Caroline LE GOFFIC
Cet article est le résumé de la thèse intitulée « La protection des indications géographiques en France, dans la Communauté européenne et aux États-Unis », soutenue par Caroline Le Goffic le 9 décembre 2009 à l’Université Paris II Panthéon-Assas, et publiée aux éditions Litec (collection IRPI, vol. 37, Paris, 2010).
Introduction
Pour la construction du temple de Jérusalem, le roi Salomon fit couper des cèdres du Liban par trente mille hommes. Par la suite, son palais fut édifié avec une telle profusion de ces arbres qu’il était connu sous le nom de « maison de la Forêt du Liban ». À l’image de la Bible, de nombreux témoignages attestent la reconnaissance, dès l’Antiquité, de la réputation et du prestige de produits originaires de certaines régions. Ainsi Hérodote, Aristote et Platon montrent-ils que les Grecs appréciaient le bronze de Corinthe, le marbre de Phrygie et de Paros, la poterie d’Athènes, les statuettes en terre cuite de Thisbé, les parfums d’Arabie ou les vins de Naxos, de Rhodes et de Corinthe. Virgile chante, dans L’Énéide, les vases de Dodone qu’Hélénos a offerts à Énée. Quant à Horace, il met en garde contre les falsifications de produits porteurs de noms géographiques prestigieux. Plus près de nous, la littérature classique est riche en références à des produits auxquels leur origine confère une qualité ou des propriétés spécifiques : dans Don Quichotte, Cervantès se réfère aux faisans de Rome, au veau de Sorrente, aux perdrix de Moron ; dans Hamlet, Shakespeare fait allusion au vin du Rhin avec lequel le roi porte des toasts ; Proust relate les « sept à huit verres de Porto » qu’il buvait en entrant chez le pâtissier-limonadier à Balbec.
Ces exemples illustrent l’importance de l’origine des produits, à laquelle est très souvent attachée une réputation particulière. L’utilisation de signes indiquant l’origine des produits désignés s’est répandue dans le monde entier. En dépit de la difficulté de l’entreprise qui consiste à les répertorier, une étude estime qu’il existe aujourd’hui entre 9 000 et 10 000 indications géographiques dans le monde. Pour illustrer leur diversité, on peut citer le « Champagne » français, le « jambon de Parme » italien, le thé « Darjeeling » indien ou le « saumon de l’Alaska » et les « oranges de Floride » américains. Si les indications géographiques concernent principalement les produits alimentaires et les boissons, certains produits industriels ou manufacturés bénéficient également d’une réputation attachée au lieu de leur fabrication. Tel est le cas de l’acier de Tolède, des faïences de Delft ou des tapis persans.
Enjeux économiques
En raison de la valeur ajoutée qu’elles confèrent aux produits qu’elles désignent, les indications de provenance géographique ont une importance économique considérable. La Direction Générale du Commerce de la Communauté européenne soulignait ainsi en 2003 que les fromages français qui bénéficient d’indications géographiques se vendent à un prix moyen majoré de deux euros. Elle estimait que ces indications font vivre 138 000 exploitations agricoles en France et 300 000 personnes en Italie, et appréciait respectivement à 19 et 12 milliards d’euros leur valeur dans ces États. Les indications géographiques sont un vecteur de développement économique. Au plan mondial, elles favorisent les exportations : à titre d’exemple, les boissons spiritueuses bénéficiant d’indications géographiques entrent à raison de 3,5 milliards d’euros dans les 5,4 milliards d’euros que rapporte à la Communauté européenne l’exportation de cette catégorie de produit.
Définition
Les indications géographiques constituent, dès lors, un objet d’étude situé au confluent de la géographie, de l’économie, du commerce international et du droit. La valeur économique attachée à ce type de signe ainsi que l’information qu’il apporte aux consommateurs justifient l’étude de sa protection par le droit. Cette entreprise se heurte d’emblée à une difficulté majeure, tenant à la définition même du champ d’analyse. Le terme « indication géographique » est, en effet, susceptible d’une multitude de définitions, dans la mesure où il n’en existe pas à travers le monde de conception uniforme. Les « indications géographiques » recouvrent une variété de notions qu’il est nécessaire de distinguer : indications de provenance, indications géographiques protégées (IGP), appellations d’origine, entre autres. Le dénominateur commun de toutes ces notions est qu’elles font référence à des signes indiquant non seulement l’origine géographique d’un produit, mais également un ou plusieurs traits particuliers que cette origine contribue à lui conférer. Tel est le sens le plus communément accepté dans le monde de l’expression « indication géographique ». Cette acception est issue de l’accord relatif aux aspects des droits de la propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), signé en 1994 : selon son article 22, § 1,
on entend par indications géographiques des indications qui servent à identifier un produit comme étant originaire du territoire d’un Membre, ou d’une région ou localité de ce territoire, dans les cas où une qualité, réputation ou autre caractéristique déterminée du produit peut être attribuée essentiellement à cette origine géographique.
Les indications géographiques ainsi définies incluent donc tous types de signes distinctifs désignant un lieu d’où est originaire un produit et indiquant un certain lien entre ce produit et sa provenance. L’intensité de ce lien peut varier considérablement. L’expression « indications géographiques » constitue donc une catégorie hétéroclite, qui inclut une large gamme d’indications dénotant un lien plus ou moins étroit entre le lieu et les qualités (au sens descriptif), voire la qualité (au sens laudatif), du produit, d’une simple réputation à une spécificité imprimée par un terroir particulier, selon des normes précises.
Problématique
Cette hétérogénéité laisse présager la multiplicité des indications géographiques qui existent dans le monde. La diversité des conceptions à ce sujet est source de désaccords sur la protection des indications géographiques. Les divergences sont particulièrement prononcées entre les approches française et européenne, d’un côté, et américaine, de l’autre. Elles se manifestent tant par l’existence de conceptions différentes du lien entre un produit et son lieu d’origine (rejet, aux États-Unis, du concept de « terroir ») que par le recours à des instruments juridiques de nature distincte : appellations d’origine en Europe, et marques de nature collective aux États-Unis.
Cette opposition est source de conflits à l’OMC. À titre d’exemple, la concurrence du « Champagne californien », dénoncée par les producteurs français, paralyse sur le territoire américain la protection de l’appellation d’origine française. De même, l’opposition de la société Starbucks à l’enregistrement par la fédération éthiopienne du café des marques « Sidamo », « Harrar » et « Yirgacheffe », met en évidence les enjeux économiques, souvent conflictuels, liés à la protection des indications géographiques.
Les négociations commerciales relatives à la protection internationale des indications géographiques se heurtent à des divergences idéologiques importantes. Il est pourtant indispensable d’apporter des solutions aux difficultés que connaît la mise en place d’un système uniforme de protection. Face à ces difficultés, la construction d’un modèle international de protection des indications géographiques doit se fonder sur l’analyse comparée des systèmes français et communautaire, d’une part, et américain, de l’autre. Ces systèmes, quels que soient leurs rapprochements récents, demeurent représentatifs de deux conceptions distinctes de l’objet et des moyens de la protection. Leur étude permet d’appréhender les indications géographiques dans leur diversité, et d’en dégager l’unité, au-delà de leurs modes de protection.
Ce travail s’inscrit dans le cadre de l’actualité du commerce international. Recherchant des solutions aux conflits internationaux, il montre que les divergences sont en très grande partie idéologiques. L’analyse, menée d’un point de vue juridique, révèle en effet qu’il est possible de mettre en œuvre des principes permettant d’assurer une meilleure protection internationale des indications géographiques sans faire pour autant prévaloir l’un ou l’autre des systèmes qui s’opposent. Cette étude permet d’aboutir à des conclusions ayant un double impact, à la fois en direction des législateurs européens et américains, et des négociateurs internationaux. En effet, d’une part, ayant analysé en détail les instruments de la protection (appellations d’origine, privilégiées en Europe et marques de certification, préférées aux États-Unis), on peut suggérer d’apporter des modifications aux régimes juridiques en place en Europe et aux États-Unis (1). D’autre part, et corrélativement, ces propositions touchent aux négociations commerciales internationales (2).
Régimes des instruments de protection
La question se pose de savoir si un instrument (marques ou appellations d’origine) doit être privilégié. Pour y répondre, il convient d’abord d’analyser les multiples régimes juridiques qui régissent les instruments de protection. Cette étude révèle de nombreux points de convergence et influences réciproques. Les marques de nature collective manifestent une tension entre le droit commun des marques individuelles et des règles particulières assurant leur usage ouvert et non-exclusif. Les appellations, quant à elles, ont une spécificité plus grande en raison de l’intervention de la puissance publique dans leur fonctionnement, tout en partageant certains traits avec les marques de nature collective. Le système communautaire, inspiré du modèle français, assure un niveau de protection très élevé aux appellations d’origine. La rationalisation de ce système supposerait toutefois que soient fusionnés les trois mécanismes en place relatifs aux produits agroalimentaires, aux vins et aux spiritueux. L’étude des appellations of origin viticoles américaines, qui présentent des similitudes croissantes avec les appellations européennes, tout en s’en différenciant par le contenu de la garantie qu’elles apportent, révèle l’influence des modèles français et communautaire aux États-Unis.
L’opposition entre les marques et les appellations d’origine doit, dès lors, être relativisée. La question se pose alors de savoir ce qui détermine le choix de l’un ou l’autre instrument. Deux facteurs principaux interviennent : les fonctions et la nature juridique des signes concernés.
D’une part, en qui concerne leurs fonctions spécifiques, les appellations d’origine sont plus naturellement adaptées à la protection des indications géographiques, car il est de leur essence de garantir une typicité locale, un terroir particulier. Néanmoins, les fonctions des marques de nature collective peuvent aisément leur permettre de remplir un rôle similaire : la différence est qu’il ne s’agit alors que d’une fonction éventuelle, et non pas essentielle. Les marques de nature collective laissent une liberté bien plus grande à leur titulaire, s’agissant du choix des propriétés certifiées, que les appellations d’origine, dont le contenu est défini par l’autorité publique. En ce sens, on voit s’opposer la logique privée dont relèvent les marques de nature collective à la logique publique qui gouverne les appellations d’origine.
D’autre part, en ce qui concerne leur nature juridique, l’analyse des instruments de protection montre que les marques de nature collective, en dépit de leurs particularités qui les font déroger au droit commun des marques, doivent être qualifiées de biens objets d’un droit de propriété de leur titulaire. En revanche, il ne peut être affirmé que les appellations d’origine appartiennent à quiconque : au contraire, elles sont inappropriables. Leur usage est commun à tous, dès lors qu’il désigne des produits répondant aux conditions fixées dans le cahier des charges. Cet usage commun est également présent dans le cas des marques de certification : toute personne peut utiliser le signe dès lors qu’il respecte le règlement d’usage. Ainsi les deux instruments de protection partagent-ils un élément caractéristique de leur régime – l’usage commun, consubstantiel à la notion d’indication géographique – tout en se différenciant par leur vocation à être appropriés ou non. Cette différence essentielle imprègne l’usage commun des signes lui-même : tandis que cet usage est réglementé par l’autorité publique dans le cas des appellations, il est régi par la volonté privée du déposant dans le cas des marques.
Il ressort de ces analyses qu’on ne peut exclure par principe ou par idéologie l’un ou l’autre instrument de protection des indications géographiques. Les marques de nature collective, dès lors qu’elles fonctionnement comme marques de certification, et les appellations d’origine, sont également aptes à assurer cette protection. Le choix de l’un ou l’autre instrument relève de la préférence des systèmes et des intéressés pour une logique d’appropriation privée, privilégiée aux États-Unis, ou pour une logique de contrôle public, préférée en Europe.
La légitimité des deux instruments de protection ayant ainsi été montrée, il est nécessaire de surmonter les difficultés auxquelles donne lieu leur mise en œuvre. La protection des indications géographiques par le biais des marques de nature collective et des appellations d’origine est, en effet, confrontée à d’importants obstacles qui nuisent à son efficacité, en particulier au niveau international.
Négociations commerciales internationales
Quant à la mise en œuvre internationale des instruments de protection, il apparaît, en premier lieu, que la concurrence des « marques géographiques », signes composés de toponymes mais ne fonctionnant pas comme indications géographiques, menace la protection de ces dernières. Ces marques sont indésirables étant donné qu’elles brouillent la frontière, dans l’esprit du public, entre la catégorie des marques, signes arbitraires indiquant l’origine commerciale des produits qu’elles désignent, et celle des indications géographiques, signes faisant référence à l’origine géographique des produits concernés et aux propriétés que leur confère cette origine.
Le premier remède, le plus opportun, consiste à prévenir les conflits entre des indications géographiques et des marques géographiques, en limitant l’enregistrement de ces dernières. À défaut d’application de cette solution préventive, il reste à apporter une solution aux conflits qui opposent des indications géographiques à des marques antérieures. L’analyse des modèles de résolution américain et français, reposant sur la prévalence exclusive de l’un des signes au détriment de l’autre, révèle leur caractère inadéquat. Il convient donc de mettre en place un modèle, inspiré du système communautaire, fondé sur la recherche de la coexistence pacifique des signes. Cette solution est d’autant plus justifiée que le principe de la coexistence a été jugé conforme au droit international par un panel de l’OMC en 2003. Le modèle ici proposé vise à tenir compte tout à la fois des intérêts légitimes des titulaires de marques antérieures – ce qui exclut les cas dans lesquels les droits sur les marques ont été acquis de mauvaise foi –, de ceux des opérateurs concernés par la protection d’indications géographiques, et de ceux des consommateurs, qui ne doivent pas être induits en erreur. Dans les cas où la coexistence, telle quelle, des signes serait de nature à provoquer la confusion dans l’esprit du public, il convient de rechercher des compromis pragmatiques permettant l’utilisation des deux signes, au prix de modifications de l’un ou l’autre, en fonction de leur notoriété respective.
En second lieu, les indications géographiques sont exposées à un risque de dégénérescence. Il s’agit de l’obstacle le plus sérieux dans la protection de ces signes. La perte de la signification d’origine d’une indication géographique conduit, en effet, à faire de cette dénomination un nom commun synonyme d’un genre de produit, et non plus la désignation d’un produit à la typicité locale unique. Il est nécessaire de lutter contre cette dégénérescence, car elle nuit évidemment à la protection des indications géographiques.
Comme dans le cas des marques antérieures, il est préférable de prévenir la difficulté plutôt que d’y remédier après sa survenance. La lutte préventive contre les indications génériques suppose, d’abord, la détermination de critères précis permettant d’apprécier la généricité d’une dénomination géographique. À cet effet, il est souhaitable d’adopter un mode d’appréciation commun aux deux instruments de protection, les marques et les appellations d’origine. Il est illogique d’apprécier différemment la généricité d’une indication géographique selon que sa protection est réclamée par le biais de l’un ou l’autre instrument. Le critère essentiel doit être, dans les deux cas, la signification du terme dans l’esprit du public, ce qui se justifie par la nature de signe distinctif informatif des marques et des appellations d’origine. La lutte préventive doit, ensuite, permettre de limiter les facteurs de dégénérescence des indications géographiques : cela suppose leur protection contre les usages délocalisants (« Champagne de Californie ») conduisant à l’évasion des termes.
Lorsqu’une indication géographique a fait l’objet d’une dégénérescence, soit parce que les mesures préventives ne se sont pas révélées suffisantes, soit parce que leur mise en œuvre est intervenue trop tard, il convient de n’envisager une possible relocalisation du terme qu’avec d’extrêmes précautions. Il est, en effet, très critiquable de procéder à une régénérescence artificielle motivée par des considérations opportunistes. Dès lors, seules d’éventuelles relocalisations partielles, nécessairement limitées, peuvent être envisagées. Le seul remède véritable reste l’action sur la généricité elle-même, c’est-à-dire sur la perception du public : seul un travail d’éducation des consommateurs peut éventuellement conduire à une régénérescence légitime pour l’avenir. Sur le plan international, la récupération d’indications géographiques suppose, comme dans le cas des conflits avec des marques antérieures, la négociation entre États, dans la recherche de solutions de compromis ménageant les différents intérêts légitimes en jeu, dans le respect des droits acquis.
Conclusions
Il s’avère en définitive que les divergences relatives à la protection des indications géographiques sont en très grande partie idéologiques. L’analyse, menée d’un point de vue juridique, révèle en effet qu’il est possible de mettre en œuvre des principes permettant d’assurer une meilleure protection internationale des indications géographiques sans faire pour autant prévaloir l’un ou l’autre des systèmes qui s’opposent.
Des analyses exposées précédemment, on peut tirer deux séries de conclusions et propositions visant à la construction d’un modèle de protection internationale des indications géographiques. Ces conclusions ont un double impact, à la fois en direction des législateurs européens et américains, et des négociateurs internationaux. En effet, d’une part, elles suggèrent d’apporter des modifications aux régimes juridiques en place en Europe et aux États-Unis. D’autre part, et corrélativement, elles touchent aux négociations commerciales internationales.
En premier lieu, quant aux instruments juridiques de la protection, il faut admettre la validité des marques de certification et des appellations d’origine. On ne saurait rejeter l’un ou l’autre système sur la base de préférences idéologiques. Sans que soit niée leur différence de nature, la nécessité d’un rapprochement de leur fonctionnement apparaît. Davantage que l’existence de conflits internes qui opposeraient ces deux instruments l’un à l’autre, c’est la confrontation des instruments de protection aux obstacles extérieurs entravant la protection des indications géographiques qui révèle cette nécessité. Face aux obstacles, il est souhaitable de parvenir à des solutions identiques, indépendamment de l’instrument de protection utilisé. L’adoption de solutions unifiées permettrait de renforcer la protection des indications géographiques dans le monde. En pratique, cela suppose que le régime des marques de certification, lorsqu’il est choisi, permette de prendre davantage en compte la spécificité des indications géographiques et l’intérêt général qui s’attache à leur protection. Il serait particulièrement opportun d’imposer que les marques protégeant des indications géographiques garantissent une certaine unicité, notamment en exigeant que de telles marques soient déposées par des personnes morales, de préférence publiques, comme le recommandent les autorités américaines elles-mêmes : cela éviterait les rivalités entre déposants particuliers concurrents et assurerait une certaine stabilité des propriétés garanties par le signe. Afin de limiter la multiplication des marques de certification incluant une même dénomination géographique, il faudrait recourir à un modèle de marque nécessairement descriptive, sans possibilité d’adjonction d’éléments arbitraires, permettant de s’opposer à l’usage du toponyme pour désigner des produits ne respectant pas le cahier des charges, y compris, le cas échéant, à titre d’usage descriptif de la provenance des produits, dès lors qu’un tel usage est de nature à affaiblir la spécificité de l’indication géographique. La protection de ces marques devrait corrélativement être étendue de manière à interdire, s’agissant de produits similaires, tout usage ou évocation, même non susceptible d’induire le public en erreur, ce qui présenterait le double avantage de faire obstacle à l’enregistrement de marques géographiques concurrentes et de prévenir la dégénérescence des indications géographiques. En sens inverse, la protection des indications géographiques gagnerait en cohérence si le régime des appellations d’origine était aligné sur celui des marques en ce qui concerne la possible dégénérescence des signes.
Le modèle ainsi proposé, loin de remettre en question la dualité des instruments de protection, mettrait en valeur, à travers ces deux instruments, les traits communs à toutes les indications géographiques : il s’agit de signes distinctifs désignant des produits particuliers aux spécificités uniques. La cohérence du modèle apparaît si l’on considère que la définition même des indications géographiques impose que leur protection soit assurée par le biais d’un instrument qui préserve leur unicité, dans les limites de leur destination naturelle – la désignation d’un produit précis – et de leur signification pour le public concerné. En définitive, peu importe que le consommateur perçoive le signe comme une marque de certification ou comme une appellation d’origine : il faut avant tout qu’il le comprenne comme faisant référence à une typicité locale, et non pas comme l’indication d’une origine commerciale ou d’un genre de produit.
En second lieu, quant à la mise en œuvre internationale des instruments de protection, il apparaît nécessaire d’adopter un modèle reposant sur l’enregistrement international des indications géographiques. Seule la mise en place d’un registre mondial, aux effets contraignants, permettrait de tempérer, à l’avenir, les effets néfastes du principe de territorialité qui limitent la protection des indications géographiques. Faute d’un tel système, les incertitudes liées au statut et à la signification de chaque dénomination à l’étranger demeureront.
On peut espérer, à ce propos, que les négociations internationales, en dépit des difficultés rencontrées au cours des décennies passées, permettront de réaliser ces avancées indispensables. Il faut compter sur la prise en compte progressive, aux États-Unis, du bien-fondé de la protection des indications géographiques, ne serait-ce qu’en raison de l’importance croissante des dénominations américaines à l’étranger (par exemple, l’appellation « Napa », récemment usurpée en Chine), au fur et à mesure que la production locale se développe et gagne en notoriété internationale. Il faut également compter, en Europe, sur une approche réaliste des situations dans le reste du monde, et sur un usage strictement encadré et motivé des indications géographiques, de nature à renforcer au plan international la légitimité de leur protection. En définitive, un rapprochement est possible, comme en témoigne notamment l’évolution convergente des réglementations européenne et américaine de l’étiquetage des vins, notamment en ce qui concerne la mention d’une appellation d’origine. Tandis que la législation américaine a élevé la proportion de raisins devant provenir de la zone concernée, les règles européennes ont au contraire été assouplies, de telle sorte qu’aujourd’hui la proportion (85%) est identique de part et de l’autre de l’Atlantique pour les vins porteurs d’IGP européennes et d’appellations d’origine américaines.