Pertinente dans les disciplines artistiques, la recherche-création l’est également dans d’autres disciplines relevant des sciences humaines. C’est dans cette ouverture pluridisciplinaire et interuniversitaire que nous avons souhaité proposer le cycle de séminaires Dialogues sur les enjeux de la recherche-création pour les sciences humaines #1 pour les doctorants de l’école doctorale LECLA, de plus en plus nombreux à souhaiter s’inscrire en doctorat « recherche-création ». Nous avons également ouvert ces sessions d’études aux collègues du réseau RESCAM (https://www.res-cam.com/), afin de créer un espace de rencontre partagé autour des enjeux épistémologiques du doctorat en recherche-création.
Proposées comme des temps de dialogue, ces sessions de rencontres mensuelles ont eu lieu de novembre 2020 à mai 2021. Elles se proposaient d’appréhender le parcours recherche-création à l’aune d’une multiplicité de focales en faisant notamment varier les récits d’expériences qui s’ancrent dans cette pratique. Les rattachements institutionnels, disciplinaires et géographiques des participants ont permis de révéler une pluralité de perceptions. Ce sont aussi divers formats, processus et méthodologies qui se sont fait jour dans les témoignages et les présentations. La forme dialoguée a montré toute sa richesse et elle a favorisé les prises de paroles du public.
D’abord pensées comme des sessions d’étude en présentiel – certains formats de conférences étaient initialement proposés de façon performée –, la situation sanitaire en lien avec la Covid 19, nous a fait basculer sur le format d’une diffusion en visioconférence, ce qui nous a toutefois permis de bénéficier d’une audience très large. Au total, 287 personnes se sont inscrites via la plateforme SciencesConf. Les participations en direct aux visioconférences ont varié de 60 à 130 personnes suivant les séances. Les doctorants ont apprécié de pouvoir bénéficier d’attestations de participation leur permettant de valider ces heures dans leur formation (30 à 50 attestations envoyées à chaque séance). Les enregistrements-vidéos ont été mis en ligne rapidement après chaque séance sur la plateforme de CanalU via la chaîne de l’UFR SLHS, rubrique ELLIADD/LECLA1. Les vidéos ont aussi été relayées sur le Carnet Hypothèses Recherche Création2, créé dans le but de d’accompagner le séminaire et plus largement d’être une source d’information pour nos doctorants (liens vers des sources, actualité scientifique de la recherche en recherche-création). Difficile exercice que de rendre compte de ces échanges foisonnants. Cette tentative d’embrasser ici en quelques lignes chaque séance vise avant tout à donner envie de visionner les enregistrements.
« Du professeur-artiste à l'accompagnant en recherche création » (Guy Freixe, Philippe Goudard)
Conversation entre Guy Freixe (Pr. Département des Arts du spectacle, acteur-metteur en scène, Université de Franche-Comté) et Philippe Goudard (Pr. Etudes en cirques, clown, médecin, Université de Montpellier-3), le 19 novembre, de 17h à 19h |
Guy Freixe a été comédien, notamment au Théâtre du Soleil, directeur de compagnie, puis à 50 ans, il a passé sa thèse et est ensuite devenu professeur des universités. Entrer à l’université a été pour lui une forme de continuité de parcours car il a toujours questionné le théâtre sur le plateau et expérimenté des formes théâtrales. A travers son activité professionnelle, il a également été dans la transmission. Toutefois, c’est le lien entre pratique et théorie qui a été nouveau pour lui en entrant à l’Université.
Philippe Goudard lui, est médecin de formation, mais aussi pionnier du nouveau cirque. Selon lui, ces deux activités se rejoignent : il s’agit de pratiquer, chercher, avoir des connaissances, théoriser. La transmission a également occupé une grande place dans son activité d’universitaire. Tous deux ont pratiqué de façon professionnelle leur métier d’artiste en même temps qu’ils faisaient leur thèse. Par ailleurs, Philippe Goudard ne fait pas de différence entre la créativité scientifique et la créativité artistique.
Tous deux sont directeurs de thèse, et accompagnent des doctorants. Encadrer un doctorant, pour eux, c’est l’accompagner sur un chemin initiatique car la personne se révèle à elle-même au travers de l’étude, de la pratique artistique, et c’est ainsi qu’elle va trouver un chemin singulier (PG). La relation et la confiance entre directeur de thèse et étudiant sont primordiales. Échangeant tous deux sur le fait que la pratique peut insuffler, potentialiser une certaine incarnation du discours, il a été avancé que l’écriture théorique se doit d’être chargée du même feu que le plateau : « les mots doivent répondre à un feu intérieur » (GF). Il a été exprimé également que la théorie ne doit pas assécher la pratique lors de l’exercice de la rédaction de la thèse. Le conseil qui a été donné par tous deux vise à encourager le doctorant à se centrer sur les processus et non sur les résultats. Lors des conversations, il a été avancé que l’université est un lieu de liberté où l’on peut se nourrir de façon plurielle (PG). Dans la recherche-création, les deux chercheurs invitent à être dans la réflexivité et être inventif sur les formats, sans oublier que la recherche est une pratique qui s’appuie sur la rigueur et le partage. Toutefois, ce qui manque cruellement à l’université selon leurs retours, ce sont les salles d’expérimentation (GF).
Parmi les phrases dites lors de la session, en voici une que nous souhaiterions mettre en exergue : « Quand on est artiste on a une soutenance chaque soir, devant le jury du public » (PG).
« Faire art au laboratoire : expérimentation et création » (Mireille Losco-Lena, Marine Riguet)
Conversation entre Mireille Losco-Lena (Pr. Études Théâtrales, ENSATT) et Marine Riguet (MCF Lettres et Humanités Numériques, Université de Reims), le 17 décembre, de 17h à 19h |
Pour Marine Riguet et Mireille Losco-Lena, il est important d’avoir une conscience historique de la notion de laboratoire lorsque l’on parle de recherche-création aujourd’hui, afin d’éviter d’imposer un modèle de recherche qui serait trop formaté ou surplombant. La démarche de recherche dans la création s’oppose à l’efficacité d’une réalisation par l’application d’un savoir-faire aussi bien qu’à celle de l’inspiration géniale. Il s’agit d’expérimenter, l’issue étant incertaine, dans un processus de maturation qui exige du temps et remet en jeu les savoir-faire, les réinvente, les déplace (cf. le « savoir-chercher » d’Ariane Mnouchkine). C’est une exigence d’art et non de production du nouveau à tout prix qui se joue dans la recherche : la question de l’innovation est l’un des dangers.
Marine Riguet aborde lors de sa communication initiale les spécificités du numérique. Le laboratoire est un espace autour d’un instrument dit-elle. Dans le cas du numérique, l’instrument est l’ordinateur mais plus globalement, le numérique est en lui-même un espace, un environnement, et il est en permanente recomposition. Il exige une implication active et permanente de soi. Le corps n’en est pas absent car il sert à la fois d’interface de lecture et d’écriture. Quant au mémoire et à la documentation de la création, ils permettent de partager la recherche, la transmission étant l’un des critères de la recherche.
L’articulation entre recherche et création amène à s’interroger sur la relation entre intuition (connaissance incarnée) et connaissance théorique, subjectivité et objectivité, démarche artistique et démarche scientifique. Mireille Losco-Lena défend une position qu’elle définit comme possiblement radicale et polémique : la recherche-création est une démarche artistique, non scientifique. Cette réflexion suscite des réactions lors de la discussion. Pour Pascal Lecroart, les artistes chercheurs devraient tirer parti de ce qui se passe du côté des sciences dîtes dures : le rapport au réel n’est plus dévalorisé par rapport à l’abstraction pure. Chantal Lapeyre, une autre participante, fait valoir que le terme-clé de « théorie » intègre une dimension de spéculation et de contemplation, il n’est pas coupé de la pratique et de l’expérience.
« De la recherche-création à l’étude (studium/study) » (Yves Citton, François Deck, Jacopo Rasmi)
Conversation entre Yves Citton (Pr. Littérature et media, Université Paris 8), François Deck (enseignant en école supérieur d’Art, auteur, « artiste consultant ») et Jacopo Rasmi (MCF études italiennes et arts visuels, Université de Saint Etienne), le 14 janvier 2021, de 17h à 19h |
Selon François Deck, la recherche création est l’étude d’« objets énigmatiques », c’est-à-dire, dont la conscience que nous en avons est en retard sur la forme. Savoir et ignorance coexistent dans leur élaboration. Ils posent des problèmes au langage et au discours de réception car les intentions initiales ont souvent été bouleversées par le processus de conception. L’étude de ces objets énigmatiques n’est pas compatible avec une méthodologie de projet car déclarer une fin et des moyens en amont, c’est ruiner la puissance d’invention d’un processus. Concernant la coopération entre les acteurs, il propose de porter son attention sur les relations dans le processus de conception plutôt que sur les produits, les productions ou les résultats, les objets étant subsidiaires aux relations.
Jacopo Rasmi pointe ce qui pose un problème dans l’université d’aujourd’hui : la hiérarchisation, l’évaluation, les méthodes et les supports, la séparation entre la didactique et la recherche. Selon lui, la recherche création est pertinente quand elle est capable d’élargir les mailles de ce système et de prendre à rebours ces problèmes. La notion d’étude peut permettre cela. L’étude est tout à la fois une mobilisation personnelle ou collective autour d’un problème ou d’une question qui nous tient à cœur (une enquête au sens de Dewey), une ébauche ou croquis (étude artistique) et un studio, c’est-à-dire un espace, un laboratoire. Elle est de l’ordre du rhizome en ce sens qu’elle pousse dans des directions imprévisibles.
Yves Citton, quant à lui, afin d’affranchir la notion de recherche du modèle scientifique, propose de sous-titrer la recherche-création par l’expression « recherche par l’étude ». Il comprend la notion d’étude comme une conversation dans une relation non-hiérarchique où s’opère un partage des incomplétudes plus qu’une transmission de savoir. S’il se méfie du terme « recherche », il se méfie aussi du terme « création ». La création ne doit pas être productiviste mais tournée vers la circulation. Qu’est-ce qu’on produit ? questionne-t-il. Et une fois que c’est produit, que se passe-t-il ? Qu’est-ce qui se passe, se joue dans la réception ? Comment les choses circulent-elles ? Il propose le néologisme de « médiartivisme » : forme d’activisme qui passe par l’art (en écho au médiactivisme où l’on investit les médias de masse pour agir). Le trait d’union possible entre recherche et création est synonyme de mettre ensemble, conjoindre et faire frotter les choses, ce à quoi invite l’étude.
La recherche-création est une catégorie institutionnelle établie explicite-t-il, ce qui permet d’obtenir des financements et d’ébranler les rigidités de la thèse universitaire classique. Elle s’installe également peu à peu dans la pédagogie et fait changer l’université.
« Enjeux de la recherche-création en tant que pratique » (Louis-Claude Paquin, Gretchen Schiller)
Conversation entre Louis-Claude Paquin (Pr. École des Médias, UQAM) et Gretchen Schiller (Pr. Arts de la scène, Université. Grenoble Alpes, co-directrice du réseau RESCAM), le 11 février 2021 de 17h à 19h |
Louis-Claude Pacquin étudie les aspects épistémologiques, cognitifs et méthodologiques de la recherche-création artistique et médiatique. À la question du tiret qui lie recherche et création, il répond par la notion d’enchevêtrement. La recherche-création, en tant que pratique, lui évoque plus concrètement cinq aspects :
- L’agir de la création est paradoxal car il s’agit de résoudre un problème mais sans forcément viser la réussite car c’est un agir d’exploration avant tout.
- L’agir de recherche doit être enchevêtré et assujetti aux agirs de création.
- La corporéité de la pratique de recherche-création doit être rendue accessible de l’extérieur.
- La matérialité de la pratique peut être travaillée à partir de la théorie de l’acteur-réseau.
- Les contextes de la pratique sont pluriels : l’intime, l’extime (ce que l’on veut exprimer), et leurs relations doivent être explicitées.
- Enfin, l’engagement de soi dans sa pratique, qui peut aller jusqu’à l’activisme, doit permettre un engagement de l’autre par la proposition qui lui est faite.
Gretchen Schiller, quant à elle, a d’abord choisi d’analyser les expériences qui l’ont influencée pour encadrer les étudiants en master et en thèse. Ainsi le couplage danse et culture physique (couplage des corps anatomiques et artistiques) de son expérience à l’université de Calgary a été déterminant. De même, à l’université du Wisconsin, les travaux de John Dewey sur l’expérience, l’attribution de droits égaux aux deux facteurs de l’expérience, les faits objectifs et les conditions internes, ont marqué sa représentation de ce qu’elle appelle nos « corps-bibliothèques ». À l’UCLA, c’est la question de la documentation de la danse par les médias mais aussi la façon dont on transforme, on traduit ou on transpose des éléments du corps par les médias qui a été très formatrice pour elle. Elle a ensuite abordé son rôle auprès des étudiants de master ou de doctorat. Les questions qu’elle pose aux étudiants sont : pourquoi faire cette thèse ? Quelle est sa nécessité aujourd’hui (à la fois pour la personne qui se situe dans sa pratique, que pour le monde académique et artistique) ? Pourquoi passer par l’université ? Car la recherche en création se passe aussi hors du cadre des universités. Elle leur demande de rédiger une sorte de CV corporel et le CV du travail qui les a amenés jusqu’au moment de leur rencontre. Elle s’appuie sur les travaux de Mike Pearson (performance studies in situ) et de Twyla Tharp, ethnographe. Elle leur pose également la question de la façon dont leur voix entre en conversation avec celle des autres, ce qui rejoint l’idée de poly-vocalité développée par LCP (montrer toutes les voix comme des couches apparentes permet d’articuler l’écriture sensible aux exigences académiques). Comme Louis-Claude Pacquin, elle constate un désir fort d’activisme de la part des étudiants. Enfin elle pose la question des studios artistiques en recherche-création : comment penser ces lieux ?
« La recherche-création, un enjeu majeur pour les écoles supérieures d’art » (Jehanne Dautrey, Antoine Idier)
Conversation entre Jehanne Dautrey (docteure et professeure de philosophie à l’École nationale supérieure d’art et de design de Nancy, chargée de cours en histoire et théorie du design Paris 1) et Antoine Idier (docteur en sociologie, responsable de la recherche à l’ésam Caen/Cherbourg), le 11 mars 2021 de 17h à 19h |
La mise en place du processus de Bologne a été complexe dans les écoles d’art car elle a posé la question de l’évaluation artistique : un artiste est défini par ce qu’il fait, pas par un diplôme. Passé ce premier constat, Jehanne Dautrey explicite que dans la recherche en art, on lance des questions, on ne cherche pas des réponses. La question qui se pose alors est celle du mémoire, c’est-à-dire du passage par le discours : l’étudiant est invité à formuler une pensée par le langage mais le mémoire n’a pas à se soumettre d’emblée à un format académique. La forme du mémoire doit être cohérente avec sa recherche. Pour Antoine Idier, il est important de questionner les formes de production (les résultats de la recherche) et les formes structurelles (possibilité de transformer les structures de l’enseignement et de la recherche pour remettre en cause un certain nombre de statut quo sur les acteurs de la recherche).
Rares sont les professeurs qui ont des doctorats dans les écoles d’art. Les enseignants n’ont pas le même statut que les MCF, ni la même rémunération. Il faut d’ailleurs distinguer les écoles nationales (qui dépendent du ministère de l’intérieur) et les écoles qui dépendent des collectivités territoriales et où il n’y a pas de reconnaissance des activités de recherche. Ces difficultés liées au statut se répercutent sur les recrutements et sur la question du financement des études de doctorat.
« Les arts du cirque comme espace singulier d’écriture théorique et artistique » (Marion Guyez, Cyril Thomas)
Conversation entre Marion Guyez (MCF Arts de la scène, Université de Grenoble Alpes, artiste de cirque, équilibriste et dramaturge) et Cyril Thomas (responsable du pôle Ressources et Recherche au Centre national des arts du cirque de Châlons-en-Champagne et cotitulaire de la chaire ICiMa), le 1er avril 2021, de 17h à 19h |
Marion Guyez a travaillé comme équilibriste sur les mains, puis elle a repris ses études jusqu’au doctorat, et dans le même temps, elle est passé d’interprète à dramaturge et metteuse en scène (la thèse et la recherche ayant été son espace de formation à la dramaturgie). Renoncer à être interprète s’articule mieux avec les impératifs de la recherche car elle est maintenant MCF à l’Université Grenoble-Alpes. Néanmoins son projet de recherche lui permet de garder une pratique ayant une finalité. Le cirque étant très traumatique par rapport à la danse, cela l’a amenée à réfléchir à l’éthique des pratiques acrobatiques : jusqu’où pousser les corps ? Elle n’a pas fait son doctorat en recherche création, car à cette époque, ses deux activités étaient seulement concomitantes. Les deux milieux sont selon elles très étrangers l’un à l’autre. Néanmoins, son doctorat est fondé sur sa pratique. Aujourd’hui, ses activités de recherche et de création sont indissociables pour trois raisons : d’abord, tout se passe dans son corps ; ensuite ces deux activités ont pour but la recherche d’une autre acrobatie (par rapport à celle qui est pratiquée dans le cirque actuel et la création contemporaine) par un processus d’hybridation avec les autres arts (dans, architecture, urbanisme, théâtre, musique…). Enfin, aussi bien dans la création circassienne que dans ses recherches académiques, elle a besoin d’entrer en dialogue avec ses pairs artistes. Dans sa thèse, elle a cherché à rester accessible aux artistes par le choix du vocabulaire (celui utilisé dans la création) et a tenté de concilier la rigueur académique avec l’anticonformisme, la transgression, le détournement des normes de la culture circassienne. En tant que maîtresse de conférences, elle a maintenant plus de liberté dans sa recherche car elle n’est plus tenue par le temps et par la forme comme lors de son doctorat. Les « endurances » sont l’une des formes de travail collaboratif qu’elle a développé de façon fructueuse. Il s’agit d’ateliers théorico-pratiques, sans objectif de création, réunissant une dizaine de personnes, des artistes et des chercheurs, sur une thématique précise dans un studio.
Cyril Thomas accueille des chercheurs au CNAC et initie avec eux les programmes de recherche. Des équipes de recherche pluridisciplinaires sont montées, avec des artistes débutants ou confirmés pour développer différents types d’ateliers ou de laboratoires en fonction de la durée du programme. Le travail porte sur différents axes de recherche : les matériaux, le geste et le mouvement, et la terminologie multilingue du cirque, ainsi que de manière transversale les questions de santé et cirque.
« Artiste où chercheur : un dialogue » (Laurent Pichaud, Aurore Després)
Intervention de Laurent Pichaud (artiste-chercheur, artiste associé et doctorant Danse de l’Université Paris 8) en question avec Aurore Després (MCF HDR Arts de la scène, Université de Bourgogne Franche-Comté) sur les milieux et dispositifs situés pour la recherche-création, le 6 mai 2021, de 17h à 19h |
Laurent Pichaud, en tant que chorégraphe, artiste associé, puis co-directeur et enfin directeur du master EXERCE de Montpellier 3, aborde la question des formations en art qui doivent s’adjoindre à des programmes universitaires. Le fait de devoir rendre un écrit a bouleversé les modes de faire dans le cadre de ce master basé sur la pratique. Cette réflexion sur ce que peut être un écrit de danseur lui a donné envie d’entrer en thèse, une « création thèse » dit-il, plutôt qu’une « thèse création ». Il a choisi d’intituler son intervention « Artiste où chercheur », une façon pour lui de montrer la fluidité entre les deux éléments. « Le “où” est inclusif, situé, c’est l’un dans l’autre plus que l’un ou l’autre ou l’un et l’autre ». Recherche et art sont créatifs mais la créativité de l’art ne s’appuie pas sur les mêmes outils ni sur les mêmes méthodes précise-t-il. Laurent Pichaud dit s’appuyer sur la méthodologie universitaire dans son processus artistique, mettant en regards plan et dramaturgie, problématique et questions. Les notions d’enquête et de terrain deviennent prégnantes pour lui. Grâce à la mise en réflexivité permise par son activité de recherche, il peut donner moins d’importance à son corps sensible d’artiste. Son travail questionne ainsi la notion d’in situ, le mode relationnel qui le lie à un lieu, le processus étant plus intéressant que le résultat dans cette recherche artistique. Le dossier de la revue Sociologie (juin 2014) « Affecter, être affecté. Autour des travaux de Jeanne Favret-Saada3 » lui fournit des éléments de méthodologie pour soutenir cette réflexion.
Pour le master EXERCE, il évoque avoir réfléchi à ce qu’implique « documenter » en tant qu’artiste où chercheur. Il distingue ainsi plusieurs phases d’écriture
- L’écrit programmatique : quand on écrit sur le travail sans l’avoir fait encore.
- L’écrit sensation : les prises de notes pendant l’atelier, au moment où les choses adviennent, il écrit ce qu’il ressent, au présent.
- L’écrit documentation : lorsqu’il écrit après avoir fait une pièce, il faut alors inventer un format d’écriture.
- L’écrit objet : écrit autonome qui peut par exemple être lu sur scène.
Il évoque l’importance de respecter l’hétérogénéité des matériaux et des modes d’écriture. Comment analyser l’expérience sans en sortir ? exprime-t-il. Selon lui, l’expérience ce n’est pas ce qui nous arrive, mais ce que nous faisons de ce qui nous arrive. Du moment où nous sommes dans l’expérience, nous nous en distançons, c’est ce qui fait la dynamique de ce trajet. Enfin, pour Laurent Pichaud, le milieu de la recherche accepte mieux de douter en compagnie. Dans le milieu artistique, cela se fait moins. Les artistes sont chacun dans leur studio, avec des soucis d’auctorialité.
Ce cycle de séminaires, qui s’est déroulé entre novembre 2020 et mai 2021, a ainsi permis le déploiement de quatorze regards, paroles, ouvrant aux différents possibles modes de faire, penser, d’être en recherche-création. Cette traversée des perceptions a été extrêmement riche pour sonder combien le chantier de la « recherche-création » s’écrit et se questionne au pluriel. C’est ainsi que dans le désir de prolonger ce sillon réflexif, problématique, un second cycle de « Dialogues sur les enjeux de la recherche-création pour les sciences humaines #2 » est programmé pour l’année universitaire 2022/2023.