Traduction en français de l’article : Maria Teresa Martin Bertrand (Agrégé d’Espagnol), Catalina Martín Calzada et Joël Brémond (Professeur à l’Université de Nantes)
Le rivage et les rivages : un dynamisme contrasté et inégal
La Ribera du Duero est un secteur viticole qui recouvre les provinces de Soria, Burgos, Segovia et Valladolid. Formée par une bande de terrain de dimensions réduites, sur les deux rives du Duero, sur 110 km de longueur et 20 à 30 km de large, elle coïncide avec la cuvette allongée que la rivière a creusée sur les plaines des hautes plates-formes calcaires dans le tronçon oriental et la plaine du bassin. Sa reconnaissance comme terre de grands vins est très récente, malgré un ancrage historique long. Ainsi, si quelques rares caves sont très anciennes, la plupart d’entre-elles ont été fondé il y a moins d’ ¼ de siècle, au moment de l’explosion du marché vitivinicole international.
La Ribera del Duero, contrairement à ce que l’on pourrait penser, n'est pas étendu sur toute la Vallée du Duero, ont été capables de créer un terroir des vignes et vins de qualité mondiale. C'est le cas des terres assignées à l’Appellation d'Origine Contrôlé (A.O.C.) Ribera del Duero, entre San Esteban de Gormaz, à l’est, et Olivares de Duero, à l'ouest, bien que la conjoncture actuelle touche aussi favorablement les vins de Toro, et secondairement, ceux de Cigales et Los Arribes. N’oublions pas non plus l'extension croissante et la consolidation des vins blancs de Rueda, situés dans les campagnes méridionales, en grande partie déjà hors de la vallée.
Ce qui distingue la Vallée du Duero des autres territoires viticoles cités, c'est l'importance passée, présente et future de ses vins. Le Duero a été et est une terre de vignes et de vins, depuis les plaines de Soria jusqu'à l'embouchure du fleuve à Porto. Avec plus ou moins d’ancienneté et de densité, le vignoble a toujours dominé les terres du Duero. Malgré quelques phases historiques moins favorables et, entre autres, le moment de l'exode rural intense des années 1960, moment de réduction des surfaces complantées, le vignoble croit de nouveau aujourd'hui avec succès, comme en soulignent l'extension et l'expansion des six A.O.C. représentées et délimitées dans les tableaux 1 et 2.
Tableau 1. Distribution et proportion du vignoble et de la surface irriguée dans les communes avec A.O.C. de vin dans la Vallée du Duero en 1985 et 2007
Surface total des communes 2007 (ha) | Surface total du vignoble pour vin en 2007 (ha) | Surface total de vignoble pour vin en 1985 (ha) | % de variation 1985 à 2007. Vignoble | Hectares irriguées en 2007 | Hectares irriguées en 1985 | % de variation 1985 à 2007. Surface irriguée | % de vignoble sur la surface total en 2007 | |
A.O.C. Arribes | 170 828 | 3 308 | 5 773 | -42,7 | 134 | 223 | -39,9 | 1,9 |
A.O.C. Tierra del Vino | 192 466 | 3 924 | 4 448 | -11,8 | 25 294 | 19 664 | 28,6 | 2,0 |
A.O.C. Toro | 70 844 | 5 808 | 4 342 | 33,8 | 17 173 | 9 830 | 74,7 | 8,2 |
A.O.C. Cigales | 75 465 | 3 455 | 2 551 | 35,4 | 7 578 | 10 071 | -24,8 | 4,6 |
A.O.C. Rueda | 288 359 | 10 242 | 7 343 | 39,5 | 58 072 | 37 701 | 54,0 | 3,6 |
A.O.C. Ribera del Duero | 324 910 | 20 612 | 12 056 | 71,0 | 22 643 | 24 162 | -6,3 | 6,3 |
TOTAL GÉNÉRAL | 1 122 872 | 47 349 | 36 513 | 29,7 | 130 894 | 101 651 | 28,8 | 4,2 |
Source: MAPA et Consejería de Agricultura de la Junta de Castilla y León: Documentos 1-T sobre Distribución de Cultivos y Aprovechamientos por municipio, en los años respectivos (Données sur la Distribution de Cultures par commune dans les années respectives)
La Ribera del Duero, dans un sens strict, correspond au secteur le plus oriental de la Vallée, secteur qui depuis des siècles est connu comme La Ribera. C'est une dépression excavée par le Duero et son réseau d'affluents sur la surface des páramos (plates-formes calcaires), qui culminent à une altitude d’environ 900 m à l'ouest et de 1.000 m à l'est, en s’enfonçant la vallée de 150 à 200 mètres en contrebas. Il s'agit donc d'une étroite frange de terres qui, élargie aux environs de Aranda et de Roa, se rétrécis en aval, pour s’élargir de nouveau à partir de Sardón de Duero, déjà hors de l’A.O.C., surtout près de Tudela, où la rivière s’écoule large et ouverte dans la vallée et les champs du centre-ouest de Valladolid (Voir carte figure 3)
Dans l'ensemble, la Vallée du Duero s’étend sur 300 km, dont seulement 110 km correspondent à l’A.O.C. (figure 2). À l'est il reste encore un tronçon de vallée dans la plaine, mais peu apte à la viticulture en raison de son altitude élevée. Dans La Ribera et vers l'ouest la, vallée est constituée de terres en pente douce, principalement d'origine sédimentaire, érodées par des rivières faiblement encaissées. Seul exception, le tronçon final, où le Duero arrive sur des pénéplaines granitiques, à l'ouest de la ville de Zamora. En ce lieu, il suit des gorges étroites et profondes. A l'ouest de Zamora, disparaissent les plaines sédimentaires agricoles. Elles sont remplacées par les pénéplaines constituées de roches résistantes et de sols délabrés ou prédomine l’élevage.
En tant que vallée agricole, celle du Duero a toujours favorisée la production viticole, complétée par des surfaces consacrées aux cultures arrosées qui, à quelques endroits, comme dans l'actuelle Terre du Vin (Tierra del Vino) de Zamora ou dans les vallées de l'est de San Esteban de Gormaz, dépassent en valeur le vignoble (Tableau 1). Au contraire, La Ribera del Duero est avant tout connue aujourd'hui pour ses vins, sa gastronomie qui l’accompagne (comme par exemple l'agneau de lait rôti), son riche patrimoine civil.
L'objet de ce travail se centre sur La Ribera proprement dite, délimitée par l’ A. O. C.. Cet espace singulier s’est en effet érigée en secteur icone du développement rural, partant d'une situation initiale - il y a seulement un quart de siècle - de décroissances démographique et économique et dont le paysage s’est complètement modifié.
Ce paysage brille surtout par la valeur expansive et explosive du vignoble. Comme on peut voir dans le tableau 1, La Ribera a augmenté sa surface viticole de 70% depuis l'entrée dans l'ancienne CEE jusqu'à 2007, jusqu’à doubler, en 2009 sa surface d'autrefois (le vignoble est sans doute plus étendu d’ailleurs que ne l’estiment les statistiques officielles actuelles). Ni les A.O.C. voisines de Rueda, de Toro ou de Cigales, avec des croissances aussi spectaculaires, n’atteignent la valeur remarquable des vignobles riverains. Un phénomène expansif d'une telle nature a profondément changé l'image traditionnelle de ces terres. La Ribera d'aujourd'hui base son économie, son dynamisme, son élan vital et son paysage sur la vigne et le vin, axe de sa vie, de ses terres et de ses gens.
En effet, le panorama désolant laissé par l'exode rural avait mis la vigne en marge et le vin avait été laissé dans les caves coopératives, gérées sans ambitions, orientées vers une production de vins de table qui n'attiraient que des viticulteurs en déclin. Cette situation, s’est aggravée avant la reconnaissance de l’A.O.C. en 1982. Furent ainsi vendus les bâtiments de quelques caves coopératives quant d’autres fermèrent totalement. Cependant, avec l’augmentation niveau de vie des espagnols et des exportations à l'étranger des mutations autrefois inimaginables eurent lieu.
Ainsi, après l'approbation de l’A.O.C. Rueda en 1980 et celle de La Ribera deux années plus tard, sont apparues et ont été approuvées celle de Toro (1987), Cigales (1991), Los Arribes (2007) et Terre du Vin de Zamora (2007). Dans ce processus La Ribera a été érigé comme appellation phare des grandes régions de production de vins rouges du monde. La croissance spectaculaire du nombre de caves (de environ 100 en 1996 à 244 en 2007 et jusqu’à 256 en novembre 2009), reflète clairement ce progrès. La valeur de ses vins a attiré des capitaux régionaux, nationaux et internationaux, des investissements d’artistes et de célébrités espagnols, d’entrepreneurs renommés de Rioja et de Catalogne, en passant par des multinationales comme Novartis (Pharmaceutique) ou d'autres secteurs. Furent ainsi en construites des installations spectaculaires. Apparu également un nouveau paysage de caves et vignobles intégrés, avec ses lignes régulières, avec de grandes parcelles et la construction de pressoirs, l’achat massif de fûts, et le développement de bâtiments annexes destinés à l'exploitation touristique du vin (figure 4)
Ainsi, malgré, la surproduction mondiale, les investissements continuent et restent possibles en raison de la translation des droits de replantation depuis d'autres régions de l'Espagne, de l’attraction des vins de la Ribera, dont le prix de vente, selon les Données Alimentaire de la Ministère de l’ Agriculture, dépasse ceux de La Rioja ou ceux de d'autres secteurs viticoles réputés, tant pour les vins jeunes que pour ceux d’élevages prolongés. Nombre de caves ne cesse donc de croître et même temps que la surface de vignes (cf. tableau 2). Le même phénomène affecte Rueda, Toro et les autres vignobles proches de La Ribera.
Ainsi, la surface en AOC de la vallée s’approche de 40.000 ha, quand il y a trois décennies elle n’atteignait pas la moitié, sachant qu’en raison de vignes trop jeunes ou du manque d’ambition de certains propriétaires, encore 16% du vignoble des communes ayant droit à l’AOC n’ont pas encore intégré ces appellations respectives (Tableau 2).
Tableau 2. Vignoble et caves dans les A.O.C. de la Vallée du Duero en 2007
Surface total des communes 2007 | Surface total du vignoble pour vin en 2007 (ha) | % du vignoble de Castilla y León | Hectares accueillies à l'A.O.C..en 2009 | Année de création de l'A.O.C | Nombre de viticulteurs accueillis | Nombre de caves accueillies | |
A.O.C. Tierra del Vino | 192 466 | 3 924 | 5,5 | 800 | 2007 | 250 | 7 |
A.O.C. Arribes | 170 828 | 3 308 | 4,6 | 750 | 2007 | 630 | 21 |
A.O.C. Cigales | 75 465 | 3 455 | 4,8 | 2 680 | 1991 | 594 | 39 |
A.O.C. Toro | 70 844 | 5 808 | 8,1 | 5 500 | 1987 | 1 200 | 48 |
A.O.C. Ribera del Duero* | 324 910 | 20 612 | 28,7 | 21 000 | 1982 | 8 375 | 244 |
A.O.C. Rueda | 288 359 | 10 242 | 14,3 | 9 011 | 1980 | 1 360 | 53 |
Total général | 1 122 872 | 47 349 | 65,9 | 39 741 | -- | 12 409 | 412 |
*Les chiffres d'hectares de vignoble pour vin procèdent des documents 1-T de 2007, par ce qu'ils n'arrivent pas aux 21.000 ha accueillies à l'A.O.C. en 2009
Source: Consejería de Agricultura de la Junta de Castilla y León: Documentos 1-T sobre Distribución de Cultivos y Aprovechamientos por municipio; http://cyl.nortecastilla.es/vinosybodegas/ (web de Javier Pérez Andrés); webs des A.O.C.s
En dehors de l'important accroissement de la surface viticole, l’observateur retiendra surtout le développement des nouvelles caves construites dans le style des « châteaux » français, ceinturées de vignes et reconfigurant le vieux parcellaire fragmenté et dysfonctionnel. Surgissent ainsi des caves là où, il y a quelques années, il n'y avait que champs de céréales. Des rangées de vignes ordonnées, touffues, envahissent désormais les vallées et les terrasses, jusqu'aux « paramos » (les plate-formes calcaires) de la Vallée du Duero, spécialement dans son secteur oriental, celui de La Ribera.
En parallèle à l'essor du vignoble, se produit une évolution ambiguë de l’arrosage, qui il y a quelques années s’imposait comme la clé de l'économie agricole locale. Tandis qu'en Toro, Rueda, Cigales et dans la Tierra del Vino de Zamora il a continué à croître, il a reculé considérablement dans La Ribera ou la vigne, occupant maintenant les fonds de la Vallée, déplace les cultures de betterave, de pomme de terre, de luzerne et de céréales traditionnelles en dehors des sols alluviaux et sablonneux des vallées. Ainsi, nous assistons à une diminution des espaces irrigués dans Los Arribes et dans la Ribera ; respectivement en pour cause d’abandons et substitutions de cultures (figure 5)
Ce développement indiscutable s'appuie sur l’évolution opérée par la demande des vins dans un marché de plus en plus exigeant et solvable ; il répond, par conséquent, à un processus économique qui a permis l’exploitation nouvelle de conditions écologiques pourtant depuis longtemps favorables à la vigne.
Des conditions écologiques dures, singulières et très propices pour la vigne
Les terres riveraines du Duero dans leur secteur oriental offrent des conditions écologiques singulières, bien que semblables à celles du Bassin. On souligne, avant tout, l'altitude considérable, qui réduit la période de croissance des plantes par le froid ; nous devons de même évoquer la faible pluviosité rendue possible par l'effet de fermeture entre les cordillères environnantes et, en contrepartie, l’insolation élevée des lieux. On notera enfin le caractère siliceux d'une bonne partie de ces sols, bien adaptés à la culture de la vigne. Ces facteurs, ambivalents en principe, sont la base de départ des vignobles riverains.
Un type de relief et des sols favorables pour la culture de la vigne.
La Ribera, comme tronçon du Duero, est un bassin sédimentaire localisé dans le centre-est, sur les deux côtés de la rivière ; c'est une bande de terres hautes et de plaines, distribuée sur trois niveaux de plates-formes : les vallées, les terrasses et petits replats intermédiaires, et les páramos culminants, qui relient la vallée au moyen des cuestas. Les premières ont toujours été un espace de cultures irriguées, les secondes, celles du vignoble alternante avec la céréale, et les troisièmes, celles du "monte" et des domaines labourés. Mis à part quelques exceptions, le système agricole a été organisé ainsi tout au long des siècles. Il correspondait à la manière la plus rationnelle de tirer parti des conditions écologiques.
En effet, les vallées, avec des sols humides et parfois mal drainés, étaient consacrées aux cultures irriguées, les plus précieuses et les plus sûres. L'altitude élevée, entre 720 m dans l'ouest et 860 dans l'est, permettait seulement des cultures de printemps et d’été comme celles la betterave et de la pomme de terre. Venaient ensuite celle de la luzerne, avec développement exclusif dans les mois chauds, et celle des céréales, comme culture de rotation. Expression de l’utilisation des sols inondables, quelques lignes de peupliers complétaient le panorama.
Le vignoble se trouvait hors des lits, dans les terrasses de graviers laissés par la rivière, ou sur les plates-formes structurelles de roches sablonneuses et parfois aussi sur les couches argileuses réduites à des collines par l'érosion. Dans tous les cas, il s'agit de morceaux de couches horizontales, composées de sables et de graviers, secondairement d’argiles, avec des sols chauds, pauvres pour les céréales, de faibles aptitudes agricoles sauf pour la vigne, qui descend ses longues racines entre ces couches, en les traversant pour aller chercher de l'eau et des nutriments à des profondeurs auxquelles les cultures herbacées ne peuvent pas arriver. Ces sols qui ne valaient pas pour « pain porter » étaient consacrés au vignoble. Dans les secteurs les plus éloignés des villages, ils étaient parfois occupés par le monte, qui pouvait aussi être développé dans tout type de terrain appartenant à des grands propriétaires. On en enfin trouve un peu plus haut que dans les lits majeurs et les terrasses, bien que plus basses que ceux des páramos, lesquels agissent comme écrans protecteurs, excellents abris pour les vignes.
Enfin, les páramos, plates-formes calcaires culminantes, formées après le remplissage du Bassin au cours du Tertiaire, ont été dénudés et coupés. Ils culminent entre 880 m et 1.000 m, toujours plus hauts dans l'est. Ces espaces de montagnes finissaient par être exploités quand la pression démographique ou celle du bétail s'intensifiaient et qu’il fallait obtenir davantage de pain et de pâturages. Au pied des páramos on localise les cuestas, des escarpements forts allant jusqu’à 30 ou 40% de dénivelés et qui dessinent transversalement la vallée en auge, en dessous des plaines des páramos.
« Au pied des cuestas, et comme fruit de la déforestation générale intense, on trouve des éventails d'alluvions d’argiles et de limons, plus ou moins carbonatées, parfois avec de bonnes proportions d'éléments organiques, qui confèrent aux terres viticoles couchés au pied des pentes des qualités extraordinaires, dans lesquelles il n'est pas rare de trouver des replantations de vignoble, du au fait que les fortes pentes favorisent la filtration et l'écoulement de l'eau, qui améliore et diversifie les qualités organoleptiques du raisin. » (Molinero, F., 1997:23)
Dans l'ensemble, les colluvions du pied des cuestas, autant que les alluvions des vallées ou les sols des couches intermédiaires, exhumés par le dénudement des couches supérieures et par les sous accumulations de débris, produisent des sols très variés, mélange de tout type de matériaux, sablonneux, marneux, calcaires, graveleux, ce qui donne une notable hétérogénéité même dans une seule parcelle viticole.
La Ribera s’étend donc sur environ 110 km de longueur d’est en ouest, et occupe un espace de 6 km de large dans les tronçons les plus étroits, pour s’élargir jusqu'à 30 km dans le centre, entre Roa et Aranda. Les petites rivières comme le Gromejón ou l'Arandilla…, mordent et ouvrent la vallée par le nord. D'autres cours d’eau plus majeurs comme le Riaza et le Duratón procèdent de même par le sud. A titre d’illustration, la figure 6 rassemble clairement les différentes unités, alors la figure 3 nous permet de mieux voir la distribution altitudinal et le réseau hydrographique. En outre, le relief proposant des altitudes élevées dans une latitude comprise entre le 41º et le 42º parallèles, s’impose aussi comme un élément influent sur les cultures. Tant valeur des pentes, la possibilité des gels tardifs au printemps que les pénuries de pluies sont, dans une perspective agronomique, des aspects à prendre en compte.
Des conditions climatiques dures, transformées en avantages décisifs.
Le climat de La Ribera, contrairement à ce qu’en dit le site web du Conseil Régulateur (www.riberadelduero.es) qui le nomme arbitrairement et illogiquement « continental extrême », est typiquement un climat méditerranéen d'altitude. Il est méditerranéen, parce que la situation planétaire de La Ribera appartient aux latitudes moyennes subtropicales propres au domaine méditerranéen (42 ºN), dans le Sud-Ouest du continent européen. Un climat qui est caractérisé par l'aridité estivale, c'est-à-dire, par la quasi absence de pluies pendant les mois centraux de l'année, entre mi-juin et mi-septembre, contexte climatique qui permet une insolation prolongée et une maturation excellente du raisin. Mais c'est aussi, comme nous l’avons vu, un climat d'altitude avec de fortes oscillations thermiques entre le jour et la nuit qui rendent propice l'accumulation de sucres dans le fruit en apportant degré, douceur et acidité fixe importante. Cette situation permet ainsi de réunir les qualités les plus excellentes des vignobles atlantiques et méditerranéens. Finalement, s’agissant d'un climat méditerranéen d'altitude qui touche un secteur de bassin fermé entre des montagnes, éloigné des influences maritimes, il dispose de faibles précipitations (comprises entre 450 et 500 mm annuelles), ce qui complique la production de rendements élevés et, par conséquent, favorise d’excellentes maturation et le développement des qualités organoleptiques du fruit, spécialement du « tempranillo », la variété autochtone adaptée à ces conditions climatiques. La souche doit distribuer l'eau et les nutriments seulement entre 1 et 3 kg de raisin, ce qui augmente indubitablement la qualité.
Les températures et les précipitations modérées n'excluent pas l’existence de rigueurs thermiques ou hydriques, problèmes que l’on résout généralement par l'application de techniques modernes. D'entrée, la température dans La Ribera oscille autour des 12º C de moyenne annuelle, en augmentant vers l'ouest et en diminuant vers l'est, en fonction de l'altitude (voir diagrammes climatiques de la figure 7). Les températures annuelles oscillent entre une moyenne de 21 ºC au mois de juillet et une moyenne de 3.5º C en janvier janvier. En mai, quand commence à pousser la vigne, on atteint des moyennes situées entre 13 et 14 ºC, qui s'élèvent à 18º en juin et à 21º en juillet, pour retomber ensuite à 12º C en octobre (bien qu'au début de ce mois, pendant la vendange, on dépasse cette valeur moyenne). Tout au long des six mois centraux de l'année, on obtient autour de 182 jours de températures actives, avec 2.300 à 2.800 heures de soleil et environ 130 jours libres de gel, cadre dans lequel on obtient une excellente maturation du raisin.
Toutefois, ces valeurs tendancielles cachent des risques ponctuels et sérieux pour les vignobles de La Ribera au cours des premiers jours du mois de mai, au moment de la pousse de la vigne, ou peu avant, pendant les premières chaleurs de printemps, risques qui peuvent endommager sérieusement les parties terminales des tiges et, avec elles, les raisins. En effet, bien que le risque de gels tardifs, comme il signale Alain Huetz de Lemps, soit de 10% tous les dix ans, la présence de ce phénomène en mai produit des dommages insurmontables pour la récolte. C’est ce qui a arrivé le 7 mai 1997, quand un gel de quelques heures de -6 à -7º C, a brûlé les vignes de la moitié orientale de La Ribera. Cet aléa climatique eu une incidence sur les prix du vin et modifia, pour le millésime, les conditions du marché. Mais ni ces gels sporadiques ni les températures élevées de l'été, dont les moyennes maximum du mois de juillet sont autour des 37 ºC, n’influencent substantiellement le devenir des vins riverains. Dans le premier cas, les viticulteurs procèdent à de généreux élagages impliquant, certes, le gel des bourgeons en hauteur mais réduisant les risques pour ceux situés en bas des ceps. Quelques grandes caves ont introduit des brûleurs de combustible affublés de grands ventilateurs capables de « décaler » l'air pendant les jours où les températures tombent sous le point de rosée, ou adaptés pour disperser l’ai chaud issu des brûleurs vers les parcelles.
A contrario, les étés arides qu'ont été précédés par des printemps secs sont combattus par l'application d’une ou de deux phases d’irrigations par égouttement qui assurent la récolte et même, améliorent l'équilibre métabolique de la plante. Presque toutes les plantations modernes sont organisées en espaliers, accompagnés de groupes de pompage et de tubes d’égouttement, qui sont seulement utilisés en cas de nécessité en n'apportant pas plus de quelques 30 l/m2 par arrosage. Tout au plus, on applique une irrigation en juin et une autre en juillet. Arroser de façon plus importante aurait pour conséquence d’atteindre des rendements de 7.500 kg de grappes/ha, interdits par le Conseil Régulateur, sachant que les viticulteurs se limitent généralement à des récoltes de l'ordre de 5.000 kg/ha, récoltes qui assurent une plus grande qualité et un bon prix du raisin.
Dans les diagrammes climatiques (figure 7), depuis Osma, hors de La Ribera, jusqu'à Peñafiel, nous avons déjà rassemblé les séries les plus modernes de données apportées par le MARM, en soulignant ces valeurs de pénurie pluviométrique, d'aridité estivale, de contrastes thermiques entre l'été et l'hiver, données qui, dans leur ensemble, constituent la base des vignobles de bas rendements et de grande qualité. Ainsi, l'insolation et l’ensemble thermique élevés apportent degrés et anthocyanes en abondance, tout en maintenant les souches saines et touffues. Les gels d'hiver, d'autre part, favorisent la disparition d’insectes et de parasites, tandis que l'importante oscillation thermique quotidienne de septembre et d’octobre apporte des qualités organoleptiques exceptionnelles, comme les arômes fruitiers, la douceur et « l'étincelle » ou encore l'acidité équilibrée et propre de ces vins rouges.
Comme on peut l’apprécier dans les diagrammes climatiques, la pénurie générale de pluies contribue de façon décisive à l’obtention de ce fruit. Aucun des observatoires représentés n’atteint les 500 mm annuels. Cette aridité estivale qui, en principe, ôte puissance végétative aux plantes, ne nuit à des cultures de racines profondes comme la vigne. De surcroît, l'importante quantité d'eau déversée en mai, mois le plus pluvieux de l'année, (avec une certaine exception en novembre) explique que les vignes soient bien approvisionnées en eau. Le sol la stocke en effet de l'automne jusqu'au printemps et la lui cède postérieurement à la fin du printemps et pendant l'été, les moments de feuillaison maximale et, apparemment, de disponibilités minimales. On doit souligner ces caractéristiques qui sont fondamentales pour le bon état sanitaire des plantes et pour le nombre de grappes issues des bourgeons du bas, ceux que la souche peut nourrir sans effort stressants.
Un paysage végétal dominé par des vignobles et des cultures irriguées.
Ce cadre naturel de La Ribera a incité au défrichage général des vallées, des terrasses intermédiaires et des páramos les plus favorables, transformant dès lors le paysage. Ainsi, les montes de chênes verts et d’autres chênes ont été dans une grande mesure essartés et réduits à des taches, plus ou moins étendues, qui couvrent aujourd’hui une partie des sols les moins favorables, voire les espaces appartenant à de grands propriétaires n’ayant pas ressentis la nécessité de transformer le monte en domaine de culture. Cependant, on trouve aussi des forêts de pinèdes - Pynus pinaster -, pour une bonne part héritées des repeuplements forestiers des deux derniers siècles. Mais, avant tout, le paysage riverain actuel est marqué par les cultures d'irrigation et les vignobles. Toutes les deux sont étendues dans la vallée et tapissent de vert tous les espaces.
Les figures 8 et 9 évoque la distribution des principales cultures en 1985 (figure 8 : ortho-image Landsat de La Ribera du Duero) et en 2000 (figure 9 du CLC 2000). Dans toutes les deux on perçoit la place de l'irrigation qui a été le mode de culture plus valorisé dans La Ribera pendant de longues décennies, depuis que les cours élevés de la betterave sucrière, à partir d'à moitié du siècle XXe siècle, ont orienté principalement les vallées du Duero vers cette culture ou encore vers la pomme de terre, la luzerne et les céréales de rotation secondaire. Les circonstances changeantes du marché ont obligé les agriculteurs à concentrer leurs efforts sur les cultures arrosées, d'abord, et sur le vignoble et les céréales de terrain non irrigué ensuite. Cette situation a commencé à changer pendant les années 1960, à la suite du fort exode rural qu'a décimé la population agricole, contrepartie de la mécanisation et la modernisation technique. Nous avons ainsi assisté à la rapide disparition des cultures non mécanisées. A ce titre, les légumineuses de terrains non irrigués furent les premières victimes des techniques modernes. A cela, s’est ajoutée la décroissance du vignoble qui, en raison de ses exigences de main d'œuvre - 10 journées/ha pour vendanger, 5 pour tailler et 15 autres dédiées au sarclage, aux labours, entretien du sol, traitements, etc. - a rapidement diminué jusqu'à chuter sous les 10.000 ha avant de recevoir l’appellation d’origine en 1982.
Ainsi, le monde de la vigne et du vin qu'il avait longtemps prévalu dans La Ribera a été remplacé par des champs de cultures irriguées, précieuses mais peu abondantes, et par des terrains céréaliers non irrigués, étendus et absolument dominants jusqu'à la moitié des années 1980. Depuis, des circonstances favorables ont générées un changement de direction. La demande croissante de vins de qualité, soutenue par la hausse du niveau de vie d’une population disposée à payer plus cher des vins et délaissant les achats en vrac, a désormais modifié radicalement la situation.
Les tableaux ci-joints confirment cette évolution (Cf. Corine Land Cover, 2000, et documents 1-t sur la distribution des exploitations agricoles, tableaux 3 et 4). Bien que les données ne concordent pas nécessairement, en raison des différentes méthodes de calcul et traitement utilisés, elles constituent les meilleures références quantitatives et expriment assez clairement les localisations au niveau de l’occupation du sol dans La Ribera.
Tableau 3. Occupations du sol dans La Ribera del Duero (CLC 2000)
Types | Hectares | % |
Surfaces artificielles | 2 671,96 | 0,94 |
Terroir non irriguée (secano) | 129 219,89 | 45,69 |
Terroirs irrigués (regadío) | 37 862,00 | 13,39 |
Vignoble * | 7 527,61 | 2,66 |
Prairies | 121,23 | 0,04 |
Terres avec "dehesas" | 259,81 | 0,09 |
Autres terres hétérogènes de culture | 35 836,45 | 12,67 |
Foret, monte, roches nues et terres ouvertes | 69 253,03 | 24,49 |
Surfaces d'eau | 49,31 | 0,02 |
TOTAL | 282 801,28 | 100,00 |
* Comme nous avons dit, la plupart du vignoble est inclus dans l'épigraphe "Autres terres hétérogènes de culture", du à la petite dimension de beaucoup de parcelles (<1 ha) qui empêche de les assigner à la classe originale (= vignoble)
Source: IGN: Image & Corine Land Cover 2000
Tableau 4. Distribution des occupations agraires dans les 82 communes de La Ribera en 2007 (Documentes 1-T)
Surface non irriguée (ha) | Surface irriguée (ha) | Surface total | |
Cultures herbacées | 90 995 | 18 542 | 109 537 |
Friches | 34 263 | 1 359 | 35 622 |
Vignoble | 19 966 | 646 | 20 612 |
Autres cultures ligneuses | 148 | 41 | 189 |
Prés naturels | 2 377 | 110 | 2 487 |
Pâturages | 25 811 | 0 | 25 811 |
Foret à bois | 39 217 | 730 | 39 947 |
Monte ouvert | 3 068 | 0 | 3 068 |
Monte srbustive | 13 165 | 0 | 13 165 |
Friche à pâturages | 18 139 | 0 | 18 139 |
Terrain improductive | 1 059 | 0 | 1 059 |
Surface non agricole | 9 783 | 0 | 9 783 |
Rivières et lacs | 2 748 | 0 | 2 748 |
Surface total | 260 740 | 21 428 | 282 168 |
Source: Consejería de Agricultura de la Junta de Castilla y León: Documentos 1-T sobre Distribución de Cultivos y Aprovechamientos por municipio, (Données sur la Distribution de Cultures par commune) Année 2007
Les plus grandes disparités sont précisément indiquées dans le vignoble, dans la mesure où les images prises par satellite ne distinguent pas les parcelles inférieures à 1 ha. Ainsi de nombreuses vignes traditionnelles et peu étendues sont classées comme « terrains agricoles hétérogènes ». Quelle que soit la méthode adoptée, les surfaces arrosés dans La Ribera del Duero avoisinent les 21.000 ha, une surface analogue à celle du vignoble, déclarée presque dans leur totalité en terrain non irrigué, bien que, comme nous l’avons indiqué, les viticulteurs tendent à assurer leur récolte par l'apport d’une ou de deux irrigations lors des printemps secs.
Cependant, les 42.000 ha de vignobles et terres irriguées ne représentent pas plus d’une petite fraction de la surface totale, surface que nous pouvons établir autour de 282.000 ha, une fois déduites les aires du sud de San Esteban de Gormaz et la plus grande partie de la Ville d'Osma, qui sont exclues du A.O.C.1 Toutefois, ces 42.000 ha représentent 25% des terres de culture, avec une valeur bien supérieure à celles des terrains non irrigués herbacés, dont la surface atteint les 75% restant. Ainsi, vignobles et cultures irriguées dominent le paysage et s’imposent dans l’espace économique et social du secteur. Ils recouvrent d’une luxueuse verdure les vallées et les plates-formes de la vallée pendant les étés méditerranéens, quand les ardeurs estivales couvrent le terrain non irrigué d'un vaste et pâle jaune-paille. Ces cultures quintuplent non seulement les rendements des terres sèches, mais elles emploient une main d'œuvre abondante, tant pour les tâches de production que pour celles de transformation et de commercialisation des produits.
En somme, tandis que les céréales de terrains non irrigués fforent des recettes brutes allant de 500 à 600 €/ha, ceux bénéficiant de l'irrigation les multiplient par 4 ou 5 et sont capables d'employer 8 fois plus de travailleurs. De fait, le vignoble rapporte autour de 5.000 €/ha et a besoin de 35 journées de travail par hectare, ce à quoi s’ajoute toute la richesse et l'emploi produits dans l'élaboration, les soins, l’élevage et la distribution du vin. Ces cultures sont les clés de La Ribera et, pour paraphraser le cardinal Cisneros quand il faisait face aux nobles qui l’interrogeaient, nous dirions que « ceux-ci sont les pouvoirs de La Ribera » : les vignobles puissants et les vins d'abord, les irrigations dégradées deuxièmement, les terrains non irrigués et clairsemés en troisième lieu, qui, dans l'ensemble, et unis à leurs montes, aux éléments de leur peuplement et à leur patrimoine civil, offrent un paysage singulier, moderne et traditionnel, dynamique et à la fois historique, avec un futur prometteur, éléments qui font de La Ribera aujourd’hui un secteur très différent de celui qu’il était durant les années 1970. En seulement trois décennies, La Ribera a ressurgie de ses cendres et, avec elle, sa population, ses vins et ses caves. Nous assistons ainsi à un nouvel élan en Castille et León, confirmé, début novembre 2009, et malgré la crise générale qui l’affecte seulement d’une façon partielle, par la création de 6 nouvelles caves d’élaboration (256 en total).
Un secteur dynamique et progressif
Il semble certain que le monde rural de Castille et de León, touché par un long processus de dépopulation, de vieillissement et de baisse démographique et économique a, depuis quatre décennies, été maintenu et l’est encore, comme un des espaces les plus typiques du monde rural profond espagnol et européen. Dans la région, La Ribera a évité à peine la tendance régressive générale, mais a finalement succombé aux processus d’émigration, de détournement des villages et de décadence régnante. Il a ainsi arrivé depuis 1960 jusqu'environ à 1990, quand il a commencé à changer tout.
Le premier élan du renouveau est venu avec l’obtention de l’Appellation d'Origine Contrôlée Ribera del Duero en 1982. Cet évènement intéressa assez peu la plupart des agriculteurs et des ruraux locaux, à tel point que nombre d’entre eux ne sollicitèrent pas les droits de replantation pour les terres plantées préalablement de vignes. Mais, comme nous l’avons indiqué, sans que l’A.O.C. représente la panacée, elle a été un moment clef du renouveau. Les viticulteurs ont commencé à vendre leurs vins à de meilleurs prix, principalement à partir de 1986, avec l’entrée dans la CEE. Cette élargissement des marchés et cette sécurisation de la commercialisation à des prix corrects fut également un facteur important de cette renaissance. La demande croissante et expansive de vins de qualité a constitué le troisième facteur décisif.
Par conséquent, le mouvement timide qui a débuté à Pedrosa de Duero et La Horra pour les vignobles et les vins pendant les années 1980 a commencé à donner des résultats, à s’étendre jusqu'à se généraliser. Et, comme les soins des vignes et vins exigent une grande quantité de travail, La Ribera s'est transformée en un secteur d'immigration. Ce mouvement a permis une stagnation démographique, contrebalançant vieillissement inexorable touchant la région.
Un comportement démographique ambigu.
Un simple regard aux graphiques joints (figures 10 à 12) nous montre la signification des variables démographiques. Aranda, capital de La Ribera et commune urbaine, a une évolution singulière, expansive dans tous les domaines, tandis que les secteurs ruraux riverains, malgré le changement positif de leurs valeurs démographiques au cours du XXIe siècle, se sont maintenus dans une certaine dépression démographique difficile à inverser. Comme on l’a vu dans la figure 10, bien qu’Aranda ait subi un accroissement continu depuis le milieu du XXe siècle, le reste de La Ribera à peine a pu se maintenir, et, difficilement croître pendant la dernière décennie.
Ce phénomène est bien compris à la lumière des structures démographiques. Ainsi l'âge moyen des habitants de la Ribeira arrive presque à 45 années et l'indice de vieillissement (ceux de plus de 65 sur les mineurs de 15) à 1.86, en représentant 22% ceux qui dépassent les 65 années. Dans ces conditions la croissance de la population devient très difficile. Il va de soit que si nous déduisons la zone d’Aranda de statistiques, l'âge moyen monte jusqu’à 48.3 années et l'indice de vieillissement s’élève à 2.95, ce qui signifie que, dans l'espace rural de la Ribeira, il y a une proportion de 3 personnes âgées (> 65 années) pour un mineur de 15 ans. Les données sont éloquentes, comme elles reflètent bien les pyramides d'âge jointes (figures 11 et 12), qui souligne le poids exceptionnel des femmes âgées de plus de 70 ans dans ce monde rural, population dont 28.4% dépasse les 65 ans. Tout cela favorise l'accumulation d'actifs dans les âges adultes, spécialement entre 20 et 65 ans, dans un taux d'activité importante de l'ordre de 66% pour les personnes qui se trouvent dans les cohortes d'âge de travail.
Toutefois, cette abondance d'actifs ne produit pas non plus une dynamique progressive, car l'indice de remplacement de la population active (15-19 ans parti par 60-64 ans) est de 0.78 pour toute La Ribera et de 0.62 pour l’espace rural riverain, sans arriver à 1 dans aucun cas, qui serait le seuil de maintien de la population actuelle et cela malgré la population immigrante qui s'est développée par tous les villages, grâce à la demande croissante de main d'œuvre pour les soins des vignes et des vins. Ce sont ces activités celles qui ont déchaîné le dynamisme économique général qui est respiré dans La Ribera et qui permet de déduire un futur de progrès.
Une économie assainie et en expansion.
La Ribera del Duero gravite autour d'Aranda, qui non seulement est sa capitale économique, mais son centre d'activités et de services. Cependant, l'économie de la vigne et le vin n'est pas réduite à cette petite ville, mais il est s’inscrit dans tout le territoire de La Ribera. En effet, Aranda, en tant centre industriel et de services, héberge 3 travailleurs riverains sur 5. L'agriculture y est de moindre importance, bien qu’1/8 des ouvriers agricoles de la région soient de la cité. Nous pouvons donc dire que La Ribera est un terroir des vignes et de vins dans lequel Aranda a peu poids territorial, mais, en revanche, un grand impact économique (ce qui n'empêche pas que les caves les plus reconnus restent hors de leur terme). Au contraire, des usines comme Michelin, Glaxo-Welcome, Lait Pascual et un grand nombre d'autres industries - grandes, moyennes et petites - ont leur siège dans cette commune conçue comme polygone de décongestion industrielle de Madrid durant les années du grand développement espagnol. Ainsi, la carte-figure 13 et le tableau 5 indiquent le valeur et le poids d'Aranda dans l'activité économique et dans l'emploi dans La Ribera. Mais notre objectif n'est pas tant de souligner ce rôle central indiscutable de la capitale du Duero, que d’évaluer sa fonction de moteur et de levier d'activités en rapport avec le monde de la vigne et le vin.
Les responsables et les initiateurs des nouveaux paysages riverains, spécialement dans La Ribera rural, ont été ces éléments agricoles et industriels situé en dehors d'Aranda. Dans La Ribera rural, il y a encore de nombreux villages dans lesquels prédomine la population active agricole, bien qu'elle n'atteigne pas plus que 24% du total et qu’elle soit réduite de moitié si nous incluons Aranda, comme il est observé dans le tableau 5. L'industrie du vin emploie non seulement de nombreux actifs, mais elle contribue grandement à dynamiser la construction de caves et de tous types de bâtiments destinés à ses soins. Ceci renforce énormément l'activité du bâtiment d'une part, et l'eonotourisme d'autre part. En ce sens, nous notons qu’à Aranda, place réputée pour son agneau rôti, une synergie continue s’opère entre ce produit et le vin, générant, à son échelle, une authentique mutation dans l'économie et dans le paysage des terres du Duero.
L'importance de la gastronomie et la croissance incontrôlable de l'oenotourisme dans La Ribera.
Il n'est pas superflu, donc, d'insister sur l'importance gastronomique de la capital du Duero, dont l'essor fur parallèle à celui du développement économique de l'Espagne depuis les années 1960, même si renforcé par l'expansion du vin et de l'oenotourisme à partir des années 1990. La demande croissante de loisirs, de tourisme et de restauration dans la société industrielle espagnole à partir des années 1960 a permis à Aranda de s’imposer comme capitale de l'agneau de lait rôti, grâce à son savoir faire gastronomique et à sa bonne situation sur la route allant de Madrid vers le Nord. En ce sens, il est indiscutable qu’Aranda est devenue le centre par excellence de l'agneau de lait, accompagné « de la torta (du pain fin) d'Aranda ». La demande croissante de ce dernier produit a permis la naissance de plusieurs boulangeries industrielles élaborant des torta précuite et les exportant dans toute l'Espagne dans des quantités supérieures à 3.000 unités par jour. L'essor des restaurants et des rôtisseries a eu lieu pendant les années 1970 et les années suivantes. Il n’y avait en effet précédemment que peu de restaurants et on consommait très peu d'agneau de lait rôti, non parce qu'il n’était pas valorisé, mais parce qu'il manquait une demande touristique solvable de ce produit.
Précédemment, l'agneau de lait rôti était certes consommé, mais à une autre échelle. Par une société traditionnelle qui se déplaçait peu, épargnait et ne cuisinait ces aliments festifs et de luxe qu’exceptionnellement. Le fait que la plupart des restaurants actuels se soit installée en Aranda après 1970 renforce ces idées. Ainsi, des 17 restaurants « rôtisseries » célèbres en Aranda, seule celui de Rafael Corrales (fondé en 1902), celui de Maison Florencio (1949) et l'Hôtel Julia (1966) sont antérieur à cette date. Le reste des ces établissements est postérieur et a été fondé progressivement dans la ville : un en 1975, trois durant les années 1980, trois autres dans le courant des années 1990 et le reste postérieurement.
Il s'avère clair que l'expansion de la consommation d'agneau de lait rôti accompagne le développement économique et social de l'Espagne. Ainsi, il aurait été impensable de réaliser les célèbres journées gastronomiques de l'agneau de lait rôti en Aranda de Duero durant les années 1960, tandis qu’elles furent un évènement en 2008 ou durant les années précédentes. En 2009 eurent lieu les IXème journées de l'agneau de lait rôti, au cours desquelles ont pris part 10 des 17 grandes rôtisseries d’Aranda. Le succès fut considérable. La consommation d'agneau de lait exige élevage et soins préalables, ce qui contribue au maintien des troupeaux dans les terres. En outre, si traditionnellement sa consommation s’accompagnait de vins « claretes » ou de rosés, aujourd’hui, son association avec le vin rouge contribuent à une expansion viticole inhabituelle et sans précédent, expansion caractérisée non tant par sa consommation locale directe, mais, surtout, par les exportations en dehors des limites locales, régionales et nationales de ce que l’on considère aujourd’hui pour un des grands vins rouges mondiaux.
De cette manière, la valorisation du vin et de son environnement se sont transformés en « produit touristique » exploité de façon importante par les caves. Ainsi, tandis que les caves traditionnelles organisaient d’occasionnelles visites permettant de faire de la publicité pour leurs vins au moyen d'invitations à des dégustations accidentelles, aujourd'hui elles disposent de locaux adaptés, de salles de dégustation, de salles à manger, d'hôtels, de restaurants, de spa…. Elles sont en lien avec des agences de voyage et accueillent un nombre croissant de personnes chaque année : particuliers, groupes, agents de ventes, visiteurs espagnols et étrangers.
La construction de plusieurs hôtels 5 étoiles dans les caves ou dans les lieux adéquats, s’ajoutant à la prolifération d’autres établissements 4 et 3 étoiles, illustrent ces nouvelles pratiques. Ainsi, Torremilanos à Aranda, Arzuaga à Quintanilla, Tinto Pesquera à Peñafiel, Abbaye de Retuerta à Sardón, ou encore le Couvent des Claires ou l'Hôtel Ribera del Duero à Peñafiel… ne sont que quelques exemples parmi d’autres de l’expansion d’un phénomène se pérennisant. Les recherches, sur internet, de caves proposant des activités oenotouristiques montrent l’importance et le nombre conséquent des installations. Ainsi, sur son site internet, l'agence de voyages Enodestino propose une sélection de 16 célèbres caves proposant ce type d'activités. Cela n’est ne représentent pas plus qu'un simple échantillon du potentiel oenotoursitique en devenir parmi d’autres offres de dégustations commentées, de repas, de banquets… comme l’indique, sur cette route, le tableau 6.
Si les terres riveraines étaient reconnues traditionnellement pour l'agneau de lait rôti, l’établissement d’un lien de ce produit avec les grands vins rouges est venu incorporer une nouvelle dimension d’un développement régional encore jeune, qui mais déjà conséquent au regard de la croissance spectaculaire du nombre des caves et des emplois dans le secteur vitivinicole. Le graphique joint (figure 14) nous invite à mieux cerner ce phénomène des emplois de la filière. Ainsi, en additionnant les travailleurs employés dans l'industrie des produits alimentaires et des boissons avec ceux de l'hôtellerie, on atteint des valeurs frappantes, de 17% dans tout La Ribera, et jusqu'à 21% dans La Ribera rurale (sans Aranda). Ceci montre l'expansion inexorable, ferme et progressive de l'élevage du vin et de l'oenotourisme.
Or, comme nous l’avons souligné précédemment, cette indiscutable et solide croissance économique se traduit clairement et spectaculairement au niveau spatial. Le nouveau paysage des caves s’est développé en même temps que l'expansion inhabituelle de la viticulture, sa densification et sa modernisation. Le paysage agricole riverain est par conséquent le produit de cette nouvelle conjoncture. Cette vigueur viticole provoque une résurgence des terroirs viticoles, lesquels, à leur tour, sont renouvelés et modernisés par une désagrégation du parcellaire traditionnel. Le paysage de La Ribera actuel est loin de ressembler à celui du passé : là où il y avait des nombreuses petites parcelles de céréale ou de vignes se sont imposées de grandes propriétés et caves. Ceci est illustré par le cas frappant du Comté de Haza qui a construit un « château » de 350 ha là où existaient plus de mille parcelles familiales individuelles. Mais, avec le Comté de Haza, on a aussi installé d'autres caves dans des terrains de La Horra, ainsi que d'autres grandes propriétés et caves sur d'anciens coins constitué d’une pléiade de terrains inférieurs à 1 ha.
Les nouveaux paysages de la vigne et le vin : entre la tradition et le future
Si, en perspective historique, La Ribera a été une terre de vignes, et qu’elle l’est encore actuellement, les conditions n’ont pas toujours été les mêmes. Elle a bien failli perdre ce caractère pendant la crise de l'exode rural des années 1960 et 1970 et par la conversion, généralisées pendant ces décennies, des vignobles en domaines céréaliers. Cependant, la tendance s’est inversée à partir de la moitié des années 1980, au moment de l’approbation de l’A.O.C. L'élan donné à ces terres a été d'une telle ampleur que n’ont cessé d’arriver des capitaux régionaux, nationaux et étrangers permettant d’implanter des vignobles et des caves dans la région, même si la crise financière actuelles a quelque peu freiné momentanément le processus.
Face au paysage traditionnel, repris dans la figure 15, avec le monte de pins entourée de vignes et terres de pain porter, entre Nava Roa et de Valdezate et, bien qu'imprécisement, le mélange de ces éléments et de son organisation inarticulée contraste avec la rationalisation et la concentration des terroirs viticoles autour des caves (Cf. comme il est montré dans les figures suivantes, dans lesquelles nous présentons celle de Hacienda Abascal, un exemple de conception moderne et de rupture avec le passé, dans les dépendances de laquelle on a renforcé l'oenotourisme, y compris restaurant et hôtel (Figure 16))
La rupture avec le passé est observée principalement dans la rationalisation des vignobles et dans la modernisation de tous les éléments et des processus, y compris les aspects architectoniques. En ce sens, nous ne pouvons pas oublier la conception de Richard Rogers pour Protos, qui, si elle a été « la première » cave coopérative de La Ribera, a aussi été la première à employer un prestigieux architecte de renommée mondiale pour sa conception (figure 17)
D'autres caves, comme Cepa 21 (Figure 18), de style cassant, ont intégré des manières et des matériaux nouveaux, ne respectant pas le classicisme, naturel et solide de la pierre calcaire, qui s’impose comme le principal élément constructif des édifices traditionnels de caves. Dans tous les cas, les terres viticoles sont développées dans leur environnement, même si certaines sont éloignées. Les vignes sont toujours ordonnées et bien soignées, ouvertes pour recevoir la maximum de soleil et pour simplifier leur travail.
Toutefois, cette rupture avec le passé n'a pas été générale. Il existe encore de nombreux viticulteurs âgés, entre 65 et 85 ans, qui maintiennent de petites parcelles de vieilles vignes, et auprès desquels la modernisation n’est pas arrivée. Comme l’indique le très reconnu et entrepreneur œnologue Peter Sissek (élaborateur de « Pingus » dans Olivares de Duero), il est regrettable que ces vignes disparaissent, dans la mesure où elles apportent une grande qualité au vin, puisque leurs vieilles racines étendues et profondes favorisent l'obtention de nutriments et substances puisées dans de nombreuses couches du sol. Ceci apporte des qualités organoleptiques exceptionnelles. Voilà pourquoi, tant par leur fonction que par leur aspect, ces vignes devraient être préservées comme patrimoine paysager ou culturel. Dans la figure 19 nous voyons ce mélange de parcelles modernes et anciennes. Tant sur les versants de la colline Manvirgo (Quintamanvirgo) qu’à Gumiel de Hizán, Fuentelcésped… on conserve des terres viticoles complètes dans lesquels l'hétérogénéité est la norme.
La clé de la dynamique riveraine est a chercher dans la gestion, les soins et même l’entêtement à garantir des vins de qualité dans des terres qui avaient manifesté leurs capacités pour les produire, comme ce fut le cas pour Vega Sicile depuis 1900 et comme l’avaient démontré d'autres producteurs pionniers. Ainsi lors l'Exposition Universelle de Paris des 1879, l’illustre Juan Mambrilla (de La Horra) obtient déjç une récompense pour ses vins rouges d'élevage élaborés par des méthodes traditionnelles. Les Commissaires Délégués de l'Espagne à l'Exposition Internationale de Paris de 1878 lui avait d’ailleurs adressé la demande suivante « en ayant obtenu des prix de 1ère et de 2e classe dans l'exposition Nationale Vinicole de Madrid, et, comme vous êtes un des lauréats avec la distinction mentionnée, j'attends que vous coopériez en envoyant 6 bouteilles de vin de raisin scellées avec laque avec l'étiquette suivante : « vin supérieur de La Ribera M.P … »2 . Ces 6 bouteilles à exposer devaient également être envoyées dans des bouteilles de verre pur, laqué et dans des caisses de sciure… Et les commissaires ajoutèrent « … Nous étions allés aux précédentes (Expositions) universelles avec tous nos produits sans calculer que, beaucoup d’entre eux étant imprésentables, on nuisait à notre crédit industriel en nous réduisant grandement comme marques productrices »…
Dans cette exposition, le Jury International récompense avec une mention honorifique les boissons fermentées présentées par D. Juan Mambrilla3. Par l'intérêt indubitable qu'il offre, non seulement sur le prix, mais en raison des explications qu’il donne de la méthode d'élaboration du vin récompensé, le texte suivant se devait d’être transcrit :
« Le raisin dont on fabrique ce vin est de l'appelé dans le pays aragonais, rouge de peau forte et beaucoup de partie epluchée ou tannique. Le moût donnait quatorze degrés et demie de pèse-moûts, bien qu'ordinairement il ne passe pas généralement dans la localité de douze et demie à treize degrés. [Sans doute] en relation avec le caractère exceptionnel de l'année et la situation de la vigne. Le terrain de celle-ci est de graviers, fort ou boueux dans le sol avec des taches de calcium dans le sous-sol.
Le raisin est séparé de la rafle au moyen d’un égrappoir de bois, en cuisant le raisin dans grands cuves ou cuveries de bois de chêne, ouvertes par en haut, de deux cent « cántaras » (récipient céramiques de 16 litres) de capacité chacune. Le moût est jeté aux cubas quand il s'approche à zéro du pese-moût mentionné.
Au mois de janvier de la première année son pipe aux tonneaux de 27 à 30 cántaras soufrés préalablement, en pipant à nouveau au mois de mars et dans celui de septembre. La seconde année a porté deux transferts et un dans les années successifs. De cette manière on est parvenu à le conserver par cinq et davantage d'années, quand le fabriqué par la méthode commune du pays à peine peut résister aux premiers chaleurs de l’été.. Généralisée cette fabrication, pourrait être vendue à la seconde et troisième année à des prix relativement modiques. Valladolid, février, 21 de de 1877 »
En effet, l'évolution du vignoble riverain est un exemple des changements accélérés qui se sont produits. Dans le cas de La Ribera du Duero, la concentration viticole historique tirait sa singularité d'être un secteur de vallée entre des páramos et, par conséquent, plus abritée et avec un plus grand intégral thermique. Ses sols légers et gravillonneux, chauds et secs, ont favorisé l'expansion générale d’un vignoble qui ne fut ni détruit par la crise du phylloxéra entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, ni anéanti par la crise, encore plus grave, de l’exode rural des années 1960. La demande de vins de qualité en Espagne l'a sorti de son état critique pour lui donner la force qu'il possède actuellement, dans une grande mesure soutenue par le contrôle de qualité appliquée à ses vins et qui n’existait pas au préalable.
Ainsi, comparées avec d'autres grandes régions viticoles mondiales, ses basses productions de raisin lui accordent une qualité indubitable. Cette qualité s’appuie également sur la variété tempranillo, sur son haut taux d’ensoleillement, sur la bonne santé et la maturation du fruit, ce qui, en définitive, a permis que les vins de La Ribera aient le prix le plus élevé du marché espagnol, comme mentionné plus haut sur le Panneau Alimentaire de la Ministère de l’Agriculture. Le fait que des caves comme Vega Sicile aient doublé leur surfaces de vignes en quelques années grâce à la forte demande ; le triomphe et le développement de vignobles comme ceux de Tinto Pesquera, la création de grands caves nouvelles comme celles de La Ventosilla, Abadía de Retuerta, (à côté de l’A.O.C., bien que hors de ses limites; figure 20), Condado de Haza ; la transformation en Société Anonyme de la cave coopérative Protos de Peñafiel (ainsi que l’agrandissement de ses entrepôts conçus sous la conception architectonique de Rogers) ; ou enfin, la croissance explosive de caves plus petites : tous ces éléments démontre le valeur, la considération et le succès des vins rouges de La Ribera, qui durant les années 1970 avaient été sur le point de disparaître. La Ribeira a maintenant non seulement repris des forces, mais elle développe son style, son art, ses conceptions et, en définitive, son image. Elle est devenue capable de produire de nouvelles activités, renforcés par celles déjà existantes en rapport avec le patrimoine gastronomique et culturel.
Dans une autre perspective, le vin a toujours inspiré chanteurs, poètes et artistes. Nous avons ainsi abordé l'œuvre de certains d’entre eux dont les témoignages reflètent la nature et l'essence de la vie campagnarde, de ses pénuries, de ses joies et de ses travaux. Il s'agit d'auteurs qu’ont chantés ou ont évoqué le paysage de ces terres : poètes, peintres, artistes qui ont consacré certaines de leurs œuvres aux éléments ou aux paysages que nous rassemblons ici. Nous souhaitons ainsi évoquer ces écrits qui témoignent des valeurs paysagères exceptionnels de la vigne et du vin, de la culture, de la vendange, des salles de pressurage, grandes ou petites, de l’élevage, de l’extraction du moût avec des pièces de peaux (pellejos), des caves souterraines, de la transformation des salles de pressurage en lieu de snacks,… et d'un grand nombre d'activités perçues comme des héritages patrimoniaux.
La Ribera dans l'art : entre l'artère de castille des poètes et le dur lot de Vela Zanetti.
A travers les cent kilomètres de La Ribera la vallée du Duero et de ses environs s’égrène tout un patrimoine historique et artistique dans lequel se succèdent des dizaines d’ermitages, de monastères, de châteaux ou de ponts remarquables, édifices dans lesquels sont représentés nombre de scènes et paysages vitivinicoles. Les seuils de l'ermitage de Quintanilla des Vignes ou le château de Peñafiel, aujourd'hui transformé en Musée Provincial du Vin (figure 21), sont des exemples convaincants de l'abondance des motifs architectoniques autour du vin transformés en patrimoine religieux et civil.
Outre l'eau, par la rivière et la vallée ont charrié des voyageurs, des idées et des cultures. Cela se concrétise par la dichotomie existant entre la frontière médiévale de la Reconquête et le rôle postérieur de centralisateur de lien exercé par la Castille, chantée sans pruderie par les poètes. Bien qu'éloignés dans le temps, non dans le sentiment, Góngora et Alberti montrent le caractère fluide et agréable du paysage fileté par la rivière.
De rivières je suis le Duero accompagné
entre ces solitudes calmes,
qui en dédaignant des parois de villes,
de peupliers je marche couronné.
Luis de Góngora (1603) (Soneto XLI)
Lève-toi de bonne heure, l'amant la mienne,
Lève-toi de bonne heure, que je te veux.
Dans les grilles du Duero,
en voyant passer l'aube froide,
je t'attends.
Rafael Alberti (1925), (L'amant)
(En Aranda de Duero)
La Génération du 98 approfondit le caractère structurant de la rivière et de la vallée dans une Castille pauvre, ruinée et ignorante, mais noyau de l'Espagne selon les vers d’Antonio Machado, en pleine syntonie pour Azorín qui lui consacra des Domaines de Castille, et pas moins avec Miguel d'Unamuno. Ces attributs du Duero sont dus au type de réseau en espalier et au rôle de collecteur le long de leur bassin allongé.
Le Duero croise le cœur de chêne
d'Ibérie et de Castille. Oh terre triste et noble,…
villes décrépites, chemins sans auberges
et abasourdis ignorantes sans danse ni chanson
qui vont encore, en abandonnant la triste maison
comme tes longues rivières, Castille, vers la mer !
Et le vieux romancier
a-t-il été le rêve d'un Juglar proche à ton bord ?
Peut-être comme vous et par toujours, Duero,
courra-t-il vers la mer Castille ?
Antonio Machado (1907-1917):
« À des bords du Duero » (Domaines de Castille)
Abondant dans le même sens, la poésie de José García Nieto issue de Géographie est amour mérite un détour. Dans ses strophes, il montre le changement du paysage depuis les sommets d'Urbión jusqu'au Rivage dont les versants argileux fournissent matière première à la construction d'adobe. Il évoque enfin la transformation de l'ancienne frontière guerrière en drain d'essences de Castille.
Sur toi vont les hommes et les cieux ;
avec toi, pèlerin, va Castille ;
avec toi vont les sillons et les vols.
Si des oiseaux font son nid dans ton bord,
Il y a des bras qui lèvent ton demeure
avec des parois juteuses de ton argile.
Duero de la montagne et de la plaine,
Duero de la prière et du calme
Duero de haute voix précipitée,
Ils n'appellent déjà pas à guerre tes cloches;
ton épée qu'un autre temps divisait
aux gens dans des maures et des chrétiens,
il est aujourd'hui, sous ce soleil de midi,
une langue qui porte apprivoisement
par Castille et Leon sa mélodie,
Un cristal renové et permanente
où la terre sans cesse est montrée,
où il est livré sans douter la source…
José García Nieto (1956) : « À des bords du Duero »
en Géographie il est amour »
Les narrations de voyages d'étrangers en Espagne proposent une vision rétrospective du paysage. Il s’agit en général de personnes cultivées, qui comparent avec leur pays ou aves les voyages d'autres écrivains. Barthélemy Joly, au service du roi de la France et très critique avec les Espagnols et avec le pays en général. Il passe par La Ribera en 1603-04 et offre ce témoignage d'Aranda à Valladolid : « Au jour suivant, par une colline de vigne, où les eaux étaient hors des villages, creusées dans la roche, nous arrivons à manger à Aranda Duero, bonne ville,… » « Ensuite par Hoyales de Roa, recommandé pour produire les meilleurs pois chiches (ils sont comme pois) de toute l'Espagne… » Il mentionne aussi la présence d'amandiers dans les terres, comme dans le Dauphiné, et, en plus de signaler que les vignes étaient dans les collines, meilleure emplacement d’aujourd’hui, il souligne le poids et la renommée des légumineuses - clé de la subsistance- et des cultures arborescentes au rôle complémentaire.
La peinture, art essentiel du paysage, représente notamment celui de La Ribera, comme dans l'œuvre de José Vela Zanetti, universellement reconnue. Dans de grandes fresques, dans des huiles et dans divers types d’oeuvres, y compris le bodegón, cet auteur a consacré au paysage, et spécialement au paysage agricole, une grande partie de sa vaste production. Vela Zanetti (1913-1999) est né, a vécu d'enfant et est mort dans La Ribera, après avoir passé plus de deux décennies en exile, période pendant laquelle il a peint une grande fresque « La lutte de l'homme par la paix » au siège de l'ONU. Lui-même se nomme « peintre de paysans ». Mais aux paysans il a toujours ajouté les paysages, qui par lui-même et sans figure est un motif de beaucoup de ses tableaux.
Les tâches des champs sont les thèmes les plus repris chez Vela Zanetti, de la vendange (figure 23), à la moisson des mies et au pacage, jusqu'à une collection complète des travaux. Face à ces tâches le paysan est représenté comme un travailleur endurci, taillé par les rides, chevelu et aux vêtements rapiécés, mais digne (figure 24). Malgré la pauvreté, l'effort pour extraire de maigres récoltes à une terre difficile évite sa défaite. Ici, l'influence des peintres muraux mexicains et du pannelisme de la Guerre Civile, dans laquelle Vela prend part très activement comme républicain, paraît indubitable.
Les cuestas, en remontant depuis le lit du Duero jusqu'aux páramos et aux limites de La Ribera, se reflètent dans les nombreux ocres, jaunes et verts de la maille de jachères et des vignes. Les ourlets dragué du páramo ferment généralement les horizons en ceintures plus foncée, parfois en trames rompues et tissées par des rivages. Des petits villages et leurs maisons foncées et chaotiques sont représentées dans les vallées. On peut y apercevoir les salles de pressurage, étables, greniers à paille qui se mélangent avec les basse-cours et les murets bardés.
D'autres artistes actuels, comme Esther Prada, architecte du paysage, ont aussi consacré leur expressif art pictural à la vallée du Duero. On y apprécie l'axe de la rivière, les formes des vignobles et des parcelles de domaines ouverts, représentations qui reflètent d’une façon inspirée les nouvelles formes des paysages agricoles riverains (figure 28)
Mais Vela Zanetti, dans son œuvre picturale inépuisable sur l'atmosphère campagnarde de La Ribera (représentations de bodegones, grappes, de vin contenu dans des fioles, de bottes et de verres, de l'atmosphère souterraine des caves, du pain blanc), élargit les motifs agricoles et les étend beaucoup d'autres. Les aliments sont représentés avec une grande force et sont attrayants au point d’en faire saliver le spectateur ; le pain très blanc et foncé, le vin rouge et robuste, et les « fonds » foncés sont en pleine syntonie avec le reste de l'œuvre.
Vela Zanetti a concrétisé toutes les facettes du paysage agricole traditionnel qui, dans une certaine mesure subsistent encore, même en tant que patrimoine ; mais La Ribera actuelle est différente, principalement dans le secteur social et à travers son économie d'investissement, son image et son commerce mondial. Les agriculteurs ou les viticulteurs ne sont pas les paysans pauvres et tourmentés de leurs tableaux. Les vignobles entretenus avec beauté et irrigués par égouttement n’ont plus rien à voir avec les espaces rugueux représentés dans leurs œuvres. Et le contraste est encore plus grand avec l'architecture avant-gardiste et « globale » des caves dont nous avons parlé antérieurement.
Il n’est plus guère possible de reconnaître, à travers ces styles très schématiques, les cultures, travaux ou éléments avec clarté dans cette pinpante Ribera actuelle, Ribera ayant subit des changements fulgurants de paysages. À la chaleur de l'investissement et l'image du vin apparaissent des expositions, comme le Concours National Vela Zanetti, qu'il lancera à novelles, mais l'œuvre de celui-là, inspirée son amour et presque l'obsession par La Ribera et son paysage, est encore exceptionnelle.
La sculpture et l'architecture contiennent aussi des représentations et ils sont liés au paysage, même s'ils prétendent seulement harmoniser, ou ne pas détonner avec lui, spécialement les œuvres de grande taille comme les caves. Mais l'expansion constante et la variété stylistique ne facilitent pas une synthèse de ce qui va être attrayant de routes touristiques, où on mélange la dégustation des vins avec l'admiration d’ermitages, monastères et châteaux médiévaux avec les musées ethnographiques et la construction ultramoderne des caves.
REMERCIEMENTS
Ce travail a été élaboré sous la protection du Projet de Recherche d'I+D+i, de Ministère de Science et d'Innovation, avec la Référence CSO2009-12225-C05-01, sur Les unités de paysage agraire de l'Espagne, et du Projet "l'Étude des paysages archétype de l'agriculture en Castille et Léon" (Référence VA038A09)