Le contexte géo-historique
Le Haut Montferrato est une micro-région de frontière qui appartient depuis deux siècles au Piémont sud-orientale mais qui, au cours de la période féodale, a été soumise au Marquisat (ensuite Duché) de Montferrat1 ainsi que, dans certaines zones de frontière, comme les vallées du Scrivia et du Lemme, au Duché de Milan et à la République de Gênes. Parfois appelé « Monferrato Meridionale »2, le territoire n’a pas de limites naturelles bien tracées. Toutefois au Nord-Ouest, il est proche du Montferrat d’Asti, situé le long de la moyenne vallée Belbo ; au Nord-Est, il s’abaisse progressivement vers la plaine d’Alexandrie ; et, côté Sud, touche les contreforts orientaux des Alpes Ligures. D’Ouest en Est, le Montferrat s’étale du val de Bormida à la vallée moyenne du Scrivia et il est divisé par le cours de l’Orba, où la zone d’Ovada sépare la partie qui gravite sur Acqui de celle liée à Novi. Dans cette région, en suivant une ligne directrice orientée Nord-Sud, on passe d’une plaine située au-dessous de 150-200 m, à une zone de collines s’élevant jusqu’à 500 m d’altitude. Ces dernières sont initialement couvertes par des vignobles puis, sur leurs sommets, dominées par des bois de châtaigniers et de chênes. La région, passés les 500-600 mètres d’altitude, prend les caractéristiques typiques de la montagne avec des vallées profondément entaillées et des versants très escarpés parsemés de quelques plateaux (Garino, 1998, p. 480).
Après l’époque romaine, qui représenta une première phase de développement de la viticulture – en particulier dans la zone d’Acqui où elle donna naissance à un commerce de grande échelle3 – et à partir des derniers siècles du Bas-Empire, le territoire subit une progressive dégradation. Ce fut en premier lieu la guerre des Goths (535-553) entre les Byzantins et les Ostrogoths puis, plus tard, l’occupation des Lombards qui fit suite au conflit et qui se poursuivit jusqu’au VIIIe siècle. La période carolingienne, entre la moitié du IXe siècle et la moitié du Xe, favorisa en revanche la création de quelques « curtes ». Reste qu’après cette parenthèse, cette région géographique, comme d’ailleurs le reste du Saint-Empire Romain Germanique, tombe dans une phase de dépression profonde, dont les effets se ressentent sur un paysage de plus en plus dominé par la présence de forêts (notamment la Selva d’Orba), marais et marécages. La faible densité de population des siècles précédents s’aggrave en raison d’un fort déclin démographique qui trouve ses causes dans les incursions répétées des Sarrasins. Ainsi, la nature regagne une grande partie du territoire, qui tombe dans un état de désolation sans précédents dans l’histoire de la région (Pistarino, 1970, p. 9).
Entre la moitié du IXème siècle et la moitié du Xème siècle, l’emprise humaine sur le territoire est donc faible : elle est constituée de quelques « curtes », des pièves, des vici, des castra, des villae et des loci, très isolés les uns des autres et plongés dans le silence de la nature, sauf pendant quelques moments de l’année animés par les fêtes religieuses ou lors des rares occasions d’échanges commerciaux agricoles et artisanaux. Nous sommes à ce moment là dans un contexte plus que précaire, déterminé par l’absence d’un processus d’acculturation entre les différentes ethnies, notamment latines et germaniques ; un état d’insécurité causé par les fréquentes incursions des ennemis et par la présence d’un système sociopolitique fondé sur la force et le brigandage (Pistarino, 1970, pp. 9-10).
Pourtant, vers la moitié du Xe siècle, lorsque la situation semble atteindre son point le plus bas, on observe une inversion de tendance engendrée par une volonté de reprise et de reconstruction. Une transformation qui se réalise en raison de plusieurs facteurs liés : le rétablissement de l’autorité impériale en Allemagne suivi de l’émergence de la Maison de Saxe ; l’opposition à l’avance de l’Islam dans la Méditerranée occidentale ; les premiers mouvements de réforme dans l’Eglise chrétienne, notamment dans les ordres réguliers et séculiers4. Entre la fin de l’an 950 et le début du siècle suivant, Bérenger II d’Italie (ou aussi Bérenger d’Ivrée) et son fils Aubert Ier créent trois marches entre la Ligurie et la plaine du Pô : la marche Arduinica entre Turin, Saluzzo, Vintimille et l’ouest du territoire de Savone ; la marche Aleramica (de la Maison des Alérame) entre Casale, Asti et Savone ; la marche Obertenga entre Tortona, Gênes et la Lunigiane. Se met donc en place une division territoriale plus équilibrée dans le rapport entre la mer et l’arrière-pays, puisque chacune des trois marches est formée dans le respect de ce rapport, en obéissant à une logique fondée sur des relations géographiques horizontales déterminés par des échanges commerciaux qui ne se limitent plus à l’échelle locale, mais qui s’opèrent sur de longues distances. Un choix en parfaite harmonie avec la future émergence du monde germanique et la résurgence italienne en Méditerranée. Il s’agit alors d’un un contexte de développement progressif des échanges commerciaux entre l’Europe continentale, le monde byzantin et le monde islamique, capable d’intensifier les rapports locaux entre la ville et la campagne (Pistarino, 1970, p. 10). Dans le cas de le Haut Montferrat, toutefois, le territoire a été partagé en deux le long du cours de l’Orba, qui coule en direction S-N. Le côté occidentale a été assigné à la marche Aleramica qui s’étalait jusqu’à la haute vallée de la Bormida de Spigno et soumise, avec le val Stura, au diocèse de Acqui ; alors que la partie orientale est finie dans la marche Obertenga, qui s’étalait jusqu’à la moyenne vallée Scrivia, soumise presque totalement au diocèse de Tortona.
Plusieurs établissements humains fleurissent à partir de cette époque dans les lieux géographiques les plus favorables : ce n’est pas un hasard, donc, que les documents d’archives les plus anciens sur certaines localités du Haut Montferrat remontent juste à cette période. Parmi les exemples les plus probants, on peut citer les établissements de Carpeneto, Montalto (ensuite Montaldo), Castelnuovo, Tagliolo, Montaldeo, Francavilla, Novi, etc. Depuis la moitié du Xe siècle, comme le rappelle Geo Pistarino, « si dissoda, si disbosca, si prosciuga » (on défriche, on arrache, on assèche) et les grands centres urbains étendent leur influence, en vertu des legs, des donations et des achats, atteignant de plus en plus les villages ruraux grâce à l’activité du clergé des diocèses « assurti in molti casi alla guida della vita cittadina, con o senza investitura feudale » (dans de nombreux cas, le clergé s’était élevé à la tête de la vie municipale, avec ou sans l’investiture féodale) ou des « monasteri di antica tradizione, richiamati a nuova vita, o di fondazione recente, spesso costruiti appunto per lo specifico compito di tutela del traffico e d’incremento agrario » (monastères, anciens ou récents, réalisés afin de régler les échanges et la répartition des terres) (Pistarino, 1970, p.15). Toutefois, à la fin de ce siècle, les trois marches perdent, au Sud, le contrôle des centres principaux de la Riviera Ligure qui entrent dans la sphère d’influence de Gênes, dont la puissance était en voie de progrès continu ; en outre, sur le versant de la plaine du Pô, elles sont confrontées à l’expansionnisme des communes et des communautés rurales.
Ainsi, les tenures féodales situées vers les cols ou le long des parcours obligés des vallées, restent ancrées dans une organisation territoriale carolingienne. Là, où il était possible d’exercer le contrôle et d’exiger le paiement des péages. Au cours du XIe siècle, les règles en matière de succession, qui privilégient les descendants mâles, provoquent une fragmentation politique et administrative progressive du territoire : ce n’est donc pas par hasard si, au début du siècle suivant, le cadre territoriale se trouve transformé en profondeur par la parcellisation féodale et par l’avancement du contrôle politique de Gênes au-delà de la ligne de partage des eaux. Entre le XIIe et le XVe siècle, le Haut Montferrat apparaît comme un territoire traversé par les principaux itinéraires qui relient Gênes aux localités situées dans les bassins des Bormide et du Tanaro en direction principalement d’Asti, de Chieri, de Turin, de la France, mais aussi de Verceil et Novare, voire de Plaisance et de la plaine du Pô orientale à travers les vallées du Lemme et du Scrivia. En raison de l’augmentation des trafics et des conflits politiques entre le Duché de Milan, le Marquisat du Montferrat et la République de Gênes, plusieurs châteaux furent construits, dont la plupart sont, aujourd’hui encore existants. Ils ont été bâtis dans le but de contrôler les trafics qui s’étaient développés dans le cadre du réseau routier liant les localités dans le sens de la latitude - comme c’était le cas des vallées de l’Orba et de son affluent Lemme - ou dans le sens de la longitude, comme nous le montrent encore aujourd’hui les itinéraires de jonction entre les vallées. Ajoutons à cela des embranchements à l’ouest, vers la vallée du Bormida et à l’est, vers la vallée du Scrivia (Rocca, 2014).
Les transformations du paysage viticole pendant le Bas Moyen-âge et l’Époque Moderne
En dépit de la fragmentation des sources documentaires, les études sur l’histoire du territoire du Haut Montferrat réalisées au cours de ces dernières années, ont contribué à clarifier certains aspects sociaux et économiques de cette longue période jusqu’ici plutôt obscurs et dans les processus historiques sont déterminés par des contextes sociopolitiques particuliers autant que par des changements climatiques importants. A ce propos, il est probable que la période romaine (IIIe siècle av. J.-C./IVe siècle ap. J.-C.) ait bénéficié d’un cycle climatique chaud, tandis que, pendant les siècles suivants, les événements extrêmement froids deviennent plus fréquents. Cette détérioration du climat, qui a été aussi accompagnée d’une augmentation dans la fréquence des inondations et des disettes, peut même être identifiée comme l’une des raisons du déclenchement des migrations des peuples germaniques de l’Europe du centre et du Nord vers le Sud. En effet, dans les œuvres de Paul Diacre, on peut retrouver des descriptions détaillées des bouleversements hydrologiques qui ont touchés la Ligurie en 580 et la plaine du Pô en 589. Plus tard, pendant le VIIIe et le IXe siècle, les récits qui concernent la région comprise entre la côte de la Ligure et le cours du Pô, décrivent un cadre de désolation, où les forêts, les brousses et les marais étaient à nouveau devenus les éléments principaux du paysage, tandis que le commerce à longue distance sur les anciennes routes romaines avait été remplacé par des échanges locaux à court terme (Pistarino, 1970 ; p. 9).
Entre le XIIe et le XIVe siècle, malgré un climat qui se caractérise encore par des hivers particulièrement rudes, l’économie agricole commence à se transformer en raison de l’œuvre de colonisation des cisterciens. Ces derniers privilégient les terrains de plaine aux marges septentrionales du Haut Montferrat, comme c’est le cas de l’Abbaye de Santa Giustina dans les environs de Sezzadio. Ils n’ignorent pas, cependant, les côtes les mieux exposées, où ils promeuvent le développent de la viticulture, comme dans le cas du Haut Val d’Orba sur les terrains de l’Abbaye de Tiglieto. En fait, plusieurs documents du XIIe et du XIIIe siècle retrouvés dans les archives du monastère renvoient à des donations de vignobles ou de vin des fidèles de l’Abbaye ; dans les mêmes papiers, on retrouve aussi des prescriptions à propos de la date des vendanges, qu’il faudrait entamer chaque année le 29 septembre, le jour de la Saint-Michel (Barba, 2001, pp. 8-9). A partir du XIIIe siècle et pour les trois siècles suivants, il faut rappeler aussi que les vignobles en hautain (avec des vignes mariées à des arbres tuteurs), très diffusés pendant l’âge classique, deviennent à nouveau l’une des composantes fondamentales du paysage agricole du Piémont (Sereno, 1992, p. 20).
Dans les siècles qui suivent, le paysage des collines du Val d’Orba enregistre une transformation radicale en raison d’un processus de déforestation accéléré destiné à accroître les cultures céréalières et favorisant en même temps l’installation de vignobles spécialisés. Giorgio Doria observe que, pendant le XIIIe et le XIVe siècle, à lieu un véritable « braquage » du bois destiné à la viticulture, mouvement qui perdure même au siècle suivant et jusqu’en 1466, date où les autorités locales rédigent des ordonnances (les Statuti)5 visant à stimuler le reboisement (Moreno, 1971, p. 337 ; Doria, 1968, pp. 36-50). Ce n’est que durant la seconde moitié du XVe siècle que les terres à vignes ne sont plus considérées comme des cultures marginales par rapport aux autres.
De nombreux documents confirment le rôle toujours plus important joué par la viticulture à la fin du Bas Moyen-âge. C’est le cas des « carte » de l’église d’Acqui, qui couvrent la période allant du IXe siècle au XVe, ou du « cartulare » (archive) de Pietro Bongiovanni, notaire à Acqui entre 1402 et 1427. Ces sources mettent en lumière, par la toponymie, une présence massive de la viticulture dans la région. Une viticulture spécialisée, mais toujours plus en hautain, en particulier sur les collines d’Acqui où dans certaines zones suburbaines comme celle de Strevi (Risso, 1993, pp. 88-89)6. Des informations précieuses sur la viticulture sont contenues dans un acte notarié établi à Ovada le 16 avril 1463 au sujet d’une sous-location des biens extra muros de l’église de San Martino. Dans le contrat on retrouve cette phrase « si vineae egerent de plantis et opus esset afosare aliquam partem ipsarum vinearum … dicti fratres teneantur afosare et densare vinea laboratas raras tantum … » dont il ressort que, pour remplacer ou épaissir les vignes manquantes ou chétives en raison d’un dessèchement de la plante ou d’un vol, il fallait creuser une fosse où enterrer un sarment d’une vigne voisine pour avoir une plante nouvelle. La description dans l’acte des travaux de taille, de palissage, de binage et bêchage des vignobles montre des connaissances simples, mais précises, qui visent alors à une amélioration de la qualité de la production. Les vignobles semblent acquérir une importance économique qu’ils n’avaient pas auparavant (Barba, 2001, p. 18). Enfin, il ne faut pas oublier que, pendant la Renaissance, le vin devient une boisson de jouissance sensorielle, phénomène qui entraîne une forte augmentation de la demande7.
Pendant le XVIe siècle, les vignobles sont bien développés, non seulement dans la région d’Ovada, mais aussi dans celle d’Acqui, où, en dépit d’un aménagement foncier fondé sur le métayage, « i proprietari si riservano alcuni appezzamenti, messi a frutto [soprattutto vigneti] direttamente, tramite manodopera salariata o attraverso la richiesta di opere supplementari agli stessi mezzadri » (Panero, 1991, pp. 117-118) (les propriétaires se réservent certaines parcelles, en particulier les vignobles, qu’ils travaillent directement en engageant de la main d’œuvre salariées ou en demandant des travaux supplémentaires aux métayers)8. Pendant la même période, la viticulture devient aussi plus fréquente dans les campagnes de Novi. Toutefois, dans cette région, les vignes n’ont alors pas encore atteint les collines, qui restent essentiellement boisées. A cette époque, les vignobles se concentrent dans la plaine où les vignerons utilisent principalement des cépages autochtones aujourd’hui disparus (reddiberna, nerello, timorasso, moretto, arzese) (Castiglioni, 1992, p. 24). Dans le val Lemme, au contraire, le développement de la viticulture avait déjà touché la région collinaire, comme c’était le cas des alentours de Gavi, où plusieurs parcelles étaient liées à la gestion de la Centuriona, en direction de Carrosio, zones auxquelles il faut ajouter à partir du XVIIe siècle celles de la Giustiniana en direction de Francavilla Bisio. En effet, vers le milieu du XVIe siècle, depuis le retour définitif de Gavi dans la République de Gênes, on observe la réalisation de nombreux ville-fortezza (châteaux forts), dont l’exemple le plus significatif est celui de la Centuriona. Pendant le XVIIe siècle naissent les ville-fattoria (domaines), dont celle de la Giustiniana. D’ailleurs, pendant l’époque moderne, « andare in villa » d’avril à septembre - c’est-à-dire, pour les familles urbaines aisées, aller dans leurs domaines de campagne - représentait, non seulement une forme de vacances, mais aussi l’occasion de contrôler directement le travail du fermier, voire de renouveler les contrats des métayers ou de vérifier dans le détail les livres de comptes. L’élégant bâtiment de la Centuriona, construit en 1556, constituait le barycentre d’un grand domaine agricole, encore en l’état de nos jours9.
En ce qui concerne les alentours d’Ovada, la viticulture s’était répandue dans les zones collinaires depuis le XVIe siècle, comme le prouve l’étude de Giorgio Doria. Un ancêtre de la famille de l’auteur acheta en 1567 le fief de Montaldeo, situé sur les collines de le Haut Montferrat d’Ovada. Ce domaine qui s’étalait sur 60 hectares de surface agricole, dont 14 boisées, 10 en prairies, 24 de terres labourables et 12 de vignobles. A partir de ce moment-là et jusqu’à la fin du XVIIe siècle, s’observe dans ce fief une progressive augmentation de la hauteur des soutiens des vignes, tandis que les échalas en bois de châtaigner ou d’acacia remplacent les roseaux utilisés initialement. En revanche, il n’y aura aucun progrès significatif dans les pratiques de fertilisation des sols.
La « caratata nova de Uvada » de 1682, le cadastre de l’époque, nous informe sur les caractéristiques formelles du territoire de la ville d’Ovada. Le village principal se concentrait autour d’un grand château situé à la confluence de la Stura et de l’Orba et comprenait 83 maisons, 13 « cascine » (fermes), 10 ateliers, 2 tavernes et une paroisse. Existaient également deux bourgades : au NO du territoire municipal, près de l’Orba, la localité Grillano ; au SE, à proximité de la Stura, le hameau de Costa. L’habitat dispersé était aussi très répandu en campagne. On comptait 174 cascine (fermes), 29 maisons, 4 églises et 95 « hébergements » (des structures rurales à un seul étage utilisées à la fois comme des abris temporaires et des lieux de dépôt). Sur la base du cadastre il est possible d’observer la présence de plusieurs aires boisées, principalement de châtaigniers, ainsi que la présence déjà considérable des vignobles. Pourtant, les latifundiums proprement dits étaient absents de cette région, zone où la structure foncières était fondée sur des exploitations de taille moyenne, voire petite, souvent dispersées sur le territoire, voire même très éloignées les unes des autres. Les domaines supérieurs à 200 stare n’étaient que douze, parmi lesquels dominait celui de Francesco M. Imperiale Lercaro (989 stare). A leurs côtés, notons la présence de 24 exploitations dont les surfaces étaient inférieures à 200 stare. A l’exception de la partie sud du territoire d’Ovada – une aire, d’ailleurs, plutôt escarpée et gravitante autour de la Stura – la carte signale que les vignobles étaient largement présents dans l’ensemble de la région, tout en montrant une plus forte concentration dans le nord du territoire où ils recouvraient la plupart des terres en culture. Toutefois, comme le montrent plusieurs documents d’archive, la viticulture se pratiquait de manière intensive dans d’autres zones de la région, notamment dans les hameaux de San Lorenzo, San Michele, Olive, Frascara (Marenco, 1988, pp. 72-76), voire dans le territoire voisin de Montaldo Bormida10.
Dans le fief de Montaldeo à partir de la fin du XVIIe siècle, nous constatons une augmentation croissante des soins donnés à la fertilisation des sols viticoles, en particulier pour les nouvelles plantations. Nous sommes arrivés à ces constatations en observant que, dans ce domaine, encore à la fin du XVIe siècle, le paysage viticole se caractérise par une culture essentiellement mixte, où des rangs de vignes plutôt bas alternent avec des bandes de blé ou de légumineuses, alors que deux siècles plus tard, il n’y a même plus des noyers ou de figuiers dans les zones viticoles. Ces derniers sont en effet arrachés totalement pour éviter de nuire au vignoble. De même, le binage qu’on ne pratiquait qu’une seul fois par an (avril-mai) pendant le XVIIe siècle sera doublé au XVIIIe. En outre, nous constatons une modification des cépages utilisés : moitié du XVIIe siècle, encore, dans ces vignobles, prévalait le Cortese, et, dans une moindre mesure, le Vermentino, le Moscatello et le Nebbiolo Dolce. A la fin du siècle suivant, nous observons une sorte de parité entre les raisins blancs (Moscatello bianco, Morasso, Cortese) et les raisins noirs (Liatico, Nebbiolo et Moscatello nero) (Doria, 1968, pp. 38-40).
La « Statistica Generale » (Statistique Générale) de 1752 nous offre une vision nette du cadre général de la viticulture du Piémont au XVIIIe siècle. Il est alors frappant de voir que, dans la région de Acqui, plus d’un tiers de l’ensemble de la surface agricole totale est occupée par des vignobles à la fois en hautain et en culture spécialisée (Sereno, 1992, tableau p. 23). Pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, en effet, il se produit une vaste détérioration de la production viticole, la recherche de la quantité prenant le pas sur la qualité. En témoigne d’ailleurs la forte expansion de la viticulture en hautain qui s’observe durant la période, en dépit de l’existence de vignobles spécialisés (Bulferetti et Luraghi, 1966, p. 17). Ce ne pas une coïncidence, donc, qu’à la suite de l’intense développement du secteur vitivinicole, au printemps 1758, la Communauté de Gavi se soit interrogée sur le montant réel de sa production viticole. La Communauté charge alors six experts du « Ufficio Comunale delle Avarie » (Bureau Municipal de taxes et d’impôts) de mesure, au travers d’estimations, l’ampleur de cette activité. Dans le rapport final déposé aux archives municipales, il est indiqué que, dans le territoire de Gavi, « le vigne attualmente coltivate producono annualmente più di ventimila barili di vino puro » (les vignobles produisent chaque années plus de vingt mille tonneaux de vin pur), dont « più di quattordicimila barili da vendersi » (plus de quatorze mille tonneaux destinés à la vente). A partir de ces données on peut donc estimer une production de 16.000 hectolitres de vin à ce moment-là. Un chiffre encore bien loin de la production actuelle de vin AOP « Gavi » et « Cortese di Gavi », mais néanmoins déjà significatif et qui peut être expliqué par l’importance que les vins du Haut Montferrat – le Cortese de Gavi, mais aussi le Dolcetto de Ovada et de Acqui – avaient acquis sur le marché de Gênes pendant le XVIIIe siècle. Une influence des vins du Piémont sur le marché du vin Ligure qui deviendra véritablement hégémonique un siècle plus tard, à la suite du développement du réseau ferroviaire (Rebora, 1992, p. 488).
Le XIXe siècle
La « Statistica del dipartimento di Montenotte » (Statistique du département de Montenotte) rédigée par le comte Chabrol de Volvic entre 1806 et 1802, lorsqu’il était préfet de ce département rassemblant les cantons de Porto Maurizio, Savona, Ceva et Acqui et leurs arrondissements11, contient plusieurs renseignements sur l’état de la viticulture dans la région au début du XIXe siècle. Dans le canton d’Acqui, la « Statistica » signalait que la viticulture jouait un rôle secondaire dans l’arrondissement de Spigno, tandis qu’elle était de première importance dans l’arrondissement de Visone et encore plus dans ceux d’Acqui et Castelletto d’Orba. Dans l’ensemble du canton « le vigne sono piantate in terreni composti di tufo sfaldato, ed in qualche luogo di una specie di argilla rossa e compatta. Generalmente le vigne coprono le colline; se ne vedono poche in pianura, ma queste producono un vino più abbondante e più leggero » (les vignobles sont plantés sur des sols en tuf ou sur des sols d’une espèce d’argile rouge et compacte. Ordinairement, les vignes s’étalent sur les collines, car les vignobles situés dans les plaines sont plus rares, bien que ces derniers produisent des vins plus abondants et légers). Le dolcetto était le cépage préféré des vignerons dans les zones de colline. Les ceps étaient plantés en rangs tous les 50 cm et soutenus par des roseaux. Il n’y avait pas de pergole puisque « gli abitanti sanno per esperienza che il vino è migliore quando la vigna è bassa. Infatti il terreno, riscaldato dai raggi del sole, riflette il calore sui frutti e ne affretta la maturazione » (les habitants savent par expérience que le vin est meilleur lorsque la vigne est basse, parce que le terrain chauffé par le soleil reflète la chaleur sur les raisins en leur accélérant la maturation)12. Dans la « Statistica », la production vinicole du canton d’Acqui fut évaluée autour de 130.000 hectolitres : une quantité que permettait de répondre à la demande locale et d’accéder en même temps aux marchés de Lombardie et de la côte Ligurienne (Chabrol de Volvic, 1824, vol. II, pp. 172-173 et 188).
La « Statistica » de Chabrol permet aussi de réaliser une étude à l’échelle micro-territoriale de l’état de la viticulture. Elle fournit en effet, pour chaque arrondissement, des renseignements sur la vocation viticole de nombreuses localités. Pour ce qui concerne l’arrondissement de Spigno, qui se situe essentiellement dans la partie supérieure de la Bormida de Spigno (avec son affluent, le Valla) et, en partie, dans le haut val de l’Erro, sur des terres montagneuses et généralement stériles, la présence de la vigne est signalée seulement dans les villages de Spigno, Montechiaro et Ponti, alors que dans le val d’Erro, elle ne pousse qu’à Malvacino et Castelletto d’Erro (Chabrol de Volvic, 1824, vol. I, pp. 329-333). Au contraire, dans la description de l’arrondissement de Visone, le préfet remarque que la vigne « si coltiva con successo la vite, che ne rappresenta la principale risorsa » (est cultivées avec succès dans presque tous les villages et qu’elle en représente la principale ressource économique), même si « i prodotti agricoli non bastano a nutrire gli abitanti » (les produits agricoles ne suffisent pas à nourrir les habitants) qui se trouvent dans l’obligation d’émigrer de leur pays tous les ans pour « mietere il grano e il riso in Piemonte e le olive in Liguria » (participer aux récoltes du blé et du riz en Piémont ainsi que des olives en Ligurie). Le comte Chabrol de Volvic fait explicitement référence à la présence de vignobles dans les localités de Visone, Rivalta, Castelnuovo, Cremolino, Melazzo et Cartosio. il mentionne aussi des exportations, tandis que, de façon surprenante, il néglige d’autres villages collinaires à vocation certainement viticole comme Molare, Trisobbio et Montaldo (Chabrol de Volvic, 1824, vol. II, pp. 333-338).
Dans l’arrondissement d’Acqui « la diffusione della vigna ha comportato la scomparsa di gran quantità di boschi, cosicché attualmente il paese ne é privo » (la diffusion de la vigne a conduit à la disparition de grandes quantités de forêts, de sorte qu’il n’y plus de bois dans l’arrondissement). Les vins « rappresentano la principale risorsa e sono i migliori del circondario » (représentent la ressource principale et ils émergent comme les meilleurs de l’arrondissement), même si « la vite, quando fiorisce, soffre per le nebbie primaverili o per le piogge che cadono durante la fioritura » (les brouillards et les pluies troublent la floraison des vignes). En outre, le développement de la viticulture ne touche pas l’ensemble du territoire, mais seulement la rive gauche de la Bormida. La rive droite, au contraire, est recouverte de taillis et de châtaignerais en raison de l’existence de versants plus escarpés, formés de pierres à chaux, tuf, schistes et gravier. Dans la « Statistica », le Comte signale la présence de la viticulture dans les villages de Bistagno, Monastero, Montabone, Terzo et Strevi (dont il remarque les muscats). Dans cet arrondissement aussi, l’auteur omet de mentionner la présence de vignobles dans des localités collinaires dont la vocation viticole n’est pas en discussion : Alice, Ricaldone, Castel Rocchero (Chabrol de Volvic, 1824, vol. II, pp. 304-311).
Enfin, pour ce qui concerne le territoire de l’arrondissement de Castelletto d’Orba, Chabrol observe que « le sue valli, abbastanza piacevoli e non troppo fertili, sono circondate a est e a sud dai monti della Liguria, e sul versante opposto da colline coperte di vigneti » (ses vallées très agréables, mais peu fertiles, sont entourées à l’est et au sud par les montagnes de Ligurie et sur le versant opposé par des collines couvertes de vignobles) où l’on produit « molto vino, che in parte viene distillato quando il prezzo è troppo basso » (beaucoup de vin, qu’on distille en large partie lorsque les prix sont trop bas). Le préfet écrit aussi que « l’unica forma di commercio praticata in questa zona agricola consiste nel trasporto effettuato da mulattieri, che scambiano vini ed altro con derrate della Liguria e del Regno d’Italia. I contadini fanno a lavorare per alcuni mesi in altri dipartimenti, e tornano portando alle loro famiglie delle provviste di grano o del denaro » (la seule forme de commerce présente dans cette région agricole consiste en des transports le long des sentiers de montagne du vin et d’autres produits vers la Ligurie et le Royaume d’Italie. Les paysans vont travailler pendant des mois dans d’autres départements pour revenir dans leur familles avec du blé ou de l’argent) (Chabrol de Volvic, 1824, vol. II, pp. 311-312). Chabrol identifie comme villages expressément viticoles, seulement Castelletto d’Orba, Carpeneto et Rocca Grimalda, tandis que, pour d’autres localités de colline comme Casaleggio, Montaldeo, San Cristoforo, Tassarolo, Mornese, Tagliolo, etc. il ne mentionne que la présence de terres fertiles ainsi que d’une population essentiellement rurale (Chabrol de Volvic, 1824, vol. II, pp. 312-316).
Afin de démontrer la célébrité atteinte par les vins du Haut Montferrat pendant la première moitié du XIXe siècle, notamment les Dolcetto de Ovada, , il est intéressant de mentionner Carlo Porta (1775-1819) et son poème comique rédigé en milanais « Olter desgrazzi de Giovannin Bongee » (1814) où le protagoniste Giovannin conseille à son épouse, qui refusait ses avances en se déclarant « indisposée », de se débarrasser de cette nuisance en buvant « on biccer de vin » (un verre de vin) de Roccagrimalda. En outre, du point de vue de la reconnaissance scientifique du niveau qualitatif atteint par les vins du Montferrat, il faut rappeler le célèbre naturaliste et botaniste Giorgio Gallesio qui, durant la période 1817-39, publie des études innovantes sur la « Pomona Italiana »13. Gallesio affirmait ainsi que « il vino che si fa col Dolcetto prende diversi caratteri, secondo la località ov’è coltivato e i metodi coi quali è fatto » (le vin qu’on tire du Dolcetto prend des caractères différents selon la localité d’origine des vignobles et les techniques de vinification) en ajoutant que parmi les vins qui portent ce nom « i più stimati sono quelli di Ovada e dei suoi dintorni … In Ovada specialmente se ne fanno i depositi e le scelte, e di là si spedisce in Genova e nel Milanese » (ceux qui se produisent à Ovada et dans ses environs sont les plus réputés… A Ovada, en particulier, il y a les dépôts et la sélection de ce vins, qui partent ensuite pour Gênes et la Lombardie).
Toutefois, pendant la première moitié du XIXe siècle, la viticulture ne prospère pas seulement dans les arrondissements d’Acqui ou d’Ovada, mais aussi dans la région entre Gavi et Novi. A propos de la situation économique du territoire de Gavi à la moitié du XIXe siècle, Casalis observait que : « Il suolo essendo in generale pietroso non produce che in poca quantità frumento, meliga, legumi e castagne; i quali prodotti non si ragguagliano all’uopo della popolazione. Ma in compenso si fanno soprabbondanti ricolte di uve; e il vino che riesce assai buono vendesi a’ negozianti forestieri con notevole profitto del comune » (le sol pierreux ne produit qu’en faible quantité du blé, du maïs, des légumes ainsi que des châtaignes. Pourtant, ces produits ne suffisent pas à satisfaire la demande de la population locale. En revanche, les vendanges sont surabondantes et les vins très bons. Ce vin se vend aux négociants étrangers en garantissant des profits considérables pour le village) (Casalis, 1833, p. 277). Le même auteur remarque encore, à propos du territoire de Novi, que « Nel comune di Novi evvi uno spazio detto la Frascheta, ove si coltiva la vigna con successo; ma i paesi ne’ quali sono eccellenti le uve, ed ove si scelgono sovente le migliori per far vini più squisiti son quelli del mandamento di Capriata, e più ancora di quello di Castelletto d’Orba. Il metodo di fare i vini è quivi assai conveniente, ed essi perciò riescono buonissimi. In Novi si comprano molte uve provenienti da’ vigneti che esistono fuori del territorio di questa città; e gli abitanti mescolandole con quelle del proprio distretto, fanno un vino che smerciasi facilmente in Lombardia » (dans la ville même de Novi, il existe un endroit qu’on appelle la Frascheta où la vigne est cultivée avec succès ; pourtant, les villages appartenant à l’arrondissement de Capriata, voire de Castelletto d’Orba, sont ceux où l’on tire les vins les plus exquis. Ici, une méthode de vinification excellente permet d’obtenir des vins de première qualité. Les habitants de Novi achètent beaucoup de raisins provenant des vignobles situés en dehors du territoire de la ville et ils les mélangent avec des raisins locaux pour obtenir un vin qu’ils vendent facilement en Lombardie) (Casalis, 1833, p. 592). Pour le canton d’Ovada, Casalis souligne que les campagnes « presentano molti vigneti » (accueillent nombreux vignobles) et par conséquent « il principale dei prodotti ne è quello delle uve: i vini, che vi si fanno con la richiesta diligenza, e si lasciano alquanto invecchiare, pareggiano i vini più squisiti e generosi della Francia » (le vin est le principal produit du pays. D’ailleurs, les vins qu’on fait avec soin et qu’on laisse vieillir égalent les vins les plus exquis et généreux de France) (Casalis, 1833, p. 721).
Comme nous le montre l’« Annuario Statistico » (Annuaire Statistique) publié par la Province d’ Alessandria en 1865 (pp. 93-94), cette région a eu la chance d’être épargnée par l’oïdium, alors que beaucoup d’autres provinces du Piémont avaient été ravagées par la maladie. Cela a généré une augmentation soudaine des prix du vin qui a entrainé une expansion de la viticulture dans les régions non touchées par le champignon. Cette évolution sera d’ailleurs soutenue par un développement technique dynamique, entrainant la diffusion des modes de conduite innovants et des procédés ampélographiques modernes, élaborés en France pendant l’époque des Lumières et introduit par Napoléon en Italie après la Révolution. Pendant la seconde moitié du XIXe siècle, la viticulture enregistre donc une nouvelle phase expansive : l’augmentation des prix des raisins et du vin incite les paysans à planter des vignes en lieu et place des pâturages, des terres arables (notamment les plantations de maïs moins rentables en raison de la saturation du marché mondial) et des champs de mûriers (crise de la soierie). Ce phénomène prend particulièrement forme dans les zones de colline, où les exploitations de taille petite et moyenne réussissent à répondre plus vite que les autres aux enjeux de l’amélioration des modes de conduite et de vinification. Par conséquent, afin d’augmenter les rendements, nous assistons à une forte expansion des vignobles en cultures spécialisées au dépend de ceux en cultures mixtes. Une tendance toute-à-fait opposée à celle du XVIIIe siècle, lorsque nous avions observé un fort développement des vignobles en hautain (Rocca, 1984, pp. 39-40).
L’expansion de la viticulture pendant les dernières décennies du XIXe siècle a un rapport évident avec l’accroissement démographique de la période. Malgré l’émigration dans les Amériques, la disponibilité accrue de main-d’œuvre devait être absorbée par la transformation progressive des pâturages et des bois en vignobles. En effet, dans les vignobles non spécialisés où, aux vignes, s’associaient les arbres fruitiers, les céréales et les légumes, il était possible de combiner les gains modestes de la viticulture avec les revenus de l’élevage des vers à soie et des cultures fruitières. Ces activités pouvaient fonctionner sans le besoin d’un équipage spécifique, de gros capitales ou de transformations radicales des techniques agricoles (Demicheli, 2005, pp. 76-77).
L’essai de Pietro Paolo Demaria et Carlo Leardi, publié en 1875, constitue une source très utile pour connaître les cépages utilisés, les techniques de vinification et l’importance de la viticulture dans les différents endroits de la région. Dans l’arrondissement de Novi, où on produit « una certa quantità di vini da pasto colle uve bianche, questi si fanno in due modi: o mettendo a fermentare il mosto con buccie e graspi, come pei vini rossi, ed ottiensene un vino color giallo d’ambra; ovvero spremendo allo strettoio tutto il mosto liquido che si fa fermentare da solo nelle botti. Il vino fatto in quest’ultimo modo riesce limpidissimo più che acqua, da cui lo distingue una delicatissima e tenuissima tinta paglierina, ed è più leggiero, sottile e diffusivo, ma meno sapido. È tuttavia assai pregiato in Genova, e da alcuni consumatori anche in Milano » (Demaria et Leardi, 1875, p. 72)14 (une bonne quantité de vins de table élaborés à partir de raisins blancs, dont on obtient deux qualité différentes en utilisant des techniques de vinification diverses : dans la première le moût fermente avec les rafles et la peau des baies, comme on fait habituellement avec les vins rouges, et le vin qu’on obtient est ambré. Dans la seconde, on presse seulement les baies et le moût fermente tout seul dans les tonneaux. Cette dernière technique permet d’obtenir un vin très claire, qu’on peut distinguer de l’eau seulement par une légère nuance paillée. C’est un vin léger, fin, mais moins savoureux que le premier. Pourtant, c’est un vin très réputé à Gênes et il trouve des amateurs même à Milan). Pour ce qui concerne les cépages utilisés, Demaria cite le Moretto parmi les meilleurs, en indiquant que dans le canton de Novi « tale vitigno è da lungo tempo ed in larghe proporzioni coltivato, formandovi una delle basi principali dei vini comuni ed ordinari ….. . Da qualche tempo la sua coltivazione tende a restringersi » (Demaria et Leardi, 1875, p. 107) (ce cépage est très répandu depuis longtemps et il constitue la base des vins principaux de la région. Toutefois, sa culture est en contraction depuis quelques temps). A propos du Cortese bianco, nous pouvons lire dans l’essai que « E’ il vitigno ad uve bianche più estesamente coltivato e lo si incontra egualmente nei vigneti dell’Alessandrino, del Tortonese e del Novese, quanto dell’Astigiano e dell’alto e basso Monferrato. … Vi è indigeno, da lungo tempo conosciuto e coltivato, alla rinfusa però e misto ad altri vitigni. Oltre alla robustezza e fecondità sua, lo rende pregevole la bontà e la squisitezza del suo prodotto » (Demaria et Leardi, 1875, p. 245) (c’est le cépage blanc le plus répandu, tant qu’on peut le trouver dans les campagnes de Alexandrie, Tortona, Asti et dans le Montferrat. C’est un cépage autochtone, connu et utilisé depuis longtemps, toutefois ses raisins sont mélangés à d’autres dans les vignobles. Il est célèbre pour sa robustesse et sa générosité, ainsi que pour la haute qualité de ses vins). Pour ce qui concerne le Dolcetto, appelé improprement Nebbiolo dans les régions de Novi et Tortona, les auteurs observent « Nella linea dei colli, che dalle regioni circostanti ad Ovada si protende fin presso Nizza di Monferrato, il suo prodotto raggiunge maggior perfezione e se ne ottengono non solo vini da pasto, ma eziando fini » (Demaria et Leardi, 1875, p. 139) (son produit atteint les meilleurs résultats sur la ligne des collines qui relient Ovada à Nice de Montferrat. A partir de ce cépage on obtient non seulement des vins de table, mais aussi des vins élégants). Un érudit local évaluait, en 1878, les exportations de vin du territoire d’Acqui autour de 30-35 mille hectolitres, rappelant qu’à cette époque « gli unici che mantengono un po’ di vita nei traffici coi prodotti del nostro territorio, sono i negozianti di vino » (les négociants en vin sont les seuls qui réussissent à maintenir en vie le commerce avec les produits de notre territoire) auxquels il faut ajouter quelques producteurs de vermouth (Lavezzari, 1888, pp. 301-302)15.
Des renseignements plus précis sur la répartition spatiale des vignobles dans le Piémont méridional émergent dans le rapport de l’avocat Giuliano Tamburelli rédigé en 1879 pour le compte du conseil municipal de Novi. Ce rapport est le résultat d’une enquête approfondie menée sur le territoire dans le but de découvrir les conditions réelles de vie des campagnes qui contournent la ville. Il s’agit d’élaborer des programmes d’interventions visant à améliorer les modes de conduite agricoles et les rendements. Cette étude, récemment révélée par un érudit local, indiquait que la vigne représentait la principale ressource agricole du territoire de Novi. Les vignobles s’étalaient « al piano, al colle, al monte » (dans la plaine, sur les collines, sur les montagnes) et on utilisait plusieurs cépages différents. En fait, dans le rapport de Tamburelli, nous pouvons lire que : « Le varietà di essa sono, nei Mandamenti di Ovada, Castelletto e Gavi, il Nebbiolo (Dolcetto), nella massima parte, per i nove decimi del territorio, e per l’altro decimo,Timorasso e Cortese; questi sono i vini migliori per cui i terreni vitiferi hanno valore doppio. Nei Mandamenti di Gavi, Serravalle e Novi, la metà della produzione è rappresentata dal Nebbiolo e l’altra metà dall’Arzese, dal Paterasso e dal Cortese » (Castiglioni, 1997, p. 96) (dans les arrondissement de Ovada, Castelletto et Gavi on utilise pour les neuf dixièmes du territoire viticole le Nebbiolo (Dolcetto), tandis que pour le dixième restant le , sont employés, le Timorasso et le Cortese. Ces variétés produisent les meilleurs vins et, pour cette raison, les parcelles ont une valeur double. Dans les arrondissements de Gavi, Serravalle et Novi, le Nebbiolo représente la moitié de la production vinicole, l’autre moitié se partage entre Arzese, Paterasso et Cortese).
Dans le rapport de Tamburelli, émergent aussi des renseignements sur les techniques de vinification utilisées, qui présentaient des différences non seulement par rapport aux vins blancs et aux vins rouges, mais aussi d’une région à l’autre. En particulier, pour les vins rouges, les plus diffusés, le foulage s’accomplit « a piè nudo d’uomini, in modo non sempre lodevole per precisione e nettezza » (pieds nus, d’une manière qu’on ne pouvait pas toujours vanter pour sa précision et sa propreté). Néanmoins, dans les arrondissements d’Ovada, Castelletto, Capriata, et d’une partie de celui de Gavi, où d’ailleurs on produisait les meilleurs vins, les vignerons suivaient une procédure de vinification différente16 par rapport au reste du canton (campagnes de Novi et les territoires gravitant autour de Pozzolo, Cassano, Serravalle, Pasturana, Tassarolo et la partie restante de l’arrondissement de Gavi)17. Pour le vin blanc, essentiellement le Cortese, le processus de production était tout-à-fait différent de celui adopté pour les vins rouges18. Quoi qu’il en soit, le commerce des deux types de vins menait à Gênes, ainsi que, dans les années où le vin de la Valpolicella se faisait rare, à Milan.
Tamburelli estimait que la production vinicole de l’arrondissement de Novi avoisinait les 250-300 mille hectolitres, dont environ 150.000 destinés à l’exportation. Il souligne aussi que le coupage des vins était une pratique très fréquente comme, également, la production du « vinello » (piquette). Au sujet du coupage, nous pouvons lire dans le rapport : « Talvolta gli speculatori vanno a prendere le uve fuori del Circondario, specialmente in quel d’Acqui. Il vino rosso dei Mandamenti di Ovada, Castelletto e Capriata è quasi tutto ritirato dai negozianti milanesi che lo ricercano per fare miscele con altri vini più leggeri. La sproporzione del vino nero rispetto al bianco sta come 9 a 1, ed anche parte di quest’ultimo si mescola all’altro. Pochi vini di lusso si fabbricano nel circondario e specialmente nei comuni di Ovada, Lerma, Tagliolo e Capriata, dove riescono squisiti » (Castiglioni, 1997, p. 89) (Parfois, les spéculateurs prennent les raisins hors de l’arrondissement, notamment dans celui de Acqui. Presque tout le vin rouge produit dans les arrondissements d’Ovada, de Castelletto et de Capriata est retiré par les marchands milanais qui l’achètent pour en faire des mélanges avec des vins plus légers. La production de vins rouges est neuf fois plus élevée que celle des blancs. Cependant, une partie de ces derniers est mélangée aux premiers. Peu de vins de luxe sont produits dans cet arrondissement ; toutefois, les meilleurs sont issus des villages d’Ovada, de Lerma, de Tagliolo et de Capriata). Pour ce qui concerne le vinello, Tamburelli écrivait : « Gran parte dei residui del torchio si utilizzano nella preparazione dei vinelli immergendoli totalmente nell’acqua. Talvolta riescono gustosi, ma sempre di poca durata e si usano nella famiglie per pasteggiare. Alcuni, però, svinandoli più presto, li fan passare su nuovi graspi migliorandone così il sapore e il colorito, oltre ad allungarne la conservazione. … La speculazione si fa più nei centri di maggior popolazione, meno nella campagna » (Castiglioni, 1997, p. 90) (La plupart du marc obtenu du pressurage du raisin s’utilise pour la préparation du vinello en le plongeant simplement dans l’eau. Parfois, ces vins parfois « aimables », ne durent pas longtemps et les familles les utilisent comme vins de table. Cependant, certains les soutirent plus tôt pour les passer à nouveau sur les rafles, une manière d’améliorer leur goût et leur couleur, ainsi que de prolonger leur conservation. … La spéculation est plus fréquente dans les agglomérations que dans les campagnes).
En 1883, seulement quatre ans après le rapport de Tamburelli, Francesco Meardi, député piémontais au Parlement italien et membre de la commission chargée de l’enquête Jacini, rédige un volumineux rapport sur l’état de l’agriculture dans l’ensemble de la région Piémont, ainsi que dans l’Oltrepò de Pavie et dans la province de Plaisance. Meardi signale que les vignobles les plus florissants prospéraient sur les collines des arrondissements de Capriata, Castelletto d’Orba, Ovada et Gavi (Meardi, 1883, p. 33) et il met en relation le développement en cours de la vitiviniculture avec la crise parallèle de la soierie (Meardi, 1883, p. 52). Dans le rapport, on peut lire que « nel circondario di Novi le condizioni dei contadini si sono specialmente migliorate per effetto della maggiore estensione data alle viti » (l’expansion de la viticulture est à l’origine de l’amélioration des conditions des paysans dans l’arrondissement de Novi) (Meardi, 1883, p. 84) où, à la différence de ce que l’on observe dans d’autres zones du Piémont – sauf l’arrondissement de Tortona – les rangs « sono sostenuti da ceppi a 6 ed 8 gambi, mentre la potatura avviene a tralcio lungo » (sont soutenus par des ceps à six ou huit sarments, pour lesquels on préfère une taille longue) (Meardi, 1883, p. 93). Le paysage agricole était donc dominé par la viticulture. Toutefois, il s’agit encore d’une culture essentiellement mixte et liée à la rotation des cultures, en particulier dans la région des collines où « tra le viti suolsi sostituire al mais, legumi, patate, lupini, lupinelle e altre piante foraggere e da sovescio » (on a l’habitude de remplacer le maïs, parmi les rangs de vignes, par des des légumineuses, des pommes de terre, du lupin, voire d’autres plantes fourragères ou destinées à l’engrais vert) (Meardi, 1883, p. 223). Dans l’arrondissement de Novi « prevalgono i proprietari che dirigono e amministrano personalmente i loro poderi e li fanno coltivare da operai permanenti sul fondo, detti bifolchi, e nelle epoche dei forti lavori ricorrono ad operai avventizi. L’affitto è di minore importanza » (les propriétaires qui gèrent eux-mêmes leurs domaines sont très nombreux. Ils engagent des travailleurs permanents sur les fonds, qu’on appelle bifolchi (rustres), tandis que pendant les périodes des vendanges ou de la taille, ils ont recours à des adventices. Au contraire, les parcelles en location sont plus rares) (Meardi, 1883, p. 575). Etonnamment, l’auteur ne mentionne pas le métayage qui était pourtant à ce moment là un élément typique du paysage viticole de la région, notamment dans l’arrondissement d’Acqui.
En conclusion, les transformations qui se réalisent dans le paysage agricole pendant le XIXe siècle sont caractérisées par deux facteurs étroitement liés entre eux : d’un côté, la vive croissance de la petite propriété paysanne, tout en reconnaissant une présence encore significative du métayage (Rapetti, 1984, p. 85) ; de l’autre, l’essor de la viticulture, qui devient peu à peu l’activité agricole dominante de la région, jusqu’à en caractériser le territoire. Sur la même période, l’arrondissement d’Ovada émerge comme la zone de production du dolcetto, dont la commercialisation vers Gênes avait bénéficié de l’ouverture de la voie ferrée Ovada-Novi Ligure en 1881. Le nouveau tronçon ferroviaire permet alors de rejoindre la ligne Turin-Gênes qui fonctionne depuis l’Unité Italienne, ainsi que la ligne Gênes-Ovada-Acqui-Asti mise en place le 1894 (Subbrero, 1986, p. 4 ; 1988, p. 39). Ovada, initialement village agricole, devient définitivement une ville commerciale pendant les mêmes années (Subbrero, 1987, pp. 13-15).
Le XXe siècle
Au début du XXe siècle, le processus d’industrialisation qui avait déjà touché Novi s’amorce même à Ovada. Cependant, l’apparition des premières usines n’arrivera pas à causer un impact important sur le paysage. A l’appui de cette thèse, on peut mentionner un guide touristique de l’époque, dans lequel le territoire communal de Ovada est décrit encore comme situé : « al cofluente dello Stura nell’Orba, nel bel mezzo di una ricca e pittoresca valle, coronata di castelli, di ville e di vigneti fiorenti » (à la confluence de la Stura dans l’Orba, au milieu d’une vallée pittoresque et riche, entourée par des châteaux, des villas, ainsi que de vignobles florissants) (Rossi, 1908, p. 15). Le même guide poursuit, à propos du village de Tagliolo, toujours situé dans le Haut Montferrat près d’Ovada, en soulignant que : « … la via che vi conduce, partendo dallo stradale di Novi , sale e s’aggira fra ridenti colline, ricche di vigneti e piani ubertosi … » (la route pour y arriver de Novi grimpe parmi des collines sinueuses, riches à la fois en vignobles et prairies). (Rossi, 1908, p. 95).
Au début du XXe siècle, donc, l’économie du Haut Montferrat est encore essentiellement agricole, dominée par la viticulture, notamment dans la zone des collines. Pourtant, le premier foyer du phylloxera en Italie sera identifié entre le 1897 et le 1898, à Valmadonna exactement, en Piémont, entre Alexandrie et Valenza. L’insecte ravageur se propagera promptement dans le Bas Montferrat, dans les Langhe et dans le reste du département de Cuneo (Castronovo, 1977, p. 232), alors qu’il touchera les vignes du Haut Montferrat pendant la première décennie du XXe siècle. Le phylloxera ouvre ainsi une période de crise qui poussera beaucoup de vignerons à abandonner les vignobles, en particulier les parcelles situées dans les plaines ainsi que les cultures mixtes. En revanche, dans les zones les plus adaptées à la vigne s’amorce un processus rapide de reconstitution des vignobles sur pied américain. Ce phénomène conduira à un bouleversement radical des systèmes agricoles traditionnels ainsi qu’à la transition d’une viticulture essentiellement mixte à une viticulture spécialisée. Malgré cela, le désordre commercial causera des graves conséquences notamment dans l’arrondissement de Novi, où se déploieront plusieurs crises d’abondance comme de sous-production. Une situation très contradictoire par rapport au XIXe siècle, où la production vinicole dépassait toujours les besoins locaux.
Le « Guida Vinicola » (guide des vins) parue en 1911 à Casale Monferrato signalait que les cépages les plus répandus à l’époque dans l’arrondissement de Novi étaient le Dolcetto et surtout le Cortese, tout comme aujourd’hui d’ailleurs. Le Cortese, le plus réputé arrivait de Gavi, où la production vinicole atteignait 20-30 mille hectolitres par ans. Le Dolcetto, au contraire, occupait la première place dans l’arrondissement d’Ovada, où il représentait le 9/10 de la production totale de vin. Le guide cite aussi la présence d’autres cépages qui occupaient une position secondaire dans le contexte générale du Piémont méridional comme ceux destinés à la production du « Timorasso » ou « Morasso », un vin blanc sec, et du « Moretto », un vin très rustique et plutôt âcre. Enfin, il faut rappeler la présence du domaine du marquis Giuseppe Pinelli Gentile, à Tagliolo (département d’Alexandrie), où poussaient des vignobles de Sauvignon, de Cabernet, de Riesling, ainsi que de Pinot (blanc et noir). Comme on peut le déduire du dynamisme productif et commercial de certaines communes (Tab. 1), le Cortese est à l’époque un produit très recherché sur le marché, notamment en Ligurie, mais aussi en Suisse et par les producteurs de Vermouth. De nombreux problèmes perdurent cependant. Dans l’arrondissement de Novi, on se plaint par exemple de l’existence d’une seule cave sociale, dont on souligne aussi le manque de solidarité et de coopération, ainsi que la désorganisation totale entre les producteurs. Ces défaillances jouent ainsi négativement sur l’économie de la région, dans les années d’abondance et comme dans celles de faible production.
Pendant la seconde et la troisième décennie du XXe siècle, on observe une forte diminution de la surface viticole. La réduction atteint plus de 60-70% dans certains villages de colline, comme San Cristoforo, Capriata d’Orba, Mornese et Montaldeo. Au cours des décennies suivantes, la viticulture semble de plus en plus conditionnée par la fragmentation et par la dispersion des propriétés. Les investissements pour moderniser la production sont rares, en particulier en ce qui concerne la fertilisation des sols et la mécanisation des travaux agricoles. De plus, l’organisation technique et commerciale est encore insuffisante pour garantir la valorisation du vin local sur les marchés (Demicheli, 2005, p. 66). Lors des années suivantes, notamment au cours de la décennie 1960, nous assistons à une baisse démographique qui touche tous les communes de montagne et la plupart des village de colline, en raison de l’attraction exercée par les villes du triangle industriel italien (Milan, Gênes et Turin), mais aussi a cause du processus d’industrialisation et d’urbanisation en cours dans les pôles locaux de Novi, Acqui et Ovada (Rocca, 1984, pp. 89-90). Les conséquences de ce phénomène sont l’abandon presque total des vignobles en culture mixte, ainsi que la disparition de plusieurs vignobles spécialisés. Cela explique les données de 1970 qui indiquent une diminution de 31,5% des espaces viticole dans l’arrondissement d’Ovada par rapport à 1929, et même, de 49,7% dans l’arrondissement de Novi. A cet égard, Dino Gribaudi signalait déjà à la fin des années soixante que pour comprendre les causes de la contraction de la viticulture il n’était pas nécessaire de « fare un lungo discorso per darsene una ragione » (tenir des longues discours), puisque il s’agissait d’une « coltura estremamente impegnativa ed attiva, quella della vite è la prima a soffrire della fuga di forze giovani dalle campagne, attratte dalle industrie della non lontana città » (culture qui nécessitait un travail très prenant et qu’elle fut donc la première à souffrir de l’exode rural des jeunes vers les usines de la ville). En outre, Gribaudi, à propos de la situation du Piémont pendant le « miracolo economico » (miracle économique) italien, n’hésite pas à préciser que « spesso i giovani vignaioli del luogo, portati ad inurbarsi, sono sostituiti da immigrati veneti o meridionali, cui fanno difetto le pratiche tradizionali e l’attaccamento alla terra » (les jeunes vignerons locaux qui partent pour la ville sont souvent remplacés par des immigrés de la Vénétie ou du Sud de l’Italie, auxquels manquent la connaissance des pratiques viticoles traditionnelles et l’attachement à la terre) (Gribaudi, 1971, p. 111).
Du point de vue de la production et de la commercialisation, le marché vinicole du Montferrat était fondé sur des structures essentiellement privées, le système coopératif restant très secondaire. En effet, si dans la région d’Alexandrie on peut signaler la présence de « caves sociales » à Tortona, Acqui, Rosignano, Lu, Ricaldone, Rivalta Bormida, Montaldo et Cassine, seule dans le Piémont méridional, existe la « Cantina Sociale Produttori del Gavi » (Cave Coopérative Producteurs du Gavi), établie en 1951 par 83 associés, nombre qui augmentera pendant les années 1960 - 1970 jusqu’à atteindre au début des années 1980 le nombre de 276. D’ailleurs, le développement de cette cave a été favorisé aussi par la transformation du marché du vin italien qui, à partir de cette période, s’est accru au profit du vin blanc contre le rouge. Ainsi, pendant les années 1980, le « Cortese di Gavi » s’affirme hors de ses marchés traditionnels du Piémont, de la Ligurie et de la Lombardie, en atteignant d’autres régions italiennes, notamment le Latium. En ce qui concerne les exportations, les Etats-Unis deviennent alors le principal marché à l’étranger (Rocca, 1984, p. 95).
La contraction des surfaces viticoles se poursuit même dans les années 1970-1980, hormis dans les zones de production des vins blancs doux de haute qualité, comme le muscat mousseux des villages d’Alice Bel Colle et de Ricaldone, ainsi que les espaces des vins blancs secs comme le Cortese produit dans la région de Gavi et dans les territoires de Novi, Tassarolo, Francavilla Bisio et Carrosio. L’aire de production du « Cortese di Gavi » a acquis, entretemps, une position toujours plus importante dans la viticulture régionale et sa surface en culture est en expansion, alors que le « Dolcetto di Ovada » continue à perdre des places et des vignobles. Notons qu’en ce qui concerne les vins rouges, l’aire du « Brachetto d’Acqui » est la seule zone de production qui montre une croissance pendant les dernières années, notamment dans les villages d’Alice Bel Colle, Ricaldone et Terzo d’Acqui (Tab. 2). La diminution du nombre des exploitations viticoles affecte soit la zone de production des vins blancs, soit celle des vins rouges. Ce sont les petits propriétés qui souffrent le plus des abandons, car leur taille ne permet pas de supporter la compétitivité du marché. Cependant, cette contraction, en particulier très sensible dans la zone de production du « Cortese di Gavi », a conduit à un remembrement. Ainsi la taille moyenne des exploitations s’est récemment accrue, impliquant des avantages significatifs en termes d’économies d’échelle (Tab. 3-5).
Les perspectives d’un développement touristique durable
Le futur du Haut Montferrat est étroitement lié aux opportunités offertes par un tourisme qui vise à la revalorisation de l’environnement. En particulier, la région collinaire abrite des ressources écologiques et historico-culturelles qui sont encore restées peu exploitées. Dans ce contexte géographique, le paysage naturel et les transformations que les hommes y ont apportés, comme c’est le cas de la viticulture et des biens culturels qui y sont liés, peut représenter le moteur d’une valorisation durable de plusieurs territoires. Des régions devenues de plus en plus marginales du point de vue économique, sont pourtant parsemées de villages et manoirs médiévaux de haute valeur touristique, comme ceux que l’on peut visiter dans les alentours d’Aqui, ainsi que dans la zone entre Ovada et Gavi. Ces biens se dévoilent aujourd’hui aux yeux des visiteurs comme des lieux et des espaces de l’oubli.
Dans les régions où la viticulture s’est développée plus récemment, nous pouvons observer aussi un accroissement de l’offre d’hébergement touristique extra-hôtelière, sur le modèle des Langhe. Il s’agit de localités capables de proposer un paysage agréable et reposant, qui réponde aux exigences des touristes recherchant un bien-être psychophysique, et la découverte de la culture locale à travers des expériences en contact direct avec la population. Ces motivations sont à la base, peut-être, de l’essor des structures touristiques dans les régions rurales. A ce propos, il faut rappeler que pendant la seule période 2005-2013, les agritourismes ont doublé, passant de 38 à 76 en activité, dont plus de la moitié dans la région d’Acqui (en raison aussi de la présence des thermes). En outre, d’autres structures sont réparties uniformément entre les arrondissements d’Ovada et Novi. Le nombre de Bed and Breakfast s’élève à plus de 70 et leur répartition territoriale est similaire à celle des agritourismes. La ville d’Acqui s’impose donc comme le principal pôle touristique de la province d’Alexandria (Tab. 6).
Pour ce qui concerne le secteur hôtelier, les trois régions (Novi, Ovada et Acqui) du Haut Montferrat ont enregistré une augmentation du nombre des arrivées touristique pendant la période 2008-2012. Pourtant, le nombre de touristes n’a seulement augmenté que dans les zones de Novi et Ovada, tandis que la zone d’Acqui subit une baisse de plus de 10% (Tab. 7). En revanche, on observe un véritable essor du secteur extra-hôtelier : pendant la même période, les arrivées ont presque doublé (+96%) et les présences ont augmenté de 117,7%, avec des taux un peu plus élevés dans la zone de Novi par rapport au Montferrat méridional (Tab. 8).
A la suite d’un questionnaire transmis à un échantillon représentatif de témoins privilégiés, comme des opérateurs du secteur hôtelier et extra-hôtelier, un avis unanimement favorable s’est dégagé relativement aux ressources écologiques et historico-culturelles du Haut Montferrat. Ce territoire possède tous les atouts pour un développement relativement important des activités touristiques. Il est bien desservit par une bonne accessibilité routière qui permet des liaisons rapides avec les principales agglomérations urbaines du Nord-Ouest de l’Italie, ainsi qu’avec les aéroports de Milan, Turin et Gênes. Toutefois, si l’on exclut la voiture, l’accessibilité avec d’autres moyens de transports révèle sans doute une faiblesse importante de l’offre touristique locale. Une carence à laquelle il faut ajouter la présence d’une signalisation modeste des lieux d’intérêts touristique et l’absence presque complète de structures locales d’accueil et d’information, ainsi qu’une accessibilité insuffisante de l’offre muséale, notamment pour en qui concerne les châteaux, les palais, les châteaux forts, les domaines, les édifices religieux. Les interventions publiques ont été jusqu’à présent quasiment inexistants, si l’on exclut les agritourismes qui profitent d’allégements financiers et fiscaux. La promotion du territoire à travers la réalisation d’un label touristique de qualité aurait pu déclencher un cercle vertueux de développement touristique durable. Enfin, pour favoriser le processus de développement touristique local, les acteurs publics et privés doivent travailler ensemble, sans perdre plus de temps, pour réaliser, sur le plan juridique même, un véritable Système Touristique Localisé, un instrument de gouvernance indispensable pour procéder à la planification de stratégies intégrées de développement local.