Cet ouvrage collectif réunit six chapitres explorant les enjeux théoriques et pratiques de la mise en œuvre des sciences cognitives dans le domaine des études littéraires. Dans son introduction, Françoise Lavocat inscrit le projet dans une approche pragmatique et méthodologique du cognitivisme. Si elle évoque rapidement les controverses multiples qui ont agité le champ depuis ses débuts, elle souligne surtout l’apport indéniable des sciences cognitives et de leurs concepts aux théories de la lecture et de l’interprétation. L’ouvrage ne constitue en aucun cas une herméneutique littéraire cognitive complète, mais plutôt un assortiment de possibilités méthodologiques diverses. À rebours de l’argument traditionnel de l’insularité intrinsèque de la littérature par rapport aux sciences humaines, Françoise Lavocat insiste sur le développement pertinent et bienvenu des approches interdisciplinaires dans le champ des études littéraires. Elle valorise un rapport plus apaisé entre sciences exactes et sciences humaines, permettant d’introduire plus d’objectivité dans les méthodologies de la critique littéraire.
Les trois premiers chapitres convoquent le concept d’embodiment pour mettre en évidence les pistes multiples que peuvent apporter les sciences cognitives aux théories de la lecture et de l’interprétation. Ainsi, selon Mary Crane, l’embodiment peut permettre de penser l’acte de lecture et sa subséquente interprétation comme de véritables expériences corporelles à part entière. La lecture devient alors l’objet d’un empirisme cognitif qui lui est propre, tant elle met en scène des phénomènes de pensée identifiables et marqués historiquement. Pour Guillemette Bolens, la place de la corporéité dans les aspects littéraires des sciences cognitives met en évidence les rapports indissociables entre imagination et sensation dans les textes littéraires ; rapports qui deviennent indispensables dans le cas où le corps du personnage se révèle être l’enjeu central de l’intrigue. Comme le présente Françoise Lavocat dans son introduction, l’interdisciplinarité intrinsèque des sciences cognitives interroge la pertinence scientifique des Lettres, notamment au regard des politiques universitaires favorisant de plus en plus les sciences exactes. Dans cette optique, la contribution de Terence Cave met en évidence la valeur épistémologique indéniable du texte littéraire en tant qu’« instrument de pensée » (p. 20) unique en son genre, véritable « ressource cognitive » (p. 17) essentielle à l’étude et à la compréhension de la conscience humaine.
Les trois derniers chapitres du volume rassemblent des contributions plus théoriques dans leurs approches, mais toujours herméneutiques dans leurs applications. Le travail de Ziva Ben-Porat s’attache à mettre en évidence le lien entre études cognitives et traitement de l’allusion dans les textes littéraires. À l’aide de la théorie des mèmes et d’une méthodologie extrêmement rigoureuse empruntée à la psychologie expérimentale, elle analyse le rôle de la culture littéraire dans le repérage conforme et l’interprétation pertinente des allusions dans le texte littéraire. Cette étude est judicieusement suivie par celle de Jérôme Pelletier, qui analyse les émotions fictionnelles à travers la notion d’empathie, faisant de la lecture de fiction une expérience de seconde main. Finalement, c’est le chapitre d’Alexandre Gefen qui s’avère être le plus potentiellement polémique du volume : le chercheur utilise les apports, souvent invalidés, de la psychologie évolutionniste, pour interroger la place du texte littéraire, de sa production à sa lecture, au sein des mécanismes évolutifs nécessaires à la survie de l’espèce humaine. Le champ littéraire serait soumis à des rapports de force échappant à tout contrôle strictement culturel. Si le critique, avec prudence et discernement, exprime sa méfiance envers la psychologie évolutionniste, il n’en souligne pas moins l’intérêt théorique de cette approche : la culture serait un facteur de distinction intellectuelle au sein des élites, et donc un avantage reproductif non-négligeable dans la course à la perpétuation de l’espèce. Cette contribution s’inscrit parfaitement dans le projet de fond de l’ouvrage : montrer la pertinence, encore et toujours, des études littéraires dans un contexte universitaire qui tend à délaisser les sciences humaines au profit de leurs cousines plus « exactes ».