Vignes bibliques et vins d’Israël d’aujourd’hui

Plan

Dédicace

Le’haïm !! : « à la Vie ! »1

Texte

Introduction :

L’histoire viticole en terre biblique est aussi ancienne que l’installation des habitants. La vigne et le vin associés à toutes les civilisations du Proche, du Moyen-Orient et de l’ensemble de la Méditerranée depuis la Haute Antiquité, font l’objet de nombreuses découvertes archéologiques. Celles-ci témoignent de la présence du vin et de la viticulture au nord des Monts Zagros en Iran, en Géorgie et au Sud-est de la Turquie avant de gagner tout le Proche-Orient. En Syrie et en Palestine, la viticulture était probablement pratiquée depuis le IVème millénaire. La terre de Canaan était considérée par les Egyptiens comme le pays des vins, où ils « coulaient comme des fleuves2 ». Ils s’y approvisionnaient, comme l’attestent les jarres à vin de la même époque retrouvées dans certaines tombes.

La région où se situe Israël aujourd’hui, dont l’histoire est marquée par la symbolique du vin dès l’Ancien Testament, est devenue en quelques années une terre de viticulture en pleine expansion où les vignobles s’étirent sur l’ensemble du territoire, des Monts du Golan au Nord jusqu’au désert du Néguev au Sud.

Carte des régions viticoles d’Israël

Carte des régions viticoles d’Israël

La surface de vignes plantées a considérablement augmenté (environ 5500 ha actuellement). Dès l’approche géographique, en examinant la carte des régions viticoles israéliennes, nous constatons l’étendue de la présence de la vigne.

Son développement, ainsi que deux révolutions vitivinicoles, ont favorisé la percée du vin israélien et ont permis sa reconnaissance progressive à l’international. En 2013, pour un chiffre d’affaires de 260 millions de dollars, 1/5ème correspondait aux exportations vers les USA, la France, le Royaume-Uni, le Canada, la Pologne et les Pays-Bas. Aujourd’hui les efforts s’orientent vers l’ouverture aux pays asiatiques (Chine et Japon essentiellement). Il y a actuellement entre 280 et 300 entreprises vitivinicoles dans le pays, mais celles du « Top Five » - Carmel, Barkan, Golan heights, Teperberg et Binyamina - réalisent, à elles seules, 80% des ventes.

Simultanément, depuis une vingtaine d’années, l’industrie du vin se développe et le vin, en tant qu’outil promotionnel du pays est en plein essor. Un tourisme autour de ce vin s’élabore pour répondre à un intérêt à la fois local et extérieur, alliant tradition et modernité.

Le vin en héritage

On considère que Noé3 a été le premier viticulteur, lui qui, sauvé du Déluge, tenta la culture de la vigne en scellant une alliance avec l’Eternel. On raconte qu’il avait même emmené dans l’Arche des ceps de vigne au même titre que les animaux. Il fut aussi, précise la Bible, la première personne à s’enivrer (Genèse 9, 20-27). Alors que le vin voyageait dans l’ensemble du Moyen-Orient et du monde méditerranéen, le récit biblique relate qu’Israël, la Terre Promise4 des Hébreux (2ème Livre des Rois,18-32), était couvert de figues et de vignes produisant du vin en si grande quantité qu’il y en avait davantage que de l’eau.

Carte des localisations vitivinicoles bibliques

Carte des localisations vitivinicoles bibliques

Dans les textes bibliques, on retrouve de multiples acteurs du monde de la vigne et du vin : Joseph, fils du patriarche Jacob, fut le premier échanson du pharaon. Il déchiffra, entre autres, un songe où ce dernier avait eu la vision d’un cep de vigne. On découvre également l’histoire de la vigne de Naboth, dans le Premier Livre des Rois, qui refusa de vendre au roi Achab (roi d’Israël au IXème siècle avant notre ère) sa vigne, située près du palais de ce prince ; le prophète Néhémie était échanson du roi Artaxerxès (poste honorifique à la Cour perse). La Bible précise également que les rois d’Israël possédaient de grands vignobles. Le roi David avait même à son service deux employés dont l’un était spécialiste du travail dans les vignes et l’autre de la gestion des caves.

C’est dans le livre des Nombres (Nb 17-23) que l’on trouve le récit le plus fondateur, celui des espions (« les Explorateurs ») envoyés par Moïse en Terre Promise et qui revinrent5 avec une grappe de raisin si lourde, qu’installée sur une perche, elle devait être portée par deux hommes, en l’occurrence Josué et Caleb.

Les Explorateurs, timbre israélien de 25 agorot émis le 8/9/1954

Les Explorateurs, timbre israélien de 25 agorot émis le 8/9/1954

Le vin représentait la première économie du pays car, à cette époque, la population buvait beaucoup et on a pu parler d’une sorte « d’âge d’or » du vin dans la région. Il avait tant d’importance que ceux qui se consacraient à sa culture étaient exempts de service militaire même en cas d’alerte !

Dans l’histoire de Jésus (qui se déroule partiellement en Galilée), on l’assimile presque à un viticulteur lorsqu’à Cana il changea l’eau en vin (Évangile de Saint Jean). Rappelons que la vigne et le vin sont omniprésents dans les quatre Évangiles.

Deux mille ans plus tard, la Galilée est devenue l’une des régions viticoles les plus réputées d’Israël…, un véritable trait d’union entre la Bible et la géographie !

Le vin dans la tradition biblique et sa transmission6

En Israël, certains Juifs pratiquants ne boivent de vin qu’à des fins religieuses, lors des bénédictions du Kiddoush qui ouvre les deux repas du Chabbat, chaque vendredi soir et samedi, ainsi que ceux des fêtes ; ils pensent encore souvent que la Tradition nécessite des vins rouges, épais et doux, qui n’ont aucun intérêt pour les connaisseurs – ces derniers considérant que ce vin « doucereux » n’est qu’un succédané bon marché, sans caractéristiques spécifiques. Plusieurs grosses caves continuent à produire ces vins de Kiddoush n’ayant alors pour cibles que ces seuls consommateurs pratiquants.

Table familiale du Kiddoush

Table familiale du Kiddoush

Le vin est également omniprésent dans la célébration des principales fêtes qui rythment le calendrier hébraïque, avec un pic de consommation lors des fêtes du Nouvel An juif (Roch Hachana) et de la Pâque juive (Pessah). Le vin et le divin7 ont toujours été associés dans les rituels (par exemple lors de la prière de sanctification sur le pain et le vin), allant jusqu’à ordonner aux Juifs pratiquants de se « griser » une fois par an, pour la fête de Pourim qui rappelle le sauvetage du peuple juif par la Reine Esther.

Au repas du Nouvel An juif, les convives se souhaitent traditionnellement une année « aussi douce que la pomme et le miel » consommés à cette occasion. L’encouragement à boire des vins sucrés à cette occasion est considéré comme l’amorce d’une année douce !

La nuit du Séder - repas du soir de la Pâque juive - durant laquelle on raconte le récit de la sortie d’Egypte, le rituel fait la part belle au vin. Il faut en effet boire quatre coupes à des moments précis du récit. Les habitudes de consommation dépendent des coutumes familiales ; certains considèrent que les vins rouges sont davantage appropriés, d’autres utilisent des blancs. Quel que soit l’endroit dans le monde où se déroule le Séder, les vins choisis sont habituellement israéliens. C’est une manière de marquer son attachement au pays, la Terre Sainte étant le but ultime du récit explicité chaque année. Ainsi, ces quatre coupes à boire obligatoirement représentent aussi un trait d’union entre les Juifs du monde entier, qu’ils soient religieux, traditionnalistes ou laïques, puisque même les plus éloignés de la pratique à laquelle peu dérogent.

Les impératifs du vin casher 

Pour qu’un vin soit conforme aux exigences religieuses, il faut que sept règles soient strictement respectées, lesquelles n’auront aucun impact négatif sur la qualité du vin :

  • Les grappes destinées à de nouveaux vins ne peuvent être utilisées avant d’avoir atteint la quatrième année de la vigne.
  • On ne peut faire pousser aucun autre fruit ou légume entre les rangs de la vigne.
  • Après les premières vendanges, il ne faut pas s’occuper de la vigne durant une année sabbatique, année qui revient tous les sept ans.
  • Durant la durée des vendanges, seuls des outils et des contenants cashers peuvent être utilisés pour la vinification et tout l’équipement utilisé doit être nettoyé pour être certain qu’aucun objet étranger ne soit entré en contact avec le matériel ou les cuves.
  • À partir du moment où les grappes de raisin arrivent à l’entreprise viticole, seuls des Juifs religieux (observant entre autres les règles du Chabbat) peuvent les toucher. Comme de nombreux vignerons israéliens ne sont pas religieux, ils ne peuvent pas personnellement et directement manipuler le matériel viticole ni la vigne, ils doivent donc être assistés dans la plupart des tâches techniques par des Juifs orthodoxes et des superviseurs de la conformité religieuse.
  • Tous les produits utilisés dans l’élaboration et la clarification des vins doivent être certifiés casher.
  • Une quantité de vin symbolique, représentant le tribut qui devait être payé au temple de Jérusalem, doit être rejetée de tous les récipients dans lesquels le vin a été élevé.

Précisons également que les entreprises vitivinicoles israéliennes et américaines qui produisent des vins casher, produisent uniquement ces vins, alors qu’en France, en Italie, en Espagne et dans d’autres pays européens, aussi bien qu’en Amérique du Sud, de nombreuses entreprises produisent volontairement des cuves casher et non casher d’un même vin. Dans ce cas, le superviseur de la conformité religieuse doit vérifier que chaque bouteille qu’il voit peut recevoir la certification appropriée. Rappelons aussi que le vin israélien n’est pas toujours casher et qu’il y a des caves qui refusent les contraintes y afférant.

Le vin israélien d’hier à aujourd’hui

Le début du renouveau :

La véritable histoire vitivinicole du pays démarre à la toute fin du XIXème siècle grâce au baron Edmond de Rothschild8, philanthrope juif français, propriétaire de Château Lafite à Bordeaux. Celui-ci était persuadé qu’il fallait reprendre la culture de la vigne dans la région pour donner du travail aux immigrants arrivés d’Europe de l’Est et installés depuis peu à proximité de Haïfa. C’est avec les cépages bordelais que la région fut remise en culture sans difficultés majeures, grâce à un climat favorable. Rothschild décida même d’aider de nouveaux villages qui plantèrent au Sud de Tel Aviv, puis à proximité de ‘Haïfa, de nombreuses vignes dont les pieds venaient directement de Château Lafite. Il créa la coopérative vigneronne des grandes caves Rishon Letsion et Zichron Yaacov (du nom d’un de ses nombreux fils)…. Une dizaine d’années plus tard, c’est une coopérative de vignerons locaux qui devint locataire. L’épidémie de phylloxéra qui s’était répandue en Europe finit par atteindre le pays et toucha gravement les vignes existantes.

De plus, la situation politique et économique mondiale (la Révolution Russe, la Grande Guerre, la crise économique de 1929) eut raison du succès de l’entreprise et l’engagement direct des Rothschild s’est terminé aux alentours des années 1950 à la mort de James, le fils d’Edmond. Dans les trente ans qui ont suivi, la viticulture n’a guère progressé, en dépit du renouvellement des plantations de vignes greffées, comme en Europe sur des espèces américaines. Le vin produit était un vin sirupeux, tout juste bon pour les sanctifications religieuses juives et chrétiennes. A partir de la naissance de l’état d’Israël en 1948, parmi les nouveaux immigrants se trouvaient des viticulteurs, des consommateurs intéressés à reprendre le travail de la vigne. C’et en 1957 que fut créé l’Institut israélien du vin, toujours en activité, spécialisé dans la recherche en œnologie et consultant pour tout ce qui concerne la culture du raisin, les espèces et les techniques de production du vin.

Les révolutions vitivinicoles

Au début des années 1970, le professeur Cornélius Ough, enseignant à l’université californienne de Davis, modifia l’évolution du vin israélien. En visitant la région des Monts du Golan, il nota le sol volcanique et l’altitude élevée, remarqua le début d’une industrie de la pomme et en déduisit que la région serait un endroit tout à fait propice à la culture d’un raisin de grande qualité : c’est en 1976 que les premières vignes y ont été plantées. Quelques années plus tard, en 1983, une nouvelle entreprise s’y est installée, les « Golan Hights Winery »,avec l’aide d’une équipe franco-américaine d’œnologues et de professeurs formés, pour la plupart, à l’Université californienne de Davis. Parmi eux, Peter Stern réinventa la viticulture israélienne en y introduisant les techniques vitivinicoles du Nouveau Monde et en se fixant de réelles exigences de qualité rendues possibles par une irrigation minutieuse : le goutte-à-goutte ou micro-aspersion.

Cette technologie moderne d'irrigation a été inventée en Israël au début des années 1960 : au lieu de libérer l'eau par des trous très petits percés dans les canalisations de faible diamètre, facilement obstrués par des particules minuscules, l'eau est libérée par de plus grands et plus longs passages en employant le frottement pour la ralentir à l'intérieur d'un émetteur en plastique. Le premier système expérimental mis en place, une compagnie d'irrigation (Netafim) a créé et a rapidement fait breveter le premier émetteur extérieur d'irrigation par goutte-à-goutte. Cette irrigation, parfaitement maitrisée aujourd’hui, favorisée par l’utilisation de réservoirs d’eau recyclée, s’est généralisée jusque dans le désert du Néguev où la cave « Yatir » produit un vin reconnu à l’international.

Réservoir situé à proximité de l’entreprise Yatir Winery

Réservoir situé à proximité de l’entreprise Yatir Winery

Dans la même période, plusieurs Israéliens sont partis étudier la viticulture et l’œnologie à l’étranger (en Californie, en France, en Italie et en Australie), dans l’idée d’opérer une véritable révolution de la qualité en Israël. De nombreuses familles, qui jusque là étaient vigneronnes et cultivaient le raisin pour d’autres, décidèrent de créer leur propre entreprise viticole et souvent d’adjoindre une cave à leur vignoble.

C’est le cas du Docteur Yair Margalit, professeur de chimie à l’université hébraïque de Jérusalem qui, après s’être formé à l’œnologie en Californie, a ouvert la première « boutique winery » du pays utilisant ce terme californien des années 1970 venu du français « boutique » pour désigner les petites entreprises (en les opposant à d’énormes producteurs comme Gallo, par exemple) qui avaient commencé à élaborer de petites cuvées de grande qualité.

Les premières distinctions internationales pour un vin israélien ont été décernées au Domaine du Castel pour son « Castel, Grand Vin » jusqu’à obtenir le maximum de 4 étoiles dans le Guide du Vin de Hugh Johnson. A la même période d’autres vins de la région ont été primés comme celui de Clos (comme en Bourgogne) de Gat (pressoir en hébreu) qui a remporté le trophée régional Decanter et la note de 94 dans le Wine Advocate de Parker.

De fait, les collines de Judée, déjà décrites par le prophète Amos (9:13) comme « les montagnes d’où couleront le vin, entrainant toutes les collines avec elles », correspondent aujourd’hui à la région d’extension du vignoble, donnant raison à la prophétie biblique. Cette région, de plus, est considérée comme productrice du meilleur vin israélien, dépassant finalement celui produit dans le Golan et la Haute Galilée.

Les collines de Judée, près du kibboutz ‘Hulda

Les collines de Judée, près du kibboutz ‘Hulda

Le choix des cépages utilisés 9

Les pionniers du vin israélien de qualité se sont tournés d’abord vers des choix classiques, le Cabernet Sauvignon, le Merlot et la Sirah, puis ils ont cherché à découvrir le potentiel de nouveaux cépages, mieux adaptés au climat israélien. C’est ainsi qu’ont été importés des pieds de vigne comme les Petit Verdot, Chenin Blanc, Mourvèdre et Durif (appelée également Petite Sirah). De plus, on est parvenu, grâce au climat, à créer des vins monocépages basés uniquement sur ces nouveaux pieds de vigne. Ainsi, le Petit Verdot, qui est l’un des cinq composants du Bordeaux, a donné naissance à présent à plusieurs vins très fruités, boisés, et qui font partie de ceux qu’on appelle les « vins du Nouveau Monde ». Un certain nombre de caves importantes élaborent des vins basés sur des cépages méditerranéens comme le Carignan et la Petite Sirah.

C’est vers la fin du XIXème siècle que les premiers pieds de Carignan sont arrivés en Israël et leur culture s’est étendue à tout le pays en donnant un vin sans grande typicité, jusqu’à ce que des essais avec une vigne Carignan vieille de plusieurs dizaines d’années, au rendement nettement inférieur à celui des cépages cultivés de Carignan, mais à la qualité nettement supérieure, reflétant son terroir d’origine, soient tentés.

La Petite Syrah s’est également très bien acclimatée en Israël. Cette vigne est un croisement de Peloursin et de Syrah et est cultivée en Israël et en Californie. Elle sert à de nombreux blends (mélanges) californiens, ajoutée au Cabernet–Sauvignon ou au Pinot noir, et renforce leur saveur et leur robe. Additionnée au Zinfandel, elle réduit sa douceur parfois trop prononcée.

Dans les années 1970, la Petite Sirah a été introduite dans le pays et des difficultés sont intervenues par manque d’expérience : les plants sont plantés trop près les uns des autres et sont abondamment arrosés pour assurer un rendement maximal. Ce sont, là aussi, des essais avec des plants de Petite Syrah « oubliés » qui ont permis que le cépage soit redécouvert et mélangé avec succès à du Cabernet-Sauvignon : le résultat se serait avéré, pour les spécialistes, proche des grands vins de la vallée du Rhône (!). L’étape suivante fut de produire un mono-cépage, qui fut une réussite et qui servit d’exemple pour le Cabernet Franc et le Chenin Blanc.

Par ailleurs de nouveaux assemblages ont été tentés, qui s’avèrent également prometteurs, à base de Mourvèdre, de Chenin Blanc, de Trepranillo et de Touriga Nacional. Ils permettent aux viticulteurs et œnologues israéliens d’espérer de beaux résultats de ces cépages plus « exotiques » bien acclimatés dans le pays.

Le développement du vin israélien et deux révolutions vitivinicoles, ont permis sa reconnaissance à l’international. Depuis les années 1980, deux véritables « révolutions » vitivinicoles sont intervenues, accompagnées d’une mutation géographique visible dans le paysage méditerranéen.

Tout d’abord la révolution de la qualité, grâce à l’expertise d’œnologues américains, français et israéliens. Cette transformation fondamentale a démarré par la plantation de nouveaux vignobles, souvent dans des zones d’altitude relativement élevée, comme la région des Monts du Golan qui s’est avérée propice à la production d’un raisin de grande qualité grâce à des sols mieux drainés qu’en plaine, et par une irrigation minutieuse : le goutte-à-goutte ou micro-aspersion.

Puis, on assiste à la révolution des « Boutique wineries », expression californienne des années 1970, venue du français « boutique », pour désigner de petites entreprises viticoles à la recherche d’une production de qualité. Cette deuxième révolution est à l’origine de la multiplication de caves d’un nouveau type (on en dénombre près de 300) qui ont fleuri ces 15 dernières années et qui révèlent le dynamisme de la profession, ouverte sur le monde, pariant sur la qualité et espérant un succès rapide.

A la recherche du vin de la Bible

Certain professionnels cherchent à revenir à des techniques ancestrales, comme cette œnologue viticultrice d’origine géorgienne qui a tenté d’optimiser « la vinification à l’ancienne » en faisant fermenter son vin, après broyage, dans d’énormes amphores d’argile ramenées de Géorgie. C’est sa façon, à elle de témoigner, de transmettre un savoir et un savoir-faire ancien.

Les amphores géorgiennes de la cave Kadma

Les amphores géorgiennes de la cave Kadma

Par ailleurs, une équipe israélienne de chercheurs, archéologues et biologistes, s’attache à reconstituer le plus précisément possible le goût de ce vin de l’Antiquité (sur le modèle du travail du Professeur américain, Patrick McGovern à propos des bières anciennes).

Début 2014, des recherches sur le séquençage de l’ADN de pépins de raisins antiques ont été publiées et leurs auteurs espéraient qu’elles aboutiraient à la re-création d’une vigne, et donc d’un vin antique. Il semblait établi que ce vin cananéen n’avait rien à voir (à boire ?) avec celui que l’on consomme aujourd’hui.

Surtout, un article paru dans le quotidien israélien « Haaretz », le 26 octobre 2015, intitulé : « un raisin ancien va-t-il révolutionner l’industrie vitivinicole israélienne ? » rend compte d’une nouvelle étape. Il évoque le partenariat entre les propriétaires d’un vignoble palestinien situé près de Bethlehem, celui des caves de Crémisan, dirigé par des moines italiens, dont le vin blanc a été distingué comme étant le meilleur de Terre sainte, Israël et Palestine confondus, par le « Wine grapes » londonien, et le domaine Recanati, qui a récemment fait l’objet d’une attention médiatique considérable après l’inscription de son « Cabernet 2012 de Haute Galilée » dans la prestigieuse liste des 100 meilleurs vins du monde du Wine Spectator de Robert Parker.

L’article évoque les recherches de l’équipe menée par le Dr Shivi Drori, viticulteur et professeur israélien de biologie et d’œnologie, qui a identifié, grâce au séquençage de l’ADN de pépins de raisins anciens, près de 120 variétés, dont 20 pourraient être utilisées dans la viticulture. Deux d’entre elles sont uniques (comparables à aucune autre au monde) : Hamdani et Jandali. Or, Recanati a réussi à produire, l’an passé, un vin à partir des raisins blancs élevés au domaine de Cremisan. Les raisins utilisés auraient les mêmes caractéristiques que celles du Hamdani des recherches. Le vin blanc commercialisé en partenariat est le « Recanati’s 2014 Marawi » (arôme de pommes et de pêches, agréable à boire, dit-on). Même s’il ne s’agit pour l’instant que d’une étape (2480 bouteilles ont été produites), les œnologues israéliens espèrent vraiment être en train d’aboutir à un vin unique à partir de raisins produits nulle part ailleurs et non plus seulement à des vins d’« inspiration méditerranéenne ». Ce vin a été fièrement présenté à l’« Expo Milan 2015 » comme étant le vin de la Bible.

Marawi 2014, le vin de la Bible ?

Marawi 2014, le vin de la Bible ?

Une troisième révolution ?

La consommation du vin en Israël reste stable ces dernières années. L’israélien moyen buvant très peu, il a été absolument nécessaire d’opérer une diversification du tourisme autour du vin.

La création d’une « Route des vins israéliens », encouragée par le Ministère de l’agrotourisme, a pour objectif de favoriser le tourisme autour du vin d’Israël. Cet œnotourisme est en train de se construire et de se structurer, tout en cherchant à innover dans un contexte économique favorable depuis l’éclosion des start-up dans tout le pays au cours des années 1990, au point que le pays soit surnommé « Nation Start-Up » depuis le célèbre livre de Senor et Sander publié en 2009, devenu un best –seller, traduit dans le monde entier.

Couverture du livre Israël, la nation start-up 10

Couverture du livre Israël, la nation start-up 10

Récemment ce ne sont plus seulement des parcours autour du vin qui ont été élaborés mais de véritables séjours œnotouristiques qui s’organisent dans des établissements hôteliers haut de gamme qui ont choisi de mettre en relation l’intérêt pour le vin et ses paysages, l’archéologie, la Bible et le bien-être des visiteurs. Séjourner dans l’un de ces hôtels, au milieu des vignes, permet à la clientèle, nationale et internationale de s’organiser de véritables circuits de visites de caves, ou de choisir de rester dans l’ambiance « vignes et vin » à l’hôtel, en profitant par exemple de soins de vinothérapie, en fréquentant le bar à vins, en goûtant à une cuisine soucieuse des accords mets/vin, en faisant des achats viniques à la boutique de l’hôtel. Des versets de la bible évoquant le vin, traduits en anglais, font même partie intégrante de la décoration murale des parties communes, comme à l’hôtel Cramim (« vignes ») ouvert récemment entre Jérusalem et Tel Aviv au cœur de la Judée vitivinicole.

Cramim Resort & Spa - Kiryat Anavim

Cramim Resort & Spa - Kiryat Anavim

Conclusion

Les recherches conjointes d’archéologues, de connaisseurs de la Bible, d’œnologues, de biologistes, associées dans une « mise en patrimoine » unique offerte aux visiteurs, permettent un « va et vient » constant entre la connaissance du passé et la réalité d’Israël actuel. Ces hommes et femmes du monde du vin sont encouragés par l’ensemble des acteurs régionaux et appuyés par le Ministère du Tourisme, qui rappelle par son logo l’épisode biblique des Explorateurs, indissociable de l’œnotourisme israélien en devenir. Les glissements continus de la Bible au monde actuel sont le témoin d’une transmission aussi bien cultuelle que culturelle d’un savoir, d’un savoir-faire et d’un savoir être.

Logo actuel du Ministère du Tourisme israélien

Logo actuel du Ministère du Tourisme israélien

Notes

1 Toast porté lors de toutes occasions heureuses en levant son verre et en trinquant avec l’invité. C’est le rappel du choix de la vie par rapport à l’époque où l’on empoisonnait le vin de ceux qui étaient condamnés à mort Retour au texte

2 Voir l’inscription de Thouthmôsis III gravée sur le temple de Karnak Retour au texte

3 « Noé, le cultivateur, commença de planter la vigne. Ayant bu du vin, il fut enivré et se dénuda à l’intérieur de sa tente » Retour au texte

4 « Un pays de froment et de moût, un pays de pain et de vignobles, un pays d’huile et de miel » 2R 18,32 Retour au texte

5 « C’était l’époque des premiers raisins(…) ils parvinrent au Val d’Eshkol (grappe en hébreu); ils y coupèrent un sarment et une grappe de raisin qu’ils emportèrent à deux, sur une perche, ainsi que des grenades et des figues. On nomma ce lieu Vallée d’Eshkol à cause de la grappe qu’avaient coupée les enfants d’Israël » Nb 17-23 Retour au texte

6 Mireille Israël-Lang, « la tradition viticole en terre biblique », in Jocelyne Pérard et Maryvonne Perrot (dir.) Rencontres du Clos-Vougeot 2014 - le vin en héritage, anciens vignobles, nouveaux vignobles, Dijon, centre Georges Chevrier, 2015 Retour au texte

7 Titre de l’ouvrage de Jean-Robert PITTE : le vin et le divin, Paris Fayard, 2010 Retour au texte

8 Exposition : Les Rothschild en France au XIXème siècle, Paris, BNF, nov 2012 - fév 2013 Retour au texte

9 Voir sur le site www.wines-Israel.com Vin israelien –cépages ou Retour au texte

SACKS et MONTEFIORE, the wine Route of Israel , Cordinata Publishing House,Tel-Aviv2012, liste exhaustive établie par Adam MONTEFIORE :” grape varieties “ p.24

10 Dan Senor et Saül Singer, Israël, la nation start-up. Les ressorts économiques du miracle israélien. Paris, 2010 Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Mireille Israel-Lang, « Vignes bibliques et vins d’Israël d’aujourd’hui », Territoires du vin [En ligne], 8 | 2018, publié le 01 février 2018 et consulté le 21 novembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/index.php?id=1338

Auteur

Mireille Israel-Lang

Université PARIS - Sorbonne

Droits d'auteur

Licence CC BY 4.0