Journée doctorale « Transversales » (LIR3S, Dijon) : « Exclusion : quels processus ? »

  • Doctoral day “Transversales” (LIR3S, Dijon): Which processes command exclusion

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Affiche dédiée à la journée « Transversales » sur le thème de l’exclusion

Affiche dédiée à la journée « Transversales » sur le thème de l’exclusion

Vincent Van Gogh, La Ronde des prisonniers, huile sur toile, 80 x 64 cm, 1890, Moscou, musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine.

C’est à la Maison des Sciences de l’Homme de Dijon qu’a pris place le 4 mai 2022 la journée d’études doctorales « Transversales » du Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche « Sociétés, Sensibilités, Soin » (LIR3S) sur le thème : « Exclusion : quels processus ? ». Cette journée d’étude offre aux doctorants, jeunes docteurs et chercheurs confirmés un lieu d’échanges pluridisciplinaires sur une thématique spécifique. Sous la responsabilité d’Isabelle Marinone, maîtresse de conférences en Histoire du Cinéma à l’Université de Bourgogne, cette journée donne lieu à une publication en ligne au sein de la revue éponyme.

Sous l’impulsion d’Emma Sutcliffe, doctorante en histoire de l’art, le thème de l’exclusion, dans une volonté réflective la plus large possible, a émergé. Cette idée a incité trois autres doctorants à intégrer le comité d’organisation du séminaire. On citera ainsi Bertrand Kaczmarek, doctorant en philosophie, Linda Zuo, doctorante en histoire de l’art et enfin Harmonie Mariette, doctorante en histoire contemporaine. Les réflexions de l’appel à communication se sont portées vers une compréhension de l’exclusion à travers ses processus de construction. Se basant sur les réflexions de Robert Castel1 qui, dans un article de 1994, évoque l’exclusion davantage comme un mécanisme, une progression ou un déroulement, trois axes principaux d’étude ont retenu l’attention des organisateurs.

Un premier thème s’est attaché à envisager l’exclusion comme un processus institutionnalisé, dans lequel des individus ou groupes d’individus sont marginalisés au nom de la protection du bien commun, ou des personnes vulnérables. C’est ainsi que nous rencontrons des structures spécialisées, avec une séparation physique du reste du groupe telles que les prisons ou les EHPAD.

À cette approche s’ajoutent des formes d’exclusion « morale » ou « subjective » qui, toujours selon Castel, ne reposent sur aucun fondement juridique et qui placent à la marge de la société des individus ne correspondant pas à une norme, impliquant de ce fait des formes d’arbitraire et d’injustice.

Enfin, une dernière orientation a mis en avant la question de l’auto-exclusion, forme d’exclusion choisie d’un individu ou d’un groupe en réponse le plus souvent à une exclusion subie. Cette dernière étant généralement la manifestation de l’autorité d’une majorité sur une minorité, l’exclusion en réaction à l’exclusion est-elle souveraine ou stérile ? Ces différents axes soulèvent des questions sur les tensions entre l’individu et un « système social » normé, impliquant de ce fait des processus et des moyens d’exclusion multiples.

Au total, neuf propositions d’interventions ont été proposées par des doctorants en philosophie, sociologie, littérature (comparée et italienne), histoire (médiévale et contemporaine) et en histoire de l’art. Quatre sessions thématiques ont été organisées, introduites par Hervé Marchal, professeur de sociologie à l’Université de Bourgogne. Ce dernier a évoqué certaines pistes de réflexion autour de la définition de l’exclusion et de certains écueils liés à son analyse. Il a cité notamment la construction de typologies, et l’utilisation d’indicateurs et de données quantitatives qui n’ont pas toujours d’existence. Au même titre que Michel Foucault2, M. Marchal a précisé que les traces de l’exclusion apparaissent souvent dans le cadre d’une confrontation avec le pouvoir.

Dans une première session dédiée à la marginalisation spatiale et géographique comme une méthode de ségrégation institutionnalisée, Maïwenn Jouquand (doctorante en histoire médiévale) et Silvia Valentini (doctorante en littérature italienne) évoquent respectivement la situation des Juifs du duché de Bourgogne au XIVe siècle et celle de Carlo Levi (1902-1975), écrivain et peintre dans l’Italie fasciste. Entre question politique et identitaire, à deux époques pourtant distinctes, ces deux communications laissent entrevoir les formes d’une exclusion normée dans un cadre institutionnel où la relégation et l’expulsion – sous couvert d’antisémitisme – prennent toute leur place.

Les processus de l’exclusion sont éminemment liés au politique, et nous interrogent sur l’effet de ce phénomène inéluctable dans des gouvernances collectives. Cette question a constitué la ligne directrice de la deuxième session du séminaire, grâce à deux autres interventions. La première, portée par Léo Rosell (doctorant en histoire contemporaine) a détaillé l’exclusion des ministres communistes du gouvernement français en mai 1947, partageant leur trajectoire collective avec celle d’Ambroise Croizat (1901-1951), ministre du travail de 1945 à mai 1947. Bertrand Kaczmarek (doctorant en philosophie) a, quant à lui, évoqué l’exemple des « modules respect » en prison, qui engagent des détenus par contrat à respecter certaines dispositions afin d’obtenir des conditions de détention plus favorables. Là encore, l’exclusion s’imbrique dans une sphère institutionnalisée et normée politiquement, mais surtout, elle responsabilise directement l’individu dans le processus de sa propre exclusion.

L’exclusion par la norme et la mise à l’écart sociétale interrogent de facto sur le rôle des états dans la mise en place de moyens de discrimination envers des individus, groupes, catégories socio-professionnelles et économiques. Durant la troisième session du séminaire, Biaou-Marcel Oloukoï a ainsi évoqué la question des enfants abandonnés en Afrique subsaharienne qui évoluent hors des normes familiales et sociales paradoxalement communautaires et solidaires. Les déterminants politiques, sociaux et économiques ont un rôle majeur, ce qui fait aussi le lien avec l’intervention de Gaëtan Mangin (doctorant en sociologie) qui a analysé la réception des injonctions écolo-mobilitaires en milieu populaire. Celles-ci laissent apparaître les logiques d’une exclusion morale, négociable grâce à des manières alternatives et esquissent l’apparition d’une écologie populaire.

La quatrième et dernière session de la journée d’études Transversales a souhaité mettre en lumière la question de l’auto-exclusion. S’agit-il d’une démarche légitime ou d’une revanche stérile ? Marco Dal Pozzolo (doctorant en philosophie) a évoqué le lien entre le stress et la précarité et l’incorporation de l’exclusion sociale. Le monde du travail n’est pas en reste face aux enjeux de l’exclusion et Valentine Levacque (doctorante en philosophie) a très bien montré le rôle de la facilitation, utilisée dans les entreprises et les collectivités afin de créer les conditions optimales pour le dialogue et reconnaissant ainsi l’exclusion de certains agents. Ce processus collaboratif interroge à juste titre sur la réversibilité possible du phénomène d’exclusion. À l’image de l’œuvre de Carlo Levi, marquée par l’exclusion sociale et politique subie par son auteur, Lilia Roustel (doctorante en littérature comparée) aborde les processus de l’auto-exclusion dans l’œuvre de Fiodor Dostoïevski (1821-1881) et notamment dans La Douce et Carnets de Sous-sol. Nous comprenons alors les différents procédés narratifs qui mettent en scène l’exclusion dans des univers confinés, rendus inaccessibles et qui emprisonnent plus qu’ils ne libèrent les narrateurs de leur misanthropie.

Enrichie par les mots conclusifs d’Evelyne Hivar (formatrice à l’IRTESS et docteure en philosophie), cette journée d’étude a permis d’éclairer des processus d’exclusion en prise avec nos sociétés contemporaines et anciennes. Inévitablement liée à des fonctionnements normés, l’exclusion est plurielle, évolutive et s’inscrit dans des processus spécifiques. Malgré tout ce que ce phénomène peut contenir de négatif, le séminaire Transversales a permis d’ouvrir des perspectives sur une réversibilité de l’exclusion, ouvrant de nouveaux enjeux de réflexion.

Notes

1 CASTEL R. (1994), « La dynamique des processus de marginalisation : de la vulnérabilité à la désaffiliation ». In Cahiers de recherche sociologique, n° 22, p. 11. Retour au texte

2 FOUCAULT M. (janvier 1977), « La Vie des hommes infâmes ». In Cahiers du chemin, n° 29, p. 12-29. Retour au texte

Illustrations

  • Affiche dédiée à la journée « Transversales » sur le thème de l’exclusion

    Affiche dédiée à la journée « Transversales » sur le thème de l’exclusion

    Vincent Van Gogh, La Ronde des prisonniers, huile sur toile, 80 x 64 cm, 1890, Moscou, musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine.

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Référence électronique

Harmonie Mariette, « Journée doctorale « Transversales » (LIR3S, Dijon) : « Exclusion : quels processus ? » », Éclats [En ligne], 2 | 2022, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : https://preo.u-bourgogne.fr/eclats/index.php?id=325

Auteur

Harmonie Mariette

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Droits d'auteur

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