Présentation
Le titre de ma thèse est « Les difficultés linguistiques chez les praticiens et les étudiants en interprétation de conférence (français/anglais-arabe) » et je suis en sixième année.
Raisons de l’inscription en doctorat, outils de travail et difficultés rencontrées
Je me suis inscrit en doctorat afin de participer au développement de la recherche scientifique en traductologie, et plus particulièrement au développement de la recherche sur l’interprétation de conférences dans le monde arabe. En effet, cette section des sciences humaines reste à ce jour peu approfondie dans les pays arabes.
À mesure de mes lectures, j’ai notamment identifié une problématique méritant, à mon sens, étude et analyse. D’après la littérature, renforcée par mes propres observations (tant en classe que sur le terrain), l’interprète arabophone, utilisant le dialecte local ou l’arabe moyen au quotidien, doit parler en arabe littéraire moderne (ALM) lorsqu’il interprète dans les conférences et réunions internationales, autant en simultanée qu’en consécutive. Il fait alors face à une forme d’arabe qu’il n’a pas acquise depuis la naissance. Or, cette variété est sensiblement différente du dialecte local quel qu’il soit, et notamment sur le plan morphosyntaxique ; ainsi, l’interprète peut être amené à déployer plus d’efforts dans la production de son discours que l’interprète francophone ou anglophone (traduisant quant à eux vers leur langue maternelle) et à travailler à proximité de la saturation cognitive, telle que définie dans l’hypothèse de la « corde raide1 ».
Les écarts existant entre les différentes formes d’arabe cumulées à la charge cognitive pouvant être subie par l’interprète peuvent profondément affecter la qualité linguistique du discours de celui‑ci en ALM. À ce titre, le statut, ou la classification de l’ALM en tant que langue « A » peut être remis en question. Les compétences linguistiques dont l’interprète arabophone aurait besoin sont les mêmes que celles que l’interprète francophone ou anglophone développe tout au long de sa pratique, mais il doit les perfectionner de manière plus intense et consciente au quotidien.
Pour mener à bien cette étude, les données recueillies ont été collectées par des méthodes ethnographiques2, à savoir :
- Un questionnaire rempli par trente‑cinq praticiens et enseignants de l’interprétation de conférence ;
- Deux types d’enquêtes via des entretiens, l’une auprès de douze interprètes professionnels, et l’autre auprès de quinze étudiants et huit enseignants‑praticiens appartenant à quatre établissements ;
- L’analyse d’un corpus d’enregistrements de l’interprétation de deux discours (six interprétations du premier discours et trois du deuxième). L’analyse comparative permet d’identifier d’éventuelles difficultés récurrentes à travers l’étude des maladresses et fautes de langues et de sens et de proposer des recommandations aux étudiants arabophones afin d’améliorer leur apprentissage.
Un certain nombre de difficultés se sont présentées au cours de cette thèse :
- La difficulté de constituer un corpus d’interprétations simultanées d’un même discours source réalisées par plusieurs interprètes différents. En effet, il m’était difficile d’avoir accès à des professionnels acceptant de participer à cette étude empirique, et j’ai dû de ce fait me contenter de petits corpus. À défaut de pouvoir enregistrer des professionnels dans leur cabine, je me suis tourné vers les prestations d’étudiants en interprétation à l’ESIT. Malheureusement, depuis 2012, le cours d’interprétation arabe/français/anglais n’a compté au mieux que deux étudiants par an ayant l’arabe en « B ». Qui plus est, ce cours n’a pas été assuré pendant les deux années 2014‑2015 et 2015‑2016, faute d’effectifs. À défaut de pouvoir étudier les interprétations produites par des étudiants arabophones, j’ai pris pour objet d’étude des interprétations télévisées disponible sur le Web. ;
- La difficulté de s’entretenir avec des praticiens est due à deux raisons principales. La première réside dans le fait que les interprètes sont souvent occupés par leur travail et voyagent beaucoup ; fixer un rendez‑vous avec certains d’entre eux était donc difficile. La seconde raison est le manque de motivation de la part de certains interprètes pour parler de ce sujet, d’autant plus que certaines questions dans la discussion proposée peuvent relever une certaine faiblesse dans leur pratique. Gile (2001) confirme notamment ces deux points et estime que l’un des obstacles que les doctorants rencontrent dans la recherche en interprétation de conférence se révèle être le manque d’accès à des sujets (interprètes) et/ou des matériaux (enregistrements). La difficulté de rencontrer des interprètes, ajoute‑t‑il, (pour un entretien, un questionnaire ou pour enregistrer leur interprétation) est bien connue dans le milieu des chercheurs en traductologie. Cette difficulté se pose non seulement à cause du faible nombre d’interprètes de conférences et de leur dispersion géographique, mais aussi de leur réticence à servir de sujets de recherche3 ;
- La difficulté de mesurer la dégradation de la maîtrise d’une langue (active ou passive). Cette mesure nécessite, en effet, un point de référence. Or, deux facteurs l’entravent : le fait que les interprètes arabophones parlent en dialecte quand ils s’expriment librement au quotidien, et le fait de n’avoir à disposition que des échantillons sous forme d’enregistrement télévisés comme base d’analyse. À ce titre, il ne m’est donc pas possible de comparer les prestations des interprètes à leur expression en ALM en dehors de la cabine. En conséquence et par souci de prudence, je parle dans cette thèse de faiblesses plutôt que de dégradation.
Description de la thèse : questions de recherche, limites et apports
Cette thèse tente de répondre aux questions suivantes :
- Quelles difficultés linguistico‑culturelles les interprètes et les étudiants travaillant depuis et/ou vers l’arabe rencontrent‑ils en situation d’interprétation de conférence ? Ces difficultés correspondent‑elles à ce qui est décrit dans la littérature ? ;
- À quel point la qualité de l’ALM chez l’interprète professionnel arabophone est‑elle affectée lors de l’interprétation de conférence ? ;
- Quelles sont les spécificités linguistico‑culturelles de l’arabe parlé lors des conférences et des réunions internationales, et quelle est l’incidence de ces spécificités sur l’activité d’interprétation de conférence ainsi que sur la formation des interprètes arabophones ? ;
- Au regard des définitions fournies par l’Association internationale des interprètes de conférences (AIIC) et au regard du nombre et de la nature des faiblesses que j’ai pu relever dans le corpus de mon étude, pendant la phase de la production, l’interprète arabophone aurait‑il vraiment l’ALM en « A » ou plutôt en « B » ?
Comme toute recherche, cette thèse a ses limites. En effet, l’approche triangulaire à laquelle j’ai eu recours n’est pas parfaite. J’aurais aimé pouvoir contacter un plus grand nombre d’étudiants, d’enseignants d’interprétation et de praticiens dans le but d’affiner davantage les difficultés évoquées plus haut. Cependant, et comme précédemment souligné, la prise de contact avec les interprètes en général n’est pas facile du fait de leurs nombreux déplacements et de leur réticence à s’exprimer sur leurs difficultés. À ce titre, il serait nécessaire que d’autres chercheurs réalisent des réplications avec de nouveaux corpus afin de comparer les résultats et d’identifier les difficultés récurrentes dans le but de proposer des recommandations adaptées aux étudiants en interprétation de conférence.
Concernant l’apport de ma thèse, l’étude empirique que j’ai réalisée m’a permis de mettre en question la classification des langues de travail qu’avait élaborée l’AIIC, notamment en ce qui concerne le statut de l’ALM en tant que langue « A ». J’ai pu également identifier des difficultés linguistico‑culturelles chez les étudiants et les praticiens en interprétation de conférence (français/anglais-arabe) et proposer un ensemble de recommandations pour le perfectionnement linguistique de l’ALM (langue « A »).
Objectifs de la thèse
Dans cette thèse, j’ai cherché à identifier des difficultés et des spécificités linguistico‑culturelles marquantes qui semblent relever de l’environnement de l’interprétation chez les arabophones aussi bien en pratique qu’en formation. J’ai pu ensuite proposer, sur la base des résultats obtenus, des recommandations pour l’amélioration de la formation des étudiants arabophones à l’interprétation de conférence. Mon objectif a été de combler (au moins partiellement) une lacune dans un champ d’investigation de traductologie peu exploité empiriquement.