Le clos appartient à la symbologie identitaire bourguignonne, largement utilisé dans la représentation touristique et commerciale de la région, de son patrimoine historique et de ses vins. Dans cette iconographie d'une viticulture réputée d'exception, le clos illustre parfaitement le concept bourguignon de ce qui sera plus tard un climat (Garcia et alii 2014 ; Garcia 2016), et associe à un vin un lieu nommé et bien défini dans le territoire.
Chargés d'autant de valeurs historiques, qualitatives ou paysagères, emblématiques d'une viticulture hors norme, les clos sont pourtant un objet historique largement méconnu. Les rares études ponctuelles, menées ces dernières années sur quelques clos de la côte viticole, laissent deviner la complexité de cette pratique et surtout sa variété, qu'elle soit de chronologie, de contexte ou d'intention (Vigreux 2005 ; Foucher 2010 ; Fromont 2011).
À partir d'une série d'enquêtes dans des fonds documentaires médiévaux et modernes, pour tenter de démêler ce qui appartient à la reconstruction moderne de ce qui hérite des pratiques anciennes, nous avons cherché à interroger à la fois la chronologie de la pratique culturale, mais également la (ou les) fonction(s) de cette forme de délimitation viticole, largement répandue sur les Côtes de Nuits et de Beaune.
Un clos ou des clos : une pratique à l'histoire longue
Les clos du coteau viticole : une apparition tardive ?
Le Clos de Vougeot, l'un des clos les plus archétypiques peut-être, a été le premier pour lequel nous avons analysé le processus de création, à partir du fonds de l'abbaye de Cîteaux conservé aux archives départementales de Côte d'Or (ADCO) (Foucher 2014, p. 156-158 ; Foucher 2013, p. 28 ; Foucher 2010 ; Chauvin 2010). D'après l'ensemble de la documentation relative aux propriétés foncières de l'abbaye, les moines constituent un domaine sur Vougeot depuis les premières décennies du XIIème siècle (Marilier 1961, nos 33 à 35, 39 à 41). Jusqu'à la fin du XIIème siècle, le clos n'apparaît pas encore nommément, notamment dans la confirmation des biens de l'abbaye de Cîteaux, faite par le pape en 1182 (Marilier 1961, n°250). Puis il devient quasi systématique, voire représentatif de l'ensemble du domaine de Vougeot, à partir de sa première mention en 12121 (Foucher 2014, p. 158 ; Chauvin 2010, p. 17-18 et 40-43).
Avec l'analyse de divers autres cartulaires de communautés ecclésiastiques implantées sur le coteau, le processus d'apparition d'un clos au sein d'un domaine viticole préexistant, observé à Vougeot, constitue un schéma récurrent. Le processus est notamment comparable au clos de Tart, qui n'apparaît dans les textes qu'en 1202, à propos d'un domaine viticole que l'abbaye de Tart avais acquis en 1141 de l'Hôpital de Brochon (Beck et Lochot 2011, p. 126). Ou au clos de Bèze, pourtant hérité d'une exploitation viticole dépendant de l'abbaye de Bèze depuis le VIIème siècle, qui n'est appelé "clos" qu'en 1219 dans l'acte de son rachat par les chanoines de Langres (Flammarion 1995, n°281 ; Labbé 2011). En côte chalonnaise, le domaine viticole du Cellier aux Moines dépendant de l'abbaye de la Ferté-sur-Grosne à Givry ne sera dénommé "clos" qu'à partir de 1213, alors que la constitution du domaine viticole de la Ferté débute au siècle précédent2 (Foucher 2014, p. 254-255). Au-delà du processus en lui-même, les premières décennies du XIIIème siècle apparaissent particulièrement riches en mentions de clos puisque, outre les exemples précédents, on recense encore deux clos à Pommard en 12073, le Clos de Larrey à Dijon en 12114, à Aloxe-Corton, le Clos de la Cathédrale d'Autun en 1212 et celui de Cîteaux en 1226 (Labbé 2011, Lavalle 1855, p. 128), etc.
Aucun document, toutefois, ne date avec précision l'acte de création de ces clos, si bien que le phénomène apparent ne pourrait être qu'un artefact des sources recueillies. Pour remonter au-delà de cette période active d'apparition de clos, l'enquête a été élargie au corpus documentaire des Chartes de la Bourgogne du Moyen Âge - Chartae Burgundiae Medii Aevi (CBMA), plateforme documentaire développée par le laboratoire ARTEHIS5, qui réunit quelques 15000 actes diplomatiques émanant essentiellement des institutions ecclésiastiques de la Bourgogne médiévale. Une série d'analyses simples nous a permis d'interroger certains paramètres élémentaires des clos : leurs répartitions chronologique et spatiale depuis le Haut Moyen Âge. Cette première enquête couvre actuellement 17 formes du mot (clausum (180), clauso (84), clos (61), clausus (19), clausis (47), clausura (46) clausuram (45), ), clausi (22), clausas (4), clausos (4), closo (3), clausure (2), closum (2) , claus (2), clausarios (1), closis (1), clausario (1)), pour un total de 489 occurrences6. Ce résultat témoigne d'un terme relativement peu fréquent au regard d'autres formes de lieux comme les granges (grangi*, 678 occurrences), les courtils (curtil*, 2208 occurrences), néanmoins comparables au manse (mansio, 375 occurrences) ou à la colonie (colonica, 321 occurrences) (Gasse-Grandjean 2014, p. 93).
La distribution chronologique du clausum dans les chartes bourguignonnes montre, toutes formes confondues, que l'usage du terme se répartit majoritairement entre les Xème et XIIIème siècles, avec un accroissement discontinu du nombre d'occurrences, et un pic dans la seconde moitié du XIIème siècle (Figure 1).
La documentation sur laquelle se fondent ces analyses étant essentiellement liée à la gestion des domaines fonciers, ces biens sont en majorité localisés7, autorisant une cartographie de ces clos anciens. En l'état actuel de l'enquête, sauf les textes sans précision de lieu ou aux toponymes opaques8, un corpus d'une centaine de mentions de clos a pu être localisé ne serait-ce qu'à l'échelle du pagus9, dévoilant une répartition très contrastée sur le territoire bourguignon (Figure 2). Alors que les mentions se concentrent massivement en Saône-et-Loire et dans l'Auxerrois, la côte viticole est en retrait sur l'ensemble de la période couverte par l'analyse (soit entre les IXème et XIIIème siècles). En outre, les seules mentions que l'on peut lui attribuer appartiennent à l'élan d'installation de clos du XIIIème siècle et ne concernent qu'un petit nombre de domaines : en Côte de Beaune, le clos ducal de Meursault dans la seconde moitié du XIIème siècle10, le clos de la Perrière de Beaune en 1265 (Bulliot, 184911) et le clos de Sampigny dans les dernières décennies du XIIIème siècle12; en Côte de Nuits, les mentions se réduisent uniquement à deux clos sur Gevrey-Chambertin à la fin du XIIIème siècle (Bernard, Bruel 1903, n°521813).
Ce résultat reste à manipuler avec précaution, toute la documentation bourguignonne14 n'étant pas encore intégrée à la base en ligne des CBMA. L'abondance des fonds clunisiens justifie certes la concentration massive des données dans le Clunisois et le Mâconnais, et certains clos médiévaux attestés par ailleurs (à l'instar du clos de Vougeot) ne ressortent pas de l'analyse. Toutefois, le "vide" constaté sur la côte viticole ne peut se résumer à un biais lié aux sources : la base des CBMA intègre notamment l'édition du chanoine J. Marilier des chartes de l'abbaye de Cîteaux, lesquelles concernent largement, dès le début du XIIème siècle, les Côtes de Nuits et de Beaune (Marilier 1961). L'élargissement de l'enquête à d'autres fonds, notamment les chartes de l'abbaye de Cîteaux postérieures à l'édition du chanoine Marilier ou le cartulaire de Langres publié par H. Flammarion (Flammarion 1995), confirme l'absence constatée de clos sur le coteau. Le clos ne paraît donc pas être une formule de découpage du territoire utilisée dans ce secteur pendant le Haut Moyen Âge, et reste rare jusqu'au XIIIème siècle. Ce n'est qu'à partir de la charnière des XIIème et XIIIème siècles, et de façon plus systématique dès les deux premières décennies du XIIIème siècle, que le clos devient ici une pratique récurrente, particulièrement dans la sphère ecclésiastique et bientôt ducale.
La réinvention des clos à l'Époque moderne
Dans notre corpus documentaire, le début de l'Époque moderne souligne plutôt le désengagement des grands domaines monastiques de leurs unités d'exploitation, avant le regain viticole porté par l'investissement des parlementaires. À partir du XVIIIème siècle, de nouvelles sources permettent d'envisager l'occupation de l'ensemble du coteau. Dans ces documents, les problématiques ne relèvent plus de la gestion de quelques domaines fonciers, mais visent le recensement plus ou moins exhaustif du patrimoine bourguignon, viticole ou non. Pour cette étude, nous avons réunis cinq documents répartis entre la fin du XVIIIème siècle et le XXème siècle15, depuis la description encyclopédique du territoire bourguignon de C. Courtépée (Courtépée 1778), le cadastre napoléonien dressé dans ce secteur en 1812 et 182816, et trois documents présentant une description critique des climats viticoles avec le travail de J. Lavalle en 1855 (Lavalle 1855), le plan statistique des vignobles de 1861 (Comité d'agriculture de l'arrondissement de Beaune 1861) et, à la fin du XXème siècle, l'atlas des vignobles de S. Pitiot et P. Poupon (1999). Malgré une finalité différente, ces sources renseignent les usages appellatifs des lieux-dits viticoles et leurs évolutions sur plus de deux siècles. Dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, les "clos" sont rares (8) et se résument aux seuls clos du Roy, de Bèze et de Vougeot, et quelques clos de plus petites dimensions (Figure 3-A). Dans les premières décennies du XIXème siècle, le nombre de clos augmente significativement (27) et concerne essentiellement des parcelles de petites tailles présentes sur toutes les communes du coteau (Figure 3-B). Cette tendance s'équilibre d'abord, avec 28 et 22 clos dans la seconde moitié du siècle, puis s'intensifie nettement jusqu'à la fin du XXème siècle où l'on recense 46 clos (Figure 3-C, D).
Si l'épithète ne paraît pas fixe, certains toponymes gagnant ou perdant le dénominateur "clos" en fonction de l'auteur, beaucoup d'entre eux sont néanmoins de réelles constructions ex-nihilo. C. Fromont ou C. Lucand analysent notamment le processus de construction du Clos-Napoléon de Fixin et décrivent tout deux la lente entreprise de remembrement, commencée par Claude Noisot en 1840 et achevée en 1899 seulement (Fromont 2011, p. 149-151 ; Lucand 2005 ; Lucand 2015, p. 82). Au-delà du seul rachat de différentes parcelles, Claude Noisot débaptise le climat Aux Cheusots qui existait encore sur le cadastre napoléonien, et, bien avant d'en réunir le monopole, créé de toute pièce le Clos-Napoléon (Lavalle 1855, p. 88).
Le clos comme un tout : les sens de la clôture
La longévité du clos, ses absences et ses renouveaux, la multiplicité des protagonistes, invitent à s'interroger sur le sens de la pratique et la qualité des parcelles encloses.
Un espace de culture … viticole ?
L'idée de clos est aujourd'hui indissociable de la vigne. Pourtant le Dictionnaire de Moyen Français (DMF)17 ne le définit que comme "ce qui est clos, domaine entouré d'une clôture ; p. ext. domaine, terre" ou "la partie fermée d'un lieu". L'outil lexicographique du Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL)18 renvoie également à un espace "de culture, d'élevage ou de plaisance entouré d'une clôture" sans faire de lien avec le vignoble. L'enquête menée ci-dessus dans les CBMA confirme la polyculture de ces parcelles fermées, où l'on retrouve, outre la vigne, des arbres, jardins, vergers, etc. (Figure 4).
Progressivement, la spécificité viticole du clausum croît, jusqu'aux clos gothiques des Côtes de Nuits et de Beaune, exclusivement plantés de vigne. Ils ne sont cependant pas la seule formule parcellaire viticole et coexistent dans les textes avec de nombreuses vignes non closes.
Isoler, protéger …
La différence de statut entre ces deux formules de culture ne relève pas d'une simple question de propriété (Foucher 2010). Dans les domaines des abbayes de Cîteaux ou de la Ferté, le clos apparaît au sein d'une propriété viticole plus vaste et isole, sans raison aujourd'hui apparente, une seule portion de vigne – à l'image de Vougeot où les Musigny sont rejetés hors de la clôture, bien que les cisterciens y possèdent des vignes depuis 1140 (Bourély 1998, p. 53 ; Marilier 1961, n°177). Inversement, le clos ne marque pas non plus la propriété pleine et entière, puisque les monopoles sur la plupart des grands clos résultent d'une politique active, et parfois lente, de remembrement. Au XIVème siècle, les cisterciens obtiennent encore par achat, échange ou donation, des vignes dans le clos de Vougeot pourtant apparu en 121219 ; ceux de la Ferté en 1267 dans leur clos du Cellier aux Moines mentionné en 121320 ; et les chanoines de Langres en 1247 dans le clos de Bèze acheté en 1219 (Labbé 2011). Dans les CBMA, les mentions de donations de morceaux de clos sont nombreuses et, au contraire, lorsque la propriété est pleine, le scribe le mentionne explicitement.
La notion de protection, invoquée depuis la législation des Burgondes sur le vignoble (Dubreucq 2001), est une autre caractéristique associée à l'idée de clôture. La matérialité de la limite est réelle, telle que la définition des confronts dans les actes des CBMA le laisse percevoir au travers des mentions de haies, de murs ou de fossés. Le clos appartient ainsi, au même titre que d'autres formules d'exploitation comme le curtilum, à la catégorie des parcelles "aménagées" (Guerreau 1998, p. 517 ; Gasse-Grandjean 2014, p. 106). Que ce soit contre les hommes ou contre les animaux, les vignes sont effectivement protégées des intrusions : au XIVème siècle, des gardes "sont tenuz de garder les vignes es dicts habitans de Beaune, et se domages leur estoit fait en raisins ne en passeaux ne en autres choses" (Garnier 1867, p. 241) et, en 1389-1390, le châtelain de Germolles charge un habitant du lieu de surveiller le raisin jusqu'à la vendange pour éviter que "les ouvriers estant ou dit Germoles ni aultres gens n'y fassent aucun domaige"21. On retrouve encore tardivement dans les Coutumes du duché de Bourgogne, rédigées en 1459 et imprimées au XVIIIème siècle, l'usage d'enclore les cultures car "nulles bestes du monde, qui portent cieu, ne doivent pasturer ez vignes […] car elles broutent les vignes" (Bouhier 1742, p. 138). Cette forme de clôture de protection n'est pourtant pas synonyme de clos viticole et recouvre jusqu'à des systèmes de délimitation amovibles. À Beaune, "quand les vignes gettent, on doit crier que chaquun cloue sa vigne et que nuls n’y mette beste, et que nuls n'y aille cuillir herbes et auxi que chasquun cloue son courtil, que dommage ne viegne à son voisin" (Garnier 1867, p. 243). Les mesures de protections du vignoble s'étendent donc largement au-delà des murs des clos et ne justifient pas la distinction faite, dans les textes, entre clausum et vinea, et, dans le paysage, le choix de ne clore en matériaux pérennes que certaines parcelles (Foucher 2010).
… ou extraire ?
À propos du domaine cistercien de Vougeot, il n'existe aucun acte fondateur du clos, mais un texte préexistant de plusieurs décennies à la construction des murs peut en expliciter le contour. Cette charte, un accord entre les abbayes de Cîteaux et de Saint-Vivant de Vergy, daté de 1165-116822, définit l'aire d'application d'une dîme sur la vigne, due par les cisterciens à la communauté de Saint-Vivant. Le clos, tel qu'il apparaît sur les plans antérieurs à la Révolution23, correspond strictement à l'aire imposée par Saint-Vivant, à l'exception néanmoins des bâtiments à l'ouest et de la carrière au nord, tous deux rejetés hors des murs (Figure 5). Or, c'est dans ce hiatus entre réalité matérielle et définition juridique et fiscale que se forge une première hypothèse de définition du clos. Sur les deux espaces exclus de la clôture théorique – les bâtiments et la carrière – la dîme définie dans l'accord ne s'applique pas, puisqu'elle ne concerne que la vigne. De ce fait, ce clos ne matérialise, au moment de sa construction, rien d'autre qu'une qualité immatérielle (l'impôt) qui le distingue des parcelles contiguës.
Sous cet angle, d'autres clos paraissent également circonscrire, plutôt qu'une propriété unique ou un vignoble d'exception, l'aire d'application d'un droit ou d'un impôt particulier. Ainsi, les vignes des deux clos cisterciens de Fixin sont-elles franches de dîme, mais chargées d'un cens annuel dû au chapitre de Langres24. Le clos ducal de Germolles doit, lui, la dîme à l'abbaye de la Ferté25. Dans le domaine du chapitre d'Autun, certains clos sont "réservés à l'entretien des autels et des chapelles fondés à l'intérieur des deux cathédrales" (Madignier 2001, p. 87). À Beaune, les Ursulines achètent et enclosent une parcelle de vigne en 1676 aux Vignes Franches (Fromont 2011, p. 172). L'hypothèse n'est pas nouvelle, puisque Pierre de Saint-Jacob envisage déjà en 1941 l'enclos de la grange ou du pourpris monastique comme une "création du droit" dont les murs marquent "une frontière fiscale" ou "de justice" (Saint Jacob 2008, p. 12-14).
Cette piste reste à explorer plus en détail, particulièrement au regard de la concentration de "nouveaux" clos sur une période restreinte. En terme de définition des droits et des usages, cette période charnière entre la fin du XIIème siècle et les premières décennies du XIIIème siècle coïncide notamment avec la concession de nombreuses chartes de franchises communales. Sur l'espace qui nous intéresse, la ville de Dijon est la première à obtenir une charte de commune, en 1183 ; celle de Beaune date de 1203 (complétée, en 1210, par un ban de vendange), suivie par celles de Nuits-aval en 1212, de Talant en 1216, de Marsannay-la-Côte en 1238, de Couchey en 1252, etc. (Garnier 1867, 1868). Ces accords entre le duc de Bourgogne et les communautés urbaines définissent non seulement leurs droits à l'intérieur des murs de la ville, mais également sur la campagne qui en dépend. Les Coutumes du duché de Bourgogne, qui les reprennent, traduisent bien la pratique de considérer le lieu clos comme un espace spécifique auquel s'applique, du fait même de sa clôture, des usages et droits précis26. Partant de là, la construction de murs autour de parcelles aux droits spécifiques pourrait être la réaction des communautés ecclésiastiques ou seigneuriales à la définition de ceux des communautés villageoises.
Le procès tardif, qui oppose l'abbaye de Cîteaux à la communauté de Vougeot27 souligne encore au XVIIIème siècle, quoique de manière indirecte, l'utilité du clos dans la matérialisation des droits de chacun. Le procès concerne essentiellement la parcelle de la Perrière, appartenant aux cisterciens depuis le XIIème siècle et sur laquelle les habitants revendiquent des droits communaux, et critiquent les droits de justice dépendant du cellier cistercien. Le clos, lui, ne paraît pas concerné par le litige. À cette date, la distinction entre cet espace et la Perrière, a priori tous deux inscrits dans les limites fixées par le texte de Saint-Vivant de Vergy, et alors tous deux plantés en vigne, reste le mur qui extrait une partie du domaine cistercien des prétentions de la communauté villageoise.
Le clos comme la partie d'un tout : le clos, la clôture et le meix
Les formes du morcellement
Si le clos médiéval n'est pas le synonyme d'une propriété indivise, d'après la documentation, il n'est pas non plus une unité autonome. Dans les CBMA, les requêtes de cooccurrence le montrent fréquemment associé à d'autres types de cultures (terres, prés, bois, friches, etc.), plus rarement à des infrastructures de production (pressoirs28). Une autre formule est également assez fréquente, celle du clausum indominicatum29. D'après l'analyse de M.-J. Gasse-Grandjean sur le curtilum et le mansus, pouvant aussi être qualifiés d'"indominicati", le terme ne renvoie pas systématiquement à la réserve seigneuriale (Gasse-Grandjean 2014, p. 114), mais inscrit néanmoins ces différentes formes parcellaires dans une propriété, un domaine souvent composite30.
De fait, le clos n'est qu'une simple parcelle de culture et ne comporte en son sein ni les infrastructures de stockage et/ou de transformation de la récolte (particulièrement dans le cas des clos viticoles), ni non plus l'habitat de ses exploitants ou propriétaires. Dans les textes de la fin du Moyen Âge et de l'Époque moderne, terriers et visites essentiellement, le clos est une composante du meix et gravite au même titre que les jardins, garennes, colombiers, vergers autour de la cellule habitée dont il dépend.
La taille et l'insertion du clos dans le territoire sont également des éléments révélateurs. Les clos de petites dimensions se situent préférentiellement à proximité des maisons, au sein de la zone bordière qui entoure le cœur du village (Saint-Jacob 2008, p. 69-77). Nommés "clos" souvent tardivement (Figure 3), ils dépendent surtout de petits propriétaires et participent à l'économie vivrière villageoise. Inversement, les clos de plus grande dimension correspondent plus volontiers à la première génération de clos, datée essentiellement du XIIIème siècle. Dépendants de communautés ecclésiastiques ou du domaine seigneurial et ducal, ils se situent au-delà de la périphérie du village occupée par les petits clos et jardins (Figure 6). Installés en haut de coteau (clos de la Perrière, de Langres, Saint-Jacques, du Jeu, etc.) ou au confins des communes (clos de Bèze, du Roi, de Tart, de Vougeot, Saint-Denis, etc.), ils se partagent l'espace avec, notamment, les carrières et les terrains communaux31. D'où, peut-être également, cette nécessité précoce mais systématique de les clore.
Meix, celliers et clos cisterciens : les valeurs de la clôture
Au sein de ce territoire morcelé et compartimenté, les celliers cisterciens procèdent de l'amalgame d'un ensemble d'éléments clos, où la valeur de la clôture varie en fonction des espaces. Au Cellier et Clos de la Perrière de Fixin, propriété de l'abbaye de Cîteaux depuis le XIIème siècle (Foucher 2014, p. 218-219), l'organisation spatiale du domaine est perceptible dans les terriers et textes de visite tardifs. La clôture du cellier, strictement différenciée de celle des clos viticoles en 151832, est qualifiée généralement de pourpris, enceinte autour des bâtiments et des espaces libres. Cet espace ne comporte que deux portes, l'une vers l'extérieur, l'autre vers le clos, dont la capacité à fermer reste un souci constant33. L'espace de ce pourpris se poursuit en 1614 à travers les propriétés voisines, grâce à un chemin "pour aller depuis leur maison de la Perrière en l'esglise dudit Fixin". Le chemin est lui-même borné et clos34.
Chaque espace a une fonction différente (vignoble, résidence, chemin), mais tous se différencient également par les droits, impôts et usages qui leurs sont rattachés. Au chemin, est associé un droit de passage à l'usage exclusif des frères résidant au cellier, pour qu'ils rejoignent l'église paroissiale35. À Fixin, comme à Vougeot, on l'a vu précédemment, les clos viticoles sont chargés d'un cens qui leur est propre. Le pourpris est, lui, associé à des droits de justice, haute, moyenne et basse36.
Dans l'univers cistercien, cette clôture des bâtiments paraît néanmoins plus complexe et partiellement liée à l'occupation monastique. Ces celliers sont conçus pour accueillir les frères convers, dont la formule adaptée du modèle monacal autorise la sortie du monastère afin de mettre en valeur les domaines éloignés (granges et celliers). Bien que leur existence soit essentiellement concentrée sur les travaux manuels et agricoles, les convers n'en restent pas moins des religieux, astreints par leurs vœux à une réglementation stricte dérivée de la Règle de Saint Benoît et exprimée dans les Usus Conversorum (Waddell 2000). À l'intérieur de cette clôture, comme dans l'enceinte de l'abbaye, toutes les infrastructures de vie et de travail sont présentes (dortoir, chapelle, jardin, four, puits, cuverie, écurie, etc.) (Foucher et Garcia 2013, p. 36-39). La clôture matérialise à nouveau l'aire d'application d'us spécifiques, en même temps qu'elle extrait ses occupants des coutumes du monde extérieur.
Une formule prestigieuse
Ces pratiques spécifiques au droit de l'Ancien Régime ne peuvent perdurer intactes au-delà de la Révolution, ni justifier la création des nombreux clos modernes précédemment observés. Les clos, pourtant, n'ont pas disparu : à Vougeot, où la disparition du cellier et meix cistercien après 1791 rend caduque la clôture des bâtiments, le clos viticole s'agrandit et englobe les parcelles de la Garenne et de la Muscadière37. Les clos ne disparaissent pas non plus de la documentation, où apparaît une nouvelle dimension quasi lyrique : "C’est le Clos ! C’est le champ sacré !" s'exclame Leclère à propos du Clos de Vougeot, en 184438 ; ou encore Stendhal achevant avec emphase sa description de la "petite montagne bien sèche et bien laide" de la Côte d'Or par celle de ses climats glorieux et immortels :"Je vois un enclos carré d’environ quatre-cents arpents, doucement incliné au midi et clos de murs. Nous arrivons à une porte en bois sur laquelle on lit en gros caractères fort laids : Clos-Vougeot."39.
La charge prestigieuse attachée au clos s'affranchit rapidement de son ancienneté historique réelle et investit, seule, l'épithète. La dédicace de Noisot de son nouveau clos à l'empereur "en mémoire de sa Gloire éternelle", participe d'un idéal bourgeois où le clos apparaît comme l'expression d'un luxe absolu40. En 1942, le don fait au Maréchal Pétain d'un clos dans les vignes des Hospices de Beaune, malgré l'instrumentalisation évidemment politique du geste, traduit la valeur du clos viticole dans l'inconscient collectif : celle du terroir, fortement ancré dans les traditions de l'ancien temps, et celle du prestige des meilleurs vins (Vigreux 2005, p. 34-37).
Cette notion de terre prestigieuse et de vin de qualité persiste dans les climats contemporains. À Prémeaux, la localisation des nouveaux clos sur le territoire de la commune est assez éclairante : tous se situent sur le ruban des appellations 1er Cru et n'existent que par l'ajout de l'épithète "clos" aux anciens noms de climat. Sur l'ensemble de la Côte de Nuits, le lien entre les vins de clos et une viticulture de qualité est une évidence, avec 6 clos parmi les 24 appellations classées en Grands Crus41.
Conclusion
"– Pour faire un clos, me disait toujours le même Pinoflor, contemplant les Musigny du plus haut coin des Argilières, il ne leur manque qu'un mur.
– Un mur, il est vrai, c'est beaucoup pour un clos, mais qu'importe le mur si l'on a le cep et surtout la bouteille." (Léon-Gauthier 1931, p. 35)
Que ce soit au Moyen Âge ou aux époques plus récentes, le mur semble concrétiser, parfois a posteriori, une valeur essentiellement immatérielle que ses contemporains veulent imprimer dans le territoire. Par certains aspects, ce n'est donc pas le mur qui fait le clos, mais le clos qui fait le mur. D'abord création du droit, le clos paraît matérialiser au Moyen Âge, dans une "vaste campagne ouverte" (Saint-Jacob 2008, p. 14), des cellules au fonctionnement propre, indépendantes du système commun. Progressivement, le terme et la pratique évoluent, largement reconstruits après la Révolution : au cours des deux derniers siècles, les clos perdent leur valeur juridico-fiscale, alors qu'ils se chargent d'une valeur qualitative. Ils perdent jusqu'à leur sens premier de parcelle close, n'ayant parfois de clos que la porte ou le nom (Figure 7).