champagne et vins mousseux. Histoire d’un mariage de raison (1650-1830), Paris, Fayard, 2008, p. 55-56, 576-580. Retour au texte

8 Roudié Philippe, Vignobles et vignerons du Bordelais (1850-1950), Bordeaux, PUB, 1988, p. 96-100, et p. 329-331. Le géographe dresse un tableau très précis des variations de l’encépagement dans la seconde moitié du xixe siècle, et du processus de simplification, particulièrement dans les années 1950-1970. Retour au texte

9 Lavignac Guy, Cépages du Sud-Ouest. 2000 ans d’histoire, Rodez – Paris, Editions du Rouergue / INRA Editions, 2001, p. 158-159. Retour au texte

10 Cette version est communément admise. Or, elle ne tient guère, le chenin étant déjà attesté à cette date. En effet, de nombreux ouvrages rapportent la date de 1445. Or, il s’agit bien des années 1545. Il faut se reporter à l’article de l’abbé Chevalier en 1859, dans les Annales de la société d’agriculture, sciences, arts et belles-lettres du département d’Indre-et-Loire, tome xxxviii, 1858-1859, p. 119-120. Se basant sur les propos de l’humaniste Joachim Périon, il note que Denis Briçonnet, abbé de Cormery, aurait fait venir des cépages de toute la France dans son domaine, à la manière de Thomas Bohier ou de François Ier. Or, le chenin est déjà mentionné par Rabelais un peu avant. D’ailleurs, l’abbé Chevalier n’a jamais prétendu expliquer l’origine du chenin. La déformation a eu lieu plus tard. Enfin, le nom « chenin » est considéré comme vulgaire jusque dans le premier tiers du 19e siècle, les auteurs utilisant de préférence – y compris Guillory – les noms de « plant d’Anjou » puis de « pineau ». Retour au texte

11 Voir plus loin. Retour au texte

12 Il aurait été introduit au milieu du xviie siècle, et y est connu sous le nom de stein. Les liens commerciaux entre l’Anjou et les Hollandais laisse présumer l’origine de cette introduction. Mais nous n’en avons pas de preuve. Retour au texte

13 Signalons l’action de l’Association Rencontres des cépages modestes, qui favorise la culture et la connaissance des cépages devenus aujourd’hui très rares : http://cepages-modestes.fr/qui-sommes-nous/. Retour au texte

14 Les analyses génétiques ouvrent d’immenses perspectives de recherches, permettant de reconstituer des familles de cépages. Pour l’analyse du gouais sur la base des recherches génétiques et ampélographiques, voir Boursiquot J.-M. et al., « Le Gouais, un cépage clé du patrimoine viticole Européen. » Bulletin de l’O.I.V., 2004, 875-876, p. 5-19. Les auteurs ont identifié 78 cépages issus du gouais blanc. Retour au texte

15 Extrait du Rustican de Pierre de Crescens, dans Argod-Dutard Françoise, « Le savoir-faire », dans Argod-Dutard Françoise, Charvet Pascal, Lavaud Sandrine (dir.), Voyage aux pays du vin. Histoire, anthologie, dictionnaire, Paris, Robert Laffont, 2007, p. 363. Il donne par ailleurs un aperçu des cépages communs en Italie. Henri Galinié montre que le vin « fromenté » des documents médiévaux est avant tout un vin blanc (comme le froment), et le vin « morillon » (comme le Maure) est un vin rouge. Ces qualificatifs ne renvoient donc pas forcément à des cépages. Les vraies mentions de cépages demeurent rares avant le xive siècle. Galinié Henri, « Les graphies Pinot et Pineau (1375-1901) », art. cité. Retour au texte

16 Lavalle Jean, Histoire et statistique de la vigne et des grands vins de la Côte d’Or, Dijon, Picard, 1855, p. 37-39 ; Bazin Jean-François, Histoire du vin de Bourgogne, Paris, Gisserot, 2002, 20-21. Retour au texte

17 Devroey Jean-Pierre, L’éclair d’un bonheur. Une histoire de la vigne en Champagne, Paris, La Manufacture, 1989, p. 107-108. Retour au texte

18 Lavaud Sandrine, Bordeaux et le vin au Moyen Age. Essor d’une civilisation, Bordeaux, Editions Sud-Ouest, 2003, 216 p. Retour au texte

19 Rézeau Pierre, Dictionnaire des noms de cépages de France, Paris, CNRS Editions, 2008, 420 p. Retour au texte

20 Estienne Charles, Liébaut Jean, L’agriculture, et maison rustique, Lyon, Du Puys, 1583, p. 326-327. Retour au texte

21 Serres de Olivier, Le Théâtre d’agriculture et Mesnage des champs, Paris, Métayer, 1600, p. 152. Retour au texte

22 Merlet Jean, L’abrégé des bons fruits, Paris, 1690, de Sercy, p. 141-152. Retour au texte

23 Bidet Nicolas, Traité sur la nature et sur la culture de la vigne ; sur le vin, la façon de le faire et la manière de le bien gouverner, tome 1, Paris, 1759, p. 84-89. Un mémoire d’Angers cité dans l’ouvrage signale néanmoins que le « pineau » est le seul raisin blanc cultivé en Anjou, tome 2, p. 58. Retour au texte

24 Plaigne de le chevalier, L’art de faire, d’améliorer et de conserver les vins, ou le Parfait vigneron, Liège, Desoer, 1785, p. 234-246. Retour au texte

25 Cours complet d’agriculture théorique et pratique, Paris, Delalain, volume 10, 1801, p. 173-185. Retour au texte

26 Salmon, Art de cultiver la vigne et de faire de bon vin, Paris, Huzard, 1826, p. 1-20. Retour au texte

27 Rabelais, Gargantua, livre 1, chapitre XXV Retour au texte

28 Guillory Pierre-Constant, Les vignes rouges et les vins rouges en Maine et Loire, Angers, Barassé, 1861, p. 36-37. Retour au texte

29 Bibliothèque municipale d’Angers, Ms 1670, mémoire de Michel Drapeau, 1765. Retour au texte

30 Cavoleau Jean-Alexandre, Œnologie française, Paris, Huzard, 1827, p. 192. Retour au texte

31 Martin Jean-Claude, Les Hommes de Science, la Vigne et le Vin de l’Antiquité au 19e siècle, Bordeaux, Féret, 2009, p. 123-126. Retour au texte

32 Louis Augustin Guillaume Bosc (1759-1819) a été une figure majeure de la botanique et de l’agronomie. Ses écrits sur la vigne ont été publiés de manière posthume dans le Nouveau cours complet d’agriculture théorique et pratique, Paris, Deterville, tome 16, 1823, 542 p. Il y relate lui-même l’épisode de la pépinière du Luxembourg, p. 236. Retour au texte

33 Catalogue méthodique et classique de tous les arbres, arbustes fruitiers et des vignes formant la collection de l’école impériale établie près le Luxembourg, Paris, Imprimerie Impériale, 1809, 63 p. Nous n’avons comptabilisé que les cépages du territoire français actuel, et nous avons enlevé des doublons. Retour au texte

34 Ibid., p. 223-436. Retour au texte

35 Vivien de Saint-Martin Louis, Cours complet d’agriculture, d’économie rurale et de médecine vétérinaire, tome 17, Paris, Pourrat-frères, 1839, p. 141-155 ; pour le Maine-et-Loire, p. 145. Retour au texte

36 Sur le comte Odart, voir la précieuse notice de Desbons, Pierre, « Le comte Odart, ampélographe tourangeau », Mémoires de l’Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Touraine, tome 26, 2013, p. 1-15. Retour au texte

37 Odart Alexandre-Pierre, Ampélographie universelle, Paris, Librairie Agricole, 1845, p. 60. Retour au texte

38 Guyot Jules, Etude des vignobles de France, Paris, Imprimerie Impériale, 3 volumes, 1863-1868. Retour au texte

39 Sur Jules Guyot, voir Wolikow Claudine, « Le docteur Jules Guyot (1807-1872), médecin-hygiéniste, transfuge et expert des vignobles de France », Territoires du vin, revue électronique publiée par la MSH de Dijon et la chaire UNESCO « Cultures et traditions du vin », n°4, publié le 15 mars 2012 ; http://revuesshs.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/document.php?id=1535, consulté le 30 septembre 2015. Retour au texte

40 Martin Jean-Claude, op. cit., p. 120-123. Retour au texte

41 Cours complet d’agriculture…, op. cit., p. 215. Retour au texte

42 Salmon, op. cit., p. 16. Retour au texte

43 Cours complet d’agriculture…, op. cit., p. 163. Retour au texte

44 Martin Jean-Claude, op. cit., p. 148. Retour au texte

45 Salmon, op. cit., p. 16. Retour au texte

46 Cours complet d’agriculture…, op. cit., p. 146. Retour au texte

47 Odart est très critique, considérant qu’une vigne mal cultivée s’épuise et meurt, sans dégénérer. Cherchant à classer l’existant, il laisse de côté l’épineuse question des origines. Retour au texte

48 A l’échelle départementale, les données s’intensifient à partir des années 1800 : enquêtes préfectorales (dont les réponses de 1800-1801 pour fournir la pépinière du Luxembourg), sociétés d’agriculture, descriptions topographiques des cantons… Pour l’Indre-et-Loire, Samuel Leturcq dirige actuellement une grande enquête collective sur l’évolution géographique du vignoble du xviiie siècle au xxe siècle. Une enquête préfectorale de 1808 recense pour un grand nombre de communes viticoles les cépages cultivées, et pour certaines d’entre elles les superficies. Voir pour une présentation de l’approche générale à partir de l’exemple d’Azay le Rideau, Leturcq Samuel, Lammoglia Arnaud, « Compréhension historique des dynamiques spatiales d'un vignoble ligérien (xve-xxie s.) : premier pas vers le modèle VitiTerroir », http://www.researchgate.net/publication/276265005_Comprhension_historique_des_dynamiques_spatiales_d%27un_vignoble_ligrien_%28XV_e_-XXI_e_s.%29__premier_pas_vers_le_modle_VitiTerroir. Retour au texte

49 Guillory Pierre-Constant, Compte rendu de l’exposition des produits viticoles du département de Maine et Loire, 1849-1850, Angers, Cosnier et Lachèse, 1851, p. 22-24. Retour au texte

50 « Topographie statistique et historique du canton de Châtillon sur Marne », dans Annuaire ou Almanach du département de la Marne, 1821, p. 68 et suivantes. Retour au texte

51 Le site Pl@ntgrape recense un grand nombre de ces cépages « orphelins ». Certains sont encore cultivés sur de très petites superficies, et la plupart ne survivent que grâce au Pôle national matériel végétal, sur son domaine de l’Espiguette, qui conserve 326 cépages. Retour au texte

52 Serres de Olivier, op. cit., p. 210. Retour au texte

53 Cette caractéristique a forcément stimulé les hybridations entre cépages. Retour au texte

54 Estienne Charles, Liébaut Jean, op. cit., p. 326. Dans un chapitre précédent, il note pourtant qu’il ne faut pas mélanger les hâtifs et les tardifs, pas plus que les blancs et les noirs, qui « sont de nature contraire », p. 325. Retour au texte

55 Lachiver Marcel, « Autour du vin clairet », Le vin des Historiens. Actes du 1er symposium « Vin et histoire », Université du Vin, Suze-la-Rousse, 1990, pp. 135-142. Retour au texte

56 Nouveau cours complet…, op. cit., p. 243. Retour au texte

57 Ibid., p. 345. Retour au texte

58 « Topographie statistique… », op. cit., p. 37-168. Retour au texte

59 Lavalle Jean, op. cit., p. 126, dans la description d’Aloxe. Retour au texte

60 Bidet Nicolas, op. cit., tome 1, p. 98. Retour au texte

61 Ibid., p. 101. Retour au texte

62 Guillory Pierre-Constant, Compte rendu…, op. cit., p. 23. Retour au texte

63 Ibid., p. 24. Retour au texte

64 Salmon, op. cit., p. 20. Retour au texte

65 Cours complet d’agriculture…, op. cit., p. 149 ; il ironise : « où sont aujourd’hui ces plants de la Grèce ? ». Retour au texte

66 Boulay Thibaut, « Boire le vin de François Ier », Les Collections de l’Histoire, n°68, p. 97. Retour au texte

67 Chevalier Casimir, Archives royales de Chenonceau. Pièces historiques relatives à la chastellenie de Chenonceau, Paris, Paris, Techener, 1864, p. LXXXIII ; voir l’aveu et dénombrement de 1523, p. 75. Retour au texte

68 Comptes des receptes et despences faites en la chastellenie de Chenonceau, par Diane de Poitiers, publié par l’abbé Casimir Chevalier, Paris, Techener, 1864, p. 9. Retour au texte

69 Guillory Pierre-Constant, Les vignes rouges et les vins rouges en Maine et Loire, Angers, 1864, p. 35. Retour au texte

70 Une recherche sur le moteur de recherche avancée de Google Books n’a rien donné, alors que l’on y trouve un grand nombre de documents publiés au xixe siècle. De même, l’examen des index des deux livres de Joseph Bergin sur Richelieu, centrés sur le patrimoine du cardinal-ministre, ne livre aucun abbé Breton. Voir Bergin Joseph, Pouvoir et fortune de Richelieu, Paris, Robert Laffont, 1987, 381 p. ; L’ascension de Richelieu, Paris, Payot, 1994, 365 p. Retour au texte

71 Les vins de Bordeaux, largement exportés, sont peu vendus en France jusqu’aux années 1750-1770. La Bretagne est leur principal débouché français. Cela pourrait expliquer l’association entre ce cépage bordelais et la Bretagne. Sur ce commerce, voir Mainet-Delair Nicole, Vins et négociants d’Aquitaine vers la Bretagne finistérienne de 1660 à 1795, sl, Coiffard, 2007, 175 p. ; voir aussi la thèse tout juste publiée de Kimizuka Hiroyashu, Bordeaux et la Bretagne au xviiie siècle. Les routes du vin, Rennes, PUR, 2015, 384 p. Retour au texte

72 Lavalle Jean, op. cit., p. 38. Retour au texte

73 Lachiver Marcel, Vins, vignes et vignerons. Histoire du vignoble français, Paris, Fayard, 1988, p. 178 et 387. L’estimation d’un million d’hectares pour les années 1600 est approximative, mais très probable ; ce niveau se maintient selon toute vraisemblance dans les années 1710-1720, après les grandes crises de 1693-1694 et 1709-1710. Le chiffre de 1 576 000 hectares est fourni par la statistique rétrospective de 1829. Retour au texte

74 Chapuis Robert, op. cit., p. 94-97. Retour au texte

75 Musset Benoît, op. cit., p. 319-328. Retour au texte

76 Lachiver Marcel, Vin, vigne et vignerons en région parisienne du xviie au xixe siècle, Pontoise, SHP, 1982, p. 132-145. Retour au texte

77 A Reims, la consommation par habitant serait passée de 100 à 200 litres par an. Musset Benoît, « Les vins de Champagne et leurs consommateurs : trois univers vinicoles et sociaux (1650-1830) », dans Poussou Jean-Pierre (dir.), Le Champagne. Une histoire franco-allemande, Paris, PUPS, 2011, p. 106-108. Retour au texte

78 Cours complet d’agriculture…, op. cit., p. 170. Retour au texte

79 Nouveau cours complet…, op. cit., p. 244. Retour au texte

80 Guyot Jules, op. cit., tome 3, p. 123. Retour au texte

81 Ibid., p. 130. Retour au texte

82 Odart Alexandre-Pierre, op. cit., p. 8. Retour au texte

83 Ibid., p. 11. Retour au texte

84 Guyot Jules, op. cit., tome 1, p. 528. Retour au texte

85 Ibid., tome 3, p. 608 et suivantes. Il propose une liste de 89 cépages (dont dix, pense-t-il, sont synonymes) à conserver, avec pour chacun d’entre eux les départements où les planter. Retour au texte

86 Raphaël Schirmer a noté les tentatives d’implantation de nouveaux cépages en pays nantais voisin, dans la seconde moitié du xixe siècle. Schirmer Raphaël, Muscadet. Histoire et Géographie du vignoble nantais, Bordeaux, PUB, 2010, p. 114-116. Retour au texte

87 Guillory Pierre-Constant, Compte rendu de l’exposition…, op. cit. Retour au texte

88 Guillory n’en dit rien. En revanche, une notice sur les cépages réalisée par la société d’agriculture à la demande de la préfecture en 1801 attribue cette introduction à la famille Walsh en 1750. Bouchard constate lui aussi qu’il n’y en a absolument plus aucune trace en 1876 ; Archives départementales du Maine-et-Loire, 7 M 72, mémoire de Merlet de la Boulaye, 14 germinal an 12. Retour au texte

89 Guyot Jules, op. cit., tome 2, p. 629. Retour au texte

90 Ibid., tome 2, p. 611. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Benoit Musset, « Plant d’Anjou, pineau blanc, chenin ? La diversité des cépages avant l’ère phylloxérique, 1500-1860 », Territoires du vin [En ligne], 7 | 2016, publié le 01 janvier 2016 et consulté le 21 novembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/index.php?id=849

Auteur

Benoit Musset

Maître de Conférences, Université du Maine

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