Vin et santé, toute une histoire

Texte

La règle de Saint Benoit1 a été créée, selon la tradition, par Benoît de Nursie à partir de 534 ap. J-C. Elle a été adoptée et divulguée à la suite de la création de l'ordre de Cîteaux, en 1098, par Etienne de Harding. Bernard de Clairvaux contribuera pour une large part à la diffusion de cette règle qui a servi de modèle à celle qu’il a donnée aux pauvres Enfants du Christ devenus Templiers. Dans la règle 40: la mesure de la boisson ; il est indiqué qu’une "hémine" de vin par jour suffit à chacun. Cette hémine est une mesure romaine antique pour les liquides correspondant à 27 centilitres soit l’équivalent des 3 verres standard actuels considérés comme consommation quotidienne acceptable par les ligues antialcooliques2

En réalité, le vin a toujours fait partie de l’histoire de l’humanité, c’est, selon la bible, Noé qui planta la vigne après le déluge. Mais c'est avec Hippocrate (460-377 av. J-C), père de la médecine moderne, que le vin connaît une véritable consécration dans le domaine thérapeutique. Il disait: "Le vin est une chose merveilleusement appropriée à l'homme si, en santé comme en maladie, il est administré de manière appropriée et juste, conformément à la constitution individuelle".

Dans son célèbre ouvrage publié en 1866, Pasteur (1822-1895) considérait le vin comme "la plus saine et la plus hygiénique des boissons".

Récemment, de nombreuses études ont tenté de démasquer le "French Paradox", terme utilisé par Serge Renaud en 1991 sur CBS, ce paradoxe français consistant en une faible mortalité d'origine cardiovasculaire malgré une consommation élevée de graisses saturées3.

Les études épidémiologiques de Saint Léger4 puis de Keys5 (13 000 sujets suivis pendant 20 ans, début de l’étude en 1952) ont montré que le bassin méditerranéen, et plus particulièrement la Crète, était protégé, probablement à cause d’un régime alimentaire particulier.

Le projet MONICA6 a confirmé la position particulière de la France et mis en évidence un gradient de mortalité sud-nord confirmant cette origine probable du régime très différent de Toulouse et de Lille. La consommation de graisses mono et polyinsaturées, d'ail, de graisse de canard, de régimes faibles en gras saturés, de fruits et de légumes, a été avancée pour identifier le régime méditerranéen. Le régime crétois se distingue du régime méditerranéen par sa frugalité. Toutes ces civilisations méditerranéennes sont aussi des civilisations viticoles et certaines voulaient voir dans le vin un élément important, voire indispensable, de ce régime santé-longévité, protecteur entre autres contre les maladies cardiovasculaires.

L'effet antioxydant des flavonoïdes de vin rouge semble être l'un des mécanismes de protection vasculaire fournis par le régime méditerranéen.

La méta-analyse de Yusuf7 montre que la consommation modérée d'alcool (deux verres par jour) est un facteur de protection cardiovasculaire, de même que la diminution du taux de LDL, de l'abandon du tabac, des fruits et légumes et de l'activité physique.

La plaque d'athérome dans les artères coronaires est responsable de l'infarctus du myocarde et, au niveau de la carotide, elle provoque un AVC ischémique.

Le mécanisme de formation de la plaque est complexe et multifactoriel, mais commence toujours par une accumulation de LDL qui s'oxyde dans l'intima de l'artère.

L’effet du vin rouge sur l’oxydation des LDL pourrait être la clé du paradoxe français.

En effet, la diminution des LDL (le mauvais cholestérol) et l’augmentation du pouvoir antioxydant du sérum sont deux facteurs protecteurs majeurs. S'il y a moins de LDL et qu'ils sont moins oxydés, ils se déposeront moins dans les artères, ainsi la formation de la plaque d'athérome sera retardée.

L'étude interstroke8 confirme ces données pour les accidents vasculaires cérébraux à la dose d'un verre par jour.

Certains vont faire le raccourci en disant qu'un verre pour le cerveau et deux pour le cœur, c'est bien les trois verres autorisés par jour depuis Saint Benoît.

Mais avant de recommander le vin rouge comme complément diététique bénéfique, il convient de noter que la dose d’alcool doit rester acceptable afin de ne pas causer les effets nocifs connus de l’éthanol.

D'autre part, il est certain que, quel que soit le vin rouge, il s'agit d'une soupe d'antioxydants qui peut se conserver très longtemps lorsque la vinification est effectuée de manière traditionnelle (contrôle des températures, longue macération, vieillissement en fût), et facilement assimilable par le corps grâce à l’alcool9.

L'alcool offre une biodisponibilité supérieure. Ce n’est pas un hasard si le vin a toujours fait partie de la ration alimentaire des pays méditerranéens, c’était le seul moyen de conserver les antioxydants (des plantes) pour l’hiver (figure 1)

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Figure 1. Le vin rouge est un élixir de vie.

À l'heure de la mondialisation, de l'appertisation et de la congélation, le fait est qu'un verre de vin rouge apporte beaucoup plus d'antioxydants facilement assimilables que de grandes quantités de fruits et de légumes. (Un verre de vin apporte le même effet antioxydant que 20 litres de thé).

La courbe en J (figure 2) représente la mortalité totale comparée au nombre de verre de boisson au vin par jour. Dans la version d'Ellison10, la cardiopathie ischémique est isolée des autres causes de mortalité. Si nous constatons une augmentation du nombre de décès par accident, par cancer ou par mort subite due à une consommation journalière supérieure à 3 verres, il faut noter une augmentation de la protection cardiovasculaire au-delà de ces doses.

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Figure 2. The J curve (10)

Par ailleurs, une étude de 1997 a montré que c’est la consommation régulière de doses modérées de vin (200 ml) qui permet une protection antioxydante (figure 3).

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Figure 3 : étude de 1997 montrant une augmentation du potentiel antioxydant du sérum avec une consommation journalière de 200 ml de vin. Un seul vin (le rouge numéroté 2) montre une action immédiate significative, il s’agissait d’un vin du Domaine de la Romanée Conti.

Dans une autre étude de 2006, un supplément de 200 ml de vin rouge, pris au cours du repas de midi, chez des volontaires en bonne santé, a montré une diminution du cholestérol total et du cholestérol LDL en une semaine seulement (Rifler et Blache, 11). Cette consommation régulière et modérée de vin rouge permet ainsi de neutraliser les facteurs initiateurs de la plaque d'athérome, et donc d'avoir un effet protecteur cardiaque en prévention primaire.

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Figure 4 : résultats de l’étude montrant la diminution du Cholestérol Total et des LDL chez des sujets sains consommant 200 ml de vin rouge par jour11.

En prévention secondaire, nous avons démontré en 201212, le même phénomène chez des patients ayant subi un infarctus du myocarde, 3 jours après l'accident, un régime européen prudent a été mis en place. Un tirage au sort a désigné deux groupes de patients, un groupe buvait de l’eau, l'autre groupe buvait du vin rouge (2 verres par jour, haute côte de nuit Villars Fontaine 1989). Le groupe vin présente la même protection cardiovasculaire qu'en prévention primaire.

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Figure 5.1 et figure 5.2 : résultats positifs (en seulement 15 jours) sur le profil lipidique et sur le pouvoir antioxydant du sérum de l’étude sur les patients post infarctus immédiat (prévention secondaire)13.

Et surtout le vin à dose modérée procure du plaisir, plaisir d'un échange entre invités autour d'un bon repas. Ce n'est pas un hasard si le repas gastronomique français a été inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO en 2010.

À dose modérée, le vin est le meilleur des anxiolytiques; Permettre aux citoyens de se détendre avec un verre de vin, au lieu de les culpabiliser, réduirait la prescription de benzodiazépines et d’antidépresseurs et réduirait les déficits en matière de sécurité sociale tout en éliminant les effets secondaires de ces drogues dangereuses.

Seul l’abus, est dangereux.

Parfois adulé, parfois diabolisé, il est certain que le rituel de dégustation est important. Symposion pour les Romains, repas français soutenu par l'Unesco. Tout passe par l'éducation.

En conclusion, buvons moins, mais buvons mieux, pour vivre plus vieux.

Notes

1 La règle de saint Benoit, Tomes I et II, introd., trad. et notes par Adalbert de Vogüé, texte établi et présenté par Jean Neufville, collection Sources chrétiennes, Éd. du Cerf, 1972, p.181 et 182 Retour au texte

2 Smith, Sir William, Charles Anthon , A new classical dictionary of Greek and Roman biography, mythology, and geography partly based upon the Dictionary of Greek and, New York, Harper & Bros. Tables, 1851, p. 1024–30 Retour au texte

3 Renaud S., de Lorgeril M. « Wine, alcohol, platelets, and the French paradox for coronary heart disease », Lancet, vol. 339, 1992, p. 1523-1526 Retour au texte

4 St Leger A. S., Cochrane A. L., Moore F., « Factors associated with cardiac mortality in developed countries with particular reference to the consumption of wine », Lancet, vol. 1, 1979, p. 1017-1020. Retour au texte

5 Keys A (Ed). « Coronary heart disease in seven countries », Circulation 1970, 41(Suppl.1), 211 pp. Retour au texte

6 Tunstall-Pedoe H., Kuulasmaa K., Amouyel P., Arveiler D., Rajakangas A. M., Pajak A. Retour au texte

«Myocardial infarction and coronary deaths in the World Health Organization MONICA Project. Registration procedures, event rates, and case-fatality rates in 38 populations from 21 countries in four continents ». Circulation, vol. 90, 1994, p. 583–612

7 Yusuf S., Hawken S., Ounpuu S., Dans T., Avezum A., Lanas F., McQueen M., Budaj A., Pais P., Varigos J., Lisheng L. « Effect of potentially modifiable risk factors associated with myocardial infarction in 52 countries (the INTERHEART study): case-control study », Lancet, vol. 364, 2004, p. 937-952. Retour au texte

8 O'Donnell M. J., Xavier D., Liu L., Zhang H., Chin S. L., Rao-Melacini P., Rangarajan S., Islam S., Pais P., McQueen M. J., Mondo C., Damasceno A., Lopez-Jaramillo P., Hankey G. J., Dans A. L., Yusoff K., Trueisen T., Diener H.-C. « Risk factors for ischemic and intracerebral haemorrhagic stroke in 22 countries (the INTERSTROKE study): A case-control study », The Lancet, vol. 376, 2010, p. 112-123 Retour au texte

9 Miyagi Y., Miwa K. Inoue H. « Inhibition of human low-density lipoprotein oxidation by flavonoids in red wine and grape juice », American Journal of Cardiology, vol. 80, 1997, p. 1627–1631. Retour au texte

10 R. Curtis Ellison, « Cheers ! », Epidemiology .Vol. 1, No. 5 (September 1990), p. 337-339 Retour au texte

11 Colloque Vin et Nutrition. Orateurs: B. Hudelot, Y. Cottin, D. Blache, JP. Rifler, R. Corder, MC. Tarby, Congrès Vitagora, Dijon, 23-25 avril 2008. Retour au texte

12 Rifler J.-P., Lorcerie F., Durand P., Delmas D., Ragot K., Limagne E., Mazué F., Riedinger J.-M., d’Athis P., Hudelot B., Prost M., Lizard G., Latruffe N, « A moderate red wine intake improves blood lipid parameters and erythrocytes membrane fluidity in post myocardial infarct patients », Molecular Nutrition & Food Research, vol. 56, 2012, p. 345- 351 et Rifler J.-P., Latruffe N, « Moderate Red Wine intake in Secondary Prevention for patients with cardiovascular disease », Congrès Vitagora, 20-21 mars 2013, Dijon, France. Retour au texte

13 Rifler J.-P., Latruffe N, « Moderate Red Wine intake in Secondary Prevention for patients with cardiovascular disease », Congrès Vitagora, 20-21 mars 2013, Dijon, France. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Jean-Pierre Rifler et Norbert Latruffe, « Vin et santé, toute une histoire », Territoires du vin [En ligne], 10 | 2019, publié le 16 octobre 2019 et consulté le 16 avril 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/index.php?id=1770

Auteurs

Jean-Pierre Rifler

Centre Hospitalier Interdépartemental de Haute Côte-d’Or, Montbard, France Université de Bourgogne. Laboratoire Bio-PeroxIL 6, Bd Gabriel, F-21000, Dijon, France

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Norbert Latruffe

Université de Bourgogne. Laboratoire Bio-PeroxIL 6, Bd Gabriel, F-21000, Dijon, France

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