Article soumis le 27 septembre 2019, accepté le 26 novembre 2019 et mis en ligne le 15 décembre 2019.
1. Introduction
À une époque où la vigne est l’un des symboles de la région champenoise, les connaissances sur la viticulture et la viniculture sont essentiellement fondées sur les nombreuses recherches historiques (Devroey 1989 ; Marre 2004 ; Musset 2011 ; Demouy Morell 2013 ; Nouvion 2018) et sur les publications d’anciennes découvertes (Lefèvre, 1988). Plus récemment, la tentative d’approche par l’intermédiaire des preuves carpologiques a démontré l’existence de la culture de la vigne et la récolte du raisin aux périodes médiévale et moderne, mais les indices sont encore discrets (Zech-Matterne, Bouby 2011, p. 260-262 ; Bonnaire, Matterne 2013). Cette dernière décennie a permis de révéler au gré des opérations archéologiques des indices de mieux en mieux reconnaissables. Cependant, les recherches dans ce domaine se limitent la plupart du temps à des mentions et de rapides descriptions, conduisant bien souvent à des imprécisions chronologiques.
Depuis 2012, un projet de zone d’activité a été engagé sur les communes de Cernay-lès-Reims et Saint-Léonard, en limite sud-est de l’agglomération rémoise [fig. 01]. Portant sur une surface d’environ 125 hectares dans un environnement archéologique important, ce projet a justifié plusieurs interventions archéologiques au préalable des travaux.
Le projet d’aménagement est localisé dans le bassin-versant est de la vallée de la Vesle, sur le plateau crayeux champenois armé par les formations géologiques du Campanien inférieur (substrat crayeux blanchâtre) et du Quaternaire (graveluche crayeuse litée grossière). Il est situé dans un secteur au paysage légèrement vallonné dont l’altitude est comprise entre 100,50 et 130,00 m NGF. Les opérations sont localisées sur un relief marqué par une pente principale observable du nord vers le sud. La stratigraphie générale rencontrée sur le secteur du parc aménagé varie peu. Il s’agit principalement d’un recouvrement de limon calcaire brun, dont l’épaisseur oscille entre 0,20 m à 0,50 m environ, reposant directement sur le substrat crayeux.
Une douzaine de sites, s’échelonnant de l’âge du Bronze à la période contemporaine marquée par les stigmates de la Grande Guerre, a pu être mise au jour. Certaines opérations archéologiques réalisées sur le parc d’activité ont principalement fourni une multitude de petites fosses affleurant sous le sol cultivé. Deux opérations en particulier ont permis d’approfondir l’étude de ces fosses (Rabasté, Van Lynden, 2013 ; Bündgen, Richez, 2017).
Le gisement avec ces multiples fosses, repéré dans la partie orientale de l’emprise du parc, témoigne d’une activité de culture des sols [fig. 02]. Celles-ci sont caractérisées par des morphologies particulières, majoritairement trapézoïdales, et possèdent des creusements révélant l’utilisation d’outils spécifiques. L’enquête croisée, menée à partir de l’observation de leur organisation spatiale, de leurs morphologies, de datations au radiocarbone et de l’étude des sources écrites, a permis d’identifier des fosses de provignages datées aux alentours des XIe-XIIIe siècles. Celles-ci témoignent donc d’une pratique viticole sur le finage méridional de la commune de Cernay-lès-Reims et septentrional de Saint-Léonard au Moyen Âge.
2. Une multitude de petites fosses aux formes variées
Ce sont parfois plus d’une centaine de petites fosses qui marquent le sol sporadiquement à chaque fenêtre d’ouverture. Au cours de différentes opérations, elles ont, dans un premier temps, été identifiées et interprétées comme de petites fosses de plantation sans plus de précision et ce, dès la première phase des sondages archéologiques (Rabasté, Van Lynden, 2013, p. 62-65). La confrontation de diverses méthodes permet désormais de préciser l’interprétation de ces vestiges. Au travers des fosses découvertes sur deux des secteurs de la zone d’activité (zone 11 ; Rabasté, Monnier, 2019, et zone 3 ; Bündgen, Richez, 2017) [fig. 03], les résultats présentés ci-après sont représentatifs de la majeure partie de ceux réalisés pour les opérations antérieures.
Compte tenu du grand nombre de fosses et des connaissances acquises au fur et à mesure des opérations, il ne semblait pas nécessaire de procéder à une fouille et un enregistrement systématique de ces vestiges. Cependant, toutes les fosses ont bénéficié d’un relevé topographique, lorsqu’elles étaient clairement identifiables en plan, ou redessinées d’après les ortho-photographies afin d’avoir une fenêtre d’observation générale. Seules les fosses qui ont été fouillées et/ou prélevées ainsi que celles qui présentaient du mobilier ont fait l’objet d’un enregistrement indépendant.
Ces structures aux formes variées, triangulaires, ovales ou trapézoïdales, ont des dimensions qui oscillent entre 0,30 m de longueur pour 0,15 m de largeur pour les plus petites, et 0,75 m de long pour 0,45 m de large pour les plus grandes [fig. 04]. Quant aux profils observés, très arasés pour la plupart, ils présentent une certaine diversité. Ils sont caractérisés par des creusements irréguliers ou en cuvettes, à fond plat ou non. Ceux-ci ne dépassent généralement pas 0,10 m de profondeur, même si quelques cas peuvent atteindre 0,20 m, laissant un doute quant à leur identification. De rares fosses présentent des morphologies légèrement différentes (Rabasté, Van Lynden, 2013, p. 62 ; Rabasté, 2014, p. 69 ; Rabasté, Boudry, 2016, p. 43 ; Bontrond, Troublard, 2016, p. 132 ; Garmond, 2016, p. 54 ; Bündgen, Richez, 2017, p. 169 ; Rabasté, Monnier, 2019, p. 123-125) [fig. 04].
Sur l’ensemble du corpus de fosses mises au jour sur le territoire étudié, la forme trapézoïdale est majoritaire. Au même titre que l’aspect en plan, les profils semblent également tendre vers un creusement standard qui montre une certaine dissymétrie, un bord étant toujours plus vertical que celui à l’opposé, généralement plus évasé [fig. 04 et 05]. Bien qu’irréguliers, ils semblent souvent plus profondément creusés sur la partie la plus large de la forme trapézoïdale, en s’évasant légèrement vers la pointe [fig. 04 et fig. 05].
3. Une organisation spatiale aléatoire
Les fosses apparaissent sous le sol labouré de manière désordonnée et ne suivent aucune orientation précise. Elles sont vraisemblablement disposées aléatoirement (Rabasté, Van Lynden, 2013, p. 64 ; Rabasté, 2014, p. 69 ; Rabasté, Boudry, 2016 p. 43 ; Bontrond, Troublard, 2016 p. 132 ; Garmond, 2016, p. 54 ; Bündgen, Richez, 2017, p. 169) [fig. 06].
Aucune ligne directrice ou concentration prédéfinie (grappe ?) n’est observable, mais quelques fosses semblent se placer par paire selon un alignement longitudinal. Une tentative de regroupement circulaire a été proposée sur l’organisation des structures découvertes sur l’une des fouilles méridionales de l’emprise de la zone d’activité (zone 3 ; Pichard, 2017, p. 177-178, fig. 86) mais celle-ci n’a pas été concluante. La faible profondeur des fosses dans le substrat et leur mauvaise conservation contraignent à ne retrouver que peu d’entre elles. Leur représentativité, dont découle leur répartition, et leur densité sont tributaires de ces deux phénomènes, rendant toute tentative de quantification spatiale compliquée. Avec un corpus limité, cette opération a été effectuée pour les structures de la fouille de la zone 3 [fig. 02], suggérant des concentrations plus importantes au nord-ouest qu’au sud-est de la partie méridionale du Parc de référence (Bündgen, Richez, 2017, p. 169 ; Pichard, 2017, p. 177).
Leur présence a été attestée sur une surface totale d’environ quarante-six hectares, seize sur la partie méridionale du Parc de référence et trente pour la partie septentrionale [fig. 02]. Ces emplacements correspondent aux versants les plus importants en surface du territoire orientés vers le sud mais peu pentus1, impliquant une volonté d’installation dictée par une nécessité d’ensoleillement.
4. Des fosses témoins de traces de provignage
Les précédentes recherches réalisées afin de déterminer la nature de ce type de fosses n’ont pas permis de retrouver des exemples à configuration identique. Des cas géographiquement proches et similaires ont été observés. Le premier est celui des fosses mises au jour sur la commune de Witry-lès-Reims « la Grève » en 2018, à seulement cinq kilomètres au nord du parc d’activité, en limite de la commune de Cernay-lès-Reims. Cette opération a permis la découverte des seules structures strictement identiques morphologiquement et spatialement (Stocker, 2018, p. 36-37) [fig. 07]. Si leur identification a correctement été interprétée, leur datation a été rattachée à la période contemporaine suite à leur localisation au même emplacement qu’un verger connu depuis le début du XXe siècle sur les registres cadastraux, mais aucun indice chronologique ne permet de datation authentique. Installées également sur un versant sud, ces fosses semblent posséder les mêmes attributs que celles de Cernay-lès-Reims.
Aux alentours de Châlons-en-Champagne, deux autres découvertes de petites fosses quadrangulaires sont mentionnées sur les opérations des ZAC des Escarnotières et du Parc technologique du Mont Bernard, effectuées respectivement en 2001 et 2007 (Riquier, 2001 ; Rabasté, 2007, p. 10, fig. 19 à 21). Les fosses présentent des dimensions approximativement proches mais ont la particularité d’avoir une organisation linéaire, même si celle-ci a visiblement évolué compte tenu des axes directeurs observables [fig. 08]. Bien qu’étudiées très partiellement, elles avaient alors été interprétées comme des fosses dédiées à la viticulture sans plus de précision fonctionnelle ou chronologique (Riquier, 2001 ; Rabasté, 2007, p. 11). À plusieurs reprises, dans l’Aube et principalement autour de Troyes, des cas de traces de plantations ont été régulièrement rencontrés2. Les découvertes en contexte d’archéologie préventive n’entraînent malheureusement jamais d’études approfondies et ces premières observations ne s’étendent guère au-delà d’une simple description et d’une interprétation des traces en fosses de plantation dédiées à la viticulture. Avec une organisation spatiale pas toujours bien mise en évidence, ces fosses sont généralement d’ouverture quadrangulaire et allongée en plan, sur lesquelles se greffent parfois d’autres traces supposées de marcottages. Malgré un corpus qui ne cesse de s’étoffer au gré des opérations archéologiques (Bonnaire, Matterne, 2013, p. 18), les indices chronologiques sont souvent minces et les propositions, sans critère probant, sont la plupart du temps attribués à l’époque moderne ou contemporaine.
Les fosses découvertes sur les communes de Rosières-près-Troyes et Saint-Parres-aux-Tertres ont fait l’objet d’une étude plus approfondie (Grisard, 2014, p. 25-27 ; Froquet-Uzel, 2019, p. 137-148) [fig. 09]. Leur agencement spatial est similaire à celles de Cernay-lès-Reims et Saint-Léonard, qui suivent une implantation aléatoire par petites grappes parfois associées à un fossé [fig. 09] mais leurs morphologies sont clairement différentes. De plan quadrangulaire avec des profils en « U », leurs dimensions varient entre 0,60 m et 1,10 m de longueur pour des largeurs situées entre 0,20 m et 0,35 m (Grisard, 2014, p. 25). L’absence de données contextuelles satisfaisantes, de mobilier datant ou de sources archivistiques, empêche toute interprétation chronologique sûre.
Deux catégories de fosses ont été mises au jour au lieu-dit « le Grand Trillon » à Saint-Germain (Aube). Les premières, bien identifiées comme fosses de plantation de vignes et similaires à celles de Rosières-près-Troyes, sont attribuées à la fin de la période moderne, mais l’auteur souligne avec prudence leur implantation articulée sur l’occupation gallo-romaine (Frascone, 2018, p. 171) [fig. 10]. Le deuxième type de fosses est minoritaire et se manifeste de manière sporadique sur l’emprise. Ces structures ont été exclues des ensembles identifiés et ont été regroupées dans les vestiges isolés. Certaines ont été caractérisées comme des petites fosses mais d’autres ont été interprétées comme des indices de trous de poteau (Frascone, 2018, p. 122-136). Cependant, dans ce corpus, plusieurs fosses présentent des caractéristiques très proches de celles de Cernay-lès-Reims/Saint-Léonard, même si leur fonction n’a pas été déterminée [fig. 11].
Dans les régions voisines, les découvertes de fosses dédiées à la viticulture sont nombreuses et plusieurs cas présentent des similitudes, la majorité restant cependant axée sur les vestiges de la période antique et en lien avec des établissements dédiés à la viticulture. Sans prétendre analyser un corpus exhaustif, la plupart des sites présentent des ressemblances morphologiques mais les modes opératoires d’implantation des fosses sont essentiellement organisés suivant des schémas orthonormés et/ou linéaires (Brun, Laubenheimer, 2001 ; Poux et al., 2011).
À Nîmes par exemple, les fouilles réalisées en 1998 au cœur de la ville sur le site « le Florian », au préalable d’un parking souterrain, ont permis de mettre au jour plusieurs types de fosses de plantations (Monteil et al., 1999). Parmi celles-ci, certaines ont des morphologiques identiques à celles découvertes sur le Parc de référence, mais suivent une organisation linéaire en rangées (Monteil et al., 1999, p. 71, fig. 3 et 76-85). D’autres, présentes sur une fenêtre d’observation restreinte, sont implantées sans organisation apparente mais toujours en coalescence, traduisant des creusements successifs et/ou donc la pratique du provignage (Monteil et al., 1999, p. 85-87) [fig. 12]. Dans un cas comme dans l’autre, ces fosses possèdent des formes ovales ou sub-rectangulaires, dont les dimensions varient entre 0,35 et 0,70 m de long pour 0,25 à 0,55 m de large, avec des profils qui marquent une dissymétrie, un côté quasi vertical et l’opposé oblique (Monteil et al., 1999, p. 76).
Avec une organisation linéaire en rangées, les exemples de fosses bien connues de l’opération de Gevrey-Chambertin, fouillées en 2008-2010, et celle de Savigny-lès-Beaune, observées en 1962 mais réétudiées et comprises à partir de 2011, présentent des caractéristiques identiques (respectivement Garcia et al., 2010 et Garcia et al., 2014). Les enquêtes menées sur l’une comme sur l’autre ont démontré que ces fosses sont les traces de vignes anciennes, qu’il s’agisse des fosses de plantation ou des traces de provignages (Monteil et al., 1999, p. 106-108 ; Garcia et al., 2010, p. 520-521 ; Garcia, 2011, p. 103-104 ; Garcia et al., 2014, p. 7-8). Si ces dernières sont attribuées à la période romaine, la régularité des fosses appuyée sur le cadastre napoléonien et les faibles indices chronologiques ne semblent pas forcément répondre à une datation de la période romaine et sollicitent une certaine prudence (Kasprzyk, 2018, p. 273). Cette problématique sur la chronologie est observable sur d’autres vignobles découverts, comme pour les exemples de Saint-Martin-des-Champs et de Bourges aux « Pijolins » (Dumasy et al. 2011). Ce dernier présente des fosses qui ont livré des éléments céramiques chronologiquement hétérogènes, de la période protohistorique à la période contemporaine, mais les fragments hors période romaine ont été considérés comme intrusifs malgré leur nombre équivalent (Dumasy et al. 2011, p. 119).
Les fosses de Cernay-lès-Reims furent supposées être des structures en lien avec la vigne, en raison de leur morphologie, proche des formes liées au processus de provignage. L’aspect des creusements et la localisation récurrente de fosses accolées semblent confirmer cette interprétation. Connue depuis l’Antiquité et jusqu’à la crise du phylloxéra, cette pratique du provignage, dit « aérien », consiste à creuser une petite fosse de faible profondeur à proximité du pied de vigne pour y enfouir un rameau d’un cep de vigne à partir d’un cep existant ou le cep de vigne entier, couché (provignage souterrain, Toupet et al., 2003).
Les creusements correspondent vraisemblablement à des trous réalisés au rabassier3 (houe à vigne) [fig. 13, n° 1 et 2]. La morphologie des fosses, plus profondément creusées sur la partie la plus large du plan trapézoïdal et évasée vers la pointe, semble conditionnée par ce mode de creusement (Guyot 1868) [fig. 14]. Cette interprétation a également été proposée suite aux résultats de la fouille des fosses découvertes sur la zone 3 et aux recherches archivistiques (Pichard, 2017, p. 173) [fig. 02]. Elle correspond aux descriptions des techniques de provignage en usage au début du XVIIe siècle (O. de Serre, 1600, p. 160). Encore en usage au XVIIIe dans la Marne lorsqu’une vigne est jugée trop vieille et trop grosse, la méthode consiste à rabaisser profondément la vigne en partie (dans un trou) et de la recouvrir de terre et de fumier (Bidet, 1759, p. 416-421).
Ces structures traduisent clairement la présence de vignes sur le territoire au finage méridionale de la commune de Cernay-lès-Reims, dont plusieurs indices permettent désormais d’établir une chronologie relativement précise.
5. Des lacunes chronologiques peu à peu comblées : la viticulture du début du Moyen Âge central
Alors qu’à la suite des premières découvertes, l’attribution chronologique de ces structures était compliquée, les fouilles archéologiques ont permis de proposer des éléments de datation. D’abord par la chronologie relative, puisque sur les zones 4, 10 et 11, ces fosses recoupaient les structures de l’Antiquité tardive qui étaient elles-mêmes amputées par des vestiges de la Grande Guerre. La zone 10 est particulièrement représentative : les fosses recoupaient les vestiges de fondations en craie des murs d’un établissement du IVe siècle et étaient recoupées par les tranchées et les abris de la Grande Guerre (Rabasté, à paraître). Le même constat a été fait sur l’une des interventions plus au sud du parc d’activité (Garmond, 2016, p. 54).
Les premiers indices de datation absolue4 ont été fournis par la fouille de la zone 3 (Bündgen, Richez, 2017, p. 172). Un fragment d’os et une dent, issus des comblements de deux des trois-cents-trente-six fosses répertoriées, fournissent une datation par radiocarbone de 915 ± 30 BP pour l’un et de 845 ± 30 BP pour l’autre, apportant respectivement des fourchettes de dates calibrées à 2 sigmas pour ces échantillons de 1030-1189 apr. J.-C. et de 1058-1262 apr. J.-C. (Bündgen, Richez, 2017, p. 172, structures F53 et F119)5. Une troisième datation au radiocarbone a été effectuée sur un échantillon d’os retrouvé dans le comblement d’un chablis (Bündgen, Richez, 2017, p. 198, structures F115)6. Le résultat obtenu est de 580 ± 30, soit un âge calibré de 1052-1260 apr. J.-C. Si aucune relation n’est mentionnée avec les fosses (Bündgen, Richez, 2017, p. 170), sa présence au cœur de ces dernières souligne un potentiel lien, comme le suggère C. Pichard dans ses recherches archivistiques, en y voyant le vestige d’un arbre lié à la vigne (Pichard, 2017, p. 174). La conservation de ces fosses étant très aléatoire, il est difficile de faire la distinction entre le pied mère et les fosses de provignage au sein des différentes concentrations rencontrées ici.
Sur la zone 11, une seule datation au radiocarbone a été réalisée sur un échantillon de charbon provenant du comblement d’une des fosses (Us221, de F7089)7. Une autre a été faite sur une des fosses de la zone 9 (Rabasté, à paraître, F2625). Les résultats sont très proches de ceux obtenus sur les vestiges de la zone 3, avec 1010 ± 30 BP soit 973-1150 apr. J.-C. pour la première et 880 ± 30 BP pour celle de la zone 9, soit 1042-1222 apr. J.-C. (Rabasté, à paraître, F2625).
Alors qu’il s’agit d’échantillons de natures différentes, l’homogénéité des résultats tend à confirmer une datation des comblements de ces fosses aux XIe-XIIIe siècles de notre ère, au début du Moyen Âge central (Burnouf, 2008, p. 8-10).
Bien qu’en Champagne le fonds de l’abbaye de Saint-Remi ait livré une source de documentation importante sur la culture de la vigne, celui-ci reste disparate et lacunaire (Nouvion, 2018). Les documents provenant des autres fonds ecclésiastiques pour la période médiévale et du début de l’époque moderne n’apportent guère d’informations (abbaye Saint-Nicaise, Abbaye Saint-Pierre-les-Dames, Commanderie du Temple, Chapitre métropolitaine de Reims, Archevêché de Reims). Pour la commune de Cernay-lès-Reims, la déclaration des cens de l’abbaye de Saint-Nicaise8 mentionne des parcelles plantées de cerisiers et de vignes, comme aux lieux-dits les Écouvettes, les Buissons-Bauchet, Dessus-Bauchet. Celles-ci sont localisées respectivement en limite nord du village pour le premier et à proximité de la zone étudiée à l’est pour les deux suivantes, mais les emplacements exacts ne sont pas identifiables [fig. 15].
Le plan du terroir de Cernay-lès-Reims9 du XVIIIe siècle, le plus ancien conservé, mentionne la répartition des différentes divisions seigneuriales au sein de la commune. La zone étudiée est située sur les terres de la seigneurie de l’abbaye de Saint-Pierre-les-Dames [fig. 15] que cette dernière possède depuis le début du XIVe siècle10. Plusieurs parcelles de vignes sont mentionnées sur ce terroir du XVIe au XVIIIe siècle mais sans localisation précise. Ainsi, ces archives attestent de la présence d’une viticulture sur le secteur antérieur au XVIIIe siècle comme l’expose également l’étude d’archives réalisée pour la zone 3 même si aucune localisation n’est possible (Pichard, 2017, p. 174-175). À partir du XIVe siècle, les épidémies et la Guerre de Cent Ans ont probablement imposé une réorganisation des territoires ecclésiastiques et ceux de la cité rémoise (Nouvion, 2018, p. 6). Celle-ci a possiblement entraîné celles des vignobles qui se sont resserrés plus vraisemblablement près des villages au détriment des grands espaces localisés aux confins des territoires (Nouvion, 2018), expliquant peut-être l’absence de résultats des datations au radiocarbone au-delà du XIIIe siècle.
Le plan du cadastre napoléonien11 de 1835 indique que ce territoire est occupé essentiellement par des terres labourables, démontrant avec certitude l’absence sur ce secteur de la culture de la vigne au premier tiers du XIXe siècle.
6. Les fosses, témoins d’une viticulture sur le finage de Cernay-lès-Reims
Si la région semble exploiter avec certitude d’après les archives la vigne au moins depuis le XVIe siècle (Musset, 2011, p. 79-80) et qu’elle est désormais réputée pour son « vin de Champagne », nous ne possédons que de rares indices d’une activité viticole ancienne assurés sur ce territoire.
Les fosses retrouvées sur l’ensemble du Parc de référence traduisent des plantations de vigne et de la pratique du provignage. Leurs formes trapézoïdales en plan et leurs creusements, caractérisés par un bord abrupt et son opposé plus évasé, semblent témoigner de l’utilisation d’une houe à vigne, ou rabassier [fig. 16]. Cette méthode est proche de celle employée dans la Marne au cours du XIXe siècle pour la multiplication des ceps en les couchant (Guyot, 1868, p. 393-398). La présence de ces fosses conduit à inférer la culture de la vigne sur ce territoire, située en limite sud de la commune. Leur implantation sur les versants sud, les plus ensoleillés, semble corroborer cette interprétation.
L’organisation aléatoire de ces traces marque également une gestion des vignes basses en « foule ». À la période moderne, les vignes sont essentiellement des cultures basses en Champagne et majoritairement représentées par de petites exploitations (Musset, 2008 ; Musset, 2011, p. 80-82). Ce mode de plantation permet une gestion des ceps en « foule » (Marre, 2004, p. 17) [fig. 17]. Cette technique a été utilisée jusqu’à la deuxième moitié du XIXe siècle, car moins onéreuse et facilitant le provignage (Coutant, 1975, p. 2). Elle fut abandonnée pour une plantation linéaire après la crise du phylloxéra qui ravagea les vignobles français (Marre, 2004, p. 12).
Tous ces éléments semblent converger in fine vers l’interprétation d’une viticulture relativement intensive sur le finage méridional de la commune de Cernay-lès-Reims, compte tenu de la surface minimum de quarante-six hectares où elle a été observée. Les indices chronologiques fournissent une datation centrée sur les XIe-XIIIe siècles de notre ère. Si les parallèles pour cette période sont rares, c’est l’identification chronologique qui fait généralement défaut. Dès lors, une réinterprétation de quelques cas permettrait de remettre en perspective un ancien constat sur la sous-représentation des traces de viticulture du Moyen Âge (Boissinot, Puig, 2005).