Œnotourisme et pays Vidourle-Camargue, à la croisée de la Géographie et de l’Ethnologie

Abstract

Si la Camargue évoque un imaginaire touristique (AMIROU, 1995) collectif - voire même un bestiaire partagé : flamands roses, taureaux noirs et chevaux blancs -, il n’en est pas de même pour l’arrière-pays qui s’étend le long du Vidourle. Cette rivière véhicule une série d’images négatives : les débordements dus aux épisodes cévenols « les vidourlades », Lunel et sa « plateforme du djihadisme », Vauvert et sa misère sociale terreau de l’extrémisme de droite, etc. Et pourtant ce territoire, le Pays VidourleCamargue est riche de quatre appellations viticoles anciennes : AOC Muscat de Lunel, AOC Languedoc-Sommières, AOC Languedoc-Saint-Christol et IGP Sables de Camargue, d’une nature sauvage et d’un patrimoine immatériel vivant. Traversé d’est en ouest par la Languedocienne, à mi-chemin entre Nîmes et Montpellier, et situé entre deux identités touristiques fortes, Cévennes et Camargue, ce territoire souhaite se positionner comme destination œnotouristique. En effet, avec ses stations balnéaires du Grau du Roi et de Port Camargue très fréquentées en période estivale, l’un des enjeux touristiques du territoire consiste à rétablir un équilibre entre la fréquentation de ce littoral et l’intérieur des terres marqué par une activité économique et majeure : la viticulture, pour laquelle on souhaite dévoiler les richesses culturelles et paysagères. C’est avec cette envie que les acteurs politiques, touristiques et du monde viticole ont souhaité être accompagnés par nos deux cabinets de conseils. L’un se positionne sur le champ de l’ethnologie, l’autre sur celui de la géographie et de l’aménagement touristique.

A cheval sur les départements du Gard et de l’Hérault, le Pays Vidourle Camargue ne fait pas entrevoir de distinction là où la frontière administrative pourrait le laisser supposer.

Le diagnostic entrepris a pu faire apparaître d’autres formes de « frontières ». Frontières spatiales d’abord entre le sud balnéaire (littoral) et le nord viticole (coteaux) d’un territoire scindé par un important axe autoroutier, frontières culturelles entre la « vraie » Camargue arlésienne et la « Petite » Camargue gardoise et héraultaise, frontières temporelles entre la forte fréquentation touristique en été et le « hors-saison » qui lui est préféré par les habitants des proches bassins montpelliérains et nîmois impliquant de fait un rapport

villes/campagnes, ou encore frontières entre les aires de productions viticoles redessinant le territoire en fonction de « terroirs » distincts sont autant d’enjeux décrits lors de notre étude sur les représentations et les pratiques touristiques du territoire. Ces préoccupations émises par les acteurs politiques et économiques du territoire sont-elles seulement applicables à l’échelle des visiteurs en quête d’un moment de loisir et de découverte ? N’y aurait-il pas là une frontière symbolique entre le constat politique d’un territoire vécu au quotidien par ses acteurs et le désir des visiteurs quant à leurs pratiques ?

Cette communication se propose, à partir d’une approche transdisciplinaire et d’un cas concret, la formation-accompagnement au développement de l’œnotourisme sur la destination « Pays Vidourle-Camargue », de présenter comment le travail du consultant peut soutenir les questionnements de la recherche.

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Si la Camargue évoque un imaginaire touristique1 collectif - voire même un bestiaire partagé : flamands roses, taureaux noirs et chevaux blancs -, il n’en est pas de même pour l’arrière-pays qui s’étend le long du Vidourle. Cette rivière véhicule une série d’images négatives : les débordements dus aux épisodes cévenols « les vidourlades », Lunel et sa « plateforme du djihadisme », Vauvert et sa misère sociale terreau de l’extrémisme de droite, etc. Et pourtant ce territoire, le Pays Vidourle-Camargue est riche de quatre appellations viticoles anciennes : AOC Muscat de Lunel, AOC Languedoc-Sommières, AOC Languedoc-Saint-Christol et IGP Sables de Camargue, d’une nature sauvage et d’un patrimoine immatériel vivant. Traversé d’est en ouest par la Languedocienne, à mi-chemin entre Nîmes et Montpellier, et situé entre deux identités touristiques fortes, Cévennes et Camargue, ce territoire souhaite se positionner comme destination œnotouristique. En effet, avec ses stations balnéaires du Grau du Roi et de Port Camargue très fréquentées en période estivale, l’un des enjeux touristiques du territoire consiste à rétablir un équilibre entre la fréquentation de ce littoral et l’intérieur des terres marqué par une activité économique et majeure : la viticulture, pour laquelle on souhaite dévoiler les richesses culturelles et paysagères.

C’est avec cette envie que les acteurs politiques, touristiques et du monde viticole ont souhaités être accompagnés, par nos deux cabinets de conseils. L’un se positionne sur le champ de l’ethnologie, l’autre sur celui de la géographie et de l’aménagement touristique. Deux cabinets issus des sciences humaines et sociales, qui témoignent du bien fondé des apports de ces dernières pour décrypter un territoire, partager un diagnostic commun et évaluer ex-ante la politique de développement œnotouristique d’un territoire.

Cette contribution résulte ainsi du témoignage sur la mutualisation de compétences, de deux consultantes spécialisées dans la recherche appliquée en sciences humaines et sociales

Figure Présentation de la co-entreprise Champs des Possibles - FGM & MAL - 2018

 Figure Présentation de la co-entreprise Champs des Possibles - FGM & MAL - 2018

France Gerbal-Médalle est doctorante en géographie à l’université de Toulouse, elle a fondé le bureau d’études AOC Tourisme, spécialisé dans l’œnotourisme, en 2009. Son approche est basée sur la géographie culturelle, mais aussi sur une connaissance technique de l’aménagement du territoire et du tourisme. Marie-Ange Lasmènes est Docteur en ethnologie. Depuis 8 ans, elle contribue à la valorisation des patrimoines viticoles au sein de son cabinet Paroles, Paroles, par une approche socio-historique des vignobles et du métier de viticulteur. Notre collaboration sur des projets de territoires, à la croisée de la géographie et de l’ethnologie, nous amène à proposer une nouvelle façon d’envisager les discours touristiques et patrimoniaux par la création de contenus qualitatifs issus de recherches scientifiques. Notre objectif est ainsi de mettre en commun nos outils et nos méthodes afin de délivrer une analyse complémentaire prenant en compte à la fois des données territoriales, politiques, économiques et socio-culturelles des pratiques viticoles et des pratiques touristiques pour définir des actions de développement et optimiser leur réalisation grâce à une appropriation des réalités sociales des territoires.

Nos missions sont également orientées vers la valorisation des potentiels culturels des destinations oenotouristiques en vue d’un développement économique qui se concrétise en partie par l’appropriation d’éléments de langage communs par les acteurs des territoires et des différentes filières concernées (viticole, tourisme et culture) afin de structurer les réseaux professionnels mobilisés autour de discours puis de stratégies de développement partagés. Pour ce faire, un véritable travail de fond est entrepris, réveillant la documentation scientifique souvent oubliée et existant pourtant sur les territoires, consultant grâce à des méthodes participatives les représentations que les acteurs se font de leur propre territoire, et constituant ainsi un socle de connaissances sur lesquelles s’appuyer pour faire valoir les spécificités territoriales tout en s’attachant à respecter les préceptes de la science. Ainsi, notre démarche a eu l’occasion d’être mise en pratique à l’échelle du Pays Vidourle Camargue, à l’occasion d’une formation-accompagnement au développement de l’œnotourisme, et dont nous avons choisi de présenter la méthodologie afin d’illustrer notre approche transdisciplinaire.

Le Pays Vidourle Camargue et sa problématique Nord-Sud.

Destination touristique par excellence, le Pays Vidourle-Camargue doit sa réussite aux atouts naturels et historiques du territoire. Elle s’inscrit dans un secteur touristique très favorable bénéficiant de la proximité des agglomérations de Montpellier, Nîmes, Arles et Avignon, et de pôles touristiques majeurs de la romanité (Pont du Gard, amphithéâtres romains, etc.). Elle profite également de la dynamique touristique du littoral de la région Occitanie, qui accueille chaque année 6 millions de visiteurs dont environ 1⁄4 d’étrangers.

Le Pays (désormais P.E.T.R.) Vidourle-Camargue est ainsi composé de cinq communautés de communes situées à la frontière est de la région Occitanie, à cheval entre le département de l’Hérault et celui du Gard. C’est un territoire qui s’étire le long du Vidourle, toutefois, un déséquilibre des flux entre le littoral et l’arrière-pays est constaté. Déséquilibre accentué par la présence d’un axe autoroutier (A9) qui scinde en deux le territoire. Le sud du territoire bénéficie d’une image très forte particulièrement reliée aux représentations touristiques et culturelles de la Camargue : chevaux blancs et taureaux des races Camarguaises, manades, flamands roses, grands espaces et paysages sauvages, etc. C’est également par son littoral une destination touristique et culturelle forte notamment de par la présence de la cité médiévale d’Aigues-Mortes. Ainsi la partie littorale du territoire est particulièrement fréquentée notamment pour les activités balnéaires et de plein air qu’elle offre mais aussi pour son offre culturelle et patrimoniale. Par ailleurs si le territoire jouit de paysages exceptionnels, il est également contraint par la fragilité de ceux-ci que la pression touristique ne doit pas contribuer à accentuer.

Au nord, le territoire a une vocation plus agricole. Il est marqué notamment par la culture de fruitiers et l’oléiculture. On y trouve également des cités de caractère et des villages de charme qui, aux portes des Cévennes, présentent une offre touristique plus rurale. Toutefois l’urbanisation de la métropole montpelliéraine et de l’agglomération nîmoise participent à l’artificialisation de ce territoire au détriment d’un plein développement d’un tourisme rural.

Cette division du territoire selon l’axe nord-sud est d’autant plus accentuée que l’axe autoroutier A9, mais aussi la ligne ferroviaire à grande vitesse, scinde le Pays Vidourle-Camargue en deux, fait obstacle à une répartition des pratiques quotidiennes des habitants entre les deux pôles et fait véritablement frontière entre ces deux espaces. La zone médiane du territoire est orientée vers le développement d’entreprises industrielles ou agro-alimentaires, notamment avec la présence de la source et de la mise en bouteille de l’eau de Perrier, et des usines de Royal Canin. Ce territoire médian, fortement impacté visuellement par l’industrialisation et les réseaux ferrées et routiers n’est absolument pas vécus comme touristique par la population comme par les visiteurs.

Or, ces deux espaces – nord en zone rurale et sud en zone littorale - aux représentations et aux pratiques touristiques différentes sont pourtant rassemblés au sein de la même entité territoriale et politique sous le statut d’un Pôle d’Excellence Territoriale et Rurale (PETR). L’enjeu est donc ici de rechercher des arguments atténuant ce contraste nord-sud et contribuant à l’unité d’un périmètre défini pour une destination touristique qui se veut correspondre à sa délimitation administrative du Pays Vidourle-Camargue.

Le vignoble comme trait d’union entre deux espaces

Plus vaste vignoble du monde, la région Occitanie ouvre son activité viticole au tourisme pour faire découvrir et partager un territoire riche de sa diversité : terroirs et paysages multiples, innovations permanentes, des hommes et des femmes aux savoir-faire remarquables, des entreprises à visage humain. Pour conserver cette diversité et en faire un atout au sein du marché mondial du vin, l’œnotourisme est un des leviers utilisables pour un développement économique durable. Depuis la fusion des régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon, il existe une volonté politique claire et affirmée, de développer le tourisme en région, afin d’en faire l’une des 20 premières Destination Touristique Européenne2 et d’augmenter de 4 millions le nombre de nuitées touristiques. Pour cela les édiles ont décidé de s’appuyer sur les atouts de la région dont l’œnotourisme. Ainsi la Région accompagne la mise en réseau des acteurs du monde viticole et des professionnels du tourisme dans le cadre du label Vignobles et Découvertes. Dans son Schéma Régional Développement du Tourisme et des Loisirs 2017-2021, il est d’ailleurs mentionné que la Région souhaite « développer l’ancrage territorial des projets, renforcer les partenariats entre monde agricole [et viticole] et acteurs du tourisme via des stratégies territoriales ou collectives, professionnaliser les acteurs en vue d’une montée en gamme » mais aussi « valoriser l’ensemble des filières agritouristiques ». C’est pourquoi le Comité Régional du Tourisme, les Comités Départementaux de Tourisme comme les Interprofessions viticoles, se sont mobilisés pour valoriser l’offre œnotouristique des territoires. De même les différentes collectivités territoriales comme les EPCI (établissement public de coopération intercommunale) se sont largement impliqués dans cette dynamique, le tourisme étant depuis l’entrée en vigueur de la loi dite NoTRE, la seule compétence économique partagée par tous.

Cette diversité et cette richesse se retrouvent dans le Pays Vidourle-Camargue qui présente une grande mosaïque de vignobles dont les parties portent des images associées à l’histoire et aux particularités du territoire. Ainsi, le territoire est-il composé de différentes dénominations aux terroirs très diversifiés dont les délimitations dépassent les frontières du Pays Vidourle-Camargue pour s’étendre sur les territoires administratifs voisins, à savoir :

- 5 AOP Languedoc : Languedoc Sommières, Languedoc Saint-Christol, Languedoc Grès de Montpellier, Languedoc Pic Saint-Loup, Muscat de Lunel.

- 1 AOP Côtes du Rhône : Costières de Nîmes

- 5 IGP : Pays d’Oc, Hérault, Pont du Gard, Sables de Camargue et Cévennes.

Chaque dénomination est gouvernée par un Organisme de Défense et de Gestion de la dénomination, eux-mêmes régis par une interprofession regroupant des dénominations de même catégorie (IGP ou AOP), ici Languedoc et Côtes du Rhône (cette dernière étant comprise entre les deux régions Occitanie et Provence Alpes Côte d’Azur) pour les AOP et la très large IGP Pays d’Oc qui couvre quasiment l’intégralité de l’ancienne région Languedoc-Roussillon. Ce phénomène ne va pas sans amplifier le millefeuille d’acteurs et de décideurs, complexifiant par conséquent la gestion des territoires viticoles comprise entre espace politique et espace de production. La richesse de terroirs du Pays Vidourle Camargue et la diversité de ses appellations traduit donc aussi la multiplicité des acteurs viticoles, secteur économique aux côtés duquel d’autres productions agricoles phares s’inscrivent sous le signe de la qualité : l’AOC Taureaux de Camargue, les Salins du Midi, la riziculture, l’oléiculture et la très présente arboriculture, mais aussi celle du tourisme qui figure parmi les premières économies du Pays Vidourle-Camargue avec plus de 300 M€ par an.

L’atout incontestable de cette destination est certainement son caractère résolument méditerranéen marqué par une viticulture très présente combinée à la présence d’oliveraies participant de ce fait à un effet « carte postale » des paysages. Cette culture vigneronne marque aussi de son empreinte l’architecture des villages mais aussi les activités traditionnelles du territoire. Ce sont ainsi des atouts (patrimoine, qualité paysagère, bassin de clientèles) que la profession viticole a su capter depuis quelques années. Elle s’est organisée pour développer des chartes qualité d’accueil, mais aussi pour créer des lieux et des événements forts et appréciés pour faire découvrir son savoir-faire et sa production.

Ainsi, des orientations touristiques principalement balnéaires tournées vers les importantes stations littorales que sont Aigues-Mortes et le Grau du Roi et patrimoniales (notamment avec le site de Sommières), le territoire a-t-il fait le choix de diversifier ses « portes d’entrée » touristiques par un tourisme de découverte économique et de développer, par conséquent, des structures à vocation oenotouristique. Le territoire s’appuie ainsi sur trois pôles désignés comme œnotouristiques : l’œnopôle Viavino sur la commune de Saint-Christol, l’espace muséographique Vinopanorama rattaché à la cave coopérative de Calvisson et le domaine royal de Jarras à Aigues-Mortes qui mène, avec une volonté affirmée de s’intégrer à l’environnement, ses propres animations oenotouristiques à titre privé sur une propriété de 400 hectares de vigne d’un seul tenant, en conversion biologique, sous la dénomination IGP Vin de Sables de Camargue que bordent, d’un côté les salins d’Aigues Mortes, et de l’autre les paysages camarguais. Rappelons à ce titre que l’IGP Sables de Camargue a pour ambition de convertir la totalité de sa production en viticulture biologique afin d’accentuer la préservation paysagère entreprise par le Parc National de Camargue.

Dans ce contexte au fort potentiel oenotouristique, la volonté politique s’est réunie autour d’une candidature au label « Vignobles et Découvertes » en 2015, portée par une association regroupant à la fois élus des collectivités et des syndicats professionnels viticoles, pour définir le périmètre de la destination, le positionnement et la stratégie d’actions. Or, face à cette première candidature réduisant l’échelle territoriale de la destination touristique de l’échelle administrative portant le dossier de candidature, le Conseil Scientifique de l’Oenotourisme, en charge de l’évaluation des candidatures au label, a refusé l’obtention du label à la destination par manque d’unité géographique et faute de discours touristique partagé par tous les acteurs. La réflexion portait en effet autour de l’axe fluvial du Vidourle, respectant l’axe nord-sud à dynamiser, mais qui est une rivière malheureusement plus connue pour ses crues dévastatrices que pour la qualité de ses baignades. Le projet de valorisation oenotouristique du territoire n’est pour autant pas abandonné et, en 2016, le Pays Vidourle-Camargue missionne les cabinets AOC Tourisme et Paroles, Paroles pour réorienter sa candidature afin de positionner les vignobles comme un trait d’union entre deux espaces géographiques mais également pour donner des outils décisionnels aux politiques afin d’accompagner le développement œnotouristique du territoire.

Les SHS au service d’une évaluation ex-ante de l’action publique

La commande territoriale s’oriente alors vers la recherche d’arguments pour mettre en évidence une cohérence culturelle à l’échelle du PETR en vue de la création de la destination oenotouristique et s’articule alors autour de trois objectifs.

Le premier objectif consiste donc justement à créer une émulation entre les différents acteurs et partenaires professionnels de l’oenotourisme que sont les hébergeurs, les restaurateurs, les acteurs viticoles, les acteurs du tourisme, les acteurs de la culture et les acteurs politiques, tous ayant des enjeux professionnels différents, afin de conduire à la valorisation d’une dynamique commune et à la structuration de la politique oenotouristique à mener sur le territoire. Par cela, il s’agit donc de s’approprier et partager les actions oenotouristiques à mettre en place à l’échelle de la collectivité et de définir la lisibilité de l’offre souvent brouillée par la complexité du maillage des dénominations géographiques précédemment décrites. Le deuxième objectif revient à travailler à la définition du positionnement de cette offre. La candidature au label Vignobles et Découvertes exige en effet de faire valoir les éléments distinctifs du territoire ainsi que ces caractéristiques culturelles ou géographiques. Le troisième objectif, enfin, est de structurer le réseau de partenaires afin de s’orienter conjointement vers cette candidature et partager un plan d’actions autour d’une stratégie de développement commune. Un grand échantillon de personnalités doit effectivement converger vers des ambitions communes pour garantir l’opérationnalité de ce type de projet.

Pour répondre à ces objectifs, nous avons œuvré pour une méthode adaptée qui a également fait ses preuves sur d’autres territoires de la région Occitanie. A l’occasion d’une formation-action de trois jours, à laquelle étaient conviés les partenaires de la destination, nos outils d’ethnologues et de géographes nous ont amenées à travailler à la fois sur les représentations de ces acteurs à propos de leur territoire et des pratiques touristiques qui y étaient observées. La première étape consiste d’abord à prendre connaissance de l’existant afin d’évaluer les richesses du territoire, les analyses déjà produites et le potentiel en termes de documentation. Tout commence donc par un état des lieux bibliographique et la capitalisation des ressources documentaires. Ce travail de documentation, s’apparentant à un état de l’art, nous permet, comme pour un travail universitaire, de redéfinir éventuellement la problématique afin de mieux répondre à la commande initiale.

Dans un second temps, un travail d’enquête - ethnologique ou géographique ou encore selon le format « étude clientèle » - permet d’appréhender et de comprendre les dynamiques territoriales ainsi que les représentations culturelles en fonction des pratiques de l’espace. Cet exercice nous amène à travailler à partir de « cartes à dires d’acteurs » lors de sessions de formations-développement s’appuyant sur un groupe de projet mixte mêlant élus et techniciens (parfois les habitants sont également conviés à ce groupe). L’idée est ainsi de faire participer les acteurs, réunis autour d’une candidature commune, de les interroger sur leurs points communs et leurs zones de divergences, les atouts et les faiblesses de leur territoire depuis leur propre point de vue, et de saisir leurs avis de façon à non seulement recueillir un corpus de données de terrain mais également de les impliquer par l’usage d’une méthode ludique, dès le départ, dans une démarche de co-construction du projet. Le croisement de ces méthodes qualitatives, nous permettent donc à la fois de créer des données et du contenu comme matériaux à exploiter et à prendre en compte dans l’analyse globale du territoire mais aussi de créer une cohésion entre le discours de la population locale et celui de la destination dont il est directement issu. L’idée est également, par cette démarche participative, de mettre à profit le travail communément réalisé en ateliers, par une restitution originale des travaux, en partie organisée autour de dégustations permettant aux acteurs de prendre conscience de leur propre terroir et d’échanger autour des atouts de leur destination, en d’autres termes, de créer un espace d’échange invitant les acteurs avant tout à se connaître et à échanger à propos des connaissances qu’ils ont de leur territoire.

Enfin cette méthode est ensuite complétée par un ensemble de préconisations, idées rassemblées lors de l’évaluation de modèles inspirants et déjà existants de type benchmark et découlant d’une analyse marketing.

Dans ce cas bien précis du Pays Vidourle-Camargue, les résultats de notre analyse ont démontré la possibilité de créer une offre oenotouristique capable d’instaurer une circulation entre le nord et le sud du territoire, voire même de l’étendre à une offre agritouristique. Valoriser le patrimoine viticole et proposer une offre touristique adaptée reviendrait en effet à, dans un premier temps, appréhender la viticulture comme un élément constitutif de/inscrit dans un ensemble culturel élargi. Une « entrée thématique » indissociable des autres éléments du patrimoine en partie déjà valorisés par les politiques culturelles du territoire. Dans un second temps, de révéler le sens du territoire en racontant son histoire afin que le territoire s’exprime sur son héritage culturel de manière juste et sincère sans procéder à une folklorisation de ce patrimoine. L’héritage historique de la viticulture correspondant, dans notre étude de cas, à 27 siècles d’histoire à raconter permet d’expliquer le territoire donc de livrer des clés de compréhension ainsi qu’une lisibilité du territoire et ce à différentes échelles (la petite histoire dans la grande histoire). Par conséquent, cibler et compléter les recherches sur le patrimoine viticole et les mettre en cohésion avec les recherches déjà établies dans d’autres domaines serait un travail à mener permettant au territoire de se développer en proposant une offre touristique basée sur des éléments culturels et scientifiques.

D’autre part, établir des liens cohérents entre les différentes thématiques patrimoniales existantes ferait que la viticulture peut renvoyer à d’autres activités économiques ou agricoles du territoire et inversement. Ainsi, une approche complète du patrimoine viticole pourrait être appréhendée sous ses différents aspects : géographiques (espaces et paysages), historiques (l’histoire longue), ethnographiques (pratiques, savoir-faire, représentations…), techniques (œnologie, ampélographie), etc., et ainsi venir défendre une approche transversale. Ceci afin que les visiteurs puissent profiter à la fois d’un patrimoine paysager comme un prétexte à la randonnée, itinérance douce, d’apprendre sur la structure rurale via une médiation autour du patrimoine bâti (structures villageoises, réseaux et architectures des caves coopératives et des bâtis viticoles), enfin par la mise en récit d’un patrimoine immatériel qui reste à collecter pour une mise en avant des savoir-faire et du rôle socio-économique de la viticulture en créant des temps de rencontres propices à l’expérience avec le vigneron.

La viticulture deviendrait alors un élément capable d’expliquer le territoire et ses sociétés locales, de le parcourir, de le découvrir et d’établir des liens avec d’autres caractéristiques patrimoniales telles que les activités économiques locales encore vivantes qui marquent le territoire de ces spécificités comme les salines, la bouvine, l’oléiculture et l’arboriculture, la conjugaison de ces éléments connectés aux paysages rendant le territoire unique.

Outre sa transversalité, cette approche patrimoniale permet ici d’envisager une unité cohérente entre les deux espaces nord et sud du territoire dans la mesure où elle permet d’appréhender les aménagements de l’espace naturel par l’Homme, de favoriser les rencontres autour des savoir-faire et donc de créer du lien, de s’enrichir de diversités de terroirs et de paysages, de partager des expériences autour de métiers de passion et ainsi de créer une synergie entre espaces de production agricoles et espaces naturels. La vigne serait alors à positionner, grâce à sa mise en tourisme, comme un élément fédérateur là où, sur ce territoire, au regard de sa complexité organisationnelle, elle pouvait être initialement perçue comme un élément de mise à concurrence.

Nos expériences communes sur différents territoires du grand sud de la France, nous ont depuis permis de consolider cette méthode par une approche complémentaire qui pourrait inviter d’autres disciplines telles que l’économie, le marketing, l’histoire, etc. Associer nos réflexions autour des notions de culture, de patrimoine, de paysages et de tourisme afin de révéler les richesses territoriales ouvre à des perspectives concrètes de développement économique et territorial. Nos expertises en sciences humaines permettent d’adopter une démarche qualitative de plus en plus sollicitée par les collectivités territoriales en quête de contenu fiable à faire valoir pour leur développement.

Notre idée, voire même notre conviction, réside également en la possibilité de créer une passerelle entre les mondes politiques, entrepreneuriaux et universitaires dans lequel notre rôle de consultantes-chercheuses nous positionne comme médiatrices de la recherche fondamentale pour enrichir les projets de terrain et ainsi de redécouvrir des données parfois laissées à l’abandon dans un souci de transmission aux acteurs locaux et aux visiteurs des destinations touristiques. Pour cela, notre objectif est de maintenir des partenariats mixtes entre les universités et nos entreprises pour leur complémentarité, voire de les encourager.

Ces expériences collaboratives ont débouché sur un projet en cours de construction : le projet « Champs des possibles » réunissant des compétences diverses autour d’un pôle recherche, d’une pole ingénierie et d’un pôle communication pour une analyse appliquée des dynamiques rurales et donner du sens à des projets territoriaux par valorisation des richesses culturelles et territoriales mises en lumière par la recherche en sciences humaines et sociales.

Notes

1 R. AMIROU, L’imaginaire touristique, CNRS Edition, Paris, 2012 Return to text

2 Cf. le Schéma Regional developpement du tourisme et des Loisirs 2017-2021 https://www.laregion.fr/IMG/pdf/oc-1706-tourisme-cap-innovation-broch80p-a4_web_2_.pdf Return to text

Illustrations

References

Electronic reference

France Gerbal-Médalle and Marie-Ange Lasmènes, « Œnotourisme et pays Vidourle-Camargue, à la croisée de la Géographie et de l’Ethnologie », Territoires du vin [Online], 10 | 2019, 16 October 2019 and connection on 21 November 2024. Copyright : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/index.php?id=1737

Authors

France Gerbal-Médalle

Laboratoire LISST/Dynamiques Rurales

Marie-Ange Lasmènes

Docteur en Ethnologie - Directrice du cabinet Paroles, paroles

Copyright

Licence CC BY 4.0