Introduction
En dépit de la difficulté de l'entreprise qui consiste à les répertorier, une étude estimait en 2007 qu'il existe aujourd'hui entre 9 000 et 10 000 indications géographiques dans le monde1. En raison de la valeur ajoutée qu'elles confèrent aux produits qu'elles désignent, les indications de provenance géographique ont une importance économique considérable. Les indications géographiques sont un vecteur de développement économique des pays. Sur le plan mondial, elles favorisent les exportations, les lieux de consommation s'étant éloignés de la production. Sur les marchés de consommation, la demande de produits typiques de qualité s'accroît, les consommateurs acceptant de payer un supplément de prix pour ces produits.
La protection internationale des indications géographiques est un impératif croissant au regard de la mondialisation des échanges commerciaux, dans l'intérêt conjoint des producteurs ayant droit à une indication précise, et des consommateurs exigeant une information claire et véridique sur l'origine et les caractéristiques des produits. On peut dès à présent souligner une difficulté majeure relative à la protection des indications géographiques au plan international : le principe de territorialité, selon lequel la protection des indications géographiques est régie par le droit du pays dans lequel la protection est demandée. Toutefois, contrairement à la règle générale qui vaut pour les autres types de droit de propriété industrielle, selon laquelle l'existence de la protection dépend exclusivement de la loi nationale du pays dans lequel elle est demandée, les indications géographiques ne sont protégées que si elles font l'objet d'une reconnaissance et d'une protection dans leur pays d'origine. Cette particularité tient au fait que ces indications sont liées à un territoire, dans leur pays d'origine. Or, les divergences dans les différentes conceptions nationales des indications géographiques, qui trouvent leur terrain d'affrontement dans les négociations internationales, constituent un obstacle à une protection internationale harmonisée et pleinement efficace. Cette difficulté est renforcée par le fait que, sauf convention contraire, l'étendue et les moyens de la protection sont, eux, déterminés par la loi du pays où cette protection est demandée.
Ces considérations fondent la légitimité d'une protection efficace des indications géographiques. Le bon fonctionnement de cette protection au niveau international suppose avant tout un accord sur la définition précise à donner au terme "indication géographique". A cet égard, il convient de se référer à la définition posée par l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), signé en 1994, qui comprend une section relative à la protection des indications géographiques. L'article 22, § 1, de cet accord, contient la définition suivante :
« Aux fins du présent accord, on entend par indications géographiques des indications qui servent à identifier un produit comme étant originaire du territoire d'un membre [de l'OMC], ou d'une région ou localité de ce territoire, dans les cas où une qualité, réputation ou autre caractéristique déterminée du produit peut être attribuée essentiellement à cette origine géographique ».
La définition, très large, concerne toutes les marchandises, aussi bien les produits agricoles (châtaignes de l'Ardèche, pommes de terre de l'Idaho, thé Darjeeling) et agroalimentaires (roquefort) que les productions artisanales ou manufacturières (tapis persans), et industrielles (porcelaine de Limoges). Les vins et spiritueux sont bien évidemment inclus dans le champ de la définition. Par ailleurs, il s'agit d'une définition vague quant au lien exact qui existe entre le produit et son lieu d'origine. Ce caractère inclusif reflète l'esprit de compromis qui a présidé à la rédaction de l'accord. De fait, la protection des indications géographiques, réclamée par l'Europe dans le cadre du cycle de l'Uruguay du GATT, est la question qui a suscité le plus de difficultés de négociation2.
L’étude de la protection internationale des indications géographiques vinicoles suppose que soit présenté et analysé le cadre juridique applicable en la matière. Trois grands types d’instruments permettent d’assurer la protection des indications géographiques : le système d’Union de Paris (I), l’Accord ADPIC (II) et les traités bilatéraux (III).
Le système d’Union de Paris
À la fin du XIXe début du XXe siècle ont été adoptées les premières conventions internationales relatives à la protection des indications géographiques.
La Convention d'Union de Paris pour la protection de la propriété industrielle, signée le 10 mai 1883, est une convention au champ d'application extrêmement large, à la fois en termes de droits couverts (l'ensemble du droit de la propriété industrielle : brevets, marques, modèles d'utilité, dessins et modèles et indications géographiques, ainsi que la lutte contre la concurrence déloyale), et en termes du Protection des indications géographiques
L'inclusion des indications géographiques3 dans le champ d'application de la convention remonte à la révision intervenue en 1925 à La Haye. Toutefois, leur reconnaissance et leur protection demeurent très faibles, pour plusieurs raisons.
La convention consacre certes le principe du traitement national, en vertu duquel un État partie doit voir ses indications géographiques protégées dans les autres États parties au même titre que les indications nationales. Cependant, elle ne définit nullement ces indications, n'exigeant aucun lien entre la provenance des produits et leurs qualités, ni leurs conditions de protection, pas plus qu'elle n'oblige les États à consacrer de tels droits. Ainsi, la juridiction du pays où la protection est réclamée peut refuser de protéger une indication qu'elle estime générique.
Si la convention vise les indications de provenance fausses, elle ne mentionne pas, en revanche, les indications fallacieuses – soit celles qui tendent à imiter une indication à laquelle les produits n'ont pas droit, soit celles qui utilisent, à tort, une telle indication en précisant par ailleurs la véritable provenance du produit. On peut donc en déduire que l'article 10 n'oblige pas à sanctionner de telles indications.
En conséquence, la Convention de Paris n'est guère effective en matière de protection des indications géographiques. Elle est très peu utilisée en pratique, et se limite aux fraudes les plus grossières4.
Selon l'article 19 de la convention, "les pays de l'Union se réservent le droit de prendre séparément, entre eux, des arrangements particuliers pour la protection de la propriété industrielle, en tant que ces arrangements ne contreviendraient pas aux dispositions de la convention". Conformément à cette disposition, la Convention d'Union de Paris a été complétée par deux arrangements particuliers conclus par certains États au sujet de la protection internationale des indications géographiques.
Il s'agit, par ordre chronologique et par ordre de protection croissante, de l'Arrangement de Madrid de 1891, et de l'Arrangement de Lisbonne de 1958.
Un certain nombre d'États, insatisfaits des limites de la Convention de Paris, ont signé, le 14 avril 1891, l'Arrangement de Madrid relatif à la répression des indications de provenance fausses ou fallacieuses. Cet arrangement constitue un premier accroissement de la protection accordée par la Convention de Paris aux indications de provenance.
L'Arrangement de Madrid ne se limite pas aux indications fausses, mais exclut aussi, explicitement, les indications "fallacieuses" (art. 1er), en interdisant les mentions inexactes et susceptibles d'induire le public en erreur. Ainsi, dans l'Arrangement, la perception des consommateurs est prise en compte par une disposition particulière aux indications de provenance.
Selon l'article 3 bis de l'Arrangement, adopté lors de la conférence de révision qui s'est tenue à Londres en 1934, la protection s'étend à toute communication commerciale et publicitaire des indications de provenance, et non pas seulement à leur utilisation sur les produits, comme le prévoit la Convention de Paris. À nouveau apparaît l'objectif de protection des consommateurs.
Si l'Arrangement de Madrid prévoit, comme la Convention de Paris, une protection des indications de provenance qui est déterminée par le droit du pays de protection, il prévoit toutefois une exception dans son article 4, qui dispose :
« Les tribunaux de chaque pays auront à décider quelles sont les appellations qui, à raison de leur caractère générique, échappent aux dispositions du présent Arrangement, les appellations régionales des produits vinicoles n'étant cependant pas comprises dans la réserve spécifiée par cet article ».
L'Arrangement introduit ainsi la première dérogation relative aux appellations viticoles, qui bénéficieront également d'un statut spécial dans l'Accord sur les ADPIC. Il s'agit de la reconnaissance de l'idée selon laquelle les vins ont une relation particulièrement forte à leur lieu d'origine, qu'il convient de protéger par le biais de leur appellation. Toutefois, cette dérogation reste vague, ne définissant pas les "appellations régionales".
L'Arrangement reste pour le reste limité en ce qu'il n'interdit pas les utilisations accompagnées de mentions délocalisantes, telles que "imitation", "style" ou "genre", ni les traductions d'appellations. De plus, il ne prévoit aucune mesure d'exécution contraignante. Pour ces raisons, malgré les avancées qu'il introduit par rapport à la Convention d'Union de Paris, il reste d'importance relativement restreinte. Ses effets sont donc très limités en pratique.
Devant les limites de l'Arrangement de Madrid, un petit nombre d'États ont conclu, le 31 octobre 1958, l'Arrangement de Lisbonne, qui organise une protection beaucoup plus forte que la Convention de Paris et l'Arrangement de Madrid. Son fonctionnement est très distinct : au lieu de se limiter à des mesures douanières, il met en place, pour les appellations d'origine, un système d'enregistrement international.
Le champ d'application de l'Arrangement de Lisbonne est beaucoup plus restreint que celui des conventions précédemment citées. En effet, il se limitait à l’origine aux seules "appellations d'origine" telles que définies dans son article 2, alinéa premier, selon une conception très étroite du lien qui unit le produit à son terroir.
Néanmoins, une révision est intervenue en 2015. Selon l’Acte de Genève, adopté le 20 mai 20155, le système s’applique également à « toute indication protégée dans la partie contractante d'origine, constituée du nom d'une aire géographique ou comprenant ce nom, ou toute autre indication connue comme faisant référence à cette aire, servant à identifier un produit comme étant originaire de cette aire géographique, dans les cas où une qualité, réputation ou autre caractéristique déterminée du produit peut être attribuée essentiellement à son origine géographique ». Ainsi, le système est désormais ouvert aux indications géographiques, à côté des traditionnelles appellations d’origine.
L'Arrangement de Lisbonne soumet la protection des appellations d'origine à deux conditions cumulatives : d'une part, la reconnaissance et la protection de l'appellation d’origine ou indication géographique, en tant que telle, dans son pays d'origine, et, d'autre part, son enregistrement international.
Concernant la première condition, l'Arrangement prévoit que, pour être protégée dans les pays de l'Union de Lisbonne, une appellation doit être "reconnue et protégée à ce titre dans le pays d'origine" (Arrangement, art. 1er, § 2). C'est donc la loi du pays d'origine qui détermine si une dénomination est protégeable en tant qu'appellation d'origine.
Concernant la seconde condition, la protection des appellations d'origine est soumise à un enregistrement international auprès du bureau international de la propriété intellectuelle à l'OMPI.
Si les deux conditions de protection sont remplies, l'appellation d'origine fait l'objet d'une protection automatique d'une très grande étendue. Cette protection est prévue à l'article 3, selon lequel :
« la protection sera assurée contre toute usurpation ou imitation, même si l'origine véritable du produit est indiquée ou si l'appellation est employée en traduction ou accompagnée d'expressions telles que "genre", "type", "façon", "imitation" ou similaires ».
Le contenu de cette protection est beaucoup plus fort que celui de la Convention de Paris et de l'Arrangement de Madrid. En effet, l'Arrangement de Lisbonne exclut explicitement l'utilisation d'appellations d'origine accompagnées d'expressions délocalisantes, et étend la protection des appellations à leurs traductions. Aucune autre convention multilatérale n'accorde une telle protection aux appellations, à l'exception de l'Accord sur les ADPIC, en ce qui concerne les vins seulement. Il s'agit donc d'une protection absolue des appellations d'origine, qui intervient alors même que l'emploi d'expressions délocalisantes dissipe tout risque de confusion des consommateurs. La dilution des appellations d'origine est donc, pour la première fois, prise en compte.
La protection des appellations d'origine prévue par l'Arrangement de Lisbonne est sans limite de durée. L'article 6 de l'Arrangement prévoit qu'une appellation protégée ne peut devenir générique dans un État ayant accepté l'enregistrement. Cette exclusion de toute possibilité de dégénérescence est reprise en droit français et européen, mais n'est pas admise dans l'Accord sur les ADPIC. Elle contribue à renforcer la protection des appellations d'origine enregistrées, dans la mesure où, tant qu'elles continuent d'être protégées dans leur pays d'origine, leur protection internationale doit se poursuivre.
L’Arrangement de Lisbonne a établi un cadre de protection beaucoup plus développé. Il offre des perspectives d’avenir prometteuses du fait de sa révision par l’Acte de Genève de 2015 et de l’adhésion de l’Union européenne au nouvel instrument en octobre 2019.
A l’avenir, les demandes d’enregistrement international d’appellations d’origine et indications géographiques protégées et enregistrées en vertu du droit de l’Union et concernant des produits originaires de l’Union seront déposées par la Commission européenne auprès du Bureau international de l’OMPI. La Commission pourra, de sa propre initiative ou à la demande d’un État membre, d’un groupe de producteurs intéressé ou d’un producteur isolé utilisant une indication géographique protégée et enregistrée dans l’Union, adopter des actes d’exécution afin de déposer, auprès du Bureau international, une demande relative à l’enregistrement international d’une indication géographique protégée et enregistrée en vertu du droit de l’Union et concernant un produit originaire de l’Union.
S’agissant des indications géographiques de pays tiers, la Commission examinera la publication notifiée par le bureau international de l’OMPI. Au terme de cet examen, elle pourra soit publier l’indication géographique proposée pour la protection de l’Union, soit refuser d’accorder une protection à l’indication géographique. Dans ce second cas, elle notifiera le refus au bureau international dans un délai d’un an à compter de la réception de la notification de l’enregistrement international.
L’Accord ADPIC
Du point de vue du commerce, la convention clé est l’accord sur les ADPIC, conclu en 1994 en tant qu’annexe aux accords de l’OMC.
La section 3 de sa deuxième partie, relative aux indications géographiques, est celle qui a suscité le plus de difficultés de négociation. La protection des indications géographiques a été réclamée par l'Europe dans le cadre du cycle de l'Uruguay du GATT6. Cette question continue de constituer un point essentiel de blocage dans les négociations à l'OMC.
L'Accord sur les ADPIC retient une définition large des indications géographiques, reflet d'un compromis entre les différentes conceptions de ces indications. Comme dans le cas de l'Arrangement de Lisbonne, il exige, pour leur protection au niveau international, qu'elles soient protégées dans leur pays d'origine (art. 24, § 9). Toutefois, la contrainte est ici moindre pour les États, car l'accord ne les oblige pas à reconnaître ces indications en tant qu'appellations d'origine ; elles peuvent être protégées par tout moyen juridique (notamment par le droit des marques), sans qu'un système sui generis ne soit nécessaire. Cela explique le nombre bien supérieur d'États membres.
Les articles 22 et 23 de l'accord prévoient respectivement une protection de base et une protection additionnelle pour les vins et spiritueux.
L'article 22, § 2, de l'Accord sur les ADPIC impose aux États membres d'empêcher :
« a) l'utilisation, dans la désignation ou la présentation d'un produit, de tout moyen qui indique ou suggère que le produit en question est originaire d'une région géographique autre que le véritable lieu d'origine d'une manière qui induit le public en erreur quant à l'origine géographique du produit ;
b) toute utilisation qui constitue un acte de concurrence déloyale au sens de l'article 10 bis de la Convention de Paris (1967) ».
Dans les deux cas visés, la protection suppose un risque de confusion du public. Le risque de confusion est apprécié par le tribunal de l'État dans lequel la protection est réclamée, selon sa loi nationale. En conséquence, de nombreux États auront tendance à considérer que l'apposition de mentions délocalisantes ou correctrices (par exemple, "jambon de Parme fabriqué au Canada") empêche un tel risque de confusion. La protection des indications géographiques ne s'étend pas non plus à leurs traductions.
L'article 23 de l'accord stipule que (art. 23, § 1) :
« Chaque membre prévoira les moyens juridiques qui permettent aux parties intéressées d'empêcher l'utilisation d'une indication géographique identifiant des vins pour des vins qui ne sont pas originaires du lieu indiqué par l'indication géographique en question, ou identifiant des spiritueux pour des spiritueux qui ne sont pas originaires du lieu indiqué par l'indication géographique en question, même dans les cas où la véritable origine du produit est indiquée ou dans ceux où l'indication géographique est employée en traduction ou accompagnée d'expressions telles que "genre", "type", "style", "imitation" ou autres ».
Cette protection spécifique aux vins et spiritueux est renforcée, dans la mesure où elle est objective, c'est-à-dire indépendante de tout risque de confusion ou de tromperie, et de toute mention délocalisante ou correctrice ("grand cru d'Alsace produit en Californie").
La mise en œuvre de cette protection soulève une difficulté essentielle. En l'absence de registre mondial des indications géographiques, le bénéfice de l'article 23 de l'Accord sur les ADPIC est, en pratique, limité aux indications faisant l'objet d'une protection interne, dans chaque système juridique, par le biais d'un instrument de protection spécifique. En effet, faute d'une telle protection nationale, il est difficile de connaître la liste des indications géographiques des vins et spiritueux étrangers, et la date d'obtention de leur protection. Pour cette raison, il apparaît nécessaire, comme le prévoit l'article 23, § 4, de l'accord, de parvenir à établir un système multilatéral de notification et d'enregistrement des indications géographiques pour les vins et les spiritueux.
Aussi bien la protection de base que la protection renforcée sont soumises à des exceptions considérables. Outre le cas des dénominations qui ne sont pas ou plus protégées dans leur pays d'origine (art. 24, § 9), l'Accord sur les ADPIC prévoit, dans son article 24, plusieurs séries d'exceptions à la protection des indications géographiques imposée aux articles 22 et 23. Les exceptions essentielles concernent les droits antérieurs et les dénominations génériques.
La première exception est spécifique aux indications relatives aux vins et spiritueux. Elle permet que soient poursuivis les usages de ces dénominations qui avaient commencé avant l'entrée en vigueur de l'Accord sur les ADPIC :
« Aucune disposition de la présente section n'exigera d'un membre qu'il empêche un usage continu et similaire d'une indication géographique particulière d'un autre membre identifiant des vins ou des spiritueux, en ce qui concerne des produits ou des services, par un de ses ressortissants ou une des personnes domiciliées sur son territoire qui a utilisé cette indication géographique de manière continue pour des produits ou services identiques ou apparentés sur le territoire de ce membre soit a) pendant au moins 10 ans avant le 15 avril 1994, soit b) de bonne foi avant cette date (art. 24, § 4) ».
Si cette disposition empêche de nouveaux usages des indications géographiques protégées, en revanche, elle valide en pratique tous les usages antérieurs, pour tous produits, tant la condition alternative de durée d'utilisation ou de bonne foi est peu exigeante.
Le deuxième type d'exception concerne toutes les indications géographiques. Il consacre la survie des marques antérieures à la protection de ces indications (art. 24, § 5) :
« Dans les cas où une marque de fabrique ou de commerce a été déposée ou enregistrée de bonne foi, ou dans les cas où les droits à une marque de fabrique ou de commerce ont été acquis par un usage de bonne foi :
a) avant la date d'application des présentes dispositions dans ce membre telle qu'elle est définie dans la Partie VI, ou
b) avant que l'indication géographique ne soit protégée dans son pays d'origine,
les mesures adoptées pour mettre en œuvre la présente section ne préjugeront pas la recevabilité ou la validité de l'enregistrement d'une marque de fabrique ou de commerce, ou le droit de faire usage d'une marque de fabrique ou de commerce, au motif que cette marque est identique ou similaire à une indication géographique ».
On peut faire, au sujet de cette exception, la même remarque que pour l'exception précédente. Elle interdit l'enregistrement de nouvelles marques contraires aux exigences des articles 23 et 24, mais légitime les marques antérieures, dont l'utilisation peut se poursuivre sans limitation de durée (par exemple, la marque canadienne Parmarienne, actuellement opposée aux producteurs de jambon de Parme pour l'importation de leurs produits). Cette exception tempère donc très fortement la portée des articles 22, § 3 et 23, § 2 de l'accord.
Il résulte de la combinaison des paragraphes 4 et 5 de l'article 24 que l'exigence de bonne foi du titulaire de la marque antérieure n'est pas requise dans le seul cas de marques antérieures composées d'indications géographiques désignant des vins ou des spiritueux utilisées pendant au moins dix ans avant le 15 avril 1994. Hormis cette hypothèse, les droits sur les signes antérieurs ne peuvent se poursuivre qu'en cas de bonne foi.
La troisième exception principale, aussi controversée que les précédentes, concerne les dénominations génériques – même si l'expression n'est pas utilisée. Selon l'article 24, § 6, de l'accord :
« Aucune disposition de la présente section n'exigera d'un membre qu'il applique les dispositions de la présente section en ce qui concerne une indication géographique de tout autre membre pour les produits ou services dont l'indication pertinente est identique au terme usuel employé dans le langage courant comme nom commun de ces produits ou services sur le territoire de ce membre (...) ».
La difficulté liée à cette exception réside dans le fait que c'est à la juridiction de l'État dans lequel la protection est demandée d'apprécier le caractère générique ou non de l'indication géographique. Ainsi, les pays du Nouveau Monde ont tendance à déclarer génériques les appellations d'origine des pays d'Europe du Sud, telles que "parmesan", "jambon de Parme", "Champagne" ou "Médoc". C'est le caractère territorial de la protection des indications géographiques qui est en cause : une dénomination peut être protégée en tant qu'indication géographique dans un pays, et jugée générique dans un autre.
La détermination des dénominations génériques est une question sur laquelle s'opposent l'Europe et les pays du Nouveau Monde, notamment les États-Unis7. Ce point est une des sources principales de conflits à l'OMC. Les considérations d'opportunité économique pèsent fortement dans ce débat, car il est évident que l'utilisation sans contraintes d'appellations européennes par les pays du Nouveau Monde génère pour ces pays des revenus considérables dont la protection des dénominations en question les priverait. Inversement, les pays européens dénoncent ce qu'ils considèrent comme une usurpation et une dilution de la réputation de leurs appellations d'origine les plus prestigieuses. Selon un auteur, "la vraie concurrence frauduleuse est celle qui a consisté à prendre certaines appellations comme termes génériques, et à considérer que “beaujolais” était un nom commun pour désigner un vin rouge léger et fruité, que “chablis” désignait un vin blanc sec tandis que “champagne” n'était rien d'autre qu'un vin mousseux"8. L'auteur souligne également que l'affaiblissement des dénominations européennes est renforcé par leur utilisation dans les pays de l'hémisphère sud tels que l'Australie ou la Nouvelle-Zélande : en effet, en raison du décalage des saisons, le "beaujolais nouveau" de l'hémisphère sud arrive six mois plus tôt que celui de France.
Le juge américain, chargé de déterminer si une dénomination géographique est devenue générique ou non, procède selon l'approche du droit des marques. Celle-ci place la perception des consommateurs américains au sommet des critères permettant une telle détermination. Il existe certes, en théorie, d'autres critères tels que l'usage du terme par les concurrents, par les médias ou dans les dictionnaires. Mais, en réalité, l'appréciation se limite à la perception des consommateurs. Ainsi, selon la cour d'appel fédérale, le caractère générique d'une marque se détermine en appréciant "de quelle manière la marque est comprise par le public de consommateurs"9. Cette perception du public est évaluée au moyen de sondages, qui sont de rigueur dans tout litige relatif à la généricité d'un terme. Lorsqu'aucun sondage n'est présenté au juge, ce dernier reprochera aux parties leur manque de diligence.
Par exemple, les juges américains ont estimé que le terme "Chablis" était devenu pour le consommateur américain moyen synonyme d'un certain type de vin10, de telle sorte que la dénomination n'était pas protégée, et pouvait donc être incluse dans la marque complexe Chablis with a twist désignant du jus d'agrumes. La dénomination "Chablis" est reprise dans de nombreuses marques américaines, désignant pour la plupart du vin blanc, telles que Crown Chablis (n° 1 172 527), Fleur de Chablis (n° 1 081 294) ou Chablis VI Six Grand Openings (n° 1 235 408). Cette solution doit être critiquée, étant donné que les indications géographiques sont généralement associées à des produits d'une certaine qualité et non pas à des produits faisant l'objet d'une distribution de masse.
Dans une perspective internationale, l'utilisation par le juge américain de ce critère de détermination du caractère générique est souvent préjudiciable aux indications géographiques européennes, car le degré de connaissance qu'ont les consommateurs américains du lien au terroir des produits étrangers est nécessairement moindre que celui des consommateurs européens. D'un point de vue pragmatique, on ne peut que conseiller aux défenseurs des indications géographiques européennes d'adopter les critères du droit des marques américain afin de combattre la reconnaissance du caractère générique de ces indications. Ainsi, plutôt que d'invoquer l'exclusivité du lien au terroir que traduisent les appellations d'origine en Europe, il leur serait plus efficace de recourir, devant le juge américain, aux sondages de consommateurs et aux témoignages d'experts du marketing, ainsi, plus fondamentalement, qu'à d'autres moyens visant à modifier la perception des consommateurs américains. C'est d'ailleurs la stratégie que semble avoir adoptée le Comité interprofessionnel du vin de Champagne depuis l'échec de l'affaire Chablis with a twist. Il tente désormais de reconquérir l'AOC "Champagne", non plus par la voie de procès coûteux et difficiles, mais par la publicité et l'éducation des consommateurs. Le CIVC a notamment lancé en 2003, dans la presse américaine, une campagne publicitaire visant à convaincre les consommateurs américains que si un vin pétillant "ne vient pas de Champagne, il ne s'agit pas de véritable Champagne", de même qu'il ne se conçoit pas de "Saumon d'Alaska de Floride", de "Pommes de Washington du Nevada" ou d'"oranges de Floride du Maine". La campagne a été reprise fin 201211.
Les traités bilatéraux
Devant l'efficacité limitée des conventions multilatérales, les États – ou entités économiques – qui souhaitent assurer la protection spécifique d'une ou de quelques appellations d'importance économique toute particulière privilégient souvent les conventions bilatérales, dans le cadre de négociations commerciales.
Les conventions bilatérales relatives à la protection d'indications géographiques sont innombrables. On ne peut donc les énumérer de façon exhaustive. L'OMPI publie un Recueil des traités, qui regroupe la plupart de ces conventions bilatérales.
Parallèlement aux négociations, souvent bloquées, menées dans le cadre de l'OMC, l'Union européenne, en vertu de sa compétence, est engagée dans une politique de conclusion d'accords bilatéraux avec des États tiers, notamment du Nouveau Monde (Australie, Afrique du Sud, Canada, États-Unis, Chili). Ces accords portent, pour la plupart, sur le commerce des vins, et contiennent des clauses relatives à la protection d'appellations d'origine viticoles européennes, qui conditionnent l'accès des produits des États tiers au marché européen. Ces traités sont qualifiés d'"Accords ADPIC-plus" car ils prévoient une protection renforcée par rapport à celle de l'Accord sur les ADPIC : ainsi, ils organisent la "récupération" d'appellations européennes qui étaient considérées comme génériques ou utilisées à titre de marques dans l'État tiers, en prévoyant l'élimination progressive de tels usages. Les vins et spiritueux sont le domaine de prédilection de ce type d'accords bilatéraux. Cela s'explique par l'importance commerciale particulière de ce secteur. Il s'agit d'un domaine d'activité dans lequel les pays du Nouveau Monde ont une production locale croissante, à laquelle les accords bilatéraux offrent un débouché sur le territoire européen. De plus, la régénérescence de dénominations européennes est sans doute moins préjudiciable à ces pays dans le domaine des vins et des spiritueux que pour les autres produits, car il existe, en la matière, davantage de noms locaux pouvant se substituer aux dénominations récupérées par l'Europe. L'esprit de l'Accord sur les ADPIC est également plus favorable à la récupération des dénominations de vins et de spiritueux : en effet, l'article 23, spécifique à ces produits, s'oppose à toutes les utilisations visant à profiter de la réputation d'indications géographiques – ce qui est le cas, notamment, des semi-génériques aux États-Unis, qui établissent un parallèle entre les vins américains et leurs modèles européens.
Le premier accord bilatéral commercial important a été conclu en 1994 avec l'Australie12. Cet accord prévoit la protection réciproque d'une liste de dénominations (cette liste est énumérée à l'article 7, § 1, de l'accord), qui ne peuvent être utilisées que pour les vins originaires des territoires mentionnés et selon les conditions fixées par la loi du pays d'origine (art. 7, § 2 et 3). Surtout, l'accord impose une élimination progressive (phase-out en anglais : art. 8 de l'accord) d'utilisations génériques d'indications géographiques européennes, y compris dans des marques complexes. Ainsi, le délai pour l'élimination des indications génériques "Madère", "Malaga" et "Chianti" a expiré le 31 décembre 1997 ; celui concernant la dénomination "Sherry" a expiré le 31 décembre 2004 pour le marché d'exportation, et le 31 décembre 2007 pour le marché australien. L'accord prévoit, en outre, des règles relatives aux mentions traditionnelles qualifiant le vin de Porto, telles que "Ruby", "Tawny" et "Vintage", qui doivent être éliminées pour les vins à l'expiration d'un délai de transition – sauf à être mentionnées en conjonction avec deux autres termes (par exemple, "Rutherglen Sweet Vintage"), à l'exclusion des termes "Australia" et "Australian". En échange, l'Australie se voit reconnaître ses propres appellations d'origine (par exemple, "Southeastern Australia"), et un meilleur accès au marché européen pour ses vins. Cet accord a été remplacé par un nouvel accord signé le 1er décembre 200813, qui étend la protection conférée en Australie à de nouvelles indications géographiques telles que "Champagne", "Graves" et "Tokay". Le délai pour l'élimination de ces dénominations générique est de douze mois à compter de l'entrée en vigueur de l'accord (Accord, art. 15).
Le modèle de l'accord conclu avec l'Australie a été repris dans l'Accord sur le commerce des vins conclu en 2002 avec l'Afrique du Sud14. Cet accord reprend, pour l'essentiel, l'Accord sur le commerce, le développement et la coopération de 199915. L'accord contient une liste de dénominations devant être protégées (Accord, ann. II : 80 pages pour les dénominations européennes et 10 pages pour les dénominations sud-africaines), et prévoit une élimination progressive en Afrique du Sud de l'utilisation des appellations "Port", "Sherry", "Ouzo" et "Grappa" en tant que génériques (Accord, ann. X). Les débats relatifs aux appellations "Port" et "Sherry" ont été source de difficultés : finalement, l'Afrique du Sud s'est engagée à ne pas les utiliser sur les vins exportés en Europe, et à les éliminer des vins exportés sur les autres marchés à partir du 31 décembre 2005 (et du 31 décembre 2008 pour le marché du Botswana, du Lesotho, de la Namibie et du Swaziland). Sur le marché sud-africain, ces utilisations devaient disparaître au plus tard le 31 décembre 2012. Cette élimination inclut l'annulation, à terme, des marques composées de ces appellations. En échange, la Communauté ouvre son marché aux vins d'Afrique du Sud et aide, par un apport financier important, à la restructuration des vignobles sud-africains.
De la même façon, l'accord conclu avec le Chili en 200216 prévoit la protection réciproque d'une liste d'appellations désignant des vins et des spiritueux. La protection accordée à ces appellations est absolue, comme dans l'article 23 de l'Accord sur les ADPIC (Accord, art. 5, § 3). Les appellations protégées sont réservées aux produits originaires du pays défini. La particularité de cet accord est de limiter l'annulation de marques antérieures à une liste définie à l'appendice VI de l'accord. On peut mentionner, à cet égard, le cas de la marque Errazuriz Corton qui, visée à l'article 7, § 2, sera annulée, mais a été remplacée, sur l'étiquetage des vins chiliens, par Errazuriz Cortton (avec un second "t"), sans que cette mention soit enregistrée en tant que marque. Cela pose la question de l'interdiction des imitations d'une appellation protégée (en l'occurrence, l'AOC de Bourgogne "Corton"). L'INAO est engagé dans des négociations avec le gouvernement du Chili sur ce point. Les marques ultérieures devront par ailleurs être refusées à l'enregistrement, sans qu'aucune disposition soit prévue pour les marques d'usage (telles que la mention "Cortton"). Cet accord a été plus difficile à négocier que ceux conclus avec l'Australie et l'Afrique du Sud car, le Chili étant un pays hispanophone, nombre de ses dénominations contiennent des mots latins qui viennent de l'Espagne, de l'Italie, du Portugal et de la France, à la différence des pays anglophones, qui n'ont pas beaucoup de noms viticoles se rattachant à la Grande-Bretagne, leur ancien pays colonisateur, celui-ci n'étant pas historiquement producteur de vin.
Plus récemment, il convient évidemment de citer les accords commerciaux bilatéraux conclus par l’Union européenne avec le Canada, d’une part, et le Japon, d’autre part, en 2019. Ces accords comportent tous deux un volet relatif à la protection des indications géographiques vinicoles.
Tous ces accords commerciaux bilatéraux ont pour effet de neutraliser, sur le territoire des États tiers en question, et s'agissant des dénominations concernées, les exceptions prévues à l'article 24 de l'Accord sur les ADPIC, et ainsi de restituer à l'Europe l'usage exclusif de ces dénominations, en l'échange de contreparties commerciales. Il s'agit donc d'un tempérament apporté au caractère territorial de la détermination de la généricité des indications géographiques. Étant donné l'importance en droit international de ce principe, on comprend que sa mise à l'écart ne puisse résulter que de négociations bilatérales accompagnées de compromis mutuels. Si l'Union européenne est parvenue à récupérer ainsi l'usage de certaines de ses dénominations les plus prestigieuses, comme "Champagne", "Chablis" ou "Chianti", dans la plupart des pays du Nouveau Monde, c'est toutefois à la seule exception près, jusqu'en 2006, des États-Unis. En effet, malgré l'"encerclement" commercial et le cloisonnement des marchés mis en œuvre par la Commission européenne par le biais d'accords avec les autres pays du Nouveau Monde, les États-Unis se sont avérés particulièrement réticents à l'idée d'abandonner l'usage des génériques et, surtout, des semi-génériques, bien plus importants économiquement.
Ce n'est qu'en 2006 que les États-Unis ont accepté de conclure un accord avec la Communauté européenne17. Cet accord est intervenu après une vingtaine d'années de négociations difficiles entre la Communauté européenne et les États-Unis. Les deux parties étaient parvenues, en 1983, à un accord commercial dont l'effet principal avait été d'ouvrir le marché européen aux exportations de vin américain et notamment aux vins porteurs d'AVA, reconnues par l'accord. Les États-Unis ne s'engageaient, en contrepartie, qu'à tenter d'éviter l'érosion des dénominations viticoles non génériques, ce qui excluait les dénominations semi-génériques. Un seul succès ponctuel est à noter : après de longues négociations, l'Europe a obtenu, en 1997, l'interdiction par le BATF du nom "Gamay-Beaujolais", terme générique qui désignait aux États-Unis un type de vin rouge léger et fruité. Depuis avril 2007, la période transitoire de dix ans ayant expiré, cette dénomination a totalement disparu des étiquetages américains. Pour le reste, la Communauté européenne, devant le refus américain d'abandonner l'usage de ces dénominations, a accepté jusqu'en 2005 des prolongations successives de cet accord, qui devait en principe expirer en 1988. Au cours des dernières années de prolongation, les tensions entre l'Europe et les États-Unis se sont accrues, la première souhaitant mettre fin à l'usage des dénominations semi-génériques, et les seconds réclamant une baisse des droits de douane européens et la reconnaissance de leurs pratiques œnologiques, menaçant de déposer une plainte à cet effet devant l'OMC. S'impatientant devant la lenteur des négociations, les États-Unis ont adopté en 2002 une loi fédérale mettant en place des mesures de certification très contraignantes pour les vins importés18 puis ont menacé de durcir l'application des lois antiterroristes, ce qui affecterait toutes les importations européennes de produits agroalimentaires. En conséquence, devant cette double menace, commerciale et juridique, l'Europe s'est trouvée dans la nécessité de trouver une solution rapide afin d'éviter l'application, à l'expiration des prolongations de l'accord bilatéral en 2005, des mesures de certification américaines qui auraient eu pour effet de bloquer toutes les exportations européennes de vin.
Sur le plan commercial, cet accord emporte reconnaissance mutuelle des pratiques œnologiques européennes et, en pratique, surtout américaines (Accord, art. 4). Il s'agit notamment des ajouts d'eau, d'arômes, de sucre, et de copeaux de bois. Cette reconnaissance a conduit à une modification de la législation européenne. Désormais, les pratiques œnologiques visées sont autorisées ; toutefois, les États membres de l'Union européenne peuvent adopter des règles plus restrictives afin de "renforcer la préservation des vins" bénéficiant d'AOP ou IGP. Ensuite, l'accord dispense les vins européens des procédures de certification américaines prévues en 2002 (Accord, art. 9, § 6). S'agissant des indications géographiques, l'accord a une portée limitée qui s'explique par la situation de relative faiblesse qui était celle de l'Europe lors des négociations. Cette portée limitée, qui tient essentiellement au maintien des droits antérieurement acquis, se manifeste dans les deux mesures édictées par l'accord en la matière : d'une part, la régénérescence pour l'avenir des semi-génériques, d'autre part, la réservation des "noms d'origine" aux vins originaires des lieux en question.
Principale revendication européenne, la régénérescence des dénominations utilisées comme semi-génériques aux États-Unis est mise en œuvre par l'article 6 de l'accord. Sans que la question soit mentionnée en ces termes, l'accord prévoit que, s'agissant des vins vendus sur le territoire américain, "les États-Unis entreprennent de requalifier le statut juridique des termes qui figurent à l'annexe II à l'effet de restreindre l'utilisation de ces termes sur les étiquettes aux seuls vins originaires de la Communauté". Les termes figurant à l'annexe II sont précisément les seize dénominations semi-génériques européennes, auxquelles est ajoutée la mention traditionnelle grecque "retsina" (vin résiné). Cette mention est réservée, en Europe, au "vin produit exclusivement sur le territoire géographique de la Grèce à partir de moût de raisins traité à la résine de pin d'Alep".
Toutefois, cette régénérescence des semi-génériques est assortie de deux limites.
En premier lieu, les producteurs américains peuvent continuer à utiliser ces dénominations pour désigner leurs vins à l'exportation, sous réserve que cette utilisation soit permise par la législation des pays importateurs. Cette première limite n'a que peu d'effet en pratique, étant donné que, par le jeu des multiples accords bilatéraux, l'Europe avait déjà obtenu la protection des dénominations en question dans de nombreux États importateurs.
En second lieu, et surtout, l'accord prévoit une clause de maintien des droits antérieurs qui limite la portée de la récupération des semi-génériques. En effet, le paragraphe 2 de l'article 6 stipule que "le paragraphe 1 ne s'applique pas à une personne ou à son ayant cause qui utilise un terme figurant à l'annexe II sur l'étiquette d'un vin non originaire de la Communauté si cette utilisation est antérieure, aux États-Unis, au [10 mars 2006], à condition que ledit terme ne puisse être utilisé que sur les étiquettes de vins portant la marque, ou la marque et le nom usuel, le cas échéant, pour laquelle/lequel le COLA applicable a été octroyé avant [le 10 mars 2006] et que le terme soit apposé sur l'étiquette dans le respect des réglementations en vigueur". Il s'agit là d'une grandfather clause qui préserve les droits des titulaires de marques antérieures à l'accord. Ces marques anciennes utilisant des semi-génériques, lorsqu'elles ont été validées par le TTB à travers l'octroi d'un COLA, pourront donc continuer à être employées, sans limitation de durée. La régénérescence des semi-génériques ne vaut donc, en réalité, que pour les usages nouveaux. Cette clause d'antériorité a été fortement dénoncée en Europe, et même par certains auteurs américains. La clause est en particulier préjudiciable aux petits producteurs européens, qui s'appuient, dans le commerce, sur les appellations d'origine. En revanche, les grandes maisons, dont le marché est celui du luxe, se fondent principalement sur leurs marques pour se distinguer, et ne sont guère concurrencées par les marques américaines incluant des semi-génériques. En dépit des oppositions, force est de constater que la clause de maintien des droits sur les marques antérieures est conforme à l'esprit du droit international, dès lors que ces marques ont été déposées de bonne foi, ce qui est difficilement contestable au regard de la législation du TTB qui autorisait explicitement ces marques. Cette clause impose certes une date butoir qui permet à tous les titulaires de marques approuvées avant le 10 mars 2006 de continuer à les utiliser, alors même que les dispositions combinées de l'article 24 de l'Accord sur les ADPIC fixaient la date butoir à cet effet au 1er janvier 1996 au plus tard. Cependant, il est nécessaire de souligner que cette dernière date ne s'appliquait en réalité pas, étant donné qu'elle ne concernait que les situations où des indications géographiques étaient protégées : or, la qualification de semi-génériques des dénominations européennes faisait obstacle à cette protection aux États-Unis. Bien que la qualification ait pu légitimement être contestée, l'Accord de 2006 ne peut avoir pour effet d'anéantir rétroactivement la législation du TTB et de faire ainsi entrer les semi-génériques dans le cadre des indications protégées en vertu de l'Accord sur les ADPIC.
Outre la régénérescence des semi-génériques, l'accord bilatéral met en œuvre, s'agissant des autres dénominations, la réservation mutuelle des "noms d'origine". Cette formule quelque peu énigmatique désigne la reconnaissance mutuelle des dénominations viticoles européennes et américaines. L'article 7 de l'accord prévoit, en effet, que "les États-Unis permettent que certains noms soient utilisés en tant que noms d'origine uniquement pour désigner des vins dont l'origine est celle indiquée par ce nom, et admettent, parmi ces noms, ceux qui figurent à l'annexe IV, partie A (liste des vins de qualité produits dans des régions déterminées et appellations de vins de table avec indications géographiques) et partie B (noms des États membres)" (art. 7, § 1).
En contrepartie, "la Communauté veille à ce que les noms importants sur le plan de la viticulture qui figurent à l'annexe V puissent être utilisés comme noms d'origine uniquement pour désigner des vins dont l'origine est celle indiquée par ce nom" (art. 7, § 2). Ces "noms importants sur le plan de la viticulture", ou "noms à signification viticole", correspondent, pour l'essentiel, aux appellations of origin américaines. La protection des appellations américaines a été confirmée dans le règlement (CE) n° 1416/2006 de la Commission du 26 septembre 2006 établissant les modalités d'application de l'accord bilatéral19.
Ces dispositions organisent, sans la nommer, la protection réciproque des indications géographiques européennes et américaines. À cet égard, l'accord réalise une avancée significative, car c'est la première fois que les États-Unis reconnaissent, sans toutefois leur conférer formellement un tel statut, les indications géographiques européennes. Ce sont, en effet, plus d'un millier de dénominations géographiques européennes que les États-Unis acceptent de réserver aux vins européens. Cette liste complète, de fait, la catégorie des "dénominations non génériques distinctives" (27 USC, § 4.24 (c) (1), dont les États-Unis s'engagent, par ailleurs, à "préserver le statut" (Accord, art. 7, § 4). Cela vise à éviter une dégénérescence future des "noms d'origine". En conséquence, le TTB ne permettra plus à des producteurs américains d'utiliser ces noms sur leurs étiquettes, et refusera d'agréer les étiquettes de vins faisant apparaître les indications géographiques européennes. Qui plus est, étant donné que l'article 7 de l'accord ne comporte pas de clause d'antériorité, le TTB devrait également révoquer, sur plainte des intéressés, les agréments délivrés avant la conclusion de l'accord pour de telles étiquettes. En ce sens, l'accord organise une protection totale des indications géographiques européennes, ce qui inclut, le cas échéant, une régénérescence en dépit d'éventuels droits antérieurs.
S'agissant du droit des marques, les États-Unis auraient indiqué lors des négociations que l'USPTO refuserait désormais d'approuver de nouvelles marques comprenant une indication géographique européenne pour désigner des vins américains. Une telle décision, cohérente avec l'esprit de la réglementation du TTB, permettrait d'éviter de nouvelles affaires comme celle du Chablis with a twist. Il n'est, en revanche, pas certain que l'annulation de marques existantes de vins américains reprenant des "noms d'origine" européens soit possible, étant donné le caractère sacré du droit de propriété. Si toutefois de telles annulations étaient décidées, le droit américain s'en trouverait encore rapproché des systèmes européen et surtout français, qui font prévaloir les indications géographiques sur des marques antérieures.
La portée exacte de l'Accord de 2006 reste donc, à certains égards, relativement floue. Cela ressort également de la terminologie utilisée ainsi que des multiples réserves stipulées. En effet, les négociateurs ont intentionnellement évité d'utiliser dans l'accord l'expression "indications géographiques", et ont pris soin d'indiquer, dans l'article 12, qu'aucune disposition de l'accord ne pouvait être interprétée comme "ayant une incidence sur les droits et obligations des parties dans le cadre de l'accord de l'OMC". Bien plus, l'article 12, § 4, prévoit que les noms figurant aux annexes II (les semi-génériques) et IV (les "noms d'origine" européens) "ne sont pas nécessairement considérés, bien qu'ils puissent l'être à l'avenir, comme des indications géographiques au titre de la législation américaine". Ces précautions témoignent de la crainte des États-Unis de voir l'accord utilisé par l'Europe comme base de négociation en vue de la récupération, dans le cadre de l'OMC, de toutes ses indications géographiques. Ce dernier point est également illustré par une réserve de l'accord concernant la liberté d'expression en matière commerciale : selon son article 12, § 3, "le présent accord s'applique sans préjudice de la liberté d'expression accordée, aux États-Unis, au titre du premier amendement de la Constitution américaine". Cette clause, préservant la publicité comparative, pourrait empêcher le TTB de s'opposer à l'étiquette d'un vin mousseux américain où figurerait la mention "aussi bon que du Champagne français". L'accord ne contient donc, selon les États-Unis, que des règles d'étiquetage des vins qui n'entraînent aucune conséquence dans le débat multilatéral relatif aux indications géographiques : "l'accord sur les vins ne doit pas être considéré comme un précédent justifiant un accord futur sur la récupération d'indications géographiques juste parce que l'industrie viticole américaine a accepté une réglementation de l'étiquetage"20. Il n'en demeure pas moins, point très positif, qu'il jette les bases d'un système d'enregistrement international des indications géographiques, du moins en matière viticole : "en concluant l'accord, les États-Unis ont d'ores et déjà accepté une partie importante des obligations auxquelles ils souscriraient dans le cadre d'un accord sur la notification et l'enregistrement"21.
Au-delà de ces controverses, en grande partie idéologiques, l'accord de 2006 a eu pour effet de faire évoluer la législation américaine relative aux dénominations semi-génériques. En vertu de l'accord bilatéral, le gouvernement américain s'était engagé à présenter au Congrès une proposition modifiant le statut juridique des semi-génériques pour en réserver l'usage aux seuls vins d'origine européenne. Cet engagement a été mis en œuvre par une loi du 20 décembre 200622, dont l'article 422 ajoute un paragraphe à l'article 5388 (c) du titre 26 du Code des lois fédérales, relatif aux semi-génériques. Désormais, selon ce texte, le TTB doit, en principe, refuser d'attribuer un COLA aux vins non-européens porteurs d'appellations semi-génériques (ou du terme "retsina"). Seuls les vins européens originaires des lieux désignés par les dénominations en question peuvent mentionner ces noms, à condition qu'ils respectent les standards d'identité américains (26 USC, § 5388 (c) (3) (A) (ii) et 26 USC, § 5388 (c) (3) (B) (ii)), ce qui peut sembler étrange, mais, en réalité, ne pose guère de difficulté, étant donné que ces standards sont précisément définis par référence aux vins européens. Le TTB a, en outre, estimé que les vins européens respectant les cahiers des charges européens étaient, de ce fait, conformes aux standards américains (TTB, notice n° 7805, 11 févr. 2008).
Les certificats délivrés aux vins non-européens sont révoqués de droit (27 CFR, § 13.51), à l'exception de ceux concernant des vins qui bénéficient de la clause d'antériorité. En vertu de cette clause, toute personne peut – sous réserve que la véritable appellation of origin du vin soit mentionnée et que le vin réponde aux standards d'identité (26 USC, § 5388 (c) (3) (A) (iii) et 26 USC, § 5388 (c) (3) (B) (ii)) – utiliser un semi-générique pour désigner un vin américain à condition que cette dénomination figure sur une étiquette portant la marque commerciale (brand name), accompagnée, le cas échéant, du terme de fantaisie (fanciful name) pour laquelle un COLA avait été délivré avant le 10 mars 2006 (26 USC, § 5388 (c) (3) (A) (iii) et 26 USC, § 5388 (c) (3) (B) (iii)). En d'autres termes, la possibilité de poursuivre l'usage d'un semi-générique pour désigner un vin américain est liée à l'utilisation d'une marque ayant été validée par le TTB en tant qu'élément d'un étiquetage autorisé avant la conclusion de l'accord. Ainsi, un producteur américain ayant obtenu un COLA avant le 10 mars 2006 pour un vin étiqueté "Smith elegance California sherry" pourra continuer à utiliser le terme "Sherry" pour désigner son vin, aussi longtemps qu'il fera apparaître, à l'identique, la marque Smith et le terme de fantaisie "Elegance", sur l'étiquetage (exemple donné par le TTB dans la circulaire n° 2006-1 du 10 mars 2006). En revanche, s'il modifie la marque (Jones elegance California sherry) ou le terme de fantaisie ("Smith robust California sherry"), il perdra le bénéfice de ses droits antérieurs et devra renoncer à l'emploi du semi-générique "Sherry" pour obtenir un nouveau COLA.
Étant donné que l'obtention d'un nouveau COLA est obligatoire pour toute modification apportée à un étiquetage de vin, le TTB accordera un nouvel agrément à tout producteur modifiant un élément de l'étiquetage d'un vin désigné par un semi-générique, mais conservant à l'identique la marque pour laquelle un premier COLA avait été obtenu avant le 10 mars 2006. Pour reprendre l'exemple utilisé, le producteur, s'il change l'appellation associée au semi-générique ("Smith elegance Napa sherry"), obtiendra un nouveau COLA, pourvu qu'il maintienne la marque d'origine. Ainsi, l'utilisation des semi-génériques aux États-Unis pourra se prolonger sans limite de durée, le cas échéant par l'attribution de nouveau COLA, tant que la marque attachée au COLA obtenu antérieurement à la conclusion de l'accord est reprise à l'identique. Ce point de la réglementation américaine est évidemment le plus critiquable pour les producteurs européens, qui auraient souhaité voir la portée de la clause d'antériorité limitée par un refus du TTB de délivrer, après le 10 mars 2006, tout nouveau COLA pour des vins américains désignés par des semi-génériques : la modification de n'importe quel élément de l'étiquetage, et non pas celle de la seule marque commerciale, aurait alors suffi à mettre un terme au droit d'utiliser le semi-générique23. En pratique, cela aurait conduit à une élimination progressive des utilisations de semi-génériques, par le biais de la modernisation des étiquetages.
Ainsi se révèle, une fois de plus, l'importance des marques en droit américain. Pour reprendre l'expression révélatrice d'un auteur, "limiter la commercialisation d'une marque, fût-elle trompeuse, est contraire au droit américain"24. La loi de décembre 2006 prévoit certes que les restrictions qu'elle impose à l'utilisation des semi-génériques ne s'appliquent pas aux vins qui ne comportent pas de marque (26 USC, § 5388 (c) (3) (C) (ii) (III)), mais ce cas de figure, exceptionnel aux États-Unis, n'a qu'une importance pratique négligeable. Dans le cadre de la lutte contre les dénominations génériques, elles viennent ici tempérer la régénérescence des dénominations européennes semi-génériques. Néanmoins, l'accord permet, de fait d'assurer la protection de dénominations européennes prestigieuses aux États-Unis. Il n'autorise les marques antérieures qu'à coexister avec les indications géographiques européennes, ce qui contraste avec les positions américaines de principe en faveur de la protection exclusive des signes antérieurs. De plus, cet accord constitue une base de départ en vue de négociations ultérieures, lesquelles devraient renforcer la protection des indications géographiques européennes. De telles négociations sont d'ailleurs prévues à l'article 10 de l'accord, selon lequel "les parties entament, dans un délai de 90 jours à compter de la date d'entrée en vigueur du présent accord, des négociations en vue de conclure un ou plusieurs accords permettant de faciliter davantage les échanges commerciaux de vin entre lesdites parties". Toutefois, aucun accord n'est encore intervenu.
En définitive, malgré les difficultés auxquelles se heurte l'Europe au plan international, "l'abandon progressif des semi-génériques vinicoles, en échange de concessions sur d'autres sujets, n'est plus une solution marquée du sceau de l'impossible"25, comme l'a montré l'accord bilatéral conclu avec les États-Unis en 2006. Le contexte évoluant, un nombre croissant de voix s'élève, aux États-Unis mêmes, pour exposer la nécessité d'une disparition progressive des génériques et semi-génériques. Cette évolution s'explique par la prise de conscience, sur le territoire américain, des dangers de la non-protection des indications géographiques : de plus en plus, les producteurs américains se trouvent placés dans la situation qui est celle de leurs homologues européens depuis des décennies. "Il est plaisant de voir que les vignerons de Californie sont aujourd'hui dans une position similaire à celle des producteurs européens qui se plaignent de l'utilisation des termes “champagne” et “Chablis” par des exploitations américaines"26. Pour cette raison, une partie importante de la doctrine américaine se prononce en faveur d'une disparition totale des utilisations génériques et semi-génériques de dénominations européennes, y compris des utilisations anciennes et des marques antérieures, qui devraient, selon ces auteurs, être éliminées progressivement (phased-out), à l'issue de périodes de transition. Une telle élimination, qui excède les prescriptions du droit international, ne peut toutefois résulter que de compromis négociés par les États. À cet égard, on peut escompter que les effets des négociations menées par l'Union européenne avec la plupart des autres États du Nouveau Monde, et en particulier l'Australie, feront apparaître l'intérêt pour les États-Unis de développer des dénominations locales pour remplacer les semi-génériques européens.
Pour ces raisons, on peut partager l'optimisme de certains auteurs, qui voient dans les semi-génériques une simple "étape intermédiaire vers la formation d'une véritable identité locale pour les produits concernés, quand ceux-ci auront atteint une notoriété suffisante pour ne plus avoir besoin d'en emprunter une"27. La tendance générale au plan international, en dépit des difficultés rencontrées au cours des négociations, est indéniablement à l'élimination des dénominations génériques protégées dans leur pays d'origine. Cette éradication est déjà fortement avancée s'agissant des dénominations viticoles.