Le Chenin : origines, caractéristiques et variations

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Texte

Nom, étymologie, synonymie et homonymie

Le nom de Chenin a bien sûr été cité, et semble-t-il pour la première fois, en 1534, par François Rabelais dans son oeuvre : La vie très horrifique du grand Gargantua père de Pantagruel, jadis composée par M. Alcofribas, abstracteur de quinte essence, Livre plein de pantagruélisme, où l’on trouve cette phrase (Livre I, Chapitre XXV) : « Et, avec gros raisins chenins, estuverent les jambes de Forgier mignonnement, si bien qu’il fut tantost guery »1.

Ce nom viendrait du clos de Montchenin2, près de Cormery, où ce cépage aurait été introduit, cultivé et remarqué. De nombreux synonymes existent pour cette variété en relation avec les différentes régions et les pays où il a été propagé3. Parmi ceux-ci, on peut signaler les noms de : Anjou, Plant d’Anjou, Pineau de la Loire, Gros Pineau en Val de Loire, Bon Blanc, Franche en Charente-Maritime, Rouchalin en Gironde, Rougelin dans le Lot, Capbreton blanc, Cruchinet, Tite de crabe dans les Landes, Pineau blanc dans l’Aveyron, et à l’étranger, Agudelo, Agudillo en Galice, Steen en Afrique du Sud.

Le principal homonyme pouvant prêter à confusion correspond en fait à un synonyme malencontreux du Pineau d’Aunis, cépage tout à fait différent, sans lien génétique particulier avec le Chenin et qui est parfois dénommé à tort Chenin noir4 alors qu’il ne s’agit en aucun cas de la forme noire du Chenin.

Historique, origine et descendance

Certains auteurs feraient remonter l’antériorité de ce cépage au XIème5, Xème6 et même au VIème siècle7. Cependant, même si la présence de la vigne semble bien attestée dès ces époques-là dans la région du Layon et en Anjou, rien ne permet d’affirmer avec certitude qu’il s’agissait alors déjà du Chenin.

Les résultats des analyses moléculaires et génétiques ne permettent malheureusement pas de dater son apparition mais montrent maintenant clairement que le Chenin est un descendant (un semis) du Savagnin8. Cela permet d’avoir un éclairage nouveau sur les hypothèses émises quant à son origine et sa découverte9. A cet égard, il est fait état qu’au début du XVIème siècle des efforts sont entrepris pour améliorer la qualité des vins par Thomas Bohier au château de Chenonceau, suivi peu de temps après par son beaufrère Denis Briçonnet, Abbé de Cormery, au manoir du Montchenin sur les pentes de l’Echandon, en essayant d’acclimater des cépages réputés venant de toute la France et notamment d’Anjou, d’Orléans, de Beaune et d’Arbois. Ce type de démarche s’est semble-t-il développé sous le règne de François 1er et il est probable qu’on ait eu recours à cette époque-là, non seulement à des boutures mais aussi à des semis de pépins. C’est donc sans doute ainsi que ce cépage a fait son apparition, provenant vraisemblablement d’un pépin récolté près d’Arbois, et qu’il a ensuite été rapidement repéré par sa bonne adaptation et son aptitude à donner des vins de grande qualité.

Par ailleurs, en tant que descendant du Savagnin qui a été un géniteur très important10, le Chenin possède de nombreux demi-frères, comme par exemple le Sauvignon ou encore le Verdelho de Madère dont les proximités avaient d’ailleurs été remarquées il y a déjà longtemps grâce à la perspicacité des vignerons.

De même, au cours du temps, et notamment par des croisements spontanés avec le Gouais, le Chenin a lui aussi donné naissance à quelques autres variétés, en particulier le Colombard11. En Afrique du Sud il a également été utilisé dans des programmes de création variétale par le Pr. Orffer qui l’a hybridé avec l’Ugni blanc pour donner le Chenel et le Weldra, et avec le Crouchen pour obtenir le Therona12.

Importance, diffusion, superficies en France et dans le monde

En France, le Chenin a vu ses surfaces se réduire de façon importante entre 1960 et 1980 (moins 7 000 ha), en relation avec la crise des vins moelleux et liquoreux. Depuis, elles sont à peu près stables13 (9 728 ha en 2013, 16ème rang des variétés). Il fait partie de l’encépagement de 35 AOP, du Val de Loire bien sûr, mais aussi de Dordogne, de la Vallée de la Garonne, des Landes, de l’Aveyron et du Languedoc14. Selon les appellations, il peut être utilisé seul en mono-cépage, soit comme cépage principal, soit encore comme simple cépage accessoire ou complémentaire. Ces AOP concernent des vins tranquilles, secs, moelleux ou liquoreux mais aussi des vins effervescents.

Au niveau international, les surfaces en Chenin sont également en régression ces dernières années dans la plupart des pays où il est cultivé. En Europe, le Chenin est inscrit aux Catalogues des pays suivants : Belgique, Bulgarie, Chypre, Espagne, Italie, Malte, Portugal et République Tchèque mais il est cependant peu cultivé dans ces pays et c’est l’Afrique du Sud qui reste de loin, le leader mondial15 avec 17 890 ha en 201316. Au total, on peut estimer à 37 000 ha les surfaces plantées actuellement en Chenin dans le monde contre environ 65 000 ha en 1990.

Description ampélographique et couleur des baies

L’identification du Chenin fait appel17 :

- à l'extrémité du jeune rameau qui présente une très forte densité de poils couchés,

- aux jeunes feuilles à plages bronzées,

- aux feuilles adultes à trois ou cinq lobes, avec un sinus pétiolaire ouvert à peu ouvert ou à lobes légèrement chevauchants, des dents moyennes à côtés convexes, une forte pigmentation anthocyanique des nervures, un limbe bullé, de couleur vert foncé, et face inférieure, une densité moyenne des poils couchés,

- aux fleurs qui sont hermaphrodites,

- aux baies qui sont de forme elliptique avec présence de pépins.

Le Chenin est un cépage à baies « blanches » et d’ailleurs, il assez souvent dénommé « Chenin blanc » à l’étranger. Cependant il existe également une mutation à baies roses qui a été sélectionnée en Afrique du Sud ; son intérêt mériterait d’être précisé.

Phénologie et exigences climatiques

Epoque de débourrement : 1 jour avant le Chasselas.

Epoque de floraison : 1 jour après le Chasselas

Epoque de véraison : 2 semaines et demie à 3 semaines après le Chasselas.

Epoque de maturité : 3 semaines à 3 semaines et demie après le Chasselas18.

Le Chenin se caractérise ainsi par un débourrement précoce qui le rend sensible aux gelées de printemps, et un cycle relativement long avec un indice héliothermique variétal (date de débourrement - date de récolte) de 1895. Il est ainsi à noter qu’après une gelée de printemps, les bourgeons secondaires qui peuvent redémarrer sont alors peu fertiles.

Au niveau de la végétation et de la physiologie, le Chenin montre de très bonnes capacités d’adaptation à des conditions climatiques chaudes, tropicales ou équatoriales ce qui laisse entrevoir un possible développement de ce cépage dans ces types de régions. En revanche sa grande sensibilité à la pourriture doit être prise en considération et au niveau des raisins, il se montre également assez sensible au grillage ou à l’échaudage. L’effeuillage doit donc être pratiqué avec précaution et le choix des modes de conduites raisonnés en conséquence.

Aptitudes culturales et agronomiques

Le Chenin est un cépage de vigueur moyenne à forte. Ses rameaux ont un port demi-érigé à érigé avec un diamètre moyen et des entrenoeuds assez courts.

Un épamprage est bien souvent utile ou nécessaire au printemps ou au début de l’été, pour équilibrer la végétation, favoriser l’aération, améliorer le microclimat des baies et faciliter la taille hivernale de l’année suivante.

Le Chenin est un cépage fertile, qui peut être taillé court (et conduit en gobelet par exemple) ou avec un long bois (Guyot simple par exemple) et dont le potentiel de production dépend énormément des conditions de culture et de la fertilité agronomique des sols où il est implanté. En conditions vigoureuses le Chenin peut produire des grapillons en quantité relativement importante et il peut aussi être sujet au dessèchement de la rafle. Au niveau des porte-greffes, les plus utilisés sont par ordre décroissant le Riparia Gloire deMontpellier, le SO4, le Gravesac, le 101-14 MGT et le Fercal19. Des problèmes d’affinité ont parfois été signalés avec le 3309 C et ce porte-greffe n’est pratiquement plus utilisé aujourd’hui avec le Chenin.

Sensibilités aux maladies et aux ravageurs

Le Chenin est particulièrement sensible à la pourriture grise, à la pourriture acide, à l'oïdium et aux maladies du bois (eutypiose, esca,…). Il est également sensible à l’excoriose, aux broussins et aux vers de la grappe. En revanche il est moins touché par le mildiou, le black rot et l'anthracnose.

Caractéristiques des raisins et des vins

Les grappes de Chenin sont moyennes à grosses, coniques, parfois ailées (avec un ou deux ailerons) et elles peuvent être très compactes. Les baies sont petites à moyennes.

Le Chenin peut donner selon les types de sols (calcaires vs. schistes par exemple), leur fertilité agronomique et les conditions de culture, soit des vins effervescents, soit des vins secs, soit des vins liquoreux.

Le potentiel d'acidité du Chenin est important ce qui en fait une de ses caractéristiques principales. Les produits obtenus sont élégants, généralement assez vifs, nerveux, avec la présence possible d’arômes floraux (acacia, aubépine, tilleul, …), fruités (coing, mirabelle, agrumes, goyave, …), et de miel.

Variation clonale et travaux de sélection

Il existe chez ce cépage un polymorphisme clonal20 assez remarquable et portant sur la villosité (« Chenin à poils laineux »), la découpure des feuilles adultes, la pigmentation anthocyanique des nervures et des rameaux, la vigueur, la fertilité, la précocité, la forme, la compacité et la taille des grappes et la forme des baies pouvant être parfois très allongée, ovoïde, pointue (« Tite de crabe »).

Pour rassembler et préserver cette diversité, un conservatoire a été installé en 3 tranches successives à Montreuil-Bellay en complément des 54 accessions conservées aujourd’hui par l’IFV au Domaine de l’Espiguette sur les 296 introduites depuis 1963, et des 24 accessions présentes dans la collection du Domaine de Vassal (INRA)21.

La première tranche du conservatoire a été implantée en 1983-1984 par M. Remoué et son équipe (INRA) suite à des prospections réalisées dans le département de Maine-et-Loire (secteurs de Puy-Notre-Dame, Saint-Aubin-de-Luigné, Concourson-sur-Layon, Pommeraye et Martigné-Briand). La deuxième tranche a été plantée en 1990 suite à des prospections dans le vignoble d’Indre-et-Loire et plus particulièrement dans les secteurs de Vouvray, Montlouis, Vernou-sur-Brenne et Savigny-en-Véron. Enfin la troisième tranche est venue se rajouter en 1998 suite à des prospections réalisées par l’ATAV Val de Loire (intégrée depuis au sein de l’IFV Pôle Val de Loire - Centre) dans de très vieilles vignes de la moyenne vallée de la Loire. Le conservatoire compte aujourd’hui quelques 300 accessions différentes. Entre 1999 et 2002, un premier suivi a permis la pré-sélection de 12 accessions qui ont été mises en collections d’étude sur 3 parcelles bien différentiées (unités de terroirs, méso-climats, pratiques culturales, porte-greffes). Les critères visés étaient la précocité de cycle, la qualité de la baie et des rendements faibles à moyens. A l’issue de 6 années d’expérimentation, 4 nouveaux clones ont été agréés par le CTPS en décembre 2014, qui viennent compléter la gamme des 8 clones sélectionnés précédemment : n° 220 (le plus ancien – 1973 - et le plus diffusé, polyvalent, équilibré, de bonne qualité), 278, 416, 417, 624 (clones plus productifs), 880, 982 (adaptés à la production de vins secs), 1018 (très précoce, peu productif, bonne aptitude à la sur-maturation). Il s’agit des clones :

- 1206, adapté à la production de vins liquoreux avec une bonne richesse en sucre, moins productif et apprécié en dégustation ;

- 1207 : précoce, adapté à la production de vins liquoreux, avec une bonne richesse en sucre, moins productif et donnant les meilleurs résultats en dégustation des vins liquoreux ;

- 1208 : précoce, adapté à la production de vins secs avec une bonne richesse en sucre, moins productif et donnant les meilleurs résultats en dégustation des vins secs ;

- 1209 : tardif, adapté à la production de vins blancs secs avec une richesse en sucre plus faible, une acidité élevée et apprécié en dégustation lors des années précoces.

Ce conservatoire représente aujourd’hui un réservoir extrêmement intéressant et important pour l’avenir. C’est un outil unique pour progresser dans la connaissance de ce remarquable cépage de terroir et de savoir-faire vigneron qu’est le Chenin. Il faut absolument continuer à le compléter, l’entretenir, l’étudier et le valoriser.

Notes

1 Moland L., François Rabelais : tout ce qui existe de ses oeuvres, Gargantua - Pantagruel, Garnier Frères Libraires Editeurs, Paris, 1884, 766 p. Retour au texte

2 Rousseau R., Wagret P., le Theule J., « Deux monographies du vignoble français », In Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 9e année,2, 1954, p. 165-188. Et Rézeau P., Dictionnaire des noms de cépages de France, CNRS Editions, 2014, 420 p Retour au texte

3 Galet P., Dictionnaire encyclopédique des cépages, Hachette, 2000, 936 p. ; http://bioweb.ensam.inra.fr/collections_vigne/ ; Robinson J., Harding J., Vouillamoz J., Wine grapes, Allen Lane, Penguin Books, 2012, p.236-239 et Artozoul J.P., et al., « Synonymie ampélographique de l’Ouest viticole français », Annales de l’INRA, Paris, 1960, 73 p. Retour au texte

4 Bisson J., « Les Messiles, groupe ampélographique de la vallée de la Loire », Connaissance de la Vigne et du Vin, 3, 1989, p. 175-191. Retour au texte

5 Le Mené M., « Le vignoble angevin à la fin du Moyen Âge : étude de rentabilité », Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, 2e congrès, Le vin au moyen âge : production et producteurs, Grenoble, 1971, p. 81-99. Retour au texte

6 Rousseau R., Wagret P., le Theule J., « Deux monographies du vignoble français », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 9e année,2, 1954, p. 165-188. Retour au texte

7 Rousselle-Touchard M., « Viticulture et agriculture de six communes de la Vallée du Layon », Norois, 44, 1964, p. 460-463. Retour au texte

8 Lacombe T. et al., “Large-scale parentage analysis in an extended set of grapevine cultivars (Vitis vinifera L.)”, Theoretical and Applied Genetics, 126, 2013, p. 401-414. Retour au texte

9 Bouchard A., “Chenin blanc”, Ampélographie, Viala P. et Vermorel V., Tome II, 1901, p. 83-94. et Abbé Chevalier C., Archives royales de Chenonceau, pièces historiques relatives à la Chastellenie de Chenonceau, J. Techener Libraire, Paris, 1864, 395 p. Retour au texte

10 Boursiquot J.M., « Le Savagnin blanc », Le Château-Chalon, un vin, son terroir et ses hommes, Ed. Mêta Jura, 2014, 272 p. Retour au texte

11 Lacombe T. et al., Op. Cit. Retour au texte

12 Goussard P.G., Grape cultivars for wine production in South Africa, Cheviot Publishing, 2008,155 p. Retour au texte

13 http://plantgrape.plantnet-project.org/ Retour au texte

14 http://www.vignes-vins.fr/index.html Retour au texte

15 Loubser F.H., Chenin blanc table wines in South Africa Cape, Wine Master Diploma, 2008, 86 p. Retour au texte

16 http://www.sawis.co.za/info/download/Engels_2014.pdf Retour au texte

17 http://plantgrape.plantnet-project.org/ Retour au texte

18 http://bioweb.ensam.inra.fr/collections_vigne/ Retour au texte

19 FranceAgriMer, Données et bilan vin - Les chiffres de la pépinière viticole 2013, FranceAgriMer publication, 2014, 98 p. Retour au texte

20 Guillot R., « Cépages du Val de Loire », Progrès Agricole et Viticole, 90,5, 1973, p. 100-109. Retour au texte

21 http://bioweb.ensam.inra.fr/collections_vigne/ Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Jean-Michel Boursiquot et Virginie Grondain, « Le Chenin : origines, caractéristiques et variations », Territoires du vin [En ligne], 7 | 2016, publié le 01 janvier 2016 et consulté le 22 novembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/index.php?id=842

Auteurs

Jean-Michel Boursiquot

Montpellier SupAgro, Institut des Hautes Etudes de la Vigne et du vin UMR AGAP, Equipe Diversité, adaptation et amélioration de la vigne UMT Géno-Vigne®

Virginie Grondain

Institut Français de la Vigne et du Vin - Pôle Val de Loire – Centre

Droits d'auteur

Licence CC BY 4.0