Les grandes orientations de l’œnotourisme: modèles européens, modèles californiens.

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Mots-clés

Œnotourisme, Californie, Europe, Culture, Wineescape, Winetourism

Keywords

Enotourism, California, Europa, Cultur, Wineescape, Winetourism

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Introduction

L’œnotourisme, activité touristique aujourd’hui en vogue partout dans le monde, se décline sous des offres de plus en plus diverses, selon qu’il valorise des patrimoines hérités des activités ancestrales, ou qu’il crée de nouvelles fonctions à travers l’émergence de nouveaux vignobles. Sous toutes ses formes, tourisme vitivinicole, enoturismo, winetourismL’œnotourisme est cependant partout une forme originale d’agritourisme qui implique les acteurs du monde viticole, tout autant qu’une forme de tourisme culturel citadin, des maisons de négoce ou d’une nouvelle génération de musées du vin.

À l’origine, en Europe, les maisons de négoce, les grandes propriétés ou châteaux viticoles, n’étaient visités que par leurs principaux clients, courtiers, restaurateurs, importateurs du monde entier, dont l’activité aurait pu être reconnue comme tourisme d’affaire sans pour autant se reconnaitre spécifiquement comme œnotourisme, ou comme winetourism. En 1937, la route des grands crus en Bourgogne, 1ère route des vins, a pourtant peu à peu engendré une nouvelle offre touristique. Olivier Jacquet et Gilles Laferté ont démontré que précédemment, les guides excluaient totalement la gastronomie et la vigne des visites qu'ils proposaient aux touristes de passage en Bourgogne1. Comme ailleurs, les touristes ne visitaient que les monuments historiques et choisissaient leurs itinéraires en fonction de sites naturels d’exception, de routes panoramiques de bord de mer ou de montagne, les espaces agricoles n’intéressaient pas, les modalités de production n’incitaient pas à la curiosité. C’est en s’ouvrant à une clientèle particulière, pour développer les ventes directes à la propriété, que progressivement, en Bourgogne, puis plus systématiquement en Alsace, une certaine pratique touristique a commencé à émerger, sans pour autant élargir l’offre touristique de la région au-delà des caves visitées. L’œnotouristisme s’est diversifié plus tard, dans la dernière décennie du XXème siècle, en structurant les territoires viticoles par des routes du vin de plus en plus nombreuses, intégrant à ces itinéraires, des activités variées pour découvrir non seulement les vins des vignobles traversés, mais plus largement tous les produits du terroir et le patrimoine architectural ou paysager, lié ou non à l’activité viticole. Les grandes orientations de l’œnotourisme contemporain européen s’inspirent des expériences touristiques variées, des musées et écomusées, des parcs d’attractions, pour développer des parcs à thèmes tel l’œnoparc du Beaujolais, le Hameau du vin (créé en 1993). Les visites sont aujourd’hui plus longues, plus variées, ouvertes à un large public, amateur de vin ou non, consommateur ou non2. Hors d’Europe, le winetourism s’organise, d’abord en Afrique du sud dans les années 1970, pour encourager comme en France, la vente directe de vin, dans un pays où l’apartheid oblige à développer particulièrement le marché national. Une dizaine d’années plus tard, le winetourism apparait en Amérique du Nord pour accompagner le développement du vignoble, principalement en Californie. Il encourage les constructions architecturales d’envergure, associant aux chais de vastes espaces d’accueil pour faciliter les visites, mais aussi des restaurants, quelques chambres pour offrir la possibilité de se restaurer sur place ou séjourner à la propriété, des boutiques pour la vente du vin et celle de multiples articles dérivés.

Au début du XXIème siècle, ces modèles se conjuguent de part et d’autre de l’Ancien et du Nouveau Monde. Le modèle californien inspire les nouvelles constructions de chais en Europe, les références à l’histoire des domaines se multiplient outres Atlantique. Partout désormais, les propriétés viticoles organisent les visites hors des seuls chais, en multipliant les évènements pour fidéliser les clientèles appelées à revenir sur un même site, comme l’on revient au musée pour des expositions temporaires. Les vignobles et leurs caves, sont aujourd’hui devenus de véritables destinations touristiques, attractives et originales. Les activités proposées participent pleinement aux opérations de communication des grandes entreprises viticoles, comme des plus modestes, qui toutes, doivent apparaitre dans ces circuits bachiques. Dans ces conditions, peut-on encore reconnaitre des « modèles » européens ou des « modèles » américains, des modèles propres au monde du vin, ou simplement une offre touristique pareillement développée dans l’Ancien comme dans le Nouveau Monde?

L’œnotourisme européen, un tourisme culturel chargé d’histoire

Un modèle ancré dans la culture du terroir?

En France, plus tard en Allemagne puis en Italie, aujourd’hui reconnues dans tous les vignobles européens, les routes du vin invitent les touristes à s’écarter des sentiers battus, au profit d’itinéraires touristiques plus confidentiels, dans des campagnes vivantes, celles où l’activité viticole évite l’exode rural. Le vin, boisson culturelle par excellence, reconnue comme telle par la constitution espagnole dès 2003, boisson culturelle du repas gastronomique des français classé à l’UNSECO en 2010, est le fruit de terroirs délimités par de multiples appellations3. Non seulement les musées du vin présentent leurs caractéristiques physiques et humaines, agronomiques et historiques, mais de plus en plus souvent, les touristes sont invités à se promener dans les vignes, à travers des sentiers vignerons, balisés, commentés, pour reconnaitre les sols et les cépages qui y sont associés. L’INAO, l’Institut National des Appellations d’Origine, définit les terroirs tant par des facteurs physiques que des facteurs humains. Leur découverte incite donc tout à la fois, à observer et à comprendre les paysages viticoles qu’à rencontrer les vignerons qui les ont façonnés. Un atout majeur de l’œnotourisme est devenue la diversité de ses territoires, variété infinie de paysages, de plaines, plateaux ou coteaux aménagés en terrasses, avec ou sans constructions de vignes, et parsemés de caves d’architectures propres à chaque vignoble4. L’offre française se caractérise non seulement pour la qualité et la diversité de ses vins, mais aussi par le savoir-faire de ses vignerons qui ont aménagé ces terroirs et dont le travail est reconnu aujourd’hui par le classement de différents vignobles au patrimoine mondial de l’UNESCO. Les plus nombreux concernent la France: la Juridiction de Saint-Emilion (1999), le Val de Loire (2000), et depuis 2015, les Climats de Bourgogne et les « Coteaux, Maisons et Caves de Champagne». D’autres ont été classés ailleurs, mais toujours dans l’Ancien monde viticole: le « Parc naturel des Cinque terre » en Italie, (1997), la « vallée du Haut-Douro » au Portugal, le vignoble de « Fertö-Neusiedlersee » en Autriche (2001), la « Haute vallée du Rhin », la région viticole de Tokaj en Hongrie, (2002), l’Ile de Pico aux Açores (2004), les « Côtes de Lavau » en Suisse, le « Paysage culturel de la Wachau » en Autriche (2007), le « Paysage viticole du Piémont italien » (2014). Cette reconnaissance internationale renforce la dimension culturelle, très spécifique de l’Europe viticole, chargée d’histoire.

L’œnotourisme invite à la découverte de ces paysages à travers des balades dans les vignes, à pied, à cheval, à bicyclette, accompagné d’un guide ou non, ou valorisées par un survol en hélicoptère ou en montgolfière, pour les rendre plus inoubliables. Selon les saisons, le décor change, particulièrement valorisé à l’automne, par les couleurs des feuillages mais aussi par l’activité intense des vendangeurs. En dehors de l’été, l’attrait du vignoble en arrière-saison, permet de prolonger la fréquentation des routes du vin au-delà de la haute saison touristique, parfois à l’occasion des vendanges, auxquelles désormais, les touristes peuvent s’initier pour quelques heures ou une journée.

Un tourisme rural au-delà du terroir

En Europe, à l’origine, la visite des caves représentait un acte commercial, l’occasion d’acheter son vin à la propriété. Ce n’est que depuis une vingtaine d’années, que la visite des caves entre véritablement dans une activité touristique, autrement dit de loisirs. L’œnotourisme permet tout à la fois pour les producteurs, de mieux affronter les concurrences nouvelles sur les marchés nationaux et internationaux, d’initier les consommateurs les plus jeunes pour lesquels le vin n’est plus la boisson quotidienne des repas, et d’offrir aux consommateurs de nouvelles opportunités d’itinéraires touristiques. Aujourd’hui, il répond à de nouvelles demandes de la part des touristes eux-mêmes, curieux de découvertes, d’approches sensorielles multiples, d’expériences insolites. Si le mariage du vin et du tourisme fut mûrement réfléchi, longuement préparé, l’union de raison entre vin et tourisme, rencontre depuis le début du XXIème siècle un véritable succès, dans tous les vignobles, quelle que soit leur notoriété ou leur accessibilité. Depuis 2000, date de la création du cluster œnotourisme d’Atout France, Conseils nationaux et interprofessions du vin, offices du tourisme, comités départementaux ou régionaux du tourisme, se sont réunis, associés à des partenaires privés, pour diversifier l’offre des régions viticoles. Dix ans plus tard, l’on évoque un œnotourisme « revisité »5. Les routes des vins font place aux « Vignobles & Découvertes », label créé en 2010 sous l’égide d’Atout France. La traditionnelle route du vin s’élargit à un territoire de taille partout comparable, non exclusivement viticole, intégrant ou non une partie ou non, de route des vins, ces dernières pouvant être subdivisées en plusieurs « Vignobles & Découvertes » ou n’en représenter qu’un.

Ainsi, si généralement la visite des vignobles reste le fait d’amateurs, voire de bons connaisseurs de vins, certains touristes ne sont pas consommateurs de vin, mais recherchent simplement de « beaux paysages », des campagnes vivantes, loin des tumultes urbains ou balnéaires, l’occasion de se mettre au vert tout en se cultivant, des expériences nouvelles. Les « Vignobles & Découvertes » valorisent l’ensemble des patrimoines architecturaux, les sociétés de loisirs, d’hébergement ou de restauration, liées ou non au monde du vin, appartenant à une même destination touristique. En Espagne, le produit touristique « Rutas del vino de España », propose également de vivre « des expériences uniques » pour les voyageurs qui cherchent un nouveau concept de tourisme, basé sur la culture du vin6. L’œnotourisme s’ouvre à l’ensemble des prestataires touristiques d’une même région. Le vin n’est plus qu’une proposition parmi d’autres, et s’intègre pleinement à l’offre culturelle régionale.

Dans ce cadre, l’œnotourisme est avant tout une activité de découverte d’un milieu, à la rencontre de sa population. Il offre l’occasion d’échanges humains, d’histoires et d’expériences originales à partager, d’un autre tourisme, convivial et personnalisé. L’accueil des touristes dans les vignobles, permet de sauvegarder une activité économique menacée par un fort exode rural, en consolidant le développement local par l’alliance de la viticulture et du tourisme, pour structurer et animer des territoires fragiles ou en crise. Il devient un défi pour les vignerons indépendants des petites structures familiales. Ces derniers doivent apprendre à s’organiser pour recevoir, si possible s’initier à l’anglais, ouvrir à des horaires fixes, pour sauvegarder, voire améliorer, la qualité matérielle de leur accueil, en en faisant un moment de partage inoubliable7. En s’ouvrant au-delà des propriétés viticoles, les actions des Offices de tourisme sont relayées par des agences privées de plus en plus nombreuses et spécialisées dans l’accompagnement des touristes à travers les vignobles, (Illus. 1).

Illustration 1 : Répartition des membres du Cluster œnotourisme en 2016

Illustration 1 : Répartition des membres du Cluster œnotourisme en 2016

Un tourisme qui se professionnalise

Ces sociétés, depuis Paris, ou dans les principaux vignobles, se spécialisent dans l’organisation de voyages et d’évènements pour découvrir les vins, et favoriser les rencontres avec les acteurs locaux. Les prestations touristiques, initialement organisées presque exclusivement autour de la dégustation des vins de la cave, du château ou du domaine visité, offrent désormais des dégustations commentées autour des accords mets et vins, des stages de cuisine, des travaux pratiques à l’occasion des vendanges, des conférences dans des académies du vin, la visite de villages ou quartiers viticoles, de musées du vin.

A côté des voyages organisés pour des particuliers, l’offre s’oriente vers les séminaires, les activités de team building. La convivialité créée autour du vin, doit permettre de resserrer les liens des membres d’une équipe de professionnels. Le séminaire s’accompagne d’un temps de loisirs dans le vignoble devenu un vaste terrain de jeux, autour d’un rallye, d’une chasse au trésor, ou en cave pour créer sa propre cuvée! L’œnotourisme vise alors une offre d’exception, un tourisme haut de gamme, une offre « sur-mesure » qui garantit aux clients une véritable initiation de l’art de vivre à la française, une expérience inoubliable autour de moments « uniques », peut-être de « sublimer l’art de recevoir »8! Plus que la reconnaissance d’un terroir, l’Histoire du lieu, de la famille, doit susciter rêve et admiration, le storytelling doit provoquer plus tard le souvenir. Ces agences, aux noms souvent anglais, en France: « Wine Tours Booking », « The Bordeaux wine expérience », « Wine Passeport », « Prowinetour » … visent une clientèle internationale, avide de découvrir le passé du vieux monde du vin, les origines d’une activité ancestrale. Ces professionnels du tourisme du vin offrent des possibilités de visites de vignobles partout en Europe, en France, Espagne, Portugal, Italie, ou encore en Hongrie. De plus en plus, Atout France recherche une clientèle internationale et valorise les retombées des blogs des visiteurs étrangers, américains en particulier.

L’œnotourisme de la nouvelle planète des vins, un modèle à la croisée des deux mondes

Des références à l’histoire, récente mais omniprésente

Dans les vignobles récents, n’ayant pas la profondeur historique de ceux de la vieille Europe, les nouvelles sociétés vinicoles engendrent un nouveau patrimoine et mettent en avant les sagas familiales comme des histoires à raconter, pour comprendre l’essor du vignoble du Nouveau-Monde et faire, ici aussi, rêver les œnotouristes.

Le modèle le plus accompli, le plus ancien aussi, est celui des USA, particulièrement en Californie. Dans cette région de climat méditerranéen, la ruée vers l’or attira dès le XIXème siècle des colons français, allemands, italiens ayant une expérience viticole. Ils furent à l’origine de l’essor du vignoble jusqu’à la prohibition des années 1920. Les parcelles de vignes se concentrèrent à proximité de la route de Silverado dans la vallée de la Napa. C’est là, qu’à l’extrême fin du XXème siècle, que le nombre de wineries s’est fortement accru. La Napa Valley devint l’itinéraire principal du tourisme du vin des Etats-Unis, (Illu. 2). L’activité œnotouristique est ici aujourd’hui généralisée, indissociable de l’activité vinicole proprement dite. La Napa Valley a reçu en 2014 5,5 millions de visiteurs, 4,7 en 2005, dépensant chacun 389$ par jour (233,47$ en 2005)9.

Illustration 2 : Récente croissance du nombre de wineries aux USA, essor du winetourism

Illustration 2 : Récente croissance du nombre de wineries aux USA, essor du winetourism

La Napa valley, et plus modestement la Sonoma Valley voisine, sont devenues les modèles d’un tourisme du vin totalement intégré dès l’origine, à la construction des nouveaux chais, à une centaine de kms à l’ouest de San Fransisco. Robert Mondavi, fondateur de l’industrie américaine du vin, fut le premier conscient de l’enjeu économique que pouvait représenter le winetourism, tant pour développer ses ventes de vins, que pour les retombées économiques spécifiques pour le vignoble tout entier. Alors que le tourisme n’était pas une activité de la Napa valley, il souhaita faire de sa winery un modèle, il écrit: « Je souhaitais que ma winery modèle soit un lieu si agréable et accueillant qu’il attire des centaines de touristes par jour et les encourage à entrer et à déguster nos vins d’un style unique. […] Mon véritable but, en fait, n’était pas la vente; c’était de diffuser de bonnes critiques à propos de nos vins et de notre rêve plus grand encore pour les vins de la Napa Valley et de la Californie.10 » Véritable précurseur en matière de winetourism, en 1966, il choisit pour sa cave l’architecte Cliff May. Le nouvel édifice s’inscrit dans l’histoire des origines de la viticulture californienne. Il s’inspire du modèle des missions espagnoles catholiques du XVIIIème siècle, pour rappeler le rôle des moines franciscains qui introduisirent la vigne à partir des années 1770, pour disposer de vin de messe, (Illu.3).

Illustration 3 : La Robert Mondavi Winery (Cliché Sophie Lignon Darmaillac, Août 2015)

Illustration 3 : La Robert Mondavi Winery (Cliché Sophie Lignon Darmaillac, Août 2015)

Plus tard en 1979, il s’associe au Baron Philippe de Rothschild, propriétaire du château Mouton-Rotschild à Pauillac. Ensemble, ils fondent en 1980 une joint-venture, Opus-One, dans l’appellation d’Oakville. Leur vin est vinifié par l’œnologue de Mouton-Rothschild de l’époque, Lucien Sionneau, et le fils de Robert Mondavi, Timothy. Ensemble, ils cherchent à produire un vin californien à la hauteur des premiers crus classés de Bordeaux. En 1982 ils s’accordent sur le dessin de l’étiquette de leur vin, le profil conjugué de leurs silhouettes. La tête de Robert Mondavi à gauche, celle du baron Philippe de Rothschild à droite, en bas de l’étiquette, la signature de chacun. L’alliance des deux mondes viticoles est une nouvelle fois immortalisée. Elle construit une histoire commune, de part et d’autre de l’Atlantique. En choisissant un partenaire médocain, Robert Mondavi inscrit son vin dans la longue lignée des vins de qualité du vieux monde viticole. Inversement, le Baron Philippe de Rothschild se projette dans un nouveau modèle de développement économique dans lequel les propriétés viticoles s’ouvrent pour faire connaitre l’excellence de leur production, et engendrent un nouveau modèle de communication. Le nom choisi, Opus « One », traduit l’alliance qui produit un vin, un vin unique, né de deux traditions. L’histoire la plus récente, s’ancre dans la tradition la plus ancienne. Elle se révèle lors des visites des wineries, qui s’affichent à travers les architectures les plus diverses, symboles emblématiques de sociétés commerciales concurrentes, qui s’affichent dans le paysage, en revendiquant leur histoire, l’origine du fondateur (Winery Darioush inspirée d’un palais persan) ou leur réussite économique. Elles ne représentent plus comme en Europe un modèle architectural régional, des chartreuses girondines ou des mas provençaux, mais revendiquent l’expression d’architectes de renom, inspirations diverses au service de la notoriété des propriétés reconnues par leurs chais.

L’œnotourisme des winescapes emblématiques

Le vignoble californien, construit sur des traditions revendiquées de l’Ancien-Monde, introduit un nouveau paysage des territoires viticoles, le winescape11, ensemble d’éléments paysagers qui conjuguent autour de chais d’architectures contemporaines, des vignes parsemées d’œuvres d’art, des espaces toujours ouverts aux visites, aménagés pour faire vivre de multiples expériences autour du vin.

Dans cette perspective, en 1984, Robert Mondavi, le Baron Philippe de Rothschild et sa fille Philippine, décident d’engager l’architecte Scott Johnson, du cabinet Johnson, Fain & Pereira de Los Angeles, pour construire les locaux d’Opus One. Les travaux débutent en 1989 et sont inaugurés en 1991 par la Baronne Philippine et Robert Mondavi. L’édifice, « jaillit » du sol, en harmonie avec l’environnement des pentes douces du vignoble. Il épouse la forme conique des collines de la vallée. Il est en partie recouvert de vignes, associant végétal et minéral. Cette construction allie des caractéristiques de l’architecture classique du bordelais par la nature et la couleur de la pierre utilisée, le « limestone », calcaire ocre clair du Texas, d’une couleur proche de celle des châteaux girondins. Les oliviers en façade, rappellent le monde méditerranéen de la viticulture italienne. A l’inverse, la partie centrale, par sa forme, circulaire, éclairée de grandes baies et surmontée d’une terrasse panoramique, s’inscrit dans l’architecture contemporaine californienne, alliant verre et acier et séquoias de la région. L’édifice représente une nouvelle génération de chais, dont on retrouve la forme conique, semi-enterrée, ailleurs dans le Nouveau Monde, en Argentine (clos de los Siete), mais aussi dans la Rioja, en Toscane ou à Saint-Emilion, (Illu.4). Le chai se fond désormais dans son terroir, s’enterre sous les vignes, mais préserve en son sommet une salle, une terrasse panoramique pour déguster avec vue imprenable sur le vignoble!

Illustration 4 : Opus One, un emblème architectural de la Napa Valley

Illustration 4 : Opus One, un emblème architectural de la Napa Valley

Ce modèle d’architecture contemporaine, traduit donc tout à la fois un souci d’intégrer les chais à leur environnement naturel, mais aussi d’initier le visiteur à la connaissance du vin, comme d’un produit rare, précieux, à découvrir dans son écrin, en comprenant les exigences des procédés de vinification et en le dégustant respectueusement à travers un circuit touristique rationnellement aménagé au sein de la propriété. C’est en 1995 que pour la première fois les portes d’Opus One se sont ouvertes aux visiteurs. Le bâtiment a été conçu pour associer l’activité touristique et le travail lié à la production vinicole. A l’inverse des caves européennes, non adaptées à l’origine aux visites, ici, un salon permet au guide de prendre en charge le groupe de visiteurs qui l’attendent, confortablement installés. De là, quelques précisons sont apportées sur l’architecture et le vignoble de la société depuis la cour extérieure. Le circuit se poursuit, hors des chais, vers la mezzanine qui surplombe le cuvier. Par la rotonde, un escalier en colimaçon donne accès aux chais. L’on accède au grand chai par la salle de dégustation, circulaire et vitrée, pour laisser voir au mieux l’alignement des barriques qui de nouveau rappellent les fûts colorés de rouge, dans un simple désir esthétique. « Le Grand Chai », fait référence au Grand Chai du Château Mouton-Rothschild, tant par le nom que par la disposition des barriques. La visite met autant en valeur les techniques de vinification que la beauté du lieu. La dégustation du dernier millésime mis en vente termine la visite, généralement en accédant, si le temps le permet, à la terrasse panoramique du sommet de la tour centrale, pour admirer, verre à la main, les vignobles avoisinant. Les touristes, quand ils le souhaitent, repartent à leur rythme, par la boutique, la Partner’s room, passage obligé vers la sortie.

L’organisation très étudiée et bien rodée des visites traduit le sens donné par cette architecture à l’activité œnotouristique. Cette dernière est avant tout, ici comme dans l’ensemble des caves californiennes, centrée sur la dégustation. Le wine tasting est présent dans 100% des caves de la Sonoma vallée. Si certaines caves exigent une réservation pour les visiter, toutes permettent de venir déguster ou acheter du vin. Selon le prix, un verre ou plusieurs sont offerts, des premiers vins ou des vins plus courants. Sur la route des vins de la Napa Valley, les caves sont répertoriées par catégories, simplement « ouvertes au public », ou « ouvertes avec aires de pique-nique », ou « avec une architecture unique », parfois « avec aire de pique-nique et architecture unique ». Le winetourism s’organise comme un road movie, de cave en cave, en voiture particulière, avec ou sans chauffeur, ou par le train touristique qui le conduit de son hôtel ou de l’une des villes de la vallée vers différentes propriétés à visiter.

Conclusion, Œnotourisme et winetourism, deux cultures du vin ?

Les grandes orientations de l’œnotourisme actuel se conjuguent sous l’effet des influences des deux mondes. L’Europe confère au tourisme du vin une dimension culturelle, revendique les vignobles comme patrimoines, l’Amérique, du Nord comme du Sud, insiste sur l’organisation rationnelle de chaque winery ou bodega argentine ou chilienne. Ces dernières se sont inspirées de l’Ancien monde, par des références architecturales ou paysagères, parfois par le rappel des origines européennes de leur fondateur, par l’art de conjuguer mets et vins. A l’inverse, l’architecture contemporaine des architectes de renom international, inspire les plus grandes sociétés viticoles du monde méditerranéen, et au-delà, leurs musées. La Cité du vin, inaugurée en juin 2016 à Bordeaux, revendique cette universalité du vin, tant par son architecture que par l’offre de ses expositions, (Illus.5).

Illustration 5 : Cité du vin, nouvel emblème de l’œnotourisme mondialisé

Illustration 5 : Cité du vin, nouvel emblème de l’œnotourisme mondialisé

Construite pour recevoir 450 000 visiteurs par an, plus qu’un musée, elle espère devenir la porte d’entrée des vignobles girondins, des vignobles français plus largement, un pôle œnotouristique national, au service des grands vignobles européens. Elle offre un parcours initiatique pour reconnaitre les civilisations du vin depuis l’Antiquité, puis invite à déguster des vins du monde entier dans sa salle panoramique du dernier étage. Elle s’inspire donc des circuits touristiques les mieux organisés des caves du Nouveau ou de l’Ancien Monde. Le parcours débute dans l’obscurité des premières salles, propose de s’attabler à son restaurant le « 7 », (7ème étage), pour déguster vins et produits du terroir, puis s’achève à la lumière de la salle panoramique dédiée à la dégustation avec vue imprenable, non sur les vignes, mais sur le port de la lune et sa ville. Tel un chai qui propose la découverte des processus de vinification puis invite à arpenter les vignes de la propriété, la Cité du vin expose l’évolution des procédés de vinification au fil du temps, initie à l’analyse sensorielle, olfactive ou visuelle, puis propose de s’embarquer hors de ses murs, vers les propriétés des appellations qui bordent la Gironde. Inspirée des grandes œuvres architecturales de Sidney ou de Bilbao, les architectes de l’agence XTU, Anouk Legendre et Nicolas Desmazières, ont imaginé un lieu empreint de symboles identitaires: cep noueux de la vigne, rotation du verre pour analyser la robe du vin, remous et couleurs de la Garonne. L’architecture évoque le vin dans son universalité tout autant que le terroir bordelais marqué par le fleuve, ses graves, et le marché anglais du temps d’Aliénor d’Aquitaine. Pareille réalisation est le fruit de l’investissement, non pas d’une unique famille comme pour nombre de propriétés, mais de plusieurs mécènes, bordelais en grand nombre, mais également de partenariats internationaux, européens (autrichiens, moldaves, espagnols, allemands, croates, grecs, italiens, arméniens, russes, libanais, slovaques ou suisses) ou de vignobles du Nouveau Monde, (Sud-africains, mexicains, argentins), les « American Friends of La Cité du Vin » figurant comme mécènes, bâtisseurs d’honneur. Les grandes orientations de l’œnotourisme contemporain semblent ainsi inviter à un vaste parcours mondialisé, qui par la découverte touristique des vignobles de par le monde, soutient l’évolution de la consommation de vin, bien au-delà des vignobles européens, vers l’Amérique ou l’Asie.

Notes

1 Olivier Jacquet, Gilles Laferté, La route des vins et l’émergence dun tourisme viticole en Bourgogne dans lentre-deux-guerres, Cahiers de Géographie du Québec. Revue internationale de géographie humaine, Volume 57, N° 162, université de Laval, décembre 2013/janvier 2014, p. 425-444. Return to text

2 Atout France, Tourisme et vin, Les clientèles françaises et internationales, les concurrents de la France. comment rester compétitif? coll. Marketing touristique, Paris, oct. 2010. Return to text

3 Sophie Lignon-Darmaillac, Les terroirs viticoles, quels enjeux pour l’œnotourisme?, sous la Dir. de JR Pitte, Le bon vin, entre terroir, savoir-faire et savoir boire. Actualité de la pensée de Roger Dion, éd CNRS, Paris, 2010, pp.331-338. Return to text

4 Jocelyne Pérard et Maryvonne Perrot (dir.), Rencontres du Clos-Vougeot 2009- Paysages et patrimoines viticoles, Dijon, Centre Georges Chevrier, 2010. Return to text

5 Bordeaux Wine Tours, http://www.bordeauxwinetrails.com/fr/, consulté le 29 juin 2016 Return to text

6 Routes du vin d’Espagne, site http://www.wineroutesofspain.com/ver/2711/El-Club-de-Producto-Rutas-del-Vino-de-España.html, consulté le 29 juin 2016 Return to text

7 L’œnotourisme, eldorado ou parcours du combattant? Thème des Rencontres nationales des Vignerons indépendants de France, Servian, avril 2014. Return to text

8 Champagne Connection, http://www.champagne-connection.com, consulté le 29 juin 2016 Return to text

9 visit Napa Valley, 2015 Year-End report &2016 Overview, 15 décembre 2015, p9, consulté sur le site, 12-15-15 9K Visit Napa Valley, le 30 juin 2016. Return to text

10 Mondavi Robert), Harvests of Joy: How The Good Life Became Great Business, Harcourt Inc. 1999. Extrait des pages 60-61. “And there was little tourism in the Napa Valley. […] I wanted my showcase winery to be so lovely and welcoming that it would attract hundreds of tourists daily and entice them to drive in and taste our unique style of wines. […] My real aim, though, was not sales; it was to spread the word about our wines and about our larger dreams for the Napa Valley and California wines.” Return to text

11 Gravari-Barbas Maria, Winescapes: Tourisme et artialisation, entre le local et le global, Cultur année 8, N°3, Octobre 2014, pp 238-245, www.uesc.br/revistas/culturaeturismo, Return to text

Illustrations

References

Electronic reference

Sophie Lignon-Darmaillac, « Les grandes orientations de l’œnotourisme: modèles européens, modèles californiens. », Territoires du vin [Online], 8 | 2018, 01 February 2018 and connection on 21 November 2024. Copyright : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/index.php?id=1336

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Sophie Lignon-Darmaillac

Université Paris-Sorbonne, ENeC, UMR 8185

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