Si nous avons voulu consacrer le premier dossier de la revue « Territoires du vin » à la notion de terroir, c’est qu’elle occupe aujourd’hui aussi bien le devant de la scène scientifique que celui des débats qui agitent les milieux professionnels de l’élaboration du vin et de sa commercialisation. La vogue du terme semble irrésistible depuis quelques années au point qu’il franchit les limites de l’hexagone français et bénéficie d’une reconnaissance internationale inattendue à l’Unesco, même dans une époque dominée par la globalisation de la consommation du vin. Inséparable d’un contexte où l’interrogation sur l’origine et la qualité des produits alimentaires participe des inquiétudes des sociétés de consommation, le terroir n’est-il aujourd’hui qu’une invention d’un pays développé et vieillissant ? En vérité le terme, dans ses acceptions actuelles valorisantes, désigne des conditions socio culturelles tout autant que les qualités d’un milieu naturel favorable à la viticulture et à la vinification. L’évidence de la notion est trompeuse, ne serait-ce que par son rapport paradoxal avec le temps historique. Quelle est la part de celui-ci dans l’existence d’un terroir ? La réponse comporte une dimension pratique dans un moment où la production viticole se déploie à l’échelle internationale dans des pays où elle était peu développée sinon inexistante. Pour nombre de nouveaux pays producteurs, la référence historique est perçue comme une discrimination inacceptable à leur égard. La notion de terroir dont la France est le berceau n’est-elle donc que l’ombre portée d’une histoire assimilée à la persistance d’un passé lointain, à l’existence d’une histoire immémoriale ? Cette représentation du terroir qui semble fondée sur l’évidence de l’ancienneté séculaire de la culture de la vigne et du vin, est également un stéréotype qui ne permet pas de rendre compte de la modernité et de l’émergence finalement récente des terroirs. Comment concilier l’inscription territoriale de la viticulture, de l’élaboration des vins et de leur consommation avec l’affirmation contemporaine de terroirs qui sont loin de correspondre à tous les lieux où la viticulture était de longue date implantée ? Le terroir vitivinicole en tant qu’espace identifié et reconnu constitue une réalité sociohistorique complexe qui appelle un effort d’observation et de réflexion théorique faisant appel à diverses sciences humaines et sociales qui abordent la formation et le développement des activités humaines ancrées dans des territoires. Si ce dossier est fortement centré sur les deux derniers siècles, c’est que l’horizon du contemporain, loin de toute compromission avec un esprit du temps dominé par un présentisme ignorant de la longue durée, est essentiel pour apprécier et mesurer les transformations des décennies récentes. L’approche scientifique des terroirs ne peut ignorer l'histoire des mutations administratives des territoires qui demeure un champ d'étude dont il importe de poursuivre et d'amplifier l'exploration. Les changements qui affectent aujourd'hui l'économie des territoires viticoles, à l'échelle locale, nationale ou internationale, invitent à faire appel à des démarches historiques pour mieux comprendre les réactions qu'ils suscitent et l'origine des programmes de réforme et de normalisation qu'ils inspirent. En abordant la thématique de l'histoire de la construction des normes (normalisation des systèmes de production, des échanges commerciaux et de la consommation), ce dossier s’appuie sur un séminaire consacré à la « Genèse et construction des normes vitivinicoles » et sur la préparation d’un colloque international sur les terroirs. Cette première livraison présente ainsi des recherches qui, dans leur diversité, se proposent d’étudier l'identification et l'appropriation des terroirs/territoires par chacun des acteurs en jeu et sur différents espaces comparés dans la France contemporaine. Ces recherches incluent la réflexion sur les systèmes de classements et les représentations qui participent de la définition juridique et donc économique et politique des différents terroirs ainsi ancrés par la loi. L'appellation d’origine contrôlée, désormais sexagénaire, se fonde par exemple sur un dispositif de régulation historiquement institutionnalisé, porté par les professionnels et l'Institut national des appellations d’origines qui, après avoir été un Comité national lors de sa création en 1935 est devenu désormais l’Institut national de l’origine et de la qualité. Cet organisme public qui agit selon des règles communes pour l'ensemble des territoires à délimiter, coordonne le processus de délimitation qui en France a fait l’objet de nombreux conflits tout au long du premier 20e siècle. Plusieurs articles permettent ainsi d'appréhender la place des institutions publiques (Ministère de l'agriculture, Parlement et INAO) dans la régulation de pratiques finalement très diversifiées selon les espaces investis, de la Champagne au Cahors, en passant par le pays Nantais et la Bourgogne. Mais ces articles, comme d’autres contributions, étudient également comment, les normes de production et de commercialisation du vin agissent à la fois comme des objets de distinction, en étant des prescripteurs de qualité et comme des supports aux représentations et aux identifications territoriales. La question des acteurs sociaux constitue un champ d’étude essentiel pour comprendre le fonctionnement effectif de l’activité publique de régulation mais aussi pour interpréter l’évolution du système productif et de la filière vitivinicole dont la consistance est variable d’un territoire à l’autre et selon les époques. Dans l'ensemble, cette approche des terroirs par le biais des normes et de la régulation peut fournir des éclairages utiles pour penser leur construction socio historique et mesurer leurs spécificités actuelles.
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Référence électronique
Serge Wolikow, « Éditorial », Territoires du vin [En ligne], 1 | 2009, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/index.php?id=1438
Auteur
Serge Wolikow
Professeur d'histoire, Université de Bourgogne