Nous tenons à remercier les collègues qui ont participé à faire évoluer les recherches en microbiologie du vin à l’Institut Universitaire de la Vigne et du Vin de l’université de Bourgogne à savoir Mesdames Claudine Charpentier, Fabienne Remize, Raphaëlle Tourdot-Maréchal, Stéphanie Weidmann-Desroche et Messieurs Hervé Alexandre, David Chassagne, Régis Gougeon, Jean Guzzo et Michel Feuillat.
Introduction
La microbiologie a pris une part de plus en plus importante en œnologie à partir des années 1980. Le nombre de chercheurs s’intéressant à cette spécialité s’est accru et de ce fait le nombre de publications scientifiques a beaucoup augmenté. Robert Tinlot, par sa présence au conseil de l’Institut Universitaire de la Vigne et du Vin de l’université de Bourgogne depuis sa création, a participé activement à nos réflexions et a émis des avis très pertinents sur nos choix de formations (par exemple le Master « Procédés fermentaires appliqués à l’agroalimentaire », la réforme du Diplôme National d’Œnologue) et sur nos orientations de recherche dans le domaine de la microbiologie œnologique. Ce texte se propose de retracer rapidement l’évolution des recherches œnologiques dans ce domaine depuis les années 1980.
Maîtrise des fermentations
Pendant longtemps, les travaux scientifiques se sont principalement focalisés sur la levure Saccharomyces cerevisiae qui est responsable de la fermentation alcoolique et sur la bactérie lactique Oenococcus oeni qui réalise la deuxième fermentation du vin, la fermentation malolactique. Ces travaux visaient à une meilleure maîtrise des processus fermentaires afin de garantir la qualité du vin produit.
Les buts recherchés étaient multiples : - transformer complètement les sucres lors de la fermentation alcoolique, - s’affranchir des ralentissements voire des arrêts de la fermentation alcoolique, - assurer un démarrage rapide de la fermentation malolactique, - ne pas avoir de faux goûts produits au cours de ces fermentations, pas ou peu de synthèse d’acide acétique, pas de composés odorants désagréables (odeurs soufrées par exemple), - contribuer à la révélation des composés d’arômes du raisin…
Pour atteindre tous ces objectifs, il y a eu besoin de bien connaître la physiologie des microorganismes impliqués. Tout d’abord les caractéristiques morphologiques (forme des cellules, type de reproduction), les caractéristiques culturales (temps de génération), les caractéristiques physiologiques (utilisation des composés carbonés, fermentation des sucres, assimilation des différentes sources de carbone, utilisation des composés azotés, besoins en vitamines, production d’acides organiques, de composés aromatiques…). Il a été aussi nécessaire de connaître les conditions idéales de leur développement dans le milieu (moût de raisin ou vin) à savoir la température, le pH, la concentration en dioxyde de soufre, les teneurs des différents substrats, la nature des composés activateurs ou inhibiteurs. Il a été aussi nécessaire de comprendre les interactions entre les microorganismes impliqués1. Comme la fermentation alcoolique précède la fermentation malolactique, ce sont beaucoup les interactions levures sur bactéries lactiques qui ont été étudiées2.
Toutes ces études ont conduit à la sélection de souches performantes (levures et bactéries lactiques). Ces sélections ont été réalisées par des laboratoires de recherche, des interprofessions, l’IFV, des producteurs de microorganismes… Les critères retenus pour le choix du microorganisme ont été de plusieurs niveaux : propriétés fermentaires, propriétés technologiques, caractéristiques organoleptiques, caractéristiques hygiéniques.
L’utilisation de microorganismes sélectionnés présente de nombreux avantages. Le plus évident est la garantie d’avoir des fermentations rapides, complètes et sans déviation aromatique. La diminution du risque de contaminations microbiennes ultérieures est aussi fortement appréciée. Certains vinificateurs craignent cependant une certaine « banalisation » du produit en recourant notamment à une seule levure sélectionnée. En effet, les fermentations alcooliques réalisées en flore indigène s’accompagnent le plus souvent d’une grande complexité aromatique. Or on sait que dans ce mode de vinification plusieurs espèces de levures interviennent avant Saccharomyces cerevisiae, ce sont les levures dites non-Saccharomyces. Ainsi, la sélection de microorganismes est toujours en cours et elle concerne maintenant surtout des levures appartenant à des genres dits non-Saccharomyces car ces dernières présentent de grands intérêts biotechnologiques. Mais comme la fermentation alcoolique avec plusieurs starters levuriens est caractérisée par des interactions complexes et largement inconnues entre les levures, il faut au préalable faire beaucoup d’études, notamment sur les composés volatils produits par ces levures dans le cas de monocultures et de co-cultures, pour faire ensuite des choix de couples de levures pertinents. Un travail récent a été réalisé sur trois levures non-Saccharomyces et une Saccharomyces3. Des effets synergiques sur la production de composés aromatiques ont été observés lorsque Metschnikowia pulcherrima est en co-culture avec Saccharomyces cerevisiae, alors qu’une interaction négative conduisant à une diminution de la teneur en terpènes et en lactones a été observée entre Candida zemplinina et Saccharomyces cerevisiae. Par contre, des co-cultures de Torulaspora delbrueckii et Saccharomyces cerevisiae ont montré une interaction neutre.
Actuellement, il existe au choix des vinificateurs plusieurs levures qui peuvent être utilisées en co-culture (non-Saccharomyces et Saccharomyces cerevisiae) ou en inoculation séquentielle, d’abord les non-Saccharomyces puis Saccharomyces cerevisiae.
Ces microorganismes sont admis par l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin que ce soit les levures sélectionnées Saccharomyces spp. (OIV-Oeno 576A-2017), les levures sélectionnées non-Saccharomyces spp. (OIV-Oeno 576B-2017) ou les bactéries lactiques appartenant aux genres Oenococcus, Lactobacillus et Pediococcus (OIV-Oeno 328-2009, OIV-Oeno 494-2012). En ce qui concerne les levures, il est admis d’utiliser des levures en culture pure, en culture mixte ne comprenant que des souches de levures Saccharomyces, ou en culture mixte avec des souches de levures Saccharomyces et des souches de levures non-Saccharomyces.
Le règlement de l’union européenne (1308/2013 du 17 décembre 2013) autorise l'emploi de levures de vinification et de bactéries lactiques pour maîtriser les fermentations alcoolique et malolactique.
Détection et quantification des microorganismes d’altération
Depuis une quinzaine d’années, les travaux scientifiques portant sur la détection et la quantification des microorganismes d’altération sont en forte augmentation avec pour but toujours la maitrise de la qualité du vin produit. Les études portent sur les moisissures du raisin, responsables de la présence dans le vin de mycotoxines, composés non hygiéniques, sur la levure Brettanomyces bruxellensis, responsable notamment des odeurs phénolées dans le vin et sur les bactéries acétiques qui peuvent grandement déprécier le vin pendant son élevage en synthétisant notamment de l’acide acétique.
En ce qui concerne les moisissures, la PCR ITS-RFLP a été utilisée avec succès pour identifier les isolats de champignons filamenteux se trouvant sur les raisins4. Après extraction d’ADN, des PCR-ITS ont été réalisées. La digestion enzymatique avec des endonucléases a permis d’obtenir des profils de restriction qui, sur 43 espèces étudiées ont généré 42 profils composites différents. Seules les espèces Penicillium thomii et Penicillium glabrum ont donné le même profil composite. 96,3 % des souches testées ont pu ainsi être différenciées au niveau de l'espèce avec seulement quatre endonucléases. Cette méthode a alors été appliquée sur 199 souches de champignons filamenteux isolées de différents vignobles de Bourgogne pour connaître la diversité fongique au niveau des espèces dans le vignoble. La prédominance dans ces parcelles du genre Penicillium (58,5 %) et parmi ce genre de l’espèce Penicillium spinulosum (22,7 %) a été mise en évidence avec l’absence de souches appartenant au genre Aspergillus. Cette méthode a ainsi permis d’identifier des espèces jusqu’alors jamais décrites sur les baies de raisin : Fusarium oxysporum, Thanatephorus cucumeris et Trichoderma koningiopsis.
Parallèlement à cette étude, une méthode d'identification et de quantification rapide et précise par PCR quantitative en temps réel (qPCR) de Botrytis cinerea, l'un des principaux agents pathogènes présents sur le raisin, a été mise au point récemment5. Cette méthode a une efficacité élevée (97 %) et la limite de détection a été estimée à 6,3 pg d'ADN (correspondant à 540 spores). Ce test rapide, sélectif et sensible pourrait être utilisé pour surveiller la propagation du champignon Botrytis sur les baies de raisin dans les vignobles.
La levure d’altération Brettanomyces bruxellensis fait l’objet de beaucoup d’études car elle déprécie beaucoup le vin en synthétisant des phénols volatils qui sont des composés à odeurs désagréables (sueur de cheval, écurie, gouache, « goût de souris ») produits suite à une décarboxylation des acides hydroxycinnamiques issus du raisin. Dans sa thèse, Serpaggi a montré que cette levure était capable de se trouver dans le vin dans un état viable mais non cultivable (état VNC)6. Cet état engendre des modifications morphologiques (diminution de la taille des cellules de 22 %) mais elle est réversible quand les teneurs en dioxyde de soufre diminuent dans le vin. L’existence de cet état VNC chez Brettanomyces est problématique car il peut engendrer des erreurs de détection de cette levure. Aussi des méthodes de détection et de quantification sont régulièrement mises en place : hybridation in situ et lecture par cytométrie en flux, PCR quantitative en temps réel… Pour éviter la croissance de Brettanomyces bruxellensis principalement dans le vin rouge, il a été mis en évidence que la dose de dioxyde de soufre à appliquer est fonction des souches de Brettanomyces qui présentent en effet des niveaux variables de résistance aux sulfites. De plus, la dose d’utilisation de ce conservateur varie aussi en fonction du niveau de population7.
Les bactéries acétiques se trouvent généralement dans le vin à de faibles concentrations mais comme elles produisent beaucoup d’acide acétique lorsqu’elles se développent, leur présence dans le vin doit être suivie notamment pendant le vieillissement de ce dernier. De plus, la teneur maximale en acidité volatile (principalement due à l’acide acétique) d’un vin est fixée par la législation européenne (règlement CE 606/2009). Or la proportion plus importante aujourd’hui sur le marché de vins à faible teneur en dioxyde de soufre, donc plus sensibles à un développement de ces bactéries, demande à avoir des méthodes rapides, spécifiques, sensibles et fiables pour détecter ces bactéries et cela notamment dans les vins rouges8 afin de pouvoir agir rapidement pour les éliminer avant dépréciation gustative du vin.
Écologie microbienne de la baie du raisin, du moût de raisin et du vin
Parallèlement aux travaux sur les microorganismes d’altération, on constate aussi une forte augmentation d’études sur l’écologie microbienne de la baie du raisin, du moût de raisin et/ou du vin et notamment sur les levures non-Saccharomyces. Différentes méthodes moléculaires sont en effet actuellement disponibles pour étudier ces populations levuriennes d’un point de vue global mais aussi au niveau inter et intra spécifique.
Les études récentes visent à mieux comprendre l’origine des microorganismes retrouvés dans les cuveries de vinification ou les caves d’élevage, mais aussi leur installation et leur persistance d’un millésime à l’autre dans ces environnements. Quels supports sont impliqués : les murs, le sol, les contenants et notamment les fûts, le matériel vinaire ? Les équilibres entre les différentes flores (levures, bactéries, moisissures) commencent aussi à être étudiés.
Quelques exemples :
- Dans sa thèse de Doctorat, Cédric Grangeteau a comparé la biodiversité fongique des populations présentes sur les baies de raisin de chardonnay en fonction du mode de protection phytosanitaire appliqué au vignoble9. Une biodiversité plus faible pour les raisins de la modalité biologique a été mesurée pour les trois millésimes étudiés. Les populations fongiques sont ensuite fortement remaniées par les étapes pré-fermentaires (pressurage et clarification) et l’influence de la flore de cuverie est confirmée. Par ailleurs, l’addition de dioxyde de soufre dans les moûts de raisin modifie les dynamiques des populations et favorise la domination de l’espèce Saccharomyces cerevisiae. L’analyse chimique non-ciblée effectuée dans les vins en fin de fermentation alcoolique montre que ces derniers peuvent être discriminés en fonction de la protection phytosanitaire, traduisant l'existence de signatures de diversité chimique et microbiologique liées au mode de protection au vignoble.
- La colonisation de Saccharomyces cerevisiae dans une nouvelle cuverie a été analysée sur trois millésimes consécutifs10. La flore présente avant l'arrivée de la première récolte a été caractérisée sur le sol, les murs et l'équipement de cette nouvelle cuverie. Le genre Saccharomyces (≤0,3%) a été détecté sur le sol et l'équipement mais sans la présence d'espèces de Saccharomyces cerevisiae. Des souches sauvages de Saccharomyces cerevisiae ont été isolées d'un « Pied de Cuve » utilisé lors du premier millésime pour assurer la fermentation alcoolique. Parmi 25 isolats appartenant à cette espèce, 17 souches différentes ont été identifiées mettant en évidence une grande diversité intra-spécifique. Des souches de Saccharomyces cerevisiae ont également été isolées de différentes cuves au cours des fermentations spontanées du premier millésime. L'année suivante, certaines de ces souches ont été isolées à nouveau pendant la fermentation alcoolique. Quatre ont été retrouvées sur le matériel présent dans la cuverie avant l'arrivée de la troisième récolte suggérant une colonisation potentielle par ces souches. La capacité à former un biofilm sur des surfaces solides apparaît différente selon les souches et pourrait expliquer en partie ce début de colonisation observée pour certaines souches.
- Cette capacité à former un biofilm étant une stratégie de résistance mise en œuvre par les microorganismes, a été étudiée chez différentes souches de Brettanomyces bruxellensis isolées de plusieurs vins11. Sur 65 isolats discriminés en 5 groupes génétiques différents, 12 souches ont été sélectionnées. Ces 12 souches ont été capables de former un biofilm dans un milieu de culture synthétique sur une surface en polystyrène. La présence de microcolonies, de cellules filamenteuses et de substances polymères extracellulaires dans le milieu a été détectée.
Pour 2 souches, cette capacité à former un biofilm dans le vin a été révélée, avec notamment une forte libération des cellules de ce biofilm dans le milieu vin. Ces cellules libérées sont ensuite capables de se remultiplier dans le vin. C’est peut-être cette stratégie qui est mise en œuvre par Brettanomyces bruxellensis lui permettant ainsi de persister dans les cuveries et surtout les caves d’élevage.
Conclusion
La microbiologie dans le domaine de l’œnologie a beaucoup évolué depuis les années 1980. Comme dans les autres domaines de la recherche scientifique, les progrès analytiques nous font beaucoup progresser et les études réalisées se traduisent le plus souvent par de nouvelles questions de recherche. Ainsi, actuellement on s’oriente beaucoup sur l’étude des consortiums microbiens (bactéries, levures, moisissures) pour mieux caractériser les flores de nombreux environnements (raisins, cuveries, caves, fûts…) et tenter de comprendre la persistance ou non de certains genres ou espèces. C’est un nouveau chapitre qui s’ouvre sur les interactions possibles entre des groupes et espèces microbiens différents mais ce chapitre reste pour l’instant peu fourni.