José Ignacio Martinez Ruiz, Crecimiento y libertad, Los vinos de Malaga y Jerez en el mercado atlantico (1480-1850)

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José Ignacio Martinez Ruiz, Crecimiento y libertad, Los vinos de Malaga y Jerez en el mercado atlantico (1480-1850) [Croissance et liberté, les vins de Malaga et Jerez et le marché atlantique (1480-1850), en espagnol], Jerez de la Frontera, Peripecias libros, 2021, 351 p.

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Nous avons reçu pour recension un livre bienvenu puisqu’il émane d’une région viticole peu étudiée en France, l’Andalousie, et dont l’histoire des vins se place à l’échelle des grands marchés européens et atlantiques.

L’auteur José Ignacio Martinez Ruiz, professeur d’histoire des institutions économiques à l’université de Séville, nous livre, en un volume de plus de 350 pages, son analyse de l’évolution de cette part importante de l’économie andalouse à l’époque Moderne. L’ouvrage est construit en 3 chapitres principaux avec de nombreux graphiques et tableaux de données dans le texte et en annexes et un résumé long en anglais.

C’est une contribution conséquente à la compréhension des mécanismes géohistoriques à l’œuvre dans le grand commerce des vins à l’échelle européenne qui nous est offerte par l’exemple des vins de l’Andalousie. Le livre traite des vins de Jerez qui ont fait et gardé leur réputation à l’époque moderne, et les vins de Malaga (qui ne sont pas alors ce que l’on nomme aujourd’hui les malagas, vins doux naturels ou liquoreux) qui disparaîtront avec la crise du Phylloxéra. L’auteur montre en effet comment ces vins de l’extrême sud de l’Europe ont eu en réalité deux trajectoires historiques différentes et opposées – entre le xvie et le xixe s. – qui ont orienté le devenir de ces deux régions de l’Andalousie : la Tierra de Malaga positionnée sur la Méditerranée à l’Est du détroit de Gibraltar et le Marco de Jerez (de la Frontera) dont le débouché naturel des exportations était le port de Cadix sur la côte atlantique. Il est intéressant de voir dans ce positionnement leur divergence d’évolution avec l’implication différentielle des acteurs tirant le marché, notamment les négociants andalous, et leurs clients anglais, investisseurs traditionnels dans le commerce des vins méditerranéens depuis le Moyen Âge. Un fait apparaît ici marquant pour les voies du commerce des vins, mais c’est un cas général en Europe à partir de la fin du xviie s. : la politique anglaise d’augmentation des prix à l’importation tout comme la prohibition des vins français, sans que celle-ci soit permanente.

Un autre intérêt de cette contribution est de montrer la dualité de régulation du commerce des vins, entre contrôle collectif et institutionnel en faveur d’un prix minimum pour les producteurs à Malaga et régulation par et pour le marché institué par le grand commerce à l’export qui finit par l’emporter à Jerez. À ce titre, les pouvoirs municipaux jouent un rôle de premier plan, sous l’influence des guildes, confréries et « fraternités » de vignerons rassemblés pour défendre leurs intérêts à l’image de la Hermandad de vineros de Malaga créée en 1616 dont les membres sont aussi parties prenantes dans les conseils de la ville.

Le premier chapitre donne l’état des lieux de la production et de la vente au sortir du Moyen Âge et après la Reconquista, à partir des sources disponibles : dîmes des évêchés de Séville et de Malaga, comptes des ports andalous et Européens (Londres, Hambourg etc.). Il expose comment, entre 1550 et 1650, la Tierra de malaga devient un centre important de production de vins liquoreux et de raisins secs. Le chapitre deux, centré sur le jeu des institutions et des pouvoirs économiques dans le marché des vins d’Andalousie du xviie au xixe s. détaille, en 2 temps de décisions juridiques (1720-1730 et après 1780), les processus de libéralisation du marché des vins à l’export, au profit de Jerez. C’est là que s’illustre la montée en puissance du « Gremio (guilde) de vinaria de Jerez » en 1733 au détriment des collectifs des vignerons de Malaga définitivement supprimés en 1834. C’est l’aboutissement de la prise de contrôle du marché des vins andalous, surtout de Jerez, par la finance et le commerce d’exportation, au nom de la liberté ; liberté de négociations et de fixation des prix, liberté de stockage des vins pour en faire des vins de garde, liberté d’usage des nouvelles pratiques œnologiques au profit de la qualité : la solera (le vieillissement perpétuel), la fortification des vins, l’usage de cépages identifiants comme le Pedro Ximenez. Enfin le chapitre 3 vient décrire la divergence de destins des deux régions viticoles andalouses : succès croissant du Jerez devenu le sherry anglais à l’exportation grâce à la libéralisation, aux investissements industriels et à la recherche de la qualité ; déclin des vins de Malaga en sous-investissement chronique, compensation par la production en masse, diversification avec la production de raisins secs et vers d’autres industries. C’est la crise du Phylloxéra qui viendra donner le coup de grâce1.

Ainsi, ce que l’on pourrait prendre pour des vocations opposées de chacune des deux régions n’est finalement que le résultat, comme l’écrit l’auteur, dans une économie devenue fortement capitaliste, de l’incapacité des acteurs vignerons de la région de Malaga « à capter une plus grande part de la valeur générée par l’industrie du vin ». Une conclusion qui peut s’appliquer à bien des vignobles disparus. Il resterait à développer des analyses comparatives et géo-historiques avec d’autres régions viticoles de la péninsule ibérique ou ailleurs en Europe ; ou encore à rechercher les héritages médiévaux dans l’attrait qu’ont exercé les vins méditerranéens sur les marchands du Nord avant l’époque moderne (vins de Cadix, vins grenaches de Grenade par exemple). C’est la suite logique que l’on peut attendre à partir du socle solide constitué par cet ouvrage de référence pour l’économie des vins de l’Andalousie moderne.

Notes

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Référence électronique

Jean-Pierre Garcia, « José Ignacio Martinez Ruiz, Crecimiento y libertad, Los vinos de Malaga y Jerez en el mercado atlantico (1480-1850) », Crescentis [En ligne], 6 | 2023, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/crescentis/index.php?id=1422

Auteur

Jean-Pierre Garcia

Université de Bourgogne, UMR 6298 ARTEHIS (Archéologie-Terre-Histoire-Sociétés)

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