Introduction
Le patrimoine est un ensemble d’attributs, de représentations et de pratiques fixés sur un objet non contemporain1 de nature variée (savoir-faire, œuvre, bâtiment, paysage) que les sociétés héritent du passé, qui a une valeur dans le présent et que les différents acteurs des sociétés contemporaines jugent pertinent de transmettre aux générations futures. L’inscription de la Région viticole du Haut-Douro (Alto Douro Vinhateiro, ADV) sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO (2001) constitue une véritable reconnaissance à l’échelle internationale du travail séculaire des vignerons et des viticulteurs de la vallée du Douro qui ont su édifier et préserver des paysages viti-vinicoles d’une qualité exceptionnelle au sein d’un milieu au climat contraignant et aux pentes raides constituées principalement de schistes. Elle peut également être envisagée comme un levier de développement territorial et de compétitivité à travers l’accroissement des potentialités de développement de la filière œnotouristique qu’elle sous-tend et la valorisation de l’image des vins de Porto et du Douro auprès des consommateurs. Ce chapitre se propose de revenir sur le processus de patrimonialisation « par labélisation » de l’ADV en insistant sur ses acteurs et stratégies, ses succès et limites.
L’inscription de l’ADV sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO : stratégies, jeux d’acteurs et d’échelles
La candidature de l’ADV en vue d’une inscription sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO, une candidature évidente ?
La Région viticole du Haut-Douro (illus. 1) fut inscrite sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO le 16 décembre 2001 lors de la vingt-cinquième session du Comité du Patrimoine Mondial se tenant à Helsinki. Ce vignoble, terroir des vins de Porto2 et du Douro, est alors le cinquième vignoble au monde (avec ceux de Fertö et de Neusiedlersee ; Autriche, Hongrie) à bénéficier de ce statut après le vignoble des Cinque Terre (Italie, 1997), une partie du vignoble bordelais (juridiction de Saint-Emilion, 1999) et du vignoble du Val de Loire (Val de Loire entre Sully-sur-Loire et Chalonnes, 2000) ainsi que le vignoble de la Wachau (Autriche, 2000). Cette inscription, grandement saluée par les autorités portugaises, est l’aboutissement d’une dizaine d’années de réflexions et de travaux menés par différents acteurs à différentes échelles. Au premier rang de ces acteurs, on insistera sur le rôle majeur de l’Institut du Vin de Porto (IVP). La réflexion sur la candidature de l’ADV à l’inscription sur la liste de l’UNESCO débute en effet dès 1991 à l’initiative de l’IVP. À cette période la volonté de cet institut public relevant de l’administration de l’État n’est alors cependant pas de se focaliser sur une candidature « uni-site » comprenant uniquement le terroir du vin de Porto mais bien plutôt de souligner tout l’intérêt en terme de gestion du patrimoine, d’identité et de marketing territorial d’une candidature commune des trois espaces du vin de Porto à l’inscription sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO : le vignoble de la vallée du Douro, le quartier vinicole spécialisé de Vila Nova de Gaia et la métropole de Porto qui donne son nom au vin. L’échec de cette candidature commune, qui tient essentiellement à des différences d’agendas politiques, aboutit finalement à la présentation de candidatures séparées qui seront couronnées de succès avec les inscriptions du Centre historique de Porto et de l’Alto Douro Vinhateiro sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO, respectivement en 1996 et 2001. Soulignons qu’à ce jour, l’Entrepôt de Vila Nova de Gaia, n’est cependant toujours pas inscrit sur la liste des biens du Patrimoine Mondial de l’UNESCO même s’il fait certes partie de la zone tampon. La préparation d’une candidature est néanmoins en cours si l’on en croit certains articles de journaux portugais (Jornal de Notícias, Porto, 24 janvier 2015) et les témoignages de certains élus de la municipalité de Vila Nova de Gaia souhaitant avant tout rester discrets vis-à-vis de l’UNESCO afin de ne pas compromettre cette éventuelle candidature.
Jeux d’acteurs et stratégies ayant permis l’inscription
Si l’initiative de la candidature de la Région viticole du Haut-Douro au Patrimoine Mondial de l’UNESCO a été impulsée dès 1993 par l’IVP, l’Association Commerciale de Porto, la Confrérie du Vin de Porto et la Casa do Douro par le biais de contacts avec la Mission Permanente du Portugal de l’UNESCO à Paris, c’est au final une équipe universitaire pluridisciplinaire, financée et initiée par la fondation luso-espagnole Fundação Rei Afonso Henriques (FRAH), qui va préparer à partir du début de l’année 1999 l’exigeant dossier de candidature à soumettre à l’UNESCO qui aboutira, en 2001, à l'inscription de l’ADV sur la liste des biens du Patrimoine Mondial de l’UNESCO en tant que « paysage culturel évolutif et vivant ». À l’origine, le travail demandé par la FRAH à l’équipe constituée d’universitaires portugais et espagnols fut de se concentrer sur le Douro/Duero international afin d’identifier les biens les plus remarquables pouvant justifier une candidature à une inscription sur la liste des biens du Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Le secteur de l’ADV s’imposa assez rapidement dans le choix des universitaires et, dès le mois de juin 1999, ce dernier secteur était inscrit sur la liste indicative des biens portugais en vue de l’inscription sur la liste des biens du Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Un an après, en juin 2000, le document de candidature officiel de l’ADV était déposé officiellement à Paris au siège de l’UNESCO3.
La consultation du rapport du Conseil International des Monuments et des Sites (International Council on Monuments and Sites, ICOMOS)4 à propos de l’ADV, du dossier de candidature de l’ADV en vue de son inscription au Patrimoine Mondial de l’UNESCO, de la déclaration de valeur universelle exceptionnelle du bien établie par l’UNESCO5 à propos de l'ADV et de la filmographie réalisée par l’UNESCO en faveur de la promotion de ce dernier bien6 nous permet de souligner, d’une part, le rôle majeur du vin de Porto et, d’autre part, celui des différents paysages du vignoble résultant des différents aménagements géohistoriques de la pente au sein de ce milieu difficile, dans la stratégie des acteurs en vue de l’inscription du bien sur la liste du Patrimoine Mondial. Dans les trois textes précédemment cités, l’ADV est en effet présentée comme la plus historique, la plus continue, la plus diversifiée en cépages et la plus grande des régions viticoles de montagne (18% de la surface des vignobles de montagne répertoriés par le CERVIM7). La déclaration de valeur note également que l’ADV produit du vin depuis plus de 2 000 ans et que, depuis le 18e siècle, sa principale production, le vin de Porto, est célèbre pour sa qualité dans le monde entier malgré une nature hostile à l’installation humaine : « l’homme a su adapter les cultures méditerranéennes, en particulier la vigne, l’olive et l’amande, en terrasses aménagées sur les pentes rocheuses abruptes : […] bien que sa nature géomorphologique et son climat n’invitent pas à l’installation de l’homme, la vigne - ainsi que l’olive, l’amande et d’autres fruits et céréales - a soutenu une activité économique dynamique » au sein de la vallée du Douro8. Les raisons expliquant une telle construction humaine dans un milieu si difficile sont donc bien à rechercher ailleurs que dans la géographie physique, comme le fait fort justement remarquer le rapport établi par l’ICOMOS qui insiste sur le « commerce florissant [du vin de Porto] à destination de l’Angleterre qui bénéficia largement des guerres entre la France et la Grande-Bretagne ». À l’instar de Roger Dion, faisons donc nôtre la formule d’Olivier de Serres qui nous indiquait déjà au tout début du 17e siècle toute l’importance du marché dans l'élaboration de grands vins, et donc dans la constitution de grands vignobles : « Si vous n’êtes en lieu pour vendre votre vin, que feriez-vous d’un grand vignoble ? »9. On voit par là en quoi le rôle des marchands est fondamental et l’on peut ainsi considérer que ce sont ces derniers qui ont véritablement permis l’émergence d’un vin de Porto de qualité à la faveur de circonstances géopolitiques spécifiques dans le contexte des guerres larvées entre la France et l’Angleterre marquant la fin du règne de Louis XIV. La vidéo promotionnelle de l’UNESCO en faveur de l’ADV, réalisée par le groupe audiovisuel japonais Nippon Hoso Kyokai, insiste également sur l’importance du vin de Porto dans la création des paysages de la vallée du Douro. Intitulée « Port Wine Country : Alto Douro Wine Région » en insistant (comme les trois autres sources mentionnées ci-dessus) sur l’importance fondamentale de la culture de la vigne dans la création de paysages exceptionnels : « Depuis le 18esiècle son principal produit, le vin de Porto, a été reconnu mondialement pour sa qualité. Cette longue tradition de viticulture a produit un paysage culturel d’une beauté exceptionnelle qui reflète son évolution technologique, sociale et économique » (illus. 2).
Spécificités et remise en perspective de l’ « ADV Patrimoine Mondial »
Plusieurs spécificités peuvent être soulignées afin de remettre en perspective la Région viticole du Haut-Douro par rapport aux autres vignobles inscrits sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Une première spécificité réside tout d’abord dans l’ampleur du périmètre inscrit : avec 24 600 hectares, l’ADV est le plus vaste vignoble inscrit à l’UNESCO ; si l’on ajoute à ce périmètre sa zone tampon, là aussi la plus vaste enregistrée dans une inscription de vignoble (225 400 hectares), on en arrive à 250 000 hectares faisant l’objet de mesures de protection recommandées par l’UNESCO10. Une seconde spécificité de la candidature de l’ADV peut ensuite être révélée à travers l’analyse des acteurs étant intervenus dans le processus (illus. 3) : outre la forte implication des Universités Portugaises (Porto, Vila Real, Aveiro) dans la préparation de l’exigeant dossier de candidature, il faut souligner l’absence de l’interprofession dans la participation officielle au processus de candidature (même si les grandes maisons de vin de Porto le soutiennent) et la quasi-absence de la Casa do Douro (syndicat des vignerons de la vallée du Douro) dans le dialogue autour de cette candidature qui reste avant tout une candidature privée portée par une équipe d’enseignants-chercheurs indépendants financés par la FRAH. Une troisième spécificité réside enfin dans la rapidité du processus d’inscription, révélée tant par le faible laps de temps entre l’inscription sur la liste indicative et l’inscription sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO que par l’analyse de la durée totale du processus (Tableau 1).
Un contexte propice au processus de patrimonialisation ?
Le contexte externe : la mise en patrimoine, une stratégie privilégiée des vignobles de l’ « Ancien Monde » viti-vinicole ?
L’inscription de l’ADV sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO est à remettre dans le contexte de l’inscription de plus d’une dizaine de vignobles sur cette même liste depuis la fin des années 1990 et l’inscription du vignoble des Cinque Terre (1997). En 2015, après les inscriptions des vignobles bourguignons (Climats du vignoble de Bourgogne) et champenois (Coteaux, Maisons et Caves de Champagne), la liste des vignobles inscrits sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO s’élève en effet à quatorze vignobles qui ont pour caractéristique commune d’être tous des vignobles européens de l’ « Ancien Monde » viti-vinicole (Tableau 2).
Cet engouement patrimonial des acteurs de la sphère viti-vinicole européenne souligne toute l’importance que semble revêtir aujourd’hui le patrimoine lié au vin en matière de compétitivité et de développement territorial dans les pays d’ancienne tradition viti-vinicole confrontés à la concurrence des vins du « Nouveau Monde » dans le cadre d’une « Nouvelle Planète des Vins »11 qui tend, d’une part, à remettre en cause la place centrale des vignobles européens au profit de vignobles considérés il y a encore peu de temps comme secondaires et, d’autre part, à accorder de plus en plus d’importance à des valeurs comme la protection de l’environnement ou la santé12. L’inscription de ces vignobles sur la liste des sites « naturels ou culturels d’une valeur universelle exceptionnelle » de l’UNESCO témoigne en outre de l’évolution du concept de patrimoine qui étend désormais son champ d’action aux paysages et savoir-faire des mondes ruraux ce que démontre bien d’ailleurs l’apparition du néologisme patrimonialisation au sein de la géographie française au début des années 2000, traduisant ainsi la volonté d’envisager un processus social de reconnaissance de certains héritages plutôt que les éléments patrimonialisés en tant que tels13.
Le contexte interne : un nouveau cadre institutionnel permettant de penser la mise en patrimoine de la vallée du Douro à l’échelle du Portugal
Au-delà de l’importance du jeu des acteurs mentionné ci-dessus, l’évolution du contexte institutionnel et des modes d’appréhension du développement territorial au sein du territoire portugais a également joué un rôle majeur dans le processus de mise en patrimoine « par labélisation » de la vallée du Douro. Si la protection des paysages de la vallée du Douro a en effet clairement été l’objectif affiché dès le départ par les différents acteurs porteurs du projet d’inscription de la Région viticole du Haut-Douro sur la liste de l’UNESCO, notamment l’IVP, il y avait également en arrière-plan l’attente d’un renforcement de la fréquentation œnotouristique de ce terroir historique du vin de Porto qui fut la première région délimitée et règlementée au monde (1756). Or, dans le monde viti-vinicole du Porto, ce contexte favorable au développement de l’œnotourisme au sein de la vallée du Douro n’apparaît que dans la seconde moitié des années 1980 suite à deux décisions fondamentales : la fin du monopole de vieillissement du vin de Porto à Vila Nova de Gaia (création, en décembre 1978, de l’Entrepôt de Peso da Régua, destiné au stockage et à la commercialisation des vins généreux de la vallée du Douro) et l’autorisation de commercialiser et d’exporter directement ce vin à partir des lieux de production (mai 1986) corrélatif à l’entrée du pays dans la Communauté Économique Européenne la même année qui fait suite au processus de démocratisation entamé au Portugal à l’issue de la Révolution des Œillets (1974) mettant fin à la dictature du régime de Salazar. C’est en ce sens que l’on peut considérer que le contexte favorable au développement de l’œnotourisme au sein de la vallée du Douro a été un catalyseur des différents processus de patrimonialisation que les différents acteurs vont mener à partir du début des années 1990 : création de la Route du vin de Porto (1996), du Parc Naturel du Douro International (PNDI)14 en 1998 et à l’inscription de l’ADV au Patrimoine Mondial de l’UNESCO en 2001 en tant que patrimoine culturel, évolutif et vivant.
L’existence de processus de patrimonialisation antérieurs à l’inscription UNESCO
La volonté de mettre en scène le patrimoine de la vallée du Douro ne date cependant pas des années 1990 et de la préparation de la candidature du Haut-Douro viticole en vue de l’inscription sur la liste des biens du patrimoine Mondial de l’UNESCO. On peut en effet relever une telle volonté dès les années 1930, sous l’impulsion de l’IVP (créé en 1933) qui demanda au cinéaste Manoel de Oliveira (1908-2015) un tel travail. En 1934, ce dernier reçut en effet une commande de la part du Président de l’IVP de l’époque (Ricardo Spratley), pour la réalisation d’un film, les Géants du Douro (Os Gigantes do Douro), « qui aurait fixé ce qu’étaient la vie et le travail pour établir les domaines en terrasses mises en culture à flanc de montagnes15 » de la vallée du Douro. Peu après la signature du contrat, les autorités salazaristes firent néanmoins en sorte de stopper le projet, craignant que le régime ne soit égratigné par la liberté de ton de ce jeune cinéaste. Malgré le frein imposé par la dictature à ce processus de patrimonialisation, les premières prises de position en faveur de la mise en avant du caractère exceptionnel et de la volonté de sauvegarde du patrimoine de la vallée du Douro ont néanmoins bel et bien vu le jour dès les années 1930. Elles ont notamment été portées par différentes générations de viticulteurs, agronomes et intellectuels dans le contexte d’une certaine forme de glorification de la culture régionale qui atteindra son apogée lors du Plan du Centenaire16 mis en place sous l’Estado Novo (1933-1974). Le journal local de Régua, par le biais de la figure de l’écrivain duriense João de Araújo Correia (1899-1985), nous donne une bonne illustration de ce mouvement au milieu des années 1930 : « Com este nome simples de Museu do Douro devia existir na Régua um estabelecimento de pura função cultural, uma casa onde se guardassem, com inteligência e carinha, curiosidades, livros raros, documentos históricos relativo ao pais vinhateiro17 ».
Succès et limites du processus de patrimonialisation UNESCO au sein de l’ADV
Un succès indéniable : l'amélioration des outils de gestion des territoires et des paysages
Si l’inscription UNESCO permet certes l’obtention d’aides techniques dans l’optique de favoriser la mise en place par les acteurs de bonnes pratiques en matière de gestion du bien inscrit, elle ne permet en revanche en aucun cas l’obtention directe d’éventuels financements en provenance de l’UNESCO destinés à favoriser la protection et l’ « entretien » du bien considéré. Tout au plus peut-on considérer qu’en faisant prendre conscience de la haute valeur culturelle des lieux inscrits sur la liste du Patrimoine Mondial, la procédure d’inscription fonctionne comme un label de qualité destiné à faciliter à la fois la protection des lieux ainsi que la venue des touristes18. Le processus permet en effet de sensibiliser les acteurs à différentes échelles au caractère essentiel de la protection du bien pour les générations futures et pour la pérennité de l’activité touristique, ce qui peut permettre de justifier l’obtention de financements auprès de différentes autorités (régionales, nationales, européennes).
La consultation des textes de loi portugais permet de mettre en évidence, dès la fin des années 1980, une nette volonté des autorités d’aller vers une gestion plus intégrée des territoires. Le Plan Directeur Municipal (PDM), qui est un instrument législatif de régulation et de gestion de l’occupation du sol envisagé à l’échelle de chaque concelho (commune), est par exemple mis en place dès 1988. Ce PDM a ainsi été présenté à l’UNESCO comme outil de gestion du futur bien classé. Il était toutefois surtout un outil de gestion des périmètres urbains et du réseau d’infrastructures et n’envisageait que peu les périmètres ruraux, ce que firent remarquer les experts de l’UNESCO. Dans la perspective de l’inscription de l’ADV sur la liste des biens du patrimoine de l’UNESCO, les acteurs portant le projet d’inscription s’engagèrent ainsi à créer une structure juridique permettant, d’une part, d’envisager la protection et la valorisation de ce paysage, mais aussi, d’autre part, de coordonner les actions d’aménagement des territoires à l’échelle de la vallée du Douro. Le 22 septembre 2003, par une résolution du Conseil des Ministres, le Plan Intermunicipal d’Aménagement du Haut-Douro Viticole (Plano Intermunicipal de Ordenamento do Alto Douro Vinhateiro, PIOT-ADV) fut approuvé19, résultat des travaux conjoints du Cabinet Technique Intermunicipal du Douro (2002-2004) et de la Ligue des Amis du Douro Patrimoine Mondial, créés tous deux dès 2002 soit tout juste un an après l’inscription de l’ADV sur la liste des biens du patrimoine UNESCO. Toutes les conditions pour la sauvegarde et la promotion du bien inscrit étaient désormais réunies et l’inscription de ce bien avait permis de faire évoluer les modes de la gestion territoriale au sein de la vallée et la conception de l’aménagement des territoires dans le sens d’une plus grande intégration territoriale. Depuis son inscription sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO, la gestion de l’ADV s’est pour l’instant toujours basée sur trois piliers : le PIOT-ADV, le corps de gestion (la Mission du Douro de 2006 à 2013, la Mission du Douro de la Commission pour la Coordination et le Développement de la Région Nord depuis 2014) et la société civile à travers la création, en 2002, d’une association (la Ligue des Amis du Douro Patrimoine Mondial) visant à favoriser la prise de conscience de la nécessité de protéger et de promouvoir le Douro (Tableau 3).
Au sommet de cette pyramide, l’État portugais doit s’assurer de la protection, de la conservation, de la présentation et de la transmission aux générations futures de ce bien dont la valeur exceptionnelle a été reconnue de manière universelle par le biais de l’UNESCO. Du fait de l’extension du territoire du site inscrit et de sa zone tampon, de la multiplicité des acteurs en présence, de l’émiettement de la propriété viticole (Tableau 4) et de la nécessité de créer les conditions d’un développement que l’on qualifiera de durable dans tous les sens du terme (économique, social, environnemental et culturel) pour la vallée, on mesure la difficulté de la tâche à différentes échelles.
Un bilan mitigé en matière d’œnotourisme selon les acteurs et les échelles considérées
L’inscription de l’ADV sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO a renforcé la fréquentation touristique de celui-ci comme en attestent les données statistiques fournies par la Commission de Coordination et de Développement Régional de la Région Nord (CCDR-N) : entre 2001 et 2011, le nombre de touristes au sein de la région a plus que doublé, passant de 75 856 à 153 033. Si cette croissance est certes à replacer dans le contexte de la hausse de la fréquentation touristique du territoire portugais20, l’inscription de l’ADV au Patrimoine Mondial a sans le moindre doute eu un impact non négligeable sur cette forte augmentation de la fréquentation touristique et surtout sur l’internationalisation de cette destination touristique qui reste cependant encore à l’abri d’un tourisme de masse21. Toutefois, en dehors de la réussite de quelques producteurs-embouteilleurs (illus. 3), force est de constater que les viticulteurs de la vallée du Douro n’ont globalement que peu profité de cette forte croissance touristique et qu’une faible proportion de quintas ont pour l’instant ouvert leurs portes aux touristes.
L’œnotourisme profite ainsi surtout aux grandes maisons exportatrices (illus. 4) qui ont commencé à mettre en tourisme leurs différents terroirs, surtout depuis une dizaine d’années, en espérant un retour sur investissement. Les circuits touristiques organisés comprennent généralement une visite des chais de la maison en question à Vila Nova de Gaia ainsi qu’une visite d’une quinta de ladite maison située au sein de la vallée du Douro, le tout avec dégustation de vins de Porto et du Douro et/ou repas gastronomique. L’acheminement des touristes au sein de la vallée du Douro peut se faire soit par voie terrestre par le biais de bus privés, soit par voie maritime via les bateaux de croisières des maisons ou via des bateaux de grands croisiéristes avec lesquels les maisons ont signé des partenariats (Douro Azul, CroisiEurope). Dans les deux cas, ce mode d’acheminement ne laisse que peu de temps et de moyens aux touristes pour s’approprier l’espace que constitue la vallée du Douro et, surtout, ne leur donne pas véritablement l’opportunité de consommer hors des territoires des grandes maisons. Le système fonctionne donc surtout en circuit fermé. Un même raisonnement peut être tenu pour les investissements hôteliers de luxe qui ont fleuri récemment au sein de l’ADV : les groupes sont souvent étrangers et emploient assez majoritairement un personnel issu des deux grandes régions métropolitaines du pays, Porto et Lisbonne.
Conclusion
Le processus de patrimonialisation « par labélisation » qu’a connu l’ADV a permis de mettre en avant sur la scène internationale une vallée du Douro trop souvent méconnue du grand public tout en améliorant les outils de gestion des territoires et des paysages. En insistant sur le fait que le vin de Porto (et les vins du Douro) n’est (ne sont) pas produit(s) aux abords de l’agglomération de Porto mais au sein d’un terroir de 250 000 hectares débutant une centaine de kilomètres à l’Est de Porto pour terminer à la frontière espagnole, il a en effet corrigé une certaine injustice en terme de reconnaissance identitaire du produit. La question est désormais de savoir si les aspects économiques évolueront aussi en ce sens : alors que la production des vins du Douro et de Porto contribue amplement à l’économie nationale et régionale, la vallée ne bénéficie que du quart de la valeur ajoutée de ce produit, ce qui constitue une exception notable dans la géographie des vignobles et peut sans doute contribuer à expliquer, d’après les experts de l’ICOMOS, la forte opposition entre « l’opulence du paysage » et la « modestie des édifices ».