Du champagne, pour dissiper la tristesse du roi Louis XV !

Résumé

Cet article montrera que le succès du champagne mousseux est en grande partie lié à ses effets euphorisants. Le phénomène, aujourd’hui bien expliqué, a été observé dès la fin du XVIIe siècle en Angleterre où le vin saute-bouchon est déjà très à la mode. La France est touchée sous la Régence et dès le début du règne de Louis XV. Ce dernier, souvent neurasthénique, utilise entre autres moyens le champagne comme remède. En témoignent les deux tableaux commandés en 1734-1735 par le roi pour la salle à manger de ses petits appartements de Versailles : Le déjeuner d’huîtres de Jean-François de Troy, pour orner le mur en hiver, et Le déjeuner de jambon de Nicolas Lancret, pour l’été. Ces deux tableaux ont été réunis dans la Rotonde de Chantilly par le duc d’Aumale. Il est proposé de les analyser en détail, car ils comptent parmi les premières représentations d’une consommation sans retenue de champagne qui fait partie des habitudes de la cour de cette époque. Depuis l’époque de la Gaule chevelue, c’est la première fois qu’un vin est consommé pur, le coupage avec de l’eau ayant pour effet de dissiper rapidement les précieuses bulles.

Plan

Texte

Le succès du champagne mousseux est d’abord lié à ses effets euphorisants, mais aussi à l’imaginaire qui s’est greffé sur lui depuis la fin du XVIIe siècle époque à laquelle le vin soute-bouchon commence à être apprécié en Angleterre. La France est gagnée par cette mode sous la Régence et au début du règne de Louis XV. Ce dernier utilise entre autres moyens le champagne comme remède à sa neurasthénie. En témoignent les deux tableaux commandés en 1734-1735 par le roi pour la salle à manger de ses petits appartements de Versailles : Le déjeuner d’huîtres de Jean-François de Troy, qui évoque une scène d’hiver et Le déjeuner de jambon de Nicolas Lancret qui évoque l’été. Ils marquent l’entrée du champagne dans la cour des grands vins et à la table des grands de ce monde.

Ce que l’on sait de l’invention du champagne mousseux

Les vins de Champagne comme ceux de tout le nord de l’Europe ont eu longtemps la particularité de ne pas achever leur fermentation alcoolique dans les semaines suivant les vendanges en raison du froid qui survient rapidement en automne et qui inhibe les levures. Une deuxième fermentation alcoolique se déroulait au printemps suivant, achevait la transformation des sucres résiduels, en même temps que s’effectuait la fermentation malolactique, toutes deux entraînant un dégagement de gaz carbonique qui faisait sauter les bondes des tonneaux et donnait du perlant au vin pendant quelques semaines. Dans La Bataille des vins d’Henry des Andelys, écrite en 1223, bien avant le refroidissement du climat de l’Europe, le vin de Marne est qualifié de « messire Pétars » !

Il est aujourd’hui admis que la prise de mousse provoquée, à défaut d’être pleinement contrôlée, du champagne est une invention anglaise de la fin du XVIIe siècle et que rares sont les Français qui ont eu l’occasion de boire et d’apprécier le nouveau breuvage avant la Régence. La première mention remonte à 1662. Le Docteur Christopher Morret (ou Merret) s’exprime devant la Royal Society de Londres et décrit le moyen de faire mousser les vins dont ceux de Champagne en ajoutant sucre, mélasse, cannelle, clou de girofle « afin de les rendre vifs et pétillants à boire, et d’augmenter leur teneur en alcool, et aussi d’en améliorer le goût »1. Cette méthode est rendue possible par la mise au point par les Anglais de bouteilles en verre épais résistant à la pression et cylindriques permettant de les coucher2, par le sucre de canne des Caraïbes et les épices disponibles à Londres, ainsi que par les bouchons de liège importés du Portugal. Les raisons essentielles de la mise en œuvre d’un tel procédé sont l’acidité et le faible degré alcoolique des vins de Champagne au cœur du « Petit âge glaciaire ». Ils étaient importés depuis le port de Rouen où ils étaient acheminés via la Marne et la Seine.

La première mention d’un vin de Champagne mousseux consommé en France semble remonter à 1700. Elle apparaît dans une épître de l’abbé Guillaume de Chaulieu à Madame la duchesse de Bouillon3 :

  Viens, Phylis, avec moi passer la soirée

  […]

  À l’envi de tes yeux vois comme le vin brille.

  Verse-m’en ma Phylis, et noye de ta main,

  Dans sa mousse qui pétille,

  Les soucis de lendemain.

S’agit-il d’une bouteille de vin « arrangé » importée d’Angleterre ou d’une rare bouteille venue de Champagne, obturée d’un brodequet ou broquelet en bois avec de la filasse et de la cire, le vin ayant achevé sa fermentation au printemps suivant la vendange et ayant dégagé du gaz carbonique ? La vente de vin en bouteilles n’étant pas autorisée à l’époque, cela est surprenant, mais l’on sait que le cellérier de l’abbaye d’Hautvillers, Dom Pérignon, se livrait à cette pratique à partir des années 1690 à la demande de la ville d’Epernay qui en faisait cadeau à quelques visiteurs ou correspondants de marque4. Celui-ci n’était a priori pas effervescent, mais il pouvait le devenir dans le courant de l’année suivant sa mise en bouteille5.

À partir de 1710, dans les livres de comptes champenois, on évoque des « vins pour mousser », puis les « vins mousseux »6. Le maréchal d’Artaignan de Montesquiou passe commande en 1711 à Adam Bertin du Rocheret, un commissionnaire d’Epernay de vin tiré « en mousseux », attendu « qu’il est toujours meilleur à la bouteille qu’à la pièce ». Bertin le convainc que cette mode venue d’Angleterre n’est en rien recommandable et lui vend finalement du vin tranquille7. Un autre poème de 1711 évoque également l’effervescence du champagne sous la plume du poète Bénigne Grenan, pourtant grand défenseur du bourgogne dans la longue querelle qui oppose les deux vignobles8 :

  Jusqu’aux cieux la Champagne élève

  De son vin pétillant la riante liqueur.

  On sçait qu’il brille aux yeux, qu’il chatouille le cœur,

  Qu’il pique l’odorat d’une agréable sève.

Et le célèbre Fagon, médecin de Louis XIV, défenseur du vin de Bourgogne, écrit en 1712 :

  C’est là tout ce qui rend la Champagne si fière,

  J’y souscris, mais je hai son arrogance altière.

  Enflez du même orgueil tous ses vins bondissants

  N’élèvent que des flots écumeux, frémissants ;

  Leur liqueur furieuse, inconstante et légère,

  Etincelle, pétille et bout dans la fougere9.

Il est donc établi que l’infime proportion de vins de Champagne mis en bouteilles bien bouchées sur les lieux de production pétillaient naturellement dès le règne de Louis XIV, même si l’essentiel des vins consommés sur place ou à Paris étaient tirés des tonneaux et donc, au mieux, perlaient au printemps suivant la vendange. Malgré l’interdiction officielle du commerce de vin en bouteilles, les Champenois bravent la réglementation et sous la Régence, ce sont 50 000 bouteilles qui sont expédiées chaque année, surtout vers Paris où l’on goûte fort le vin « saute-bouchon », en particulier à la table du duc d’Orléans. Notons que c’est une très faible proportion de la production de vin en Champagne à cette époque et qu’il faut attendre le milieu du XIXe siècle et l’essor des grandes maisons de champagnisation pour que le vin blanc mousseux l’emporte sur le vin tranquille rouge ou gris.

Le 25 mai 1728, un arrêt du Conseil du roi autorise la mise en bouteilles et donc la prise de mousse en vue d’une expédition en paniers de 50 ou 100 bouteilles vers l’Angleterre depuis Rouen ou Dieppe. Dès lors, les Champenois s’approprient définitivement le procédé imaginé et maîtrisé par les Anglais plusieurs décennies plus tôt. La mise en bouteille du vin de Champagne et sa vente, une fois la prise de mousse accomplie, se développe. Le 8 mars 1735, est publiée la célèbre « Déclaration du Roi portant Règlement pour la fabrication des Bouteilles et Carafons de verre » qui sera enregistrée au Parlement. La nature du verre, le poids et la contenance sont désormais réglementés10. Nicolas Ruinart vend ses premières bouteilles en 1729 et ses expéditions progressent au cours du siècle : 3000 bouteilles en 1731, 36 000 en 1761, 65 000 en 178911.

Les vertus désinhibantes du champagne mousseux

Les effets de l’alcool ou éthanol sur l’état d’esprit des consommateurs sont bien connus12. En provoquant une libération de neurotransmetteurs tels que la dopamine et des endorphines, il agit sur les régions corticales frontales qui permettent l’analyse des situations et le contrôle du comportement. Ce faisant, il perturbe les échanges entre les neurones et modifie les processus cognitifs : les perceptions, les sensations, la conscience et le comportement. Il diminue les réflexes, la vigilance et donc les acquis de l’éducation et des habitudes, ce qui entraîne augmentation de la vivacité d’esprit, excitation, libération des émotions, euphorie, prise de risque et désinhibition. Tous ces excellents effets surviennent lorsque l’alcool est consommé à dose modérée, en quantité qui varie d’un individu à l’autre en fonction de son métabolisme13 et des circonstances dans lesquelles intervient l’absorption : à jeun ou en mangeant, seul et en silence ou en compagnie et en parlant ou en chantant14. Consommé à l’excès, il peut évidemment entraîner des réactions totalement incontrôlées et de la violence, suivies d’abattement, puis d’hébétude, effets indésirables bien connus depuis la plus haute Antiquité et constamment rappelés par toutes les sagesses15. Addiction et risques de dégradations graves, voire irréversibles de l’organisme sont également connus depuis longtemps ce qui explique les politiques ou les prescriptions religieuses prohibitionnistes sans pour autant les justifier car elles entraînent toujours des transgressions, des pratiques mafieuses et un développement de l’alcoolisme (Etats-Unis des années 1920, pays du Golfe aujourd’hui)16.

Les innombrables molécules composant le vin peuvent en outre entraîner des effets rapides ou lents sur toutes les fonctions corporelles, du système nerveux en particulier, et donc provoquer des modifications de comportement qui sont encore peu étudiées, même si la littérature fourmille de remarques plus ou moins fondées à cet égard17. Le champagne, quant à lui, possède des composants liés à ses cépages et à son terroir, une acidité marquée, par exemple, du magnésium, du potassium et des sels carbonatés18, mais aussi une proportion plus ou moins grande de gaz carbonique. Celui-ci stimule les sécrétions gastriques et ouvre l’appétit. Il accélère également la pénétration de l’alcool dans l’organisme et donc l’euphorie et la désinhibition. Ajoutons que le champagne est le premier vin qui se boit pur, alors que depuis l’Antiquité le coupage avec de l’eau était la norme et un signe de civilisation. Seuls les barbares buvaient le vin pur pour s’enivrer plus rapidement. Le champagne mousseux, quant à lui, perd très vite son effervescence si on le coupe d’eau ou que l’on y ajoute de la glace. Enfin, évoquons le joyeux effet de surprise du bruit du bouchon qui saute et du débordement fréquent de la mousse lorsqu’on le verse dans le verre trop rapidement.

Les vertus thérapeutiques et euphorisantes spécifiques du champagne ont fait l’objet d’une abondante littérature19. Citons, par exemple, le Docteur Joseph Roques qui écrit en 1821 à propos des vins de Champagne mousseux20 : « Ils rompent la monotonie et quelquefois l’ennui des repas qui se prolongent ; leur couleur ambrée, leur éclat, leur mousse pétillante, leur parfum, tout cela excite les sens, donne une sorte d’hilarité qui se communique rapidement comme l’étincelle électrique. À ce mot magique de champagne, les convives engourdis, blasés par la bonne chère, se réveillent : cette liqueur vive, éthérée, charmante, agite tous les esprits ; les hommes froids, graves, savants, sont étonnés de se trouver aimables. »

La réputation du champagne est aussi d’être aphrodisiaque. C’est vrai de toute boisson alcoolisée pour les raisons que l’on vient d’évoquer, mais ce l’est un peu plus du champagne mousseux du fait de la rapidité de ses effets sur le comportement. Bu à l’excès, ses effets sont inverses à mesure que la quantité absorbée augmente21. L’effet érotique du champagne est aussi une construction imaginaire des poètes, écrivains, vendeurs et publicitaires des maisons de champagne qui l’ont associé à la joie de vivre, à la volupté, à la célébration 22. Ces discours peuvent être comparés à ceux que l’on peut lire sur tous les produits de luxe : les très grands vins (Romanée-Conti, Petrus, Yquem, etc.), les truffes, le caviar, mais aussi les diamants, les vêtements, les sous-vêtements, la maroquinerie de haute couture, les parfums de prix, les montres et les voitures de collection, etc.

Les premiers auteurs à avoir vanté les vertus euphorisantes et érotiques du champagne mousseux sont anglais. Citons, par exemple, sir George Etheredge qui écrit en 1675 dans la pièce The man of Mode23 : « Les plaisirs de l’amour et les joies des bons vins, nous les unissons sagement pour augmenter notre bonheur ; alors que le vin de Champagne effervescent ranime rapidement les pauvres amants languissants. Il nous rend joyeux et gais et noie tous nos chagrins. »

Il faut attendre la Régence et le début du règne personnel de Louis XV pour que la mode du champagne mousseux se répande en France. Voltaire qui ne refuse aucune invitation à un souper où il peut briller en chante les vertus dans Le Mondain en 173624 :

  Chloé , Églé25 me versent de leur main,

  D’un vin d’Aï, dont la mousse pressée,

  De la bouteille avec force élancée,

  Comme un éclair fait voler le bouchon ;

  Il part, on rit, il frappe le plafond.

  De ce vin frais l’écume pétillante

  De nos Français est l’image brillante.

Et l’abbé de Bernis qui finira cardinal, peu attaché à la rigueur des mœurs que son état aurait dû lui imposer, n’hésite pas à signer l’une des plus jolies polissonneries qui ait jamais été écrite sur le champagne. Selon les Mémoires du duc de Richelieu qui cite ce leste poème, il aurait été chanté par son auteur sur l’air de Joconde. L’abbé l’aurait composé vers 1744 au cours d’un souper en compagnie du roi et de la marquise de Pompadour dont il est le protégé et à qui il est dédié sous le titre d’Invitation à Zéphise 26 :

  Ce champagne est prêt à partir.

  Dans sa prison il fume.

  Impatient de te couvrir de sa brillante écume.

  Sais-tu pourquoi ce Vin charmant,

  Lorsque ta main l’agite,

  Comme un éclair étincelant,

  Vole et se précipite ?

  Bacchus en vain dans son flacon

  Retient l’Amour rebelle ;

  L’Amour sort toujours de sa prison

  Sous la main d’une Belle.

L’abbé de l’Attaignant, chanoine de la cathédrale de Reims, familier de Versailles et aussi dissipé que l’abbé de Bernis signe en 1757 un poème dont le double sens est aussi clair et qui montre que le lien champagne-érotisme est désormais solidement établi27 :

  Vois ce nectar charmant

  Sauter sous ces beaux doigts et partir à l’instant.

  Je crois bien que l’Amour en ferait tout autant

Ajoutons que l’effet de surprise créé par l’ouverture bruyante d’une bouteille de champagne augmente l’effet euphorisant du vin mousseux. Le Grand d’Aussy évoque cet effet quelques décennies après le lancement de la mode28 : « […] tandis que les autres vins coulent et se boivent tranquillement, c’était un spectacle agréable de voir celui-ci s’annoncer par une explosion fulminante, jaillir, bouillonner. »

Un roi triste

L’ascendance du roi et le déroulement de sa jeunesse expliquent sa timidité et sa neurasthénie habituelles. Tous ses biographes soulignent ce trait de caractère et son souci de se soustraire aussi souvent que possible aux pesanteurs du protocole royal mis au point par son arrière-grand-père Louis XIV qui y voyait un moyen d’affirmer son pouvoir et qui, de plus, y trouvait à l’évidence un certain plaisir29. Louis XV, au contraire, affectionne de s’isoler de la cour. Avant l’âge de cinq ans, il a perdu ses parents, ses grands-parents, son arrière-grand-père auquel il est appelé à succéder, mais aussi son frère et ses cousins et cousines. C’est grâce à une intuition de sa gouvernante, Madame de Ventadour, qu’il est isolé de ses proches et de tous soins médicaux en 1712 et qu’il échappe ainsi à l’épidémie de rougeole qui fait le vide parmi ses proches. Comme l’écrit Michel Antoine en évoquant un caprice du jeune roi alors âgé de six ans30 : « Tant de grandeurs et de servitudes ne pouvaient que renforcer chez lui ce sentiment de solitude qui le hantait déjà quand il était Dauphin. Il se trouvait dans cette situation déprimante d’avoir une dynastie (et, de plus, d’en être le chef) et d’être en même temps sans famille. […] En France, ses seuls proches étaient une arrière-grande-tante : Madame ; un grand-oncle à la mode de Bretagne : le Régent […]. » Ce sentiment de solitude et d’écrasement face à ce que l’on attend de lui explique la fréquence de crises de tristesse et de mélancolie31. Madame de Ventadour écrit à Madame de Maintenon32 : « […] c’est un enfant qu’il faut ménager, car naturellement il n’est pas gai […]. Vous vous moquerez de moi si je vous dis qu’il a des vapeurs : rien n’est pourtant plus vrai et il en a eu au berceau. De là ces airs tristes et ces besoins d’être réveillé. On en fait tout ce que l’on veut pourvu qu’on lui parle sans humeur. » Tout au long de son enfance et de son adolescence, reviennent à son propos dans les différents témoignages les qualificatifs de33 timide, méditatif, taciturne, triste, sérieux, silencieux, chagrin, indéchiffrable, énigmatique, secret, mutique, atrabilaire, morne, sombre, saturnien, cyclothymique, dépressif, etc. Lors de la disgrâce de Villeroy, décidée par le Régent il pleure une nuit entière dans son lit et boude toute la journée du lendemain34. Sa morosité est encore plus visible dans les années qui suivent son sacre et qui sont celles de son adolescence. Il pleure encore à chaudes larmes lorsqu’il apprend la mort de son oncle le Régent en 1723.

Il vient résider à Versailles le 15 juin 1722, alors qu’il a 12 ans. Il est alors contraint de se plier au rituel de la cour, soupe au grand couvert, puis après son mariage se rend souvent chez la reine. Lorsqu’il atteint 25 ans, il fait aménager de petits appartements, sur les conseils du cardinal de Fleury qui souhaite ainsi l’aider à vaincre sa timidité35. Michel Antoine évoque36 « un Versailles où une demeure intime se faufilera, sans l’altérer, dans la demeure officielle. » Il y travaille dans son cabinet, seul ou en compagnie de tel ou tel de ses ministres. Dans les autres pièces, il vit entouré de proches, hommes et femmes, qu’il a choisis pour le plaisir qu’il a de partager leur compagnie37. Ce sont souvent quelques-uns de ceux qui l’ont accompagné dans la journée à la chasse, activité dont il raffole et au cours de laquelle il a fait servir une collation en forêt38 ou dans un pavillon. Il observe qui est là en entrouvrant la porte de l’antichambre et dresse la liste des invités qu’un huissier vient appeler39. Le duc de Croÿ a décrit l’atmosphère de ces soupers intimes dont il était familier40 : « La liberté et la décence m’y parurent bien observées. Le Roi était gai, libre, mais toujours avec une grandeur qui ne se laissait pas oublier. Il ne paraissait plus du tout timide, mais fort d’habitude, parlant très bien et beaucoup, se divertissant et sachant alors se divertir. » Le mémorialiste Edmond jean François Barbier écrit en 173241 : « […] il raconte mieux que personne ; mais pour cela il faut qu’il soit avec son monde et en particulier. On dit que les soupers qu’il fait au bois de Boulogne avec M. le duc d’Antin, M. le duc de Noailles, M. le marquis de Pezé et autres, qui sont tous des gens d’esprit sont fort gais. Le Roi est très timide et n’aime point à représenter. Il a une discrétion qui va jusqu’à la dissimulation. » Les sujets politiques sont bannis, de même que les conversations trop licencieuses42, alors que le régent s’y adonnait sans retenue et, semble-t-il, à l’occasion, joignait volontiers les actes aux paroles. Au contraire, les vagabondages sensuels de Louis XV, devenus fréquents après le cap de la quarantaine, se déroulent de manière strictement intime.

Dans les petits appartements, les mets raffinés qui sont servis sont préparés à proximité par ses cuisiniers, mais le cas échéant par lui-même43, arrosés de bon vin, parmi lesquels le champagne mousseux jouit de sa préférence. Le service a lieu dans une salle à manger dite « des retours de chasse », spécialisation d’un salon qui apparaît à cette époque dans les châteaux, les hôtels particuliers et les maisons bourgeoises. Celle-ci reçoit un mobilier adapté : table à manger en ébénisterie, chaises confortables, « tables servantes » munies de tiroirs et de seaux à glace44, dessertes, etc. Après le souper, la compagnie se rend au cabinet de la Pendule et s’installe autour de tables de jeu.

Le même rituel raffiné règne à la table de la marquise de Pompadour dans l’appartement duquel le roi se rend souvent lorsqu’elle s’installe à Versailles après 1745. Elle passe pour aimer à la folie le champagne mousseux et on lui prête le mot qu’il est « le seul vin qui laisse la femme belle après boire ».

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Illustration 1 : Louis XV par François Hubert Drouais en 1773 (Château de Versailles). Il a alors 63 ans et mourra l’année suivante. Malgré son âge et la recherche des plaisirs tout au long de sa vie adulte, son visage porte encore les symptômes de la mélancolie de son enfance.

L’amour de Louis XV pour le champagne mousseux

Selon un usage qui perdurera en Europe du sud jusque dans la deuxième moitié du XXe siècle, l’enfant-roi boit du vin à tous les repas, bien entendu largement coupé d’eau45. Au retour de son sacre à Reims, alors qu’il a douze ans, il séjourne à Villers-Cotterêts chez le Régent du 2 au 4 novembre 1722. Une somptueuse fête y est donnée au cours de laquelle sont consommées des montagnes de victuailles choisies (29 045 volailles et gibiers, 14 039 livres de poisson, etc.) et un fleuve de vin dont 80 000 bouteilles de vin de Bourgogne et de Champagne46. Nul doute qu’il ait bu du vin coupé d’eau en cette occasion malgré son jeune âge.

À cette époque, la cour boit essentiellement du bourgogne qui est encore clairet comme on le voit sur tous les tableaux de l’époque, par exemple sur plusieurs tableaux du peintre allemand d’origine huguenote Philippe Mercier, comme Le goût, et du champagne, lui aussi clairet ou blanc, tranquille ou mousseux. C’est ce dernier, mis à la mode par le Régent47, que le roi apprécie particulièrement, car il l’aide à se désinhiber. Madame de Mailly, dit-on, aime ce vin à la folie et lui en révèle un peu plus les vertus lorsqu’elle devient sa maîtresse en 173348. Sa sœur, la comtesse de Vintimille, entretient le même goût et Jean-Baptiste Lazure, sommelier chef de la paneterie-bouche, doit approvisionner en permanence la table royale. Madame de Vintimille ne l’aime guère et le fait éloigner en 1741 en prouvant au roi, selon le témoignage du marquis d’Argenson49, « que Lazure lui voloit son vin de Champagne ».

C’est de tous les effets du champagne mousseux que l’on a évoqués dont Louis XV a grand besoin pour s’évader de l’oppression de ses souvenirs d’enfance. La sexualité est une autre de ses échappatoires, complémentaire de la première car le champagne contribue à son expression. Tout exercice du pouvoir libère les pulsions, particulièrement dans le cas des princes ou des souverains contraints à des mariages de raison. En outre, les Bourbon sont dotés d’une belle vigueur génésique transmise de génération en génération, au moins depuis Henri IV. Nul doute que l’intimité avec une jeune beauté peu farouche et la consommation de champagne frappé aient réveillé les ardeurs du monarque. La marquise de Pompadour ne l’ignorait pas et son peu de goût pour les plaisirs de la chair exigeaient sans doute un peu de champagne dont elle raffolait pour qu’elle ne fît pas trop mauvaise figure. En revanche, c’est une pure légende de prétendre qu’elle le buvait et en offrait dans des coupes dont la forme était moulée sur son sein50… Il y eut certes des coupes antiques en forme de sein au XVIIIe siècle et Marie-Antoinette usera d’un service en porcelaine ainsi façonné pour boire le lait de sa bergerie de Rambouillet. Jamais le champagne mousseux ne fut versé en France dans des coupes avant la fin du XVIIIe siècle, mais dans des verres de fougère ou de cristal après 176751, de forme conique, comme le montrent toutes les sources iconographiques52. Leur contenu était de quelques centilitres, ce qui permettait de boire d’un trait. Il n’était pas d’usage de conserver des verres vides devant soi à table à cette époque. Les valets les déposaient sur une desserte ou les plaçaient à l’envers dans un rafraîchissoir en argent ou en porcelaine rempli d’eau glacée.

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Illustration 2 : Le déjeuner d’huîtres par Jean-François de Troy (1735)

Illustration 2 : Le déjeuner d’huîtres par Jean-François de Troy (1735)

Illustration 3 : Le déjeuner de jambon par Nicolas Lancret (1735)

Les témoignages les plus éclatants de l’amour du roi pour le champagne mousseux bu en compagnie restreinte et détendue sont les deux tableaux qu’il fait exécuter en 1735, c’est-à-dire deux ans après le début de sa première grande infidélité à la reine en compagnie de Louise-Julie de Mailly-Nesle. Jean-François de Troy exécute Le déjeuner d’huîtres et Nicolas Lancret peint Le déjeuner de jambon destinés à la salle à manger de ses petits appartements53. Il semble qu’aucun des personnages représentés de manière si vivante n’ait réellement existé. Il s’agit donc d’allégories de la vie joyeuse et des effets du champagne effervescent, des scènes destinées à réjouir le roi et ses invités. Dans les deux cas, il s’agit de collations au cours desquelles un seul mets est servi, arrosé d’abondantes quantités de champagne surtout dans le cas du déjeuner de jambon qui se déroule sans aucun doute un jour de grosse chaleur. On y compte 23 bouteilles vides pour 8 convives !

Le déjeuner de jambon est nettement plus licencieux que Le déjeuner d’huîtres, si l’on en juge par le débraillement vestimentaire des participants et la dame dominant la scène qui ne semble pas de bien grande vertu. Une description du temps évoque « une partie de jeunes gens à table, faisant la débauche…, sur un fond de paysage »54. Même si, à la différence du Régent, Louis XV ne se laisse pas aller à des orgies, le fait qu’il ait commandé ce tableau et l’ait exposé dans sa salle à manger intime démontre que ce type d’évocation ne lui déplaisait nullement et que seul le souci de ne pas déroger à l’étiquette royale le retenait de trop se laisser aller en public. Pour Benoît Musset, ce tableau est une allégorie de la bonne et de la mauvaise ivresse55 qui concernent, chacune d’entre elles, quatre personnages.

Dans le déjeuner d’huîtres, l’un des meubles en vue au premier plan est le rafraîchissoir. Dans tous les parcs des châteaux des grands du royaume est aménagée une glacière où l’on entrepose en hiver de la neige tassée ou de la glace cassée à la surface des bassins. Les premières sont construites dès 1664 par Louis XIV à Versailles56. Cela permet, selon la mode italienne, de confectionner des sorbets et de « boire à la glace ». En 1740 entre dans le Dictionnaire de l’Académie française l’expression « frapper de glace ». Elle s’applique tout spécialement au rafraîchissement des bouteilles de champagne mousseux. On voit aussi sur la table des rafraîchissoirs individuels pour les verres ; ce sont des bols en porcelaine de Chine ou du Japon. Il est à noter que l’Angleterre est beaucoup moins passionnée par les boissons glacées. Jusqu’à la fin du XXe siècle, on a préféré boire chambré, qu’il s’agisse de la bière ou des vins mutés comme le porto, le sherry ou le madère.

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Illustration 4 : La table servante munie de deux rafraîchissoirs à glace du déjeuner d’huîtres

Illustration 4 : La table servante munie de deux rafraîchissoirs à glace du déjeuner d’huîtres

Illustration 5 : L’expulsion du bouchon et les rafraîchissoirs individuels en porcelaine dans Le déjeuner d’huîtres

Illustration 5 : L’expulsion du bouchon et les rafraîchissoirs individuels en porcelaine dans Le déjeuner d’huîtres

Illustration 6 : Seau à glace en argent du déjeuner de jambon

Dans Le déjeuner d’huîtres, le clou de la scène est l’expulsion du bouchon d’une bouteille qu’ouvre l’un des personnages, sans doute un serviteur. Lui et son voisin le repèrent à environ 4 mètres de hauteur et ont la mine réjouie. Le brouhaha qui règne dans le vaste salon empêche les autres convives de l’entendre et de tourner leur tête vers le spectacle. Dans les deux tableaux, le champagne se verse de haut de manière à ce qu’il mousse. Il se boit ensuite facilement, plutôt d’un trait comme le fait le personnage en rouge qui est debout à droite de la colonnade du déjeuner d’huîtres. Ce geste se nomme « jeter en sable » par comparaison avec la pratique des fondeurs qui versent d’un seul jet le métal en fusion dans un moule en sable aggloméré de liant. De là vient l’expression sabler le champagne, tandis que sabrer une bouteille consiste à briser le goulot et de le faire sauter avec le bouchon encore en place d’un coup sec de revers de sabre, pratique spectaculaire dans laquelle les militaires excellaient. Les bouteilles représentées sur les deux tableaux sont trapues. Une bouteille de cette époque57, comparable à celle du déjeuner de jambon contient exactement 93 cl, soit une pinte de Paris. En revanche, une autre, comparable à celle du déjeuner d’huîtres, avec un col légèrement plus allongé58 ne contient que 85cl, soit une pinte moins un demi-verre, jauge courante dans les années 173059.

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Illustration 7 : Versement de haut du champagne dans un verre de fougère afin qu’il mousse (Le déjeuner d’huîtres)

Illustration 7 : Versement de haut du champagne dans un verre de fougère afin qu’il mousse (Le déjeuner d’huîtres)

Illustration 8 : Bouteille du début du XVIIIe siècle analogue au modèle du déjeuner d’huîtres

Illustration 8 : Bouteille du début du XVIIIe siècle analogue au modèle du déjeuner d’huîtres

Illustration 9 : Bouteille du XVIIIe siècle analogue au modèle du déjeuner de jambon

Près de trois siècles plus tard, le goût pour le champagne effervescent et son prestige n’ont pas diminué. Ce sont 300 millions de bouteilles qui sont produites et bues chaque année dans le monde dont la moitié en France, soit en moyenne deux par habitant. Et l’on n’imagine pas un président de la République française ne pas offrir du champagne lorsqu’il reçoit des hôtes au Palais de l’Elysée qui fut jadis la résidence parisienne de la marquise de Pompadour que lui offrit son royal amant. Il est peu de lieux dans le monde où ont été bues autant de bouteilles de champagne !

Notes

1 Cité par Éric Glatre, Chronique des vins de Champagne, Chassigny, Castor et Pollux, 2001, p. 69 ; J.-P. Devroey, L’éclair d’un bonheur, Paris, La Manufacture, 1989, pp. 174-175. Retour au texte

2 Jean-Robert Pitte, La bouteille de vin. Histoire d’une révolution, Paris, Tallandier, 2013, p. 71-107. Retour au texte

3 Cité par François Bonal, Anthologie du champagne, sl, Dominique Guéniot, 1990, p. 25. L’association de la mousse du champagne qui jaillit d’une bouteille et de la main d’une belle est un thème récurrent dans la poésie libertine du XVIIIe siècle. Dans ce poème, en l’occurrence, le champagne n’est pas nommé, mais il est fort probable que le vin mousseux auquel il est fait allusion en est. Retour au texte

4 Le comte d’Artagnan écrit par exemple le 21 novembre 1712 à Bertin du Rocheret, commerçant d’Epernay : « J’ai reçu le vin que vous m’avez envoyé à la campagne où j’ai été quelque temps. […] Les bouteilles cachetées à deux étoiles, il s’en faut bien qu’il ne soit aussi bon que celui qui est marqué à la crosse. » Et Bertin lui répond le 28 novembre 1712 : « Monsieur, j’aurai l’honneur de vous dire, en réponse de la vôtre du 21 courant, que les bouteilles cachetées à des étoiles sont d’un bon vin de Pierry, celles cachetées à la crosse sont du père Pérignon […] ». Voici proclamée la réputation de Dom Pérignon en tant que grand vinificateur de l’abbaye d’Hautvillers, mais il n’est nullement question ici de vin mousseux. Quelque temps après (lettre non datée, mais de 1712), d’Artagnan écrit encore à Bertin du Rocheret et évoque cette fois-ci le tout début de la prise de mousse réalisée en Champagne : « À l’égard de faire mousser mon vin, bien des gens assurent qu’il mousse, je n’en serais pas fâché, pourvu qu’il ne diminue en rien la qualité, car par préférence je veux d’excellent vin et qu’il soit bien clair fin, car quand il revient d’un air trouble et qu’il n’a pas de brillant, je n’en donnerais pas un sol […]. Si vous en faites mousser, il y en aura assez d’en faire mousser deux pièces pour moi et deux à mon ami. Il se pourra même faire que nous en partagerons un quarteau, à mesure qu’il arrivera. » Armand Bourgeois, Le vin de Champagne sous Louis XIV et Louis XV d’après des lettres et documents inédits, Paris, Bibliothèque d’art de « La Critique », 1897, p. 48-51. Retour au texte

5 Les quantités mises en bouteille par l’abbaye d’Hautvillers étaient minimes : deux pièces et demie en 1691-92, sur 306 pièces mises en vente par l’abbaye, 500 broquelets (bouchons) de bois commandés à un tourneur d’Épernay en 1694-95. C’est vers cette époque que pour ces rares mises en bouteille, destinées à des cadeaux et non à un véritable commerce, lequel est encore interdit, on commence à utiliser le liège qui ne deviendra exclusif que quelques décennies plus tard lorsque la réglementation aura changé, que la vente de vins en bouteilles sera autorisée et que la Champagne élaborera elle-même du vin mousseux. Cf. Jean-Pierre Devroey, L’éclair d’un bonheur, Paris, La Manufacture, 1989, p. 176. Retour au texte

6 Éric Glatre, Op. cit., p. 81. Retour au texte

7 Cité par Benoît Musset, Vignobles de Champagne et vins mousseux. Histoire d’un mariage de raison. 1650-1830, Paris, Fayard, 2008, p. 61. Retour au texte

8 Cité par François Bonal, Op. cit., p. 39. Retour au texte

9 Verre mince et transparent élaboré à la cendre de fougère. Retour au texte

10 Jean-Robert Pitte, 2013, Op. cit., p. 83-107. Retour au texte

11 Patrick de Gmeline, Ruinart et trois siècles de champagne, Reims, Ruinart – éditions de Venise, 2003, p. 138-141. Retour au texte

12 Dr Catherine Simon, "Alcool : les 10 choses qu’il faut savoir", santémagazine.fr, 10 février 2015. Retour au texte

13 C’est une réalité connue depuis l’Antiquité. Dans Le Banquet, Platon décrit bien l’échelonnement de l’ivresse des convives. Au petit matin, Socrate qui a bu plus que tout le monde, prononce les plus belles paroles qui soient sur l’amour et, alors que tous ses compagnons de symposium sont ivres, il part vaquer à ses occupations habituelles. Retour au texte

14 Je n’ai jamais constaté le moindre cas d’ivresse lors des banquets servis au cours des chapitres de la Confrérie des Chevaliers du Tastevin au Clos de Vougeot. Le vin coule à flots (apéritif, cinq services de deux verres, eau-de-vie), mais la chère est abondante, les conversations et les rires vont bon train et la soirée qui dure environ cinq heures est ponctuée de nombreuses chansons que les 550 convives sont priés d’entonner en chœur. Il est évidemment recommandé de ne pas conduire à l’issue du rituel… et de conserver à une telle absorption un caractère exceptionnel. Retour au texte

15 Jean-Robert Pitte, Le désir du vin à la conquête du monde, Paris, Fayard, 2009. Retour au texte

16 Jean-Robert Pitte (dir.), L’amour du vin, Paris, CNRS-Éditions, 2013. Retour au texte

17 Brillat-Savarin déborde d’imagination à ce sujet dans sa Physiologie du goût (1826) et Maurice des Ombiaux affirme dans son Petit manuel de l’amateur de bourgogne (1907) que « le bordeaux est stomachique, le champagne capiteux, le bourgogne aphrodisiaque »… Ce thème mériterait une anthologie commentée. Retour au texte

18 Les vertus du champagne, www.passionsanté.be. Retour au texte

19 Bien résumée avec une bibliographie dans : L’emploi thérapeutique du champagne, Encyclopédie, sd, sur le site http://maisons-champagne.com/fr. Retour au texte

20 Ibid., p. 1-2. Retour au texte

21 Brillat-Savarin a fort bien décrit le phénomène en évoquant l’habitude de consommation du célèbre docteur Corvisart, médecin de Napoléon (Physiologie du goût, [1826], édition de 1841, Paris, Charpentier, p. 144) : « Le docteur Corvisart, qui était fort aimable quand il le voulait, ne buvait que du vin de Champagne frappé de glace. Aussi, dès le commencement du repas et pendant que les autres convives s’occupaient à manger, il était bruyant, conteur, anecdotier. Au dessert, au contraire, et quand la conversation commençait à s’animer, il devenait sérieux, taciturne et quelquefois morose. De cette observation et de plusieurs autres conformes, il faut déduire ce théorème : le vin de Champagne, qui est excitant dans ses premiers effets (ab initio) est stupéfiant dans ceux qui suivent (in recessu), ce qui est au surplus un effet notoire du gaz acide carbonique qu’il contient. » Retour au texte

22 Jean-Robert Pitte, "Luxe, calme et volupté : la construction de l’image du champagne du XVIIe siècle à nos jours", dans Claire Desbois-Thibault et al. (dir.), Le champagne. Une histoire franco-allemande, Paris, Presses universitaires de Paris-Sorbonne, 2011, p. Retour au texte

205-218.

23 Cité par François Bonal, Op. cit., p. 17. Cet extrait fait partie du Drinking song à l’Acte IV, scène 1. Retour au texte

24 Ce poème décrit parfaitement la scène représentée par Jean-François de Troy dans Le déjeuner d’huîtres, peint l’année précédente, en 1735. Voltaire ne peut l’avoir vu, puisqu’à cette époque il est réfugié à Cirey chez Madame du Châtelet. Retour au texte

25 Sans doute des femmes légères dissimulées sous ces noms mythologiques… Cf. Michel Delon, "Champagne entre Lumières et libertinage", Le champagne dans la grande histoire. Revue des Deux-Mondes Hors série, 2016, p. 53-61. Retour au texte

26 Ibid., pp. 52-53. Publié également dans Œuvres du cardinal de Bernis, Paris, 1825, p. 348-349. Retour au texte

27 Cité par Éric Glatre, Op. cit., p. 96. Sur les rapports du champagne et de l’érotisme au XVIIIe siècle, voir les pages de Benoît Musset, Op. cit., p. 70-74. Retour au texte

28 Le Grand d’Aussy, La vie privée des François depuis l’origine de la nation jusqu’à nos jours, Paris, 1782, tome II, p. 319. Retour au texte

29 Ce qui n’excluait pas des moments de plus grande intimité, soit en compagnie de ses maîtresses, soit de quelques courtisans triés sur le volet qui avaient le privilège d’être conviés, par exemple, à Marly. Retour au texte

30 Michel Antoine, Louis XV, Paris, Fayard, 1989, p. 45. Retour au texte

31 Ibid., p. 46. Voir aussi Jean-Christian Petitfils, Louis XV, Paris, Perrin, 2014, p. 41, p. 448. Retour au texte

32 Michel Antoine, op. cit., p. 47. Retour au texte

33 Ibid., p. 108-109. Retour au texte

34 Ibid., p. 115. Retour au texte

35 Versailles et les tables royales en Europe. XVIIe-XIXe siècles, Paris, RMN, 1993, p. 54 Retour au texte

36 Op. cit., p. 111. Retour au texte

37 Surtout après qu’il se soit éloigné de la reine Marie, elle aussi d’humeur mélancolique et dont les nombreuses maternités, ajoutées au solide appétit dont elle a hérité de son père Stanislas Leczinski, ont terni les attraits. Retour au texte

38 Telle celle que représente Le déjeuner de jambon que l’on évoquera plus loin et bien d’autres tableaux de cette époque. Retour au texte

39 Michel Antoine, Op. cit., p. 439. Retour au texte

40 Cité par Michel Antoine, Op. cit., p. 439. Retour au texte

41 Cité par Mathieu de Vinha, Jean-Baptiste Lazure cuisinier de Louis XV, Château de Versailles de l’Ancien Régime à nos jours, 20, janv.-mars 2016, pp. 30-36. Retour au texte

42 La chanson composée par l’abbé de Bernis ne passe les bornes de la décence qu’au deuxième degré… Retour au texte

43 Pierre Gaxotte, Louis XV, Paris, Flammarion, 1980, pp. 251-252. Retour au texte

44 Ibid., p. 259. Retour au texte

45 Michel Antoine, Op.cit, p. 58. Retour au texte

46 Ibid., p.131. Il s’agit de bouteilles (ou carafons) tirées au fut dans les celliers et non à l’avance, conservées en cave, comme on le fera dans la deuxième moitié du siècle. Retour au texte

47 Le Régent aime le vin de Champagne au dire de sa mère, Charlotte-Elisabeth  dans une lettre du 31 mai 1716: « Quand mon fils boit un peu trop, il ne fait pas usage de liqueurs, mais de vin de Champagne. », Correspondance complète de Madame Duchesse d’Orléans, née Princesse Palatine, mère du Régent par M.G. Brunet, tome 1er, Paris, Charpentier, 1857. À cette époque, il s’agit de champagne tranquille ou mousseux blanc ou gris (on dit aujourd’hui rosé) ou bien de rouge léger tranquille. Le Duc de Richelieu rapporte que chez le Régent « Jamais les orgies ne commençaient que tout le monde ne fût dans cet état de joie que donne le vin de Champagne » (Cité par Éric Glatre, Op. cit., p. 82). Retour au texte

48 Selon Moufle d’Angerville (Vie privée de Louis XV), Cf. Éric Glatre, Op. cit., p. 87. Retour au texte

49 Cité par Mathieu da Vinha, Op. cit., p. 36. Retour au texte

50 Cette légende continue à être colportée par certains auteurs comme Marin de Viry qui la fait plaisamment sienne dans : Le téton transcendantal de la Pompadour, Le champagne dans la grande histoire. Revue des Deux-Mondes hors série, 2016, p. 63-67. Retour au texte

51 Date de la fondation de la cristallerie de Saint-Louis. Retour au texte

52 Dans « Le goût », tableau de Philippe Mercier peint en 1750, un convive boit du vin clairet, tandis qu’un autre sert du champagne blanc mousseux à une dame. Tous les verres présents sur la table sont de forme conique allongée. Retour au texte

53 Ces deux tableaux ont été déplacés dès avant la Révolution au Garde Meuble, dispersés après la chute de la Monarchie de Juillet, puis réunis de nouveau par le duc d’Aumale qui parvint à grands frais à en faire l’acquisition en 1886 et en 1897 pour les exposer dans la galerie du musée Condé au château de Chantilly, de part et d’autre des marches qui conduisent à la Rotonde. On en trouvera une excellente description commentée dans Benoît Musset, Op. cit., 2008, p. 66-71. Celui-ci affirme que Le déjeuner d’huîtres était destiné à la salle à manger d’hiver et le déjeuner de jambon à la salle à manger d’été, mais il ne cite pas la source de cette information. Retour au texte

54 Pierre de Nolhac, Louis XV à Versailles, Paris, Flammarion, 1934, p. 61. Retour au texte

55 Benoît Musset, Op. cit., p. 67-70. Retour au texte

56 Xavier de Planhol, L’eau de neige. Le tiède et le frais, Paris, Fayard, 1995, p. 180. Retour au texte

57 Collection personnelle. Retour au texte

58 Ibid. Retour au texte

59 Jean-Robert Pitte, Op. cit., 2013. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Jean-Robert Pitte, « Du champagne, pour dissiper la tristesse du roi Louis XV ! », Territoires du vin [En ligne], 10 | 2019, publié le 16 octobre 2019 et consulté le 11 octobre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/index.php?id=1746

Auteur

Jean-Robert Pitte

Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences morales et politiques

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