Hormis la préface de l'historien français Pierre Milza, qui s'inscrit ici dans le paradigme totalitaire dominant, par sa vision idéologique d'un communisme vu comme héritier direct du " jacobinisme exterminateur de 1793 ", ce qui l'a conduit à " étendre son ombre cauchemardesque sur la mémoire collective de l'humanité " (p.6)1, tout dans ce volume est Italie. Il s'agit en effet de la traduction d'un ouvrage publié en 2003 par un des spécialistes transalpin du monde communiste, auquel il a consacré plusieurs ouvrages, Marcello Flores, professeur à l'université de Sienne, par la protéiforme maison d'édition Giunti2. En dix chapitres, l'auteur, qui ne prétend nullement faire œuvre novatrice sur l'histoire de ce courant politique, brosse l'évolution du mouvement communiste depuis ses prodromes du XIXe siècle (" Un spectre hante l'Europe ") jusqu'à la perestroïka et à la chute au début des années 90 du XXe siècle. Le regard qu'il propose sur cette histoire est plutôt critique, tout en restant totalement en dehors de l'école révisionniste anticommuniste3. A partir du modèle soviétique, Flores développe l'ensemble des expériences communistes mondiales, y compris celles concernant des cas plus ou moins bien connus, comme pour le Kérala (un Etat de l'Inde) ou l'Indonésie, par exemple.
Néanmoins, comme son titre l'indique, l'attrait principal d'un tel livre réside - aurait dû résider, devrions-nous plutôt dire - dans son iconographie. D'un point de vue quantitatif l'objectif semble atteint : 417 images, des photographies en écrasante majorité mais aussi des dessins, caricatures, affiches, bannières, banderoles, peintures, cartes et graphiques. Un tel corpus pouvait permettre de faire voir à quoi ressemblait cette expérience historique unique. Un tel corpus devait conduire " à une histoire des modalités du faire-croire " dans le monde communiste, pour reprendre une expression, appliquée à une autre époque, de l'historien Philippe Poirrier4. Force est de constater que l'on se trouve loin du compte, aussi bien dans ce qui est montré que dans la manière dont ça l'est. C'est peu dire que de déplorer le manque presque total d'attention portée non seulement à l'appareil critique de cette iconographie, mais également aux images elles-mêmes. Les photographies, certaines pleine page tandis que d'autres sont réduites à l'état de vignettes lilliputiennes, ne comportent aucun nom d'auteur, aucune dimension, avec des dates et des légendes imprécises voire farfelues (Léonid Brejnev à une réunion du Komintern p. 103 !) ; beaucoup sont recadrées ou pires, détourées, pour ne laisser qu'un ou deux personnages emblématiques, par-dessus du texte, comme dans n'importe quel news magazine : ainsi Karl Marx et sa fille Jenny (p. 9), Karl Radek et Zinoviev (p. 33), Lénine (p. 34), Mao Zedong (p. 86), Enrico Berlinguer (p. 154) etc. Des peintures subissent le même sort : ainsi le lecteur ne peut réellement juger d'un tableau de M.V. Nesterov de 1903 (portrait en pied ? portrait de groupe ? scène d'intérieur ? d'extérieur ?) puisque n'est extrait que le visage de Maxime Gorki pour illustrer un " écrivain pour le peuple " (p. 39). Les reproductions de caricatures ou d'affiches sont elles aussi sans auteurs ni dates ou dimensions y compris lorsqu'il s'agit d'œuvres très connues. Ainsi, de l'affiche où l'on voit Lénine balayant le globe de ses monarques, capitalistes et autres patriarches orthodoxes (p. 46) ou bien pour celle intitulée " Vive la troisième Internationale communiste " (p. 78), le lecteur devra se reporter à d'autres ouvrages pour apprendre qu'il s'agit d'une œuvre de Viktor Deni de 1920, pour la première, et de Sergei Ivanov de 1920 (26 x 35), après le second congrès du Komintern, pour la seconde. Enfin, dernier exemple du laisser-aller avec lequel la recherche (?) iconographique fut menée, une photo célèbre montrant Mao Zedong chevauchant avec quelques combattants, dans les montagnes du Chen-si du Nord, en 1947 (p. 76-77) est la photo retouchée de 1976, la chute de la " bande des quatre " ayant alors provoqué l' " effacement " de la femme de Mao, Jiang Qing, qui chevauchait derrière le groupe sur l'original5. Arrêtons là cette énumération à propos de la forme. La légitimité et la pertinence des images choisies, en fonction des thèmes abordés, sont également sujettes à caution. Ainsi, pourquoi toutes ces photos convenues et inutiles de dirigeants souriants à l'objectif ou à la caméra : Trotski et Natalia Sedova, Staline et Iéjov, Tito, Nasser et Nehru, Khrouchtchev (5 fois), Gomulka, Mao et Lin Piao, Gorbatchev ? Présenter des clichés de dirigeants politiques, à fortiori de dirigeants communistes, n'a d'intérêt que dans une analyse des stratégies de positionnement au plan national ou international, en fonction de l'époque, des alliés à rechercher, des ennemis à débusquer, en un mot des objectifs de chacun, toutes choses absentes ici. Il y a pourtant un certain nombre de documents inédits dans cet ouvrage, en particulier ceux qui concernent l'Italie : par exemple une médaille commémorant l'occupation des usines métallurgiques en 1920 (p. 48), un tract clandestin de propagande de la CGL (équivalent de la CGT) en 1930 (p. 91) ou des photographies de manifestations et de manifestants dans les années 50 (p. 108, 122-123). Mais rien, hélas, sur les circonstances et les différentes étapes de leur création pas plus que sur les auteurs ou les supports de diffusion. On l'aura compris, nous n'avons pas affaire à une histoire sociale des représentations communistes, mais bien plus prosaïquement à un panorama du communisme mondial (mal) illustré, au sens où des illustrations ne sont là que pour agrémenter le texte. Rejetons d'emblée l'objection à propos d'ouvrages " grand public " qui n'auraient que faire de ces postures scientifiques, à moins de postuler un double mépris, à l'encontre d'abord des lecteurs et ensuite des recherches actuelles, restreintes ainsi à un public élitiste. A l'évidence, l'édition, en ce début de XXIe siècle, d'ouvrages de cette teneur pourrait contredire une affirmation d'Annie Duprat, une des spécialistes de l'histoire de la caricature, lorsqu'elle affirme qu'un " des acquis fondamentaux des réflexions historiographiques récentes est de redonner à l'iconographie une place au service de l'histoire6 ", tout en confortant cependant un bilan plus pessimiste, celui de Michel Pastoureau et Claudia Rabel, qui, bien que médiévistes, l'élargissent à toutes les époques, notant que " l'étude des images reste, au sein des études historiques, la parente pauvre, la dernière roue du carrosse7 ".Pourtant, une histoire du " visuel communiste " est bien entendu possible. Il s'agirait de dégager des logiques d'élaboration, de production et de réception. à partir d'un dépouillement exhaustif des multiples traces iconographiques laissées par les différents appareils d'agit prop des organisations communistes mondiales : par exemple dans les années 30 en Allemagne l'AIZ (Magazine illustré des ouvriers) avec les photomontages de John Heartfield ou l'Association des artistes de l'Allemagne révolutionnaire nommée aussi " Groupe rouge ", avec George Grosz, Otto Dix ou Otto Griebel, au Mexique le Syndicat des travailleurs techniques, peintres et sculpteurs avec les peintres muralistes Diego Rivera et David Alfaro Siqueiros ou en URSS la création du Bureau international des artistes révolutionnaires. Si l'on se borne à l'Union soviétique, certaines recherches récentes font apparaître le rôle mobilisateur et les fonctions politiques de l'affiche8 ou du photo-journalisme. Les noms et le travail propagandiste de Evgueni Khaldei9, auteur de la photographie du soldat de l'Armée rouge plantant le drapeau soviétique sur le toit du Reichstag en mai 194510, de Dmitri Baltermants11 ou de Boris Ignatovitch12, ces artistes engagés sur le " front idéologique " de la photographie prolétarienne dans un premier temps, de la photographie anti-fasciste ensuite, commencent à sortir de l'ombre. De même que le parcours de cinéastes tels Roman Karmen13. Dans des domaines proches, des ouvrages sur la Guerre d'Espagne14 restituent aux photographies tout leur statut de documents historiques à part entière. Pour terminer, on ne peut donc que regretter que Marcello Flores, auteur par ailleurs de communications ou d'articles pénétrants sur le " révisionnisme " anti-communiste à l'œuvre dans la société italienne d'aujourd'hui15, se soit laissé entraîner à une telle commande.