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Le premier numéro de notre revue traite de traduction et adaptation : notre comité de rédaction a souhaité s’emparer de ce qui est tout à la fois une thématique, une activité, un objet de recherche et, bien sûr, une interrogation. Qu’est‑ce que la traduction, que faisons‑nous lorsque nous traduisons ? Conscients qu’il n’existe nulle définition absolue, nous avons pensé la traduction à partir de l’altérité et, surtout, de l’exemple, des pratiques et du propos de la traduction. Les six articles suivants proposent chacun une réflexion tirée de l’exemple, des exemples ô combien multilingues.

Ainsi, Alvaro Luna s’intéresse à la traduction des romans de l’autrice mexicaine et américaine Sandra Cisneros. Connue pour The House on Mango Street (1984), Cisneros est avant tout une praticienne de l’hybridité linguistique qui pose des questions à ses traductrices et traducteurs et les met au défi d’inventer l’idiome, les idiomes qui prendront en charge son hybridité spécifique.

Pour Emmanuelle Terrones, il est tout aussi difficile que nécessaire de traduire l’humour des autrices et auteurs de l’ex‑Allemagne de l’Est comme elle le démontre à travers l’exemple du Hinze‑Kunze‑Roman de Volker Braun (1985) paru avant la chute du mur de Berlin. La traduction de l’humour est un art, c’est également un acte de résistance et peut‑être avant tout à la propre résistance du texte de Braun à se laisser aborder, arraisonner, par son Autre de l’Ouest.

C’est avec un article décentrant nos attentes que Wen Zhang s’intéresse à la traduction de Cendrillon de Charles Perrault en Chine après 1949 et montre comment l’Autre occidental qu’est le conte de Perrault a été successivement « politisé, académisé mais aussi simplifié » dans les traductions publiées. La littérature de jeunesse est un pan important de la traduction.

La traduction s’effectue aussi entre différents arts : Adrien Alix étudie ainsi la mise en musique des poésies du poète italien Giambattista Marino (1569‑1625), par les compositeurs du premier baroque, non pour se livrer à l’exercice facile de la comparaison entre arts mais pour montrer comment la compositrice ou compositeur et l’interprète peuvent donner à entendre le concetto.

Shan Gao traite, quant à lui, une pratique relativement récente en traduction audio‑visuelle : le fansubbing qui voit les internautes « fans et traducteurs » s’engager dans des activités collaboratives de sous‑titrage à but non commercial. L’illustre une savoureuse étude de cas à partir de Bienvenue chez les Chtis (2008) qui montre tout le potentiel d’une pratique hésitant entre amateur et professionnel, posant des questions éthiques aux côtés d’un indiscutable apport et d’une authentique démocratisation artistique.

Autre article réajustant nos attentes : celui de Hesha Luan qui traite, quant à elle, de la « traduction de la terminologie féministe en Chine » et offre « une rétrospective du féminisme chinois au xxsiècle », déployant notre perspective pour que notre regard se porte différemment vers un pays qui n’est peut‑être pas spontanément associé au féminisme. Aux féminismes, bien sûr : l’exemple de la terminologie française et anglaise ne saurait nous faire oublier d’autres féminismes (peut‑être le sujet d’une prochaine recherche ?).

Ces articles montrent un échantillon des travaux que peut susciter la traduction et l’adaptation ; ils rappellent son historicité, soulignent sa dimension politique, fût‑elle celle d’une politique de traduction portée par des institutions publiques et privées ou par des individus, et sa capacité de création de formes collectives d’engagement. Nous ne visons pas une cartographie de la totalité du champ de la traduction : nous faisons connaître certaines de ses réalisations, sans volonté d’exhaustivité mais avec le désir de faire partager la variété des recherches, sans imposer quelque grille méthodologique ou idéologique que ce soit.

Outre ces articles de recherche, la revue souhaite élargir les formes d’intervention attendues dans une revue universitaire : elle a donc lancé un appel à témoignages auprès des jeunes chercheuses et chercheurs, des collègues, et du secteur privé. Là non plus, nous ne visons pas l’exhaustivité : nous souhaitons présenter, faire connaître des travaux et des métiers, susciter des réflexions, des questions, peut‑être des envies.

De jeunes chercheuses et chercheurs témoignent de la variété des domaines de recherche en traduction, qu’il s’agisse de traductologie, d’usage de théories linguistiques, d’interprétariat, d’études d’autrice ou d’auteur et de pratiques de la traduction. Toutes et tous montrent leur inscription dans un champ diversifié et productif, des allers‑retours entre pratique et études, et la réflexivité attendue de la chercheuse et du chercheur.

Pour autant, d’autres pratiques traductives sont présentées à travers d’autres formes éditoriales : l’interview de Séverine Vienney, fondatrice et PDG de l’entreprise ERDIL (entreprise d’analyse sémantique automatique) montre la proximité entre le traitement des langues et la traduction en plus de signaler un débouché porteur des doctorats en SHS.

Magdalena Cámpora (traductrice de Stendhal en espagnol et chercheuse au Consejo Nacional de Investigaciones Científicas y Técnicas et maîtresse de conférences en littérature française à l’Universidad Católica Argentina de Buenos Aires) présente sa future monographie, El intérprete imprevisto, consacrée aux « classiques » de la littérature française dans des éditions populaires argentines (1920‑1955).

Une revue n’est pas une traduction, mais elle partage avec la traduction son aspect collaboratif, sa rigueur, ses intensités temporelles, ses heurts parfois, ses recherches toujours : élaborer ce premier numéro a été une expérience fabuleuse. Il a fait se rencontrer et collaborer in praesentia et électroniquement des chercheuses et chercheurs, des doctorantes et doctorants constituant le comité de rédaction élu, et des soutiens francs dont une directrice d’école doctorale mobilisée, animées et animés de ce désir de partage qui est à l’origine de toute publication universitaire. Que toutes et tous soient remerciées et remerciés de leur engagement, de leur contribution, de leur patience et de leurs travaux, et que la lectrice et le lecteur aient plaisir à découvrir ce numéro !

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Référence électronique

Bénédicte Coste et François-Claude Rey, « Éditorial », Éclats [En ligne], 1 | 2021, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : https://preo.u-bourgogne.fr/eclats/index.php?id=77

Auteurs

Bénédicte Coste

Conseillère scientifique, revue Éclats

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François-Claude Rey

Rédacteur en chef, revue Éclats

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