À Michel et à Pierre, avec toute mon amitié
Le vin au musée gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal – Vienne
Le contexte archéologique et historique
Le vin est un produit culturel majeur qui a façonné par bien des aspects les civilisations de l’Antiquité. Les collections de l’exposition permanente du musée gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal – Vienne (69), issues des fouilles du site archéologique et de dépôts d’objets de la ville de Vienne (38), présentent, depuis l’ouverture du musée en 1996, l’importance du commerce et de la consommation du vin dans une grande cité gallo-romaine comme Vienna.
Les Romains ont largement contribué à la diffusion des techniques de culture de la vigne en Gaule. Dès le début du premier siècle de notre ère, les vins produits par les Allobroges, peuple gaulois de la cité de Vienna, sont connus et appréciés à Rome. Le nombre assez élevé d’attestations littéraires (neuf textes de cinq auteurs différents) pour une production vinicole gallo-romaine, constitue un corpus conséquent abordant aussi bien la description des cépages que les recettes des préparations du vin ou encore son usage médicinal : Pline l’Ancien1 mentionne le cépage vitis allobrogica, encore nommé vitis picata, produisant un vin renommé au prix élevé, le poète Martial2 célèbre ce vin au goût poissé si caractéristique, tandis que l’encyclopédiste Celse3 le recommande pour certains maux d’estomac.
Malheureusement, la localisation précise du vignoble demeure incertaine. Pour Martial, ce vin provient de « Vienne aux beaux vignobles ». Columelle4, Pline l’Ancien ou Plutarque5 évoquent la « cité de Vienne » ou la « Viennaise », c’est-à-dire le territoire des Allobroges recouvrant actuellement le Dauphiné et la Savoie. Des études récentes ont néanmoins renouvelé les connaissances sur le sujet6. Ainsi, des établissements viticoles datés des Ier et IIe s. apr. J.-C. ont été identifiés dans la vallée du Rhône à 30 km au sud de Vienne. Ces cinq sites, connus essentiellement par des fouilles anciennes, possédaient soit des cuves de recueil de moût, des aires de foulage ou des contrepoids de pressoir. Par ailleurs, des pollens et des pépins de vigne ont été détectés sur des sites gallo-romains à l’est de Vienne, attestant une culture de la vigne dans ce secteur. Peut-être existait-il également des villae viticoles implantées à proximité de la capitale de la cité des Allobroges à la même époque. Cependant, les indices archéologiques en périphérie directe de la ville de Vienna manquent encore cruellement. Parallèlement, des vignobles gallo-romains ont pu se développer en Savoie mais aucune attestation archéologique fiable ne vient corroborer cette hypothèse.
De nos jours, des terroirs viticoles tout proches de la région viennoise – à Condrieu et à Ampuis sur la rive droite du Rhône, ou plus récemment à Seyssuel sur la rive gauche au nord de l’agglomération – produisent des vins réputés et se réclament volontiers de cet héritage antique. C’est donc tout naturellement que le musée gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal - Vienne, trait d’union entre l’Antiquité et une tradition viticole locale dynamique, s’est engagé depuis plus de dix ans dans un programme de collaborations, de recherches et d’expérimentations transversales autour de l’histoire et de l’archéologie de la vigne et du vin.
Nectar des Dieux, Génie des Hommes
En 2004, une grande exposition, Le Vin, Nectar des Dieux, Génie des Hommes, proposée par les Musées du Pôle Archéologie du Département du Rhône7 a permis de dresser un bilan ambitieux et passionnant sur le rôle fondateur de cette boisson. De la domestication de la vigne, il y a environ 10 000 ans dans la région comprise entre la Turquie, le Caucase et l’Iran, aux premières traces de vinification datant de 7000 ans dans les mêmes régions, des techniques de production chez les Grecs et les Romains, aux modes de consommation chez les Gaulois, cette exposition a joué un rôle essentiel pour l’appréhension par le grand public du phénomène « vin » dans l’Antiquité.
Vinalia, fête du vin et de la cuisine antiques
Afin de compléter, d’approfondir et de rendre accessible à tous les thèmes évoqués dans cette exposition, les équipes du musée ont mis en place dès 2004 une programmation d’activités culturelles basées sur la reconstitution historique et l’expérimentation archéologique.
La reconstitution historique, souvent menée par des associations sérieuses sous l’égide d’historiens ou d’archéologues, a pour but de reconstituer et de rendre vivants les aspects de la vie quotidienne des hommes et des femmes des sociétés anciennes. Depuis 2001, cette démarche concernant l’Antiquité est mise en œuvre par le musée à travers de nombreux événements grand public comme les Journées Gallo-Romaines8 au mois de juin chaque année.
Initiée en particulier par les préhistoriens il y a plusieurs dizaines d’années, l’expérimentation archéologique9, démarche auxiliaire de l’archéologie très commune dans les pays anglo-saxons, cherche par des protocoles scientifiques précis à recréer et à comprendre les gestes techniques souvent liés aux productions anciennes. L’archéologie expérimentale permet donc au musée d’appréhender des aspects divers et variés de la vitiviniculture ou de l’artisanat des périodes passées comme les techniques d’élaboration du vin, la fabrication d’amphores vinaires ou la cuisson des céramiques dans des fours de potiers gallo-romains reconstitués.
Les vendanges
Le temps des vendanges était un moment fondamental dans le calendrier des festivités antiques. À cette occasion les fêtes populaires et religieuses rythmaient la fin de l’été et le début de l’automne. À Rome, les Vinalia rustica marquaient le début de la récolte des raisins et s’ouvraient par la consécration de la première grappe vendangée à Jupiter. Des sacrifices (immolation de boucs) à Liber Pater, équivalent latin de Dionysos/Bacchus étaient offerts au dieu de la vigne et du vin qui présidait également avec d’autres dieux comme Libera, aux réjouissances de l’époque10.
Ainsi, l’événement Vinalia, qui s’inspire de ces lointaines fêtes antiques, se déroule chaque année le dernier week-end de septembre sous le haut patronage de la Chaire UNESCO « Culture et Traditions du Vin » de l’Université de Bourgogne. Cet événement a obtenu depuis 3 ans le label œnotouristique reconnu au niveau national « Vignobles et Découvertes » à travers la Destination Condrieu-Côte-Rôtie et fait également partie de la programmation de la Fête de la Gastronomie depuis 201411.
Depuis la création d’un vignoble en 2006 (cf. infra), ces vendanges se déroulent dorénavant sur le site archéologique. Les raisins récoltés sur le vignoble sont transportés jusqu’à un chai vinicole antique en partie reconstitué comportant une aire de foulage et deux pressoirs.
Ces installations ont été réalisées par l’Atelier du Grain d’orge (26) avec les conseils techniques des commissaires de l’exposition Le Vin, Nectar des Dieux, Génie des Hommes. En effet, Jean-Pierre Brun et André Tchernia avaient déjà supervisé la reconstitution du chai gallo-romain du Domaine du Mas des Tourelles appartenant au viticulteur Hervé Durand à Beaucaire12(30). Fort de cette expérience, les archéologues nous ont proposé de présenter deux types de pressoirs romains conformes aux sources textuelles antiques et aux données archéologiques. Le premier, reconstitué à l’échelle 1/3 est un pressoir à levier dit pressoir « catonien ». Caton l’Ancien, agronome du IIe s. av. J.-C. nous a laissé une description assez détaillée de ce type de presse.
Le deuxième pressoir, le seul utilisé lors de l’événement, est un pressoir à double vis. Technologiquement plus avancé et surtout moins dangereux à l’usage, il se répand surtout à partir du Ier s. apr. J.-C. Le moût obtenu lors du foulage et du pressurage constitue la base de vins expérimentaux élaborés depuis 2004. Ce même moût a également servi pour des expérimentations visant à reconstituer des préparations médicinales antiques à base de vin présentées aux Vinalia 2015.13
L’alimentation, les boissons et la cuisine antiques
Des institutions muséales liées au patrimoine vitivinicole antique ou moderne participent régulièrement aux Vinalia : le musée de site gallo-romain Villa Loupian (34), le musée régional de la vigne et du vin de Montmélian (73) et le musée du vin du Valais (Sierre et Salgesh, Suisse).
Les associations de reconstitutions historiques comme Pax Augusta14 pour l’époque romaine, Athenea Promakhos15 pour l’époque grecque ou les Teuta Arverni16 pour l’époque gauloise réalisent un travail remarquable abordant différentes thématiques comme l’alimentation du légionnaire, la reconstitution d’un symposion grec ou les habitudes culinaires gauloises, pour ne prendre que quelques exemples.
Des spécialistes de la cuisine romaine comme Mireille Chérubini de la Taberna Romana17 ou de la cuisine gauloise comme Anne Flouest18 sont également présentes lors des différentes éditions des Vinalia. Les visiteurs sont ainsi initiés aux saveurs et aux goûts antiques lors d’ateliers et surtout de repas pouvant accueillir jusqu’à 300 personnes chaque année, animés par les évocations musicales antiques de l’association Gallia Musica.
Le vin n’était pas la seule boisson alcoolisée consommée par les populations antiques : l’hydromel et la bière, boissons peut-être aussi anciennes que le vin, sont élaborées de manière domestique de la Mésopotamie à la Gaule. Néanmoins, vu les conditions de leur fabrication, ces productions ne laissent que très peu de traces détectables par les archéologues19. Il est donc difficile d’évaluer les quantités produites et consommées, mais il est certain que ces boissons occupaient une place considérable dans l’alimentation antique. La miellerie hydromellerie de Saint-Antoine-l’Abbaye (38), invitée à participer aux Vinalia depuis plusieurs années, perpétue la fabrication traditionnelle de l’hydromel. Le brassage de la bière à l’antique a fait l’objet d’une reconstitution par l’association Artisans d’Histoire20 (07) aux Vinalia 2013 tandis que Noémie Ledouble (Centre archéologique du Var) en 2014 et 2015 expérimentait l’élaboration d’une bière en s’inspirant notamment des découvertes réalisées sur le site de la Roquepertuse (13)21 . Afin d’établir des liens entre ces productions anciennes et les goûts d’aujourd’hui, des brasseries artisanales et des micro-brasseries sont régulièrement présentes lors de notre manifestation : la Brasserie du Pilat (Saint-Julien-Molin-Molette, 42), la brasserie des Roches (Pont-Évêque, 38), La Brasserie Dulion (Rillieux-la-Pape, 69), la Brasserie Ti’An (Pierre-Bénite, 69).
L’artisanat lié au vin
Différents potiers sont sollicités chaque année pour la réalisation de pièces de céramiques, copies de modèles antiques liés à la vinification, à la commercialisation et la consommation des boissons. La plupart de ces céramiques sont cuites dans les fours reconstitués sur le Domaine des Allobroges (cf. infra). Qu’il nous soit permis de citer et de remercier pour leurs multiples participations les potiers suivants : Emmanuel Aguillon (La Roquebrussanne, 83) Pierre-Alain Capt (Cuarny, Suisse) Jean-Marie Giorgio (Rasiguères, 66) et Jean-Jacques Dubernard (Roussillon, 38).
Le tonneau, dont l’origine serait attribuable aux Celtes apparaît dans le monde romain dès le Ier s. av. J.-C. La tonnellerie, cet art traditionnel encore largement marqué par un aspect manuel, est représentée chaque année aux Vinalia par des artisans tonneliers comme Denis Devienne (Saint-Savin, 38) ou Silvain Faity (tonnellerie Seguin Moreau, détaché au Domaine Guigal, Ampuis, 69).
Le travail du cuir et la fabrication des outres, omniprésentes dans l’Antiquité pour le transport et la commercialisation du vin, ont été évoqués a plusieurs reprises par l’association La Couenne22 spécialiste du cuir et des textiles antiques (Aspret-Sarrat, 31). L’artisanat du verre, largement maîtrisé à l’époque romaine avec notamment l’invention du soufflage aux alentours du Ier s. apr. J.-C., a fait l’objet de différentes démonstrations en particulier par le maître verrier Gabriel Milési (Pérouges, 01). Sur les stèles et les reliefs d’époque romaine, les représentations d’amphores dites gauloises les montrent souvent protégées par un paillage exécuté en vannerie tressée ou spiralée23. Certains objets en verres, précieux et fragiles, se voyaient également munis de tels dispositifs. Depuis plusieurs années, nous confions la confection de ces différents types de vanneries à Hervé Brisot, vannier aux Ardillats (69). Il a ainsi réalisé dans le cadre des Vinalia, le paillage de plusieurs copies d’amphores, la fabrication de paniers de vendange et de hottes de vendangeurs, la reconstitution d’une ruche romaine et plus récemment de bannetons de boulangerie en lien avec la construction d’un four à pain de type pompéien.
Le Domaine des Allobroges
Jusqu’en 2010, Pierre Gaillard24, vigneron à Malleval (42) partenaire et conseiller technique du musée, nous a fourni le raisin de cépage Syrah pour les démonstrations de vendanges. Dans le cadre de l’événement, ce raisin naviguait sur le Rhône grâce aux barques de la société nautique de Saint-Romain-en-Gal et était ensuite acheminé par une charrette jusqu'au musée. Depuis six ans chaque millésime est vendangé directement sur le site archéologique et plus précisément sur le vignoble du Domaine des Allobroges.
En effet, en 2008, le musée a ouvert un nouveau lieu consacré à l’expérimentation archéologique, accessible au public toute l’année depuis le site archéologique, et mettant en scène les pratiques viticoles, culinaires, médicinales et artisanales de l’époque romaine. Le Domaine des Allobroges s’étend sur plus de 3000 m2 et comprend un vignoble à l’antique, un jardin présentant des plantes attestées à l’époque romaine, des reconstitutions de fours de potiers gallo-romains ainsi qu’un four à pain pompéien, des fours à poix et un four de verrier. Les équipes du musée, sous la direction de Bénédicte Guyvarch25, en collaboration avec Hugues Savay-Guerraz26, Christophe Caillaud et Pierre Padaillé27 ont œuvré pendant deux ans pour concevoir ce projet dont la maîtrise d’œuvre a été confiée à la société Axe Saône (Lyon, 69)28.
Le jardin botanique
Les plantes jouaient un rôle capital dans la vie quotidienne des Gallo-Romains. Ainsi, le jardin rassemble une centaine d’espèces végétales (arbres fruitiers, légumes, plantes aromatiques, etc.) connues dans l’Antiquité. Ces végétaux sont classés en quatre espaces distinguant les plantes potagères, aromatiques, médicinales et utilitaires. L’objectif n’est pas de reconstituer à l’identique un jardin romain, mais d’offrir aux visiteurs la possibilité de se familiariser de manière pédagogique à une sélection des différentes espèces végétales utilisées à l’époque (aneth, arbre à poivre, buglosse, carvi, cassis, céleri, cornouiller, hysope, lin, livèche, marjolaine, menthe, moutarde, origan, pavot, rue, sarriette, thym, valériane, cognassier, grenadier, amandier…).
Les plantes présentées dans ce jardin font référence d’une part aux écrits d’auteurs antiques tels que Pline l’Ancien ou Apicius, le fameux gastronome29 et d’autre part aux données issues de l’archéobotanique, en particulier la carpologie (étude des graines) ou la palynologie (étude des pollens). Une place toute particulière est réservée aux plantes utilisées dans les différentes recettes de vins antiques, comme le fenugrec ou l’iris.
La reconstitution d’un vignoble antique30
Ce vignoble reconstitué selon les descriptions antiques occupe une superficie d’environ 2000 m2. Les 300 ceps de vignes qui le composent ont été plantés le 23 avril 2007 par l’ensemble des agents du musée lors d’une journée d’action commune. Ce projet de vignoble à la romaine s’inscrit parfaitement bien dans un territoire où la viticulture, issue d’une tradition régionale ancienne, est omniprésente à travers les prestigieuses AOP Côte-Rôtie et Condrieu au sud et le vignoble renaissant de Seyssuel au nord de Vienne.
Les cépages
Il est encore difficile aujourd’hui d’établir des liens de filiation directs entre les cépages de l’époque romaine et les cépages actuels. Certes, les agronomes romains nous livrent des listes de noms de cépages mais malheureusement ceux-ci ne correspondent pas aux noms des cépages modernes apparus dans le meilleur des cas au milieu du Moyen-âge comme le Pinot ou le Gamay, cité dans l’édit de Philippe le Hardi en 1395. Depuis quelques années, les études archéobotaniques ont mis en évidence l’assemblage de raisins de vignes sauvages et de cépages lors de l’élaboration du vin à l’époque romaine. Ces mêmes études auraient également permis l’identification de groupes de cépages cultivés à l’époque comme la Mondeuse blanche, la Clairette, le Merlot, le Pinot ou le Petit Verdot31.
Concernant le choix des cépages du vignoble du Domaine des Allobroges, il a été fait en fonction de la documentation disponible en 2005. Ainsi, quinze cépages dont l’origine ancienne est attestée par les textes médiévaux, par les ampélographes, ou par leur caractère insulaire donc endémique, ont été sélectionnés avec le concours de l’INRA32 : Barbera, Nebbiolo, Inzolia, Malvoisie de Sardaigne, Cabernet franc, Gouais, Grenache, Mondeuse noire, Muscat d’Alexandrie, Muscat à petits grains, petit Manseng, petit Verdot, Rèze, Savagnin, Vitis Sylvestris (ou vigne sauvage). Depuis 2011, la collection s’est enrichie de quelques pieds de cépages autochtones : Syrah, Viognier et Marsanne. La Syrah, vraisemblablement originaire du Nord de la Vallée du Rhône où elle est attestée par la littérature avant la fin du XVIIIe s., est le croisement entre la Mondeuse Blanche (originaire de Savoie et probable parente du Viognier) et la Dureza (d’origine ardéchoise)33.
Les modes de conduites
Les pieds de vigne ont été plantés selon les principaux modes de conduite connus à l’époque romaine, notamment par les textes de Columelle ou de Pline l’Ancien34 :
-La conduite au sol : la vigne est libre de se répandre sur le sol. Ce mode de conduite pratiqué surtout en Méditerranée implique la présence d’un sol caillouteux ou volcanique, pour éviter une condensation excessive de l’humidité qui entraînerait l’apparition de pourriture et de moisissures sur les raisins.
-La conduite en gobelet : par une taille analogue à celle pratiquée sur les arbres fruitiers, la vigne est dressée sur son tronc et on la fait monter jusqu’à une hauteur d’environ un mètre au-dessus du sol.
-La conduite sur échalas : la vigne dispose d’un tuteur pour sa croissance. Les échalas antiques, généralement en bois de châtaignier, sont fabriqués aussi en roseaux, voire en terre cuite. Les supports doubles ou triples sont attestés anciennement dans la région, notamment sur les vignobles de Condrieu et de Côte-Rôtie.
-La conduite sur joug : cette conduite nécessite l’emploi de deux supports réalisés à partir d’« une perche, un roseau, une corde de crin ou de jonc »35 et qui sont reliés au niveau supérieur par une pièce transversale : c’est un joug simple.
-La conduite en pergola ou en compluvium : cette conduite est une variante de la conduite sur joug. Les supports au nombre de quatre (ou d’un multiple de quatre) sont reliés les uns aux autres au niveau supérieur par des pièces transversales. Ils sont censés imiter le compluvium, c’est-à-dire l’ouverture pratiquée dans le toit de l’atrium (pièce d’entrée) de la maison romaine pour recueillir l’eau de pluie.
-La conduite arbustive : à l’époque romaine, la vigne est parfois plantée au pied de certains arbres fruitiers qui lui servent de tuteurs. On l’installe de préférence aux pieds des oliviers, des pruniers. Plus étonnant, en Campanie, d’après Pline l’Ancien « on marie les vignes aux peupliers »36.
-La conduite sur crosses ou hautains : mode de conduite très ancien, utilisé peut-être dès l’Antiquité (mais non référencé dans les sources littéraires), qui consiste à se servir d’un arbre mort (souvent des châtaigniers) comme tuteur. Cette technique, que l’on retrouvait dans certaines régions viticoles françaises, est encore présente à Marin en Haute-Savoie.
L’expérimentation archéologique des fours de potiers
La céramique antique est le reflet de la vie quotidienne, des habitudes domestiques et du commerce. Durant les périodes anciennes, les liens entre la céramique et le vin sont très forts : dolia pour les vinifications, amphores pour le transport et la conservation, cruches et gobelets pour le service et la consommation. Différentes études menées sur le matériel issu des fouilles du site archéologique ont permis, par exemple, de mettre en évidence la production locale de différents types de céramiques à l’époque romaine37, l’importation d’amphores vinaires attestant la commercialisation à Vienna de grands crus du centre de la péninsule italique38 ou bien la présence d’un débit de boisson dans ce quartier gallo-romain constituant aujourd’hui le site archéologique39.
C’est à partir d’observations réalisées au cours de fouilles, d’études ethnographiques et par comparaison avec de nombreux vestiges gallo-romains qu’Armand Desbat, archéologue céramologue au CNRS40, expérimente depuis plusieurs années sur le site de Saint-Romain-en-Gal la cuisson de poteries dans des fours reconstitués. Pour permettre l’analyse de la cuisson des céramiques dites « communes », deux fours à flammes nues ont été conçus sur le Domaine des Allobroges. Par ailleurs, un four à tubulures permet d’obtenir une céramique à vernis rouge brillant typiquement romaine : la « sigillée ». L’expérimentation archéologique des fours de potier conduite en collaboration avec les services du musée est organisée tout au long de l’année, notamment à l’occasion des grandes manifestations publiques41.
Les expérimentations de fabrication de poix selon des procédés antiques
La poix est un goudron végétal obtenu par la combustion maîtrisée de bûchettes d’arbres résineux (pins sylvestres, pins maritimes, pins d’Alep…). La poix, panacée universelle antique, est un ingrédient utilisé notamment dans la pharmacopée antique et les soins vétérinaires. Ce produit intervient également dans le processus de calfatage des navires ou dans le traitement des bois architecturaux. Mais son usage le plus répandu et le plus important en volume consiste à l’utiliser comme agent d’imperméabilisation pour tous les contenants liés au vin : amphores, dolia, tonneaux et outres. Des quantités astronomiques de poix ont donc été produites durant toute l’Antiquité sur tout le pourtour méditerranéen. Localisée en marge du Massif Central, principalement dans les départements de la Lozère et de l’Aveyron, une production industrielle de poix aux Ier-IIe siècles apr. J.-C. a pu alimenter les régions viticoles au sud et à l’est de la Gaule42. Dans les textes des auteurs antiques, les cépages et les vins du territoire allobroge de Vienna possèdent systématiquement un lien avec la poix. Pour Pline l’Ancien, le goût poissé du vin viennois proviendrait du cépage lui-même. Dans un témoignage précis, Columelle nous livre la recette du vin préparé à la façon des Allobroges en nous donnant l’ingrédient majeur : la poix.
En prenant en compte ces différents éléments nous avons voulu reproduire les processus de fabrication de la poix selon la méthode antique attestée en Gaule. Cette méthode, expérimentée depuis 2011, permet d’obtenir de la poix grâce à l’utilisation de deux grandes céramiques appelées « urnes à résine ». La première, enterrée, sert de réceptacle à la poix. La seconde céramique, remplie de bûchettes de pin sylvestre, essence dont l’utilisation est attestée dans l’Antiquité, est installée sur la précédente, l’ouverture vers le bas. Les deux urnes sont luttées avec des boudins d’argile. Un feu intense est ensuite allumé et maintenu tout autour de l’urne supérieure. Sous l’action de la chaleur la poix, liquide brun et visqueux, s’écoule du bois transformé en charbon à l’issue du processus. Ces expérimentations menées depuis 2011 sont toujours en cours.
Nouvelles expérimentations et perspectives
Un four à pain de type pompéien
Les céréales sous forme de bouillies ou transformées en pain forment avec le vin et l’huile d’olive la base de l’alimentation des populations méditerranéennes durant la période antique.
En juillet et août 2015, les équipes du musée, associées à Nicolas Monteix43, Maître de conférences à l’Université de Rouen et spécialiste des boulangeries pompéiennes, ont reconstitué un four à pain de type pompéien. La construction de cette structure a bénéficié d’un mécénat de compétence de l’entreprise Jacquet (Pont-Évêque, 38), d’un partenariat avec la tuilerie Blache (Loire-sur-Rhône 69) et avec la Société Lafarge (Bouc-Bel-Air, 13). Les objectifs de cette expérimentation sont multiples : valider les modes de construction de la coupole du four, tester différents types de combustibles (dont des grignons d’olives, retrouvés en grand nombre dans les boulangeries pompéiennes), appréhender le comportement et la résistance des différents matériaux, comprendre la maîtrise des températures et de la cuisson exercée par les boulangers romains… Parallèlement, des travaux menés sur les céréales anciennes ont abouti à la plantation d’une parcelle expérimentale de blés anciens grâce aux conseils techniques de Christian Dalmasso, paysan boulanger de Torchefolon (38) et au partenariat avec l’association Pax Augusta.
Un four de verrier gallo-romain
Édifié dans le cadre des Journées gallo-romaines 2016, ce four de verrier est le fruit d’une collaboration entre le musée, l’association Artisans d’Histoire (Parc archéologique de Randa Ardesca, 07) et Les Infondus (souffleurs de verre, membres actifs de l’AFAV, Association Française pour l’Archéologie du Verre). La construction de ce four repose sur des données archéologiques issues de fouilles entreprises par la société Archéodunum sur la commune limitrophe de Sainte-Colombe (69). En effet, la fouille d’un quartier artisanal gallo-romain a permis de mettre au jour deux structures interprétées comme des fours de verriers. En se basant sur les informations issues des fouilles, la reconstitution de ce four équipé d’une cuve d’une capacité d’une trentaine de litres a duré une semaine. Véritable expérimentation archéologique, la construction de ce four a fait l’objet d’une documentation précise comptabilisant par exemple le volume et la masse des matériaux de construction (argile, sable, tuiles traditionnelles en terre cuite…) utilisés pour son édification. La suite de cette expérimentation, c'est-à-dire la mise en service du four et son utilisation pour la réalisation de reproductions d’objets antiques obtenus par la technique du soufflage, se déroulera lors de la prochaine édition des Vinalia le 25 septembre 2016. Prochainement, de nombreux projets de publications sous formes d’articles, de communications et de documentaires vidéos rendront compte des résultats de cette expérimentation auprès du monde scientifique et du grand public.
Des vins expérimentaux et pédagogiques
Des recettes d’agronomes romains
Prolongeant le processus expérimental des vendanges, le musée a conduit une dizaine de vinifications en s’appuyant sur les textes d’agronomes romains comme Columelle. Associées à l’historien du vin Michel Bouvier44, jusqu’en 2013 et à Pierre Gaillard, les équipes du musée ont obtenu des résultats démontrant le rôle exercé par certaines plantes (racine d’iris ou fenugrec) ou par certaines préparations comme le defrutum45 pour la conservation du vin à l’époque romaine. L’ajout de différents produits comme l’eau de mer, la résine, la poix, les plantes…devait être assez fréquent à l’époque. En effet, les vignerons de l’Antiquité ne connaissaient pas, a priori, l’usage œnologique du soufre.
Des vinifications en jarres
Les jarres vinaires antiques
Les contenants en céramique ont certainement permis de produire un des premiers vins de l’histoire de l’Humanité, il y a environ 7000 ans dans une région située entre la Turquie, la région du Caucase et l’Iran46. En Méditerranée, au cours de l’Antiquité, l’usage de grosses jarres vinaires en céramique se développe. En Grèce et en Crète, les populations utilisaient des pithoi pour vinifier et stocker le vin. À l’époque romaine, en Italie, en Espagne ou dans le sud de la Gaule (Province de Narbonnaise), l’usage de grosses céramiques appelées dolia (singulier : dolium) était très commun dans les chais des villas viticoles. Réalisées à partir d’argile, leurs parois étaient rendues étanches grâce à un revêtement de poix (cf. supra).
Les dolia pouvaient servir de cuves pour recueillir le moût sortant du pressoir. La fermentation alcoolique se déroulait également dans ces céramiques enterrées jusqu’à l’épaule. Installés ainsi, les dolia auraient présenté l’avantage d’assurer une meilleure régulation thermique. Ces jarres d’une capacité pouvant atteindre 1500 litres en moyenne, permettaient le stockage du vin, précédant sa mise en amphores, en outres ou en tonneaux en vue de sa commercialisation47.
Selon les témoignages archéologiques, la limite géographique de l’utilisation viticole de ces dolia se situerait à Vienne et à Lyon, où ils étaient employés dans des entrepôts pour stocker entre autres du vin en vrac. Les musées de Vienne et de Saint-Romain-en-Gal – Vienne possèdent dans leurs collections quelques exemplaires de dolia entiers, dont les circonstances de découverte, tout comme leurs fonctions, ne sont pas toujours assurées.
Reconstitutions et expérimentations
En 2011, la reconstitution de deux dolia a été le point de départ d’un nouveau processus visant à réaliser les vinifications et l’élevage du vin dans des jarres en céramique. Ce projet toujours en cours s’articule autour de trois axes : la fabrication de jarres sur le modèle des dolia romains, l’expérimentation d’une vinification traditionnelle en IGP Collines Rhodaniennes de cépage Syrah et des élevages de Crozes-Hermitage dans ce type de récipient, et enfin la constitution d’une documentation de référence sur les céramiques vinaires traditionnelles en Europe et sur la fabrication et l’usage récents de céramiques pour vinifier et stocker le vin en France et en Europe48. Depuis l’Antiquité et le Moyen âge, des pays comme la Géorgie, l’Espagne et le Portugal n’ont cessé d’utiliser des grands contenants en céramique pour la vinification et le stockage du vin : kveri géorgiens, tinajas espagnoles49 et talhas portugais.
Les jarres utilisées pour les premières expérimentations ont été fabriquées au cours des Vinalia 2011. Jean-Marie Giorgio, potier à Rasiguères (66), a été sollicité pour réaliser ces grandes céramiques en prenant pour modèle les deux dolia présentés au sein de l’exposition permanente du musée. La fabrication des jarres s’est déroulée en plusieurs étapes : le façonnage selon la technique au colombin d’une durée de six jours, puis une période de séchage de six mois a précédé la cuisson dans les fours de la Tuilerie Blache (Loire-sur-Rhône, 69) à une température d’environ 1080°C. Les deux dolia, respectivement 98 cm et 110 cm de haut, ont ensuite été transportés au domaine P. Gaillard à Malleval (42).
Quinze jours avant le début des vendanges, constatant une porosité importante risquant de mettre en péril notre expérimentation, la jarre utilisée a été imperméabilisée, non pas à la poix faute de matière première disponible mais avec de la cire d’abeille comme cela se pratique traditionnellement sur les kvevri géorgiens.
En octobre 2012 a débuté la vinification comparative entre cuves céramiques et cuves en inox de même contenance. En mars 2013, un test de dégustation a permis de mettre en évidence les différences organoleptiques entre les deux types de vins, le vin issu de la jarre en céramique apparaissant plus ouvert et plus évolué, certainement sous l’effet d’une micro-oxygénation due à l’usage de la terre cuite.
Début 2015, le musée, ayant fait l’acquisition d’une jarre vinaire fabriquée par l’atelier italien Arte Nova50, a confié le soin à Pierre Gaillard, toujours en collaboration avec le service scientifique et le service des publics, de mener de nouvelles expériences de vieillissement de vin en contenant céramique. Cette nouvelle jarre vinaire équipée de couvercles et de robinetteries en inox fait la part belle à l’innovation technologique et à la modernisation de ce type de récipient dont l’usage se répand actuellement dans le monde vitivinicole de l’Espagne à la Géorgie, de la France à l’Australie51.
Les vins, ainsi élaborés chaque année, sont offerts en dégustation au cours des Vinalia et des différentes manifestations organisées par le musée et ont pour vocation de servir de supports pédagogiques pour un dialogue sans cesse renouvelé entre le public et la culture du vin dans l’Antiquité.
L’actualité sur l’archéologie du vin en 2014-2015 : deux journées scientifiques en partenariat avec l’Inrap52
Dix ans après le cycle de conférences qui avait accompagné l’exposition Le Vin, Nectar des Dieux, Génie des Hommes, le musée, fort d’une longue expérience sur la thématique, a souhaité accueillir de nouveau en son sein la communauté des chercheurs afin qu’ils nous livrent le fruit de leurs dernières découvertes au cours de deux rencontres en 2014 et 2015. Les communications des différents intervenants ont apporté des éclairages récents sur des sujets concrets, qu’il s’agisse des débuts de la culture de la vigne et des installations viticoles en Narbonnaise, de l’étude des amphores et des routes commerciales du vin dans l’Antiquité ou de la production vitivinicole allobroge à travers son rapport avec la poix. Spécialiste de la chimie bio-moléculaire, archéologue plongeur du Drassm, ingénieurs de recherche à l’Inrap ou étudiant en thèse à l’Université Lyon 2, tous ces spécialistes ont apporté lors de ces journées transdisciplinaires des éléments nouveaux au sujet de la vigne et du vin en Gaule, à travers l’actualité de la recherche archéologique53.
Conclusion
Le musée gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal - Vienne s’attache donc depuis plus de dix ans, notamment à travers l’événement Vinalia, à valoriser les dimensions patrimoniales et historiques du vin. Commercialisé par les Grecs et les Romains, apprécié par les Gaulois puis produit par les Gallo-Romains eux-mêmes, le vin, objet de spéculations financières et d’enjeux politiques, possède également des dimensions religieuses et spirituelles. Ce breuvage aux multiples facettes et omniprésent chez les Anciens demeure par sa nature même un excellent moyen pour aborder avec les visiteurs les aspects sociaux-économiques de la vie des habitants de ce quartier gallo-romain de Vienna auxquels sont consacrés les collections du musée.
Au-delà de ses principales missions de conservation et de diffusion des connaissances vis à vis du public, le musée, en tant qu’acteur culturel régional et national, s’inscrit durablement dans une politique de développement oenotouristique. Le vin, phénomène micro-régional à l’origine, connaît de nos jours une expansion mondiale sans précédent touchant les individus et les sociétés à travers les continents. Grâce à la richesse de sa programmation d’activités proposées autour du vin, le musée, ancré dans son territoire vitivinicole et associé à ses différents partenaires, continue de prendre pleinement part à la célébration universelle de cette boisson unique, véritable trait d’union entre les hommes d’hier et d’aujourd’hui.