Xavier Bonnier et Sylvie Laigneau-Fontaine (dir.), L’Imperfection littéraire et artistique en Europe. Antiquité - XXIe siècle

Référence(s) :

L’Imperfection littéraire et artistique en Europe. Antiquité - XXIe siècle, sous la direction de Xavier Bonnier et Sylvie Laigneau-Fontaine, Paris : Classiques Garnier, 2021, 768 p., ISBN 978-2-406-12137-4

Texte

Ce recueil, qui regroupe quarante-quatre communications précédées d’un avant-propos, est le témoignage et le résultat du colloque en deux parties : L’Imperfection littéraire et artistique, qui s’est tenu à Dijon en mars 2018 puis à Rouen en mars 2019. Si les deux maîtres d’œuvre du projet sont des spécialistes de la Renaissance, le corpus à l’étude s’étend de l’Antiquité jusqu’à notre siècle, et concerne principalement la littérature antique, néo-latine et française – à deux incursions près dans la littérature de la Renaissance italienne.

La problématique de cette réflexion polyphonique, que l’avant-propos du livre place judicieusement sous le signe de Gattaca (1997) d’Andrew Niccol, est la paradoxale réussite de l’imperfection, à rebours de la norme établie, du sens commun bien partagé, de la régularité attendue des phénomènes et de l’idéal artistique et littéraire. Cet avant-propos, signé par les deux directeurs de l’ouvrage mais étrangement rédigé à la première personne, rappelle la fluidité de la notion d’imperfection, qui échappe à tout consensus et qui, lorsqu’elle est le constat d’un jugement esthétique porté sur une œuvre, croise des problématiques diverses comme la variété des goûts des différents publics, la différence parfois entre les goûts des auteurs et ceux de leurs publics, ou encore les changements de fortune de la postérité littéraire et artistique. La notion se problématise également dès lors que cet échec dans la réussite est sinon valorisé du moins recherché, comme cela pourrait bien être le cas chez un peintre comme Edward Hopper.

On regrettera qu’en dépit de la qualité des communications proposées, l’ouvrage se contente d’aligner les quarante-quatre articles correspondant à ces communications en suivant simplement la chronologie des époques abordées, comme s’il était impossible non seulement de théoriser (c’est d’ailleurs ce qu’annonce l’avant-propos du livre), mais même d’établir ne serait-ce qu’une taxinomie des perspectives et même des cas de figure abordés au cours de ces deux colloques : même l’avant-propos n’ose – ou ne daigne ? – s’en charger. L’unité du volume est ainsi à la seule charge d’une bibliographie générale organisée en deux sections : « Sources » et « Études critiques » où les références se succèdent par ordre alphabétique d’auteurs, et de deux index, pour les noms de personnes et pour les noms de personnages. Cet ouvrage fournit certes à ses lecteurs la perspective de retrouver des questions susceptibles de l’intéresser à partir des noms de personne, d’œuvre, de personnage, mais on trouvera dommage que l’occasion ait été ratée d’aller plus loin.

L’ouvrage commence ainsi par une étude de l’imperfection et de la beauté corporelle mises en tension par la laideur de Socrate et son discours sur la beauté dans le Banquet de Xénophon (Mélanie Lucciano, « Socrate philosophe imparfait ? ») ; il se termine par l’étude des représentations des lectrices dans Les Grandes Blondes (1995) et Envoyée spéciale (2017) de Jean Echenoz (Sara Bédard-Goulet, « Les lectrices imparfaites de Jean Echenoz »). Entre ces deux bornes prennent place des études principalement littéraires – on notera quelques excursions ponctuelles dans la sculpture antique (Diego Scalco, « Sublime imperfection »), dans la chanson française (Sébastien Bost, « Barbara, “cœur tout blanc et griffes aux genoux” » et dans le dessin de BD (Henri Garric, « Boulet. L’imperfection dans une œuvre de bande dessinée contemporaine »).

Les communications proposées dans ce recueil, trop nombreuses pour être présentées une à une, portent aussi bien sur l’étude d’une œuvre précise (Jean-Marie Fritz, L’Énéide ; Jean Maurice, le Tristan de Béroul ; Robert Kahn, Le Terrier de Kafka ; Sylvie Vignes, L’Adaptation de Michel Lambert…), sur des pratiques d’auteur (Bernard Sève, Montaigne ; Geneviève de Viveiros, Zola ; Fadi Khodr, Salah Stétié…), sur le style (Agata Sobczyk et l’imperfection langagière dans la littérature médiévale ; Inès Ben Zayed, la digression dans le récit bref du XVIe siècle ; Jacques Poirier sur « l’art d’écrire sans style ») ou encore sur le jugement critique (Pierre Descotes, « Les jugements littéraires dans les Révisions d’Augustin d’Hippone » ; François Rosset, « “Ni goût, ni justesse”. Romans médiévaux au siècle des Lumières » ; Yvan Leclerc, « “Les fautes appartiennent aux maîtres”. Flaubert et l’éloge de l’imperfection…). La variété des perspectives abordées aussi bien que la grande qualité des communications confirme la richesse des enjeux enfermés dans ce simple signifiant d’imperfection, véritable boîte de Pandore qui en gagne presque le statut d’un concept littéraire. On en regrettera d’autant plus l’absence d’une réflexion centrale qui servirait, appuyée sur ces contributions, de point de départ à une grande aventure littéraire.

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Référence électronique

Hervé Bismuth, « Xavier Bonnier et Sylvie Laigneau-Fontaine (dir.), L’Imperfection littéraire et artistique en Europe. Antiquité - XXIe siècle », Textes et contextes [En ligne], 17-1 | 2022, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=3603

Auteur

Hervé Bismuth

Maître de conférences, Centre Interlangues Texte, Image, Langage (EA 4182), Université de Bourgogne Franche-Comté, UFR de Langues et Communication, 4 Boulevard Gabriel, 21000 Dijon

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