« Là, deux ruisseaux cachés sous des ponts de verdure,
Tracent en serpentant les contours du vallon ;
Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure,
Et non loin de leur source ils se perdent sans nom. »1
La protection de l’origine et de la qualité des productions dites typiques n’est pas un fleuve tranquille. Crispations, incompréhensions, velléités sont les paramètres humains et subjectifs qui ont construit cette protection juridique au long des presque deux cents dernières années. Des dissensions ont fait perdre un objectif de cohérence et surtout de compréhension de ce qu’est la protection d’une production typique et avant tout de ce qu’est une production typique.
Après analyse des différents systèmes de protection de l’origine, on peut estimer que chaque texte d’États ou d’Organisation Internationale principalement concernées par la question, que ce soit l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, l’Organisation Mondiale du Commerce ou l’Union Européenne, établit une protection particulière de l’origine des productions typiques de manière plus ou moins efficace, mais, surtout, quelque peu dissonante.
Outre les approches historiques et juridiques, ce sont les approches religieuses, sociologiques, économiques et philosophiques qui portent le fondement de cette politique de la protection de l’origine. En effet, contrairement à ses prémices envisageant une protection sur l’ensemble des productions que l’on peut de nos jours qualifier de typiques par les facteurs naturels et/ou humains, ce fondement a été sacralisé sur les productions vitivinicoles, occultant les autres productions typiques, limitant le développement de cette politique. Cette approche est des plus évidentes. En effet, cette problématique de la protection de l’origine pour tous produits, mais orientée par la suite principalement pour les productions vitivinicoles, trouve ses sources au sein de nos vieux pays européens, Portugal ou France notamment.
L’attachement au vin, à la vigne provient indéniablement de nos origines judéo-chrétiennes au travers desquelles le vin est une des fondations de la religion par les Livres. L’influence indéniable du catholicisme, en France notamment, par la conception du sacré religieux du vin a autorisé les défenses et les appropriations de ce breuvage au détriment d’autres productions agricoles ou artisanales typiques. Doivent être associées à cet attachement religieux les politiques intérieures de la France à économie dirigée, les graves crises qu’a subi la production vitivinicole ainsi que les valeurs de la consommation du vin en notre pays, valeurs variant selon les milieux sociaux. Cette influence de la vitiviniculture dans le développement des réglementations liées à la protection de l’origine par les Appellations d’Origine (AO) et Indications Géographiques (IG) a perduré dans le temps au point que cette protection spécifique pour les productions vitivinicoles s’est imposée naturellement à l’échelle internationale par le poids géopolitique alors de la France dans les économies mondiales.
Indéniablement, il ne pouvait pas être autrement que cette production soit ardemment défendue, éclipsant la compréhension de ces outils de protection de l’origine pour diverses autres productions typiques. Indéniablement également, il ne pouvait pas en être autrement que nombreux États ne partageant pas les origines judéo-chrétiennes catholiques ne puissent s’approprier de la même manière la problématique de la protection de l’origine. Culturellement des mondes s’affrontent. Ces visions ne se comprennent pas forcément notamment par manque certain d’explications posées, de traditions comprises, d’analyses géopolitiques ou historiques approfondies. Mais n’est-ce pas là aussi, dans cette diversité, que se cachent les productions typiques ?
Les attachements culturels, cultuels, politiques et géopolitiques sont des pistes d’entrée qui ne peuvent pas être négligées pour comprendre les raisons pour lesquelles le développement des réglementations de protection des productions typiques s’est cristallisé sur la production typique vin au détriment des autres productions. Les conceptions juridiques, philosophiques, culturelles se sont principalement opposées entre les États de tradition latine et ceux de tradition anglo-saxonne, entre les divers accords internationaux et au sein d’un même groupe d’États, voire au sein d’un même État. Le vin, qui « emplit l’âme de toute vérité, de tout savoir et philosophie »2, a certes quelque peu embrouillé, embrumé et enivré les analystes, mais, par le biais des nombreux conflits suscitant indispensablement sa protection, a été mis à jour le formidable potentiel de la protection de l’origine des productions typiques.
La question que nous devons soulever est de connaître le point commun entre ces signes distinctifs, entre ces droits de protection. Que protègent-ils fondamentalement ? Une qualité, une marchandise, un commerce, une rente territoriale potentielle, c’est un aspect de la protection que l’on doit retenir. Toutefois, par les recherches menées sur près de deux cents États, l’ensemble des accords internationaux sur près de deux siècles, nous aboutissons à une constatation fondamentale : les points communs élémentaires et primordiaux qui réunissent ces productions sont des hommes, des femmes, des enfants, des générations, des Histoires, des cultures, des Terres, des terroirs, des savoir-faire, des espaces créateurs de droit, des Territoires, en un mot, ce que nous avons qualifié de Territoire de Productions Typiques3.
Le Pr. Léon DUGUIT, pour qui le droit est le droit est l’émanation d’ « une règle sociale des consciences et des volontés individuelles », nous invite à considérer que « les sociétés sont le produit d’une évolution naturelle », et l’homme d’État « comprendra surtout qu’il ne doit pas seulement considérer le présent ou remonter quelques années en arrière, mais étudier la longue élaboration de laquelle sont sorties les sociétés contemporaines », et d’ajouter « respecter le passé, espérer en l’avenir »4.
La protection de l’origine des productions typique détermine à considérer comment l’espace peut créer le droit, espace qui inclut le territoire au travers de ses caractères sociaux, commerciaux et ses politiques publiques et même ses rapports géopolitiques. Ce territoire se définit au travers de la complexité d’un triangle « Espace-Sujet-Société » tel que relevé par Messieurs DI MEO et BULEON5.
De l’influence de la fraude et de la vitiviniculture sur la protection de l’origine et de la provenance des productions typiques
Le vin a concentré essor, évolution et dissertation d’une réglementation des productions dites typiques au point d’en acquérir un statut propre, indépendant des autres marchandises. Ce produit réunit des éléments culturels et fondamentaux à la vieille Europe et ses pays latins, leurs traditions, contrairement à d’autres produits typiques. En effet, il est le seul produit agroalimentaire qui au cours des Âges a concentré autant de symboles : du Caucase à l’Inde en passant par les Égyptiens et la Chine ; des Grecs et Romains lui rendant hommage par les fêtes dédiées à leurs dieux, Dionysos et Bacchus, dont certaines prônaient la décadence ; de la religion Judéo-Chrétienne pour qui le vin est le sang et un des symboles de l’Alliance entre Dieu et les Hommes ; du Coran qui sacralise le vin par « l’expérience extatique céleste »6 alors que sur Terre celui-ci est source de blasphème. « Aussi loin que remonte l’histoire des civilisations, la vigne et le vin sont toujours présents, indissolublement mêlés à nos mythologies. »7 Le vin, qui est lié à la culture, aux traditions, à la religion, à la Connaissance, a su agréger cette notion de production de terroir, production de territoire devrait-on plutôt dire, engendrant indéniablement sa protection, au point de bénéficier aux niveaux étatique et international d’un statut spécial notamment au sein de l’ADPIC et d’une organisation internationale, l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin.
Toutefois, qu’est-ce qui légitime ce statut juridique dérogatoire, ce statut juridique exceptionnel, octroyé au vin face aux différentes productions agroalimentaires ou artisanales ? Cette protection supérieure conférée au vin est liée aux différentes crises touchant la filière vitivinicole depuis la fin du XIXe siècle. Le poids économique et sociétal du vin, surtout en France et en Europe, ainsi que les fraudes subies par ce secteur économique influencèrent fortement la protection de l’origine et de la provenance des marchandises qualitatives, ces productions dites typiques, par l’usage d’un nom de lieu au point d’occulter, voire d’oublier, les origines réelles de cette protection, à savoir la loi de 1824 relative aux altérations ou suppositions de noms dans les produits fabriqués. Pourtant, l’usage des noms de lieu utilisés pour qualifier des productions typiques, l’usage d’un signe distinctif différenciant les productions et les territoires dont elles sont issues, aussi ancien soit-il, a suscité l’intérêt du législateur à partir du moment où l’usurpation, l’usage frauduleux de ces noms de lieu, contraignit sa réglementation, contraignit la protection de l’origine et de la provenance des productions typiques. Les textes de Pline l’Ancien parlent d’eux-mêmes à ce propos8.
Les enjeux économiques et géopolitiques des productions typiques sont tels que le développement des fraudes en serait presque le corollaire induisant progressivement une protection de leur origine. En outre, la sécurité des consommateurs est également un enjeu fondamental pour toutes marchandises dans laquelle se délecte le contrefacteur. Ce contrefacteur est d’autant moins inquiet qu’il peut être assuré, en ce qui concerne la protection de la qualité / typicité des marchandises, de la collusion de certains États qui n’hésitent pas à passer outre les protections octroyées par les accords internationaux ou bilatéraux, l’usage illicite dans le monde de l’Appellation d’Origine Contrôlée « Champagne » est l’exemple le plus marquant. Selon ces États peu scrupuleux, il existerait une incompatibilité entre un monopole étatique, à l’image des Appellations d’Origine Contrôlées, et les règles de libre circulation des marchandises. La protection des productions typiques, qui apparaissent dans de nombreux États comme des biens d’envergure nationale, s’assimilerait de ce fait à un protectionnisme inacceptable en matière d’échanges commerciaux internationaux, légitimant alors également l’utilisation frauduleuse de ces noms de lieux, de ces signes distinctifs protégeant l’origine et la provenance des productions typiques, voire légitimant le refus à toute discussion évolutive positive.
Des origines juridiques de la protection de l’origine des productions typiques
Pourtant, la protection des noms géographiques est consécutive de la volonté de protection des productions typiques et de la rente économique qu’elles constituent – rente relative au regard des diverses crises viticoles – qui doit être qualifiée de rente territoriale. En effet, la protection des productions typiques n’a pas pour unique vocation de sauvegarder le patrimoine national qu’elles constitueraient au sein des États. Échappant au modèle fordiste, les producteurs recentrent leur offre vers des « “agents naturels” de la production, les ressources non reproductibles et non substituables, les facteurs de différenciation »9. L’approche relationnelle entre les producteurs et les consommateurs est unie par le souci d’une lutte efficace contre la fraude garantissant, par les mesures juridiques mises en place, l’origine et les qualités inhérentes aux marchandises. Aujourd’hui oubliée ou simplement évoquée comme passage premier vers une protection plus efficace des productions typiques, qui serait assurée par la propriété intellectuelle, la fraude en symbolise le fondement. En protégeant une zone commerciale géographiquement définie contre la fraude, on assure la pérennité du territoire, de ses productions, de ses cultures, de ses valeurs, de sa rente, de ses traditions, du savoir-faire, en un mot, un territoire dans son entièreté.
Contrairement aux allégations soutenues depuis de nombreuses années, la loi française du 28 juillet 1824 relative aux altérations ou substitutions des noms sur des produits fabriqués – en vigueur dans notre réglementation jusqu’à l’ordonnance 2016-301 du 14 mars 2016 à l’article L.217-1 du code de la consommation, article modifié depuis cette ordonnance et en vigueur à l’article L.413-4 du code de la consommation – représente, au regard surtout de la jurisprudence en découlant, le texte fondateur de la protection juridique des productions typiques en France. En effet, la jurisprudence traduisit pour la première fois l’idée des facteurs naturels et humains, du terroir et du savoir-faire. Cette loi généraliste luttant contre la fraude est certes loin d’être parfaite. Pourtant, elle s’avéra être plus protectrice de l’AO que certains autres textes adoptés au gré de luttes viticoles quelquefois sanglantes10 en garantissant les noms de fabricants et les lieux de fabrication sur le fondement du « droit de propriété que nul ne doit envahir »11. Initialement adoptée pour servir les intérêts de l’industrie drapière, elle garantit surtout la qualité / typicité des productions issues de ces lieux non limitée, comme l’application des lois dites fondatrices de l’AO aux seuls produits agraires. Cette loi, toujours en vigueur, a eu par sa globalité le mérite d’autoriser une liberté interprétative de la philosophie de l’AO et d’enclencher sa conceptualisation.
La construction du droit français de protection de l’origine au travers des AO s’opéra grâce à l’influence de la vitiviniculture dont l’activisme, surtout de Joseph CAPUS, pour changer cette loi de 1919 protégeant l’origine de marchandises sur les critères géographiques au détriment de ces facteurs naturels et humains, doit être salué. La France vota alors le Décret-loi de 1935 créant les Appellations d’Origine Contrôlées (AOC) (viticoles), la Communauté Économique Européenne s’empara de cette question pour les productions viticoles au travers des Organisations Communes de Marché (OCM), et pour les productions agroalimentaires à partir des règlements sur AOP / IGP de 1992 tels que modifiés, le droit français s’élargit aux productions agroalimentaires à partir des années 1990 au détriment des origines fondatrices, les productions artisanales typiques, au détriment de la notion de savoir-faire face à celle du terroir. Une problématique similaire se retrouve à l’échelle internationale.
Parallèlement au développement du droit français de la protection de l’origine par ce qui sera le droit des AOC, le droit des marques offre historiquement une perspective intéressante pour comprendre la relation entre marque et AO. La marque en droit français est une résurgence à l’image des AO de la tradition corporatiste française d’avant 1789. En effet, « avant 1789, une multitude de métiers étaient assujettis à l’obligation de la marque. Mais la marque n’était pas alors ce qu’elle est généralement aujourd’hui, la simple signature du fabricant ou du commerçant sur l’objet de sa fabrication ou de son commerce ; elle était de plus le certificat de l’autorité publique touchant la qualité du produit, son origine, son poids, etc… »12 La Révolution libéralisa l’approche privatiste de la question de l’emploi des marques tout en conservant quelque peu l’ancienne conception au travers de certaines marques collectives. C’est par la loi de 1857 qu’en France fut organisé pour la première fois le plus efficacement le régime des marques en refondant, complétant et coordonnant la législation existante sur les marques de fabrique et de commerce. Cette grande loi ne subit finalement que deux réformes en 1964 et en 1991 rendues nécessaires par l’évolution du droit international de l’OMPI et de la Communauté européenne. Or, contrairement à des développements ultérieurs, les interprétations et les normes adoptées justifiées par la sauvegarde du monde vitivinicole en France et à l’international à partir de la fin du XIXe siècle limitèrent le champ d’application de ce droit des marques pour la protection de l’origine. En effet, l’idée de préserver un territoire, par un savoir-faire, une réputation, une qualité, une rente économique, un droit collectif de propriété dominait en France et à l’international ; les protections de l’origine se sont orientées vers le droit des AO.
Toutefois, au niveau international les pistes furent brouillées par une incompréhension généralisée entre les protagonistes, principalement sur ce qu’est une production typique – problématique que l’on retrouve encore de nos jours – et spécialement sur la question des génériques qui engendra les dispositions saugrenues de l’article 10 de la Convention d’Union de Paris de 188313. D’autre part, la méconnaissance du terme « Appellation d’Origine » par le droit anglo-saxon ou germanique influença durablement ce droit au point que les objectifs originels tombèrent dans un cul-de-basse-fosse. En outre, par l’influence prépondérante de la vitiviniculture et de la crise économique que ce secteur subissait, la protection des productions typiques fut orientée vers les productions viticoles – dont le premier trait donné à l’exception viticole internationale fut consacré par l’article 4 de l’Arrangement de Madrid de 1890 – et par la suite vers les productions agroalimentaires de manière quasi-exclusive. À Madrid, suite à des discussions animées au sujet de la dégénérescence des dénominations d’origine, la protection avait été envisagée par les délégués du Portugal comme devant s’appliquer aux produits agricoles suscitant indéniablement la contrefaçon et répondant « à des conditions particulières de climat et du terroir qui ne sauraient être changées ni transportées »14. Elle fut pourtant réduite aux vins, sans justification logique, sauf à considérer l’influence de la crise viticole sévissant et cristallisant la colère des producteurs à tort contre la fraude (qui ne représentait que 5 % de la production), occultant alors la véritable cause, la surproduction15.
Pourtant dans le paysage juridique international, seul, l’Arrangement de Lisbonne de 1958, dont une modification est intervenue le 20 mai 201516, offre une protection complète des AO pour toutes les productions naturelles, artisanales et industrielles sur la base d’une proposition amendée de la délégation d’Israël aux fins de la définition de l’AO en son article 2. Cette proposition israélienne était réfléchie sur l’idée « selon laquelle de nombreux pays qui ne distinguent pas encore entre appellations d’origine et indications de provenance, ne pourraient adhérer au nouvel Arrangement que s’il donne une indication claire de ce qu’est une Appellation d’Origine. »17 Et pour autant, les pays n’ont pas plus réussi à distinguer entre toutes ces notions, faisant de l’Arrangement de Lisbonne un club très select au sein duquel de nombreux pays eurent du mal à adhérer. Malgré tout cet accord est des plus intéressants et représente un outil formidable pour la protection de l’origine des productions dites typiques. L’accord ADPIC de l’OMC de 1994 offre quant à lui au travers des articles 22, 23 et 24, une protection globale, mondialisée, soutenant cette exception viticole internationale.
Par l’étude menée sur les différents accords internationaux et les réglementations étatiques, on prend conscience que l’ensemble de ces réglementations fait apparaître que le droit des IG / AO est un droit d’application assez récente au niveau international. Ce sont par ailleurs les textes internationaux qui ont influencé l’intégration de ce droit dans bon nombre de législations étatiques, pour beaucoup, orientées vers les productions agroalimentaires et vitivinicoles, notamment au sein de l’Union Européenne dont les approches de politiques publiques étatiques en la matière fournissent un éclairage des plus intéressants à la compréhension des barrières existantes malgré la réglementation européenne. De plus, il ne faut pas occulter les accords bilatéraux dans le processus de protection de l’origine. En effet, les négociations bilatérales menées par les États ou par exemple par l’Union Européenne avec des États tiers ont permis de réaliser des progrès considérables en matière de protection des IG / AO. Néanmoins, l’interprétation accordée au droit des IG / AO a soulevé de nombreux antagonismes à l’échelle internationale, surtout au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce, au point d’engendrer des crispations telles sur les évolutions du droit des IG que, si ces dernières aboutissent, ce ne sera nullement sur la base d’une compréhension mutuelle des protagonistes et des différents droits, mais sur l’influence géopolitique globale de la négociation à l’Organisation Mondiale du Commerce ou ailleurs.
Au travers de cette approche on retrouve, quoi qu’on en dise, les conceptions philosophico-économico-religieuses des États entre les pays nordistes à économie plus libérale et influence de la religion chrétienne protestante et les pays du sud à économie plus dirigée et influence de la religion chrétienne catholique. Bien qu’à cette approche je mettrai un bémol pour nos amis anglais qui ont été extrêmement impliqués au niveau international lors des débats depuis la Convention d’Union de Paris et ont fait de nombreuses propositions qui auraient mérité à l’époque de pouvoir être adoptées au gré des Conventions18. S’interprètent alors les raisons philosophico-économico-religieuses entre les différents États qui ne conceptualisent pas la protection de l’origine des productions dites typiques. S’analysent aisément les oppositions tenaces entre les pays latins et les pays anglo-saxons, entre l’Union Européenne et les États-Unis d’Amérique. Se comprennent les oppositions et incompréhensions de ce que peut-être une production typique et des différents systèmes juridiques imaginés et créés pour assurer leur protection : le droit des fraudes, le droit des AO ou IG et ce qui semble de prime abord le plus surprenant, le droit des marques.
Du droit des marques : un outil stratégique à la protection de l’origine des productions typiques
La protection internationale du droit des marques est née au travers des conventions internationales par l’ancêtre de l’OMPI à partir de la Convention d’Union de Paris de 1883. Plus simplement que pour le droit des AO / IG, les principes juridiques furent d’ailleurs fixés pour les marques simples dès 1925 lors de la Convention de La Haye et pour les marques collectives à partir de 1934 lors de la conférence de Londres. Le droit des marques fut inséré dans l’Accord sur les ADPIC et dans de nombreux accords régionaux comme ceux de la construction européenne et à partir de tous ces textes à diverses époques dans les réglementations nationales. De fait, de nombreux États autorisent donc l’utilisation d’un nom géographique en tant que marque que ce soit pour des marques simples ou pour des marques collectives. Pourtant, l’utilisation du droit des marques pour protéger les productions typiques n’est pas entendue de tous les États, alors que ce sont deux droits consubstantiels à la protection de l’origine. Cependant, cette réponse n’est que partielle et insatisfaisante parce qu’elle est assise sur une opposition presque irréconciliable tant l’emploi de ces signes pour des usages s’avérant divers n’est pas compris de tous. Le problème est que l’on a toujours considéré que ces droits étaient opposés. Le rapport entre ces différents signes distinctifs a suscité, au-delà des crispations conceptuelles, de nombreux commentaires plus favorables à l’un ou à l’autre signe en fonction de la philosophie dominante de la protection des productions typiques.
Or, cette question du rapport entre marque et AO / IG ne se pose pas uniquement du point de vue de la superposition des signes distinctifs de propriété intellectuelle dans un objectif de commercialisation, voire également de celui du rapport organisé entre ces signes distinctifs, rapport pouvant être nécessaire face à la spoliation d’une propriété intellectuelle antérieure. Le droit des marques peut servir au même titre que le droit des AO / IG à la protection de l’origine des productions typiques. De nombreuses similitudes et une certaine homogénéité existent entre les différentes réglementations étatiques sur les questions du droit des AO / IG ou du droit des marques. Cette homogénéisation des textes juridiques se conçoit notamment au regard des divers engagements internationaux desquels les États sont parties si et seulement si les dissensions géopolitiques et les combats pour une mondialisation des échanges ne faisaient pas tant rage dans la sphère internationale entre les conceptions de deux leaders, deux blocs semblant antagonistes, celui des européens et celui des américains. En mars 2010, Monsieur Pascal Lamy indique que « les délégations ont continué d’exprimer à propos des indications géographiques des vues divergentes, qui caractérisent ce débat depuis longtemps. Mais malgré cela, les éclaircissements apportés ont montré que les systèmes de marques constituaient des formes légitimes de protection des indications géographiques, conformes au principe général selon lequel les Membres sont en droit de choisir leurs propres moyens de mettre en œuvre les obligations qui leur incombent en vertu de l’Accord sur les ADPIC ». Cette conclusion était reprise d’une intervention similaire effectuée en juillet 200919. En soi, il s’agit au niveau international, depuis juillet 2009 seulement, d’une reconnaissance officielle (très légère) du système des marques comme garant de la protection de l’origine des productions typiques. Malgré l’avancée que peuvent constituer les prémices bloquées de la rédaction d’un accord sur le registre d’enregistrement et de notification des vins et des spiritueux, ou des accords bilatéraux qui se développent, la sphère internationale se fait sourde à cette évidence que, le droit des marques, le droit des AO / IG et les règles de lutte contre la fraude sont des droits de même nature permettant de protéger l’origine des productions typiques.
Au-delà de cet aspect géopolitique, la grande majorité des réglementations étatiques sur le droit des marques accepte le dépôt de noms géographiques à titre de marques à partir du moment où ils sont distinctifs, non déceptifs et non descriptifs. Quoi qu’il en soit, sous couvert du respect des critères mentionnés, et de l’application jurisprudentielle, l’usage d’un nom géographique dans une marque n’est pas illégal dans une grande majorité d’États. Quant aux marques collectives simples ou de certification, outre la France et le cas le plus connu des États-Unis d’Amérique, plus de 140 États autorisent le dépôt des marques collectives simples ou de certification avec un nom géographique, en cela valident l’usage collectif pour un produit ou un service d’un nom géographique marquant l’origine territoriale de cette marchandise ou de ce service, pouvant marquer également sa typicité. Que ce soit donc pour le droit des marques simples ou pour celles collectives simples ou de certification, nombreuses sont les réglementations qui prévoient le dépôt de noms géographiques en tant que marque s’ils réunissent bien entendu les critères propres au droit des marques : la distinctivité, la non déceptivité, la non descriptivité. Il commence à être admis dans la protection de l’origine que les marques collectives de certification est similaire dans le but à atteindre à des AO / IG, l’AOC française Roquefort ayant été protégée sur le sol américain de cette manière ainsi que le Parmigiano Reggiano ; pour celles collectives simples, cela est en train de bouger favorablement vers un rapprochement.
Toutefois, pour les marques simples cela est tout autre. En effet, l’idée répandue est de souligner que le droit des marques simples ne peut pas servir à la protection de l’origine à l’image d’une AO / IG soit car ce droit est un droit individuel et que l’autre un droit collectif ; soit que ce droit s’applique pour distinguer des produits les uns des autres, l’autre pour reconnaître la typicité ; soit que l’un a une durée limitée dans le temps et l’autre illimitée avec une protection d’ordre public et contre la dégénérescence. Cependant, cette approche est à relativiser. En effet, il faut se rapprocher de la réglementation française ou plutôt de l’approche jurisprudentielle en faveur des marques agricoles et de la théorie de M. Plaisant évoquée précédemment en faveur des noms de cru pour comprendre que le droit des marques simples pourrait être un outil tout aussi efficace de protection de l’origine que les AO / IG. Cette approche est naissante dans les théories développées pour la protection de l’origine, mais elle est beaucoup plus ancienne dans les pratiques et dans les possibilités offertes par la norme. D’ailleurs, l’Éthiopie l’a fort bien compris au regard de la protection de l’origine de leurs cafés par le droit des marques simples sous licence de marque.
Les dangers pour une protection de l’origine des productions typiques
La sphère internationale n’est pas le seul danger que puisse connaître cette protection des productions typiques. En effet, la protection de l’origine connaît des évolutions certaines, mais qui peuvent parfois susciter de l’inquiétude surtout quand les dysfonctionnements auraient pu provenir du leader de la protection, la France. Ces inquiétudes ont eu trait à la reconnaissance des IG artisanales et manufacturées dont leur protection a été adoptée le 17 mars 2014 dans la loi de consommation. En effet, le projet de loi initial avait fait fi de 150 ans de débats, d’évolutions législatives, doctrinales et jurisprudentielles, et de la place de leader que tenait le droit français au niveau mondial quant à cette protection.
Le projet de loi initial montrait une méconnaissance profonde des règles françaises, européennes et internationales de la protection de l’origine puisque celles-ci n’avaient tout simplement même pas été envisagées, laissant alors la répression de leurs usages illégaux aux règles de lutte contre la fraude et de contrefaçon, moins protectrices. D’autre part, la construction de ce texte initial ne prévoyait pas les protections d’ordre public pour les IG, protections valides pour les AO : alors quelle justification aurait été la nôtre face à nos partenaires européens pour une protection forte des productions typiques ? Et surtout en quoi une IG devrait-elle être considérée comme différente d’une AO et devrait-elle bénéficier de protection moindre ? Le droit des marques envisage deux grandes catégories et pourtant il s’agit bien du droit des marques. Le texte initial « apparai(ssai ?)t » même très dangereux pour les productions vitivinicoles et agroalimentaires, remettant indirectement en cause leurs règles de protection. Des avancées ont été faites fort heureusement en seconde lecture au Sénat, soit à la fin des débats législatifs. En effet, cet amendement a prévu les règles de protection minimales nécessaires dont dispose toute AO ou IG, règles issues notamment de la réglementation française et des accords internationaux tels que ceux de l’OMC, de l’OMPI (Arrangement de Lisbonne) et ceux pour les productions agroalimentaires et vitivinicoles européennes. Il a même été intégré la protection contre la non-dégénérescence et la protection d’ordre public des AO. Mais, et quel paradoxe, il n’y avait pas besoin d’adopter ce texte, il suffisait de réactiver cette vieille loi de 1919 sur les AO qui a fêté ses 100 belles années pour avoir des AO Artisanales…
Cependant, on peut déplorer la mise à l’écart de l’INAO au profit de l’INPI comme organisme d’homologation des cahiers des charges, mais pas organisme de protection comme l’est l’INAO pour les autres productions. L’INAO dans ce cadre n’intervient que comme consultant pour s’assurer que les cahiers des charges n’entraînent pas de risque de confusion avec une IGP ou AOP existante ou en cours d’instruction par l’INAO. Il est plus que dommageable que l’INAO n’ait pas été reconnu par l’État français comme compétent pour assurer l’enregistrement et la protection des IG artisanales et manufacturées typiques, notamment pour une question d’importance : l’INAO assure une veille internationale et une défense juridique pour les produits sous sa compétence. Comment seront défendues à l’échelle mondiale les productions artisanales et manufacturées typiques ? Comment vont faire ces milliers d’artisans, certes regroupés en organismes de défense et de gestion, avec les moyens qui sont les leurs pour assurer cette veille et cette défense à l’international qui fait rage pour les autres productions typiques ? Leur protection est-elle moins légitime que celle des productions vitivinicoles ?
Le danger pèse aussi par la sphère internationale notamment par les nouvelles négociations bilatérales à l’image des CETA et TAFTA. Malgré les avancées nécessaires par les accords bilatéraux qui viennent compléter les négociations de l’OMC, celles-ci sont bloquées depuis de nombreuses années. C’est par l’OMC que les négociations de base auraient dû aboutir que ce soit sur la protection additionnelle de l’article 23 de l’ADPIC étendue à toutes les productions typiques ainsi que sur la création d’un registre multilatéral des vins et spiritueux. De ce fait, les accords bilatéraux internationaux se sont développés et en sont la preuve : les contestés CETA conclus entre l’UE et le Canada à l’automne 2016, et, TAFTA dont les négociations sont quelque peu malmenées. Malgré tout, ces accords bilatéraux suscitent des inquiétudes quant aux reconnaissances des normes sanitaires des pays membres des accords. Certaines règles pourront être susceptibles de mettre en difficultés les IG, leurs modes de production et le développement de leur commercialisation. En cela, ces règles font écho aux modifications du choix de production du fromage au lait cru mexicain Queso Cotija afin de se conformer à la pasteurisation imposée par certains pays qui sont les marchés et les débouchés économiques des producteurs. On pourrait fort bien imaginer dans le futur une production typique issue d’un élevage aux hormones ou contraire à hautes doses de produits phytopharmaceutiques. Mais la question se pose pour bon nombre de productions typiques agroalimentaires à l’image du foie gras dont les méthodes de productions sont contestées ou encore ces fromages au lait cru qui risquent de disparaître s’ils veulent s’exporter, sauf à développer la question de l’agriculture locale pour sauvegarder une agriculture de qualité. Derrière cet aspect du texte se profile le changement futur de l’image de l’agriculture et de l’agriculteur.
D’autres inquiétudes proviennent aussi de l’Union Européenne par la décision récente de la Cour de Justice des Communautés Européennes dans l’affaire Champagner-Sorbet en date du 20 décembre 2017 quant à l’utilisation d’une AOP comme partie de la dénomination sous laquelle est vendue une denrée alimentaire qui ne répond pas au cahier des charges relatif à cette AOP mais qui contient un ingrédient répondant audit cahier des charges20. Et que dire du coup de griffe porté à la protection des vocables réglementés tel que « cru » par la récente décision en France de la Cour d’Appel de Paris le 29 mai 2018 quant à l’usage des termes « Grand Cru » et « Premier Cru » pour la marque de cosmétiques Caudalie.
Force est de constater encore une fois que de telles décisions proviennent des changements législatifs ou réglementaires et de la disparition des mémoires dans un monde contemporain évoluant sans repères. Une question doit être inévitablement posée : Quelle règle juridique ou morale empêcherait aux productions artisanales, agroalimentaires dans certains États, voire celles issues de la diversité biologique et des savoirs traditionnels des populations autochtones de protéger leurs productions typiques par a minima le droit des IG / AO ?
Les perspectives internationales : vers des ouvertures à la croisée des chemins
Les réglementations étatiques et leurs développements ambigus ont considéré que le droit des AO et des IG, qui rappelons-le sont similaires, était au sommet de la pyramide des normes de la protection de ces productions caractérisées. Le labyrinthe pyramidal sur lequel repose la conception actuelle de cette protection ressemble à ce qui suit : les IG / AO reposent sur un Terroir comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains.
Il fut oublié au travers de ce schéma que ces productions ne sont pas caractérisées, ni forcément pour celles agroalimentaires goûteuses, elles sont typiques, elles sont originales et originelles. Il fut également oublié que ce droit des IG / AO fut initié par le droit des fraudes pour toutes les productions typiques, que la jurisprudence l’a développé pour les productions vitivinicoles et agroalimentaires. C’est par un accident de l’Histoire, par la crise viticole de la fin du XIXe siècle et début du XXe siècle, que les origines du droit des IG / AO furent oubliées. Le poids de la France à cette époque dans la sphère internationale conditionna le droit communautaire et le droit international que ce soit de ce qui allait devenir OMPI ou ultérieurement de l’OMC.
De ce fait, la légitimité de la demande des pays en voie de développement et des pays émergents de protéger par le droit des IG / AO, au même titre que celles vitivinicoles leurs productions artisanales, ne peut pas être reniée. Les arguments des pays dits opposants au sein de l’OMC valorisant le droit des marques peuvent être aussi retenus. La réglementation internationale et celle de nombreux États sont d’ailleurs beaucoup plus ouvertes sur ce type de protection qu’il n’y paraît. Le droit des marques est un des pans de la protection des productions typiques issues d’un Territoire au même titre que le droit des IG/AO voire du droit des fraudes. La déconstruction et la reconstruction inéluctable du droit existant pour la protection de l’origine ont permis de démontrer que la pyramide des normes conçue pour la protection des productions principalement vitivinicoles et agroalimentaires pourrait être remise en cause. Penser à d’autres possibles est nécessaire. Alors aux questions mentionnées précédemment, on peut y ajouter celle qui consiste à se demander que protège-t-on, que souhaite-t-on protéger et comment ?
Le droit correspond à l’émanation des sociétés. Afin de comprendre la protection des productions typiques, il est nécessaire de se pencher sur les phénomènes sociaux ayant conduit à la formulation de la norme et de tenter de comprendre quels en étaient les enjeux et objectifs. Il ne faut pas perdre de vue dans cette démarche que du même embryon sont nés deux droits avec leurs caractères, le droit des IG/AO et le droit des marques simples ou collectives dont l’essence est soit commune / publique soit « individuelle » / privée. Cependant, ces deux catégories de droits ont été initiées par la sphère privée des producteurs qui légitimèrent pour la première l’émergence et la consolidation de la protection de l’origine. Tels des jumeaux univitellins, des frères ennemis, les systèmes de protection de l’origine des productions typiques se livrent à un conflit hostile, offensif et stratégique entre les États prônant le droit des marques et ceux prônant le droit des AO / IG comme étant chacun selon leur point de vue les plus aptes à garantir la protection de l’origine de ces marchandises typiques. Or, ces systèmes gémellaires se séparèrent progressivement malgré leur genèse commune liée à la lutte contre la fraude et furent transcrits dans les droits étatiques en fonction des intérêts mercantiles et des exigences culturelles des sociétés civiles. En soi, le droit des AO et par la suite des IG s’est construit en dépendant des politiques publiques de certaines puissances économiques leader comme le fut la France sur cette question. Ces politiques publiques sont finalement les orientations que donnent les États à la politique générale conduite en leur sein. Et ces politiques publiques orientent les protections des productions typiques notamment soit vers les droits des AO ou des IG, soit vers le droit des marques, et fixent même le débat international. Elles ont indéniablement des répercussions dans la sphère internationale sous influence des relations géopolitique. Le souci est que les outils de protection proposés ont bien souvent été perçus ces dernières années comme étant des outils de marché économique. Or, ils sont bien plus que cela. De ce fait, comment introduire les perspectives à long terme et intergénérationnelles ? Comment arriver à faire se rencontrer ces autoroutes qui évoluent en parallèle ?
Toutes les productions typiques, qu’elles soient protégées par le droit des IG /AO, le droit des marques ou plus simplement la lutte contre la fraude ont pour point commun que ce sont des productions issues de communautés valorisant la pérennité des territoires, des terroirs, des savoir-faire, des savoirs traditionnels, des cultures, des Hommes, des générations, des communautés, des Histoires, des traditions, des valeurs, en bref, des territoires dans lesquels une production typique est établie, des ruralités. Le territoire apparaît comme le lien intangible entre tous ces droits de protection des productions typiques et nous l’avons qualifié de « Territoire des Productions Typiques »21. En cela, des nouvelles perspectives de mise en œuvre de ce droit ont été engagées par les États et les sociétés civiles non seulement vis-à-vis des productions agricoles mais aussi artisanales et également vers la protection des savoirs traditionnels autochtones en pouvant s’ajouter aux règles issues de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB). En sus, le droit créé par l’OMPI apparaît comme un outil efficace à l’image d’une croisée des chemins permettant une extension réelle des protections des territoires et des espaces.
On s’aperçoit avec le développement contemporain de la protection de l’origine que nous naviguons sur des autoroutes parallèles pour lesquelles ont été séparés les développements liés aux protections des productions vitivinicoles, agroalimentaires, artisanales et depuis la CDB, signée en 1992 dans la même période que les Accord OMC, les productions issues des savoirs traditionnels des autochtones, qu’ils soient ceux issus des expressions culturelles traditionnelles, mais aussi ceux issus de la diversité biologique, leurs savoirs sur les plantes. Et ces productions typiques sont basées sur des facteurs naturels et/ou humains : la typicité d’une production est issue au final soit de son terroir en ses caractéristiques physico-chimiques et climatiques, soit de son savoir-faire, les facteurs humains, soit de son terroir et de son savoir-faire.
Des initiatives à la croisée des chemins entre la protection de l’origine et celle des savoirs traditionnels autochtones ont donc été engagées par des chercheurs qui se sont saisis de l’opportunité des réglementations des AO / IG pour protéger certains de ces savoirs traditionnels. Ce lien a également été mis en évidence par les travaux que nous avons développés quant à la protection des savoirs traditionnels kanak et les règles d’accès et de partage des avantages en Nouvelle-Calédonie pour la réécriture d’un projet de loi en 201422. Ces travaux de recherche et l’expertise menée auprès du Sénat coutumier kanak au sein de l’USR 3278 EPHE/CNRS/UPVD CRIOBE en 2014/2015 ont conduit à mettre en pratique cette rencontre entre ces deux droits de propriété intellectuelle à savoir le droit des AO / IG et le droit des savoirs traditionnels autochtones avec des répercussions indéniables sur la protection de la diversité biologique non seulement dans l’espace coutumier des populations kanak mais aussi dans l’espace public de la Nouvelle-Calédonie et dans son espace privé. Ce projet, non encore adopté, a été publié au journal officiel de Nouvelle-Calédonie suite à son acceptation par le Sénat Coutumier kanak. Ce projet de loi du pays a été transmis au gouvernement de Nouvelle-Calédonie et par la suite au Congrès de Nouvelle-Calédonie durant l’année 2015 pour étude et votation. Il a reçu un aval du Haut-Commissariat pour la République en Nouvelle-Calédonie, mais la politique interne en Nouvelle-Calédonie n’a pas encore permis son adoption.
Une prise de conscience d’une protection des productions typiques non seulement par le droit des IG / AO, mais également par celui des marques est nécessaire car elle peut participer véritablement à la lutte contre la crise alimentaire en valorisant ces productions typiques, en valorisant des savoir-faire, en valorisant des terroirs, en valorisant des communautés d’hommes et de femmes. Néanmoins, cette prise de conscience ne doit pas se faire dans un objectif de valorisation purement économique. Le respect des territoires ruraux, des traditions, des coutumes, de l’environnement et de la biodiversité est une donnée indéniable. Le droit du commerce international se révèle être une source potentielle de protection efficace de ces productions typiques artisanales, industrielles, agroalimentaires et vitivinicoles, de ces productions issues de la diversité biologique sur terre et dans l’espace marin. Une protection de ces identités est alors possible. Pour quelle raison ? Une communauté ne verrait plus alors son identité spoliée soit par des marchands ou des producteurs peu scrupuleux. Également, la biopiraterie pourrait être réduite puisque la production typique élaborée selon son savoir et/ou son terroir serait protégée par un droit de propriété intellectuelle en amont qu’il soit celui des IG / AO ou celui des marques, géré directement par les producteurs ou par l’État voire un organisme public. Les communautés de producteurs pourraient se voir reconnaître, même si cela n’est pas forcément leur objectif principal, une rente économique supplémentaire non seulement pour leurs productions typiques artisanales, industrielles ou agroalimentaires mais également pour les ressources génétiques. La preuve de l’existence de ce savoir traditionnel sur la ressource génétique, utilisée par exemple en médecine traditionnelle ou en cosmétologie, serait alors, par cette théorie, réelle et matérialisée en amont. Cela n’empêcherait pas par la suite que ce savoir traditionnel sur la ressource générique puisse être inclus dans un brevet. Le partenariat pourrait être alors rééquilibré entre les parties.
Pour autant, on ne peut pas dénier que les discours liés à la protection des productions typiques depuis 1824 partagent de grandes similarités avec ceux liés à la protection des expressions culturelles traditionnelles ou du folklore et des savoirs traditionnels. Ces similarités sont celles des cultures, d’êtres humains, de Traditions, de Nature, de savoir-faire, d’Histoire, voire de sacré. À ce propos, insistons dessus, le vin n’était-il pas une production issue d’un savoir traditionnel sacré ?