Karen Fiorentino, Sophie Monnier (dir.), Les archives de la vigne et du vin. Enjeux patrimoniaux, juridiques et culturels

Référence(s) :

Karen Fiorentino, Sophie Monnier (dir.), Les archives de la vigne et du vin. Enjeux patrimoniaux, juridiques et culturels, Paris, L’Harmattan, 2019, 284 p.

Index

Rubriques

Recensions

Texte

Cet ouvrage collectif est issu d’un colloque qui s’est déroulé à Dijon les 5 et 6 octobre 2018, sous l’égide du Centre de Recherche et d’Étude en Droit et Science Politique (CREDESPO) de l’université de Bourgogne, avec le soutien de la Chaire Unesco « Culture et traditions du vin ». Il en reproduit une partie des communications.

Deux contributions ouvrent le propos. Sonia Dollinger, directrice des archives municipales de Beaune, dresse un panorama des archives bourguignonnes. Elle souligne que l’histoire s’est faite surtout à partir des archives publiques, privilégiant de fait une vision réglementaire et « par le haut » du vignoble. Néanmoins, depuis les années 1980, les archives privées, en particulier celles des négociants en vin, ont été largement ouvertes et même versées dans les dépôts publics, facilitant grandement leur consultation. Elle attire l’attention sur l’intérêt des fonds d’ethnographes comme André Lagrange, ou les « Paroles de vignerons » recueillies par l’Association des climats du vignoble de Bourgogne. Puis Jean-Marie Pontier, professeur émérite de droit public à l’université d’Aix-Marseille, présente le vin comme élément du patrimoine. Sans aborder explicitement la question des archives, il revient sur la reconnaissance du vin comme patrimoine depuis 2013, dans l’article 665-6 du code rural. De même, un décret de 2006 permet de créer des « entreprises du patrimoine vivant » (EPV) autour de savoir-faire rares et de l’ancienneté des techniques. Les applications sont rares, puisqu’en 2019, 34 EPV seulement ont été constitués en France, dont quatre dans le domaine du vin.

La première partie s’intitule « Les archives, instruments des politiques publiques ». Jocelyne Cayron, maîtresse de conférences en droit privé à l’université d’Aix-Marseille, traite de la protection juridique du vin par les appellations et les marques, délaissant la problématique archivistique à proprement parler. Elle rappelle les deux régimes d’identification, par la marque et par l’appellation. Loin de s’opposer, ces deux éléments peuvent s’additionner, comme dans le cas d’amphores antiques. Pour obtenir une appellation, il faut démontrer le lien entre le produit et le milieu. Les références historiques sont les « preuves » les plus valorisées pour tenter de se soustraire à la sévérité de l’examen du Conseil d’État. Plus les références sont anciennes, plus les acteurs considèrent qu’elles valoriseront le produit : Antiquité parfois, Moyen Âge souvent, avec si possible des abbayes et des rois. À l’inverse, le régime de la marque est d’une étonnante souplesse, puisqu’il suffit de déclarer un nom. Cependant, celui-ci ne doit pas trop empiéter sur les appellations. Dans ce double régime, des milliers de marques évoluent dans des appellations et valorisent de surcroît un lieu en plus, cumulant les éléments d’identification et jouant sur des régimes juridiques différents. Bernard Gallinato-Contino, professeur d’histoire du droit à l’université de Bordeaux, propose une monographie de la question viticole pendant la Première Guerre mondiale (qu’il appelle la « guerre de 14 »), tirée des archives du conseil général de la Gironde. Celui-ci tente de défendre les intérêts de la viticulture girondine dès les premières semaines de la guerre, réclamant auprès des autorités compétentes du sulfate de cuivre, de l’acide sulfurique ou du soufre, dans un contexte de pénurie et de hausse des prix. Le conseil général finance par la suite des achats de matières et réclame surtout de la main-d’œuvre au ministère de la Guerre, qu’il obtient dans le courant de l’année 1917. Eric Agostini, professeur de droit privé à Bordeaux, expose dans une monographie de plus de 30 pages, une démonstration des interférences entre nom cadastral et nom de cru, à partir de l’arrêté Cassevert de 1955, recourant au cadastre pour justifier le nom d’un vin. Selon lui, cet arrêt a été mal interprété, le cadastre étant un document fiscal n’ayant pas vocation à recenser les lieux-dits. Reprenant le géographe Philippe Roudié, il signale que les noms de lieu évoluent au cours du temps, puisant dans quatre sources : terroir, histoire, religion et fantaisie. Il invite au dépassement du cadastre comme source de preuve, dénonçant « l’absurdité du tout cadastral ». Olivier Argueso, avocat à Bergerac, fournit un tableau de l’expertise judiciaire dans le secteur vitivinicole, à partir du cas du vice caché. À travers une affaire précise, il montre le rôle des expertises. Sur des affaires techniques comme celles touchant les vins, les juges suivent l’avis des experts. L’auteur décrit une affaire de vins touchés par un goût de bouchon. Alors qu’un premier rapport d’expertise a évalué à 12 % les bouteilles touchées et a semblé en passe d’influencer la décision, les défendeurs sont parvenus à montrer par d’autres expertises, que le taux de bouteilles atteintes ne montait qu’à 4 %, soit le niveau général des bouteilles bouchées au liège. Les défendeurs ont mieux su exploiter les rapports d’expertise et inverser le rapport de force. Passons rapidement sur la contribution d’Éric Andrieu, avocat à Paris, qui en quatre pages et deux illustrations, traite des conditionnements des alcools face à la loi Évin.

La deuxième partie a pour thème « Les archives, témoins de l’organisation des professions ». Eliane Lochot, directrice des archives municipales de Dijon, s’intéresse aux archives des maîtres tonneliers dijonnais. Celles-ci permettent de suivre la communauté du XVe siècle à la Révolution. C’est surtout l’activité des jurés qui émerge de ces sources : visites, contrôle des tonneaux mais aussi des vins, sous couvert de contrôle des tonneaux « étrangers » entrant dans la ville de Dijon. Les jurés tentent également de défendre les prérogatives de leur communauté face à une législation de moins en moins favorable à leur pouvoir de police professionnelle dans le courant du XVe siècle. Olivier Jacquet, chargé de mission pour la chaire Unesco « Culture et traditions du vin », enchaîne avec un examen des riches archives syndicales bourguignonnes. Les bulletins syndicaux permettent de saisir les préoccupations des dirigeants de ces structures : ils s’engagent ainsi dès les années 1890 dans le changement viticole, dans le sillage de la replantation phylloxérique, avec l’essor des intrants, la mise en bouteilles et les nouveaux modes de vinification. Les comptes rendus de réunions permettent de saisir au plus près les actions des syndicats, comme dans le cas de la lutte anti-grêle au début du XXe siècle, ou encore l’engagement en faveur d’une promotion qualitative pour l’Union des vins du Beaujolais. Les archives syndicales permettent encore de suivre au plus près les processus de délimitation des appellations, dès 1919 et plus encore après 1935. Mais Olivier Jacquet rappelle en conclusion qu’il faut toujours, en bon historien, croiser les sources et compléter par d’autres fonds (INAO, archives judiciaires, délibérations municipales…). Karen Fiorentino, professeure d’histoire du droit à l’université de Bourgogne Franche-Comté, reprend, dans une approche monographique, le dossier de la lutte contre les maladies de la vigne, essentiellement le phylloxéra. Elle étudie d’abord l’organisation collective de la lutte, avec la mise en place de syndicats généraux, syndicats antiphylloxériques, Comité d’études et de vigilance départemental. Les acteurs viticoles ne conçoivent pas d’autre solution que collective. Dans un second temps, elle met en valeur la diversité des traitements chimiques antiphylloxériques et l’acharnement d’une partie des acteurs à les employer, dans le souci de maintenir la réputation des plants français. Cependant, la reconstitution du vignoble sur porte-greffe s’impose, malgré l’espoir de l’hybridation. Véronique Chossat-Noblot, maîtresse de conférences en sciences économiques à l’université de Reims, se penche sur les enjeux de l’étiquetage des vins. Elle interroge les modèles économiques présidant la construction des étiquettes. Le vin étant un produit très incertain, l’étiquette est un outil d’identification de la qualité. La théorie de l’homo œconomicus semble guider l’évolution des étiquettes, puisque l’information est le guide principal de l’individu rationnel. Or, les étiquettes génèrent une surinformation qui met en cause ce modèle : il devient impossible de maîtriser tous les paramètres guidant le choix. Dans les faits, les consommateurs mobilisent d’autres dispositifs de choix, en particulier le registre émotionnel (copier les autres, suivre les influenceurs). En réalité, l’inflation des informations est surtout guidée par la volonté de réguler la production. La législation européenne par exemple, vise surtout à mettre les producteurs à égalité, imposant des mentions communes qui finalement noient le consommateur sous des informations qui ne le concernent guère.

La dernière partie a pour titre « Les archives, outils de transmission des savoirs ». Sandrine Lavaud, maîtresse de conférences en histoire médiévale à l’université de Bordeaux, analyse les types d’archives du vignoble de l’Aquitaine médiévale et la manière dont on peut les interroger. Celles-ci sont surtout textuelles : actes de l’administration anglaise, sources communales, actes de la pratique seigneuriale et notariale. Ces sources classiques, bien connues mais non encore épuisées, sont renforcées par l’archéologie. Elle propose ensuite un état des thématiques abordées. C’est d’abord le grand commerce vinaire qui a été privilégié, très centré sur Bordeaux. Les travaux récents ont porté sur la construction des territoires viticoles et leur organisation par les pouvoirs. Les perspectives de recherche restent importantes, en particulier sur la culture matérielle et les techniques de vinification. Sandrine Lavaud insiste pour finir sur les enjeux de la médiation scientifique, faisant un état d’une réussite, l’exposition « Vignes à la carte » (2014), et d’un échec relatif, « L’âme du vin chante dans les bouteilles » (2009). Olivier Serra, professeur de droit à l’université de Rennes, met en valeur le rôle des archives parlementaires dans la compréhension des processus législatifs et des ambiguïtés de la loi. Dans les années 1880-1930, un véritable droit viticole se met en place, avec la multiplication des lois spécifiques à la viticulture. L’auteur parle d’une véritable « législation agraro-protectionniste », appuyée par un important parti viticole dans les chambres, menée par la représentation du Midi et Edouard Barthe, et incarné au sommet de l’État par des figures comme Jules Méline et Jules Ferry. Il met en évidence les débats parlementaires relatifs à la chaptalisation en 1929. Barthe proposa de couper la France en deux, opposant les vignobles de la moitié nord autorisés à chaptaliser et ceux du sud et d’Algérie exclus de cette technique. Les interventions d’un élu girondin, Henri Labroue, permettent de saisir les stratégies de défense de ce vignoble afin d’intégrer la zone autorisée à chaptaliser, sans succès finalement. Lucile Plaza, Cécile Marchal, Jean-Michel Boursiquot, Thierry Lacombe, du domaine de Vassal, présentent la collection de cépages de Vassal-Montpellier. Il s’agit de la plus importante collection du monde, avec 5 788 cépages, regroupant des cépages de cuves, de table, des hybrides, porte-greffes, lambrusques et vitacés. Les plants sont évalués dans la longue durée : phénologie, rendements, qualité des vins. La grande préoccupation du centre est actuellement d’élargir l’accès à cette immense base de données constituée au cours du temps, depuis la fondation en 1876. Une première base est consultable depuis 2005, mais d’autres herbiers sont en cours de numérisation depuis 2018. Vanessa David Vaizant, assistante ingénieure en microbiologie à l’université de Dijon, fait un point sur la question méconnue des archives scientifiques. Celles-ci sont dominées par le cahier d’expérience du chercheur, devenu peu à peu cahier de laboratoire, dans lequel sont consignées toutes les actions des chercheurs. Mais les archives ne s’arrêtent pas là et comprennent une masse d’autres documents : des plans, des protocoles, des comptes rendus, des correspondances entre chercheurs, des objets, des échantillons (souches microbiennes, champignons). Ces archives ont une importance majeure dans la vie scientifique, puisqu’elles permettent de suivre les itinéraires et raisonnements des chercheurs, comme on peut le voir dans la controverse sur la fermentation alcoolique entre Pasteur, Bernard et Berthelot. Les archives permettent surtout d’appuyer des droits sur des découvertes. Avec l’essor d’internet, l’archivage en temps réel est de plus en plus décisif, comme le montre la base GenBank pour les micro-organismes, dont les découvertes sont recensées et enregistrées au fur et à mesure de leur découverte et mises au service des autres chercheurs. Enfin, Sophie Monnier, maîtresse de conférences en droit public, à l’université de Bourgogne Franche-Comté, examine les sources juridiques de l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco. La convention pour la protection du patrimoine de l’Unesco (1972) a délégué aux États l’application de la convention, avec pour seule sanction des rappels à l’ordre, plus ou moins suivis d’effets selon les cas, et l’annulation de l’inscription. En France, les obligations liées à la démarche de protection sont pleinement entrées dans la loi en 2016. Le régime des travaux est désormais unifié, avec un régime de déclaration de construction et de permis de construire plus contraignant, renforçant le rôle de l’architecte des bâtiments de France. Il en est de même pour le droit de l’environnement, avec la réduction de l’usage des produits phytosanitaires ou le respect de normes de gestion de l’eau (climats de Bourgogne). Enfin, les acteurs institutionnels sont intégrés au schéma général de gestion des biens, avec l’État, les collectivités territoriales, mais aussi les représentants professionnels dans le cas des vignobles. Une commission locale du site patrimonial regroupe le préfet, le directeur de la DRAC, l’Architecte des bâtiments de France, le maire et d’autres membres nommés. La loi prévoit même une participation citoyenne, non encore mise en œuvre

Ce volume présente donc des contributions de qualité chacune dans leur domaine. Bien qu’il affiche les archives de la vigne et du vin comme fil directeur, son contenu part dans de nombreuses directions, ce qui ne manque pas de parfois perdre le lecteur s’attendant à une réflexion plus systématique sur la filiation entre la vigne, le vin et les traces de leur existence que sont les archives dans leurs diverses matérialités. Les parties organisent heureusement le propos. Mais plusieurs contributions partent simplement d’un fonds d’archives ou même un type de document pour proposer des monographies sur un sujet donné. Ce biais ne remet pas en cause la qualité générale de ce volume. Il faut dire aussi que la conception, la culture et la pratique des archives des archivistes, des historiens, des juristes, des économistes et des biologistes sont loin d’être les mêmes. Il aurait été intéressant d’explorer et de confronter cette pluralité. Le lecteur est à ce titre livré à lui-même, puisque c’est à lui de faire ce travail, sans forcément avoir tous les outils en main pour le faire.

À l’issue de la lecture, on peut distinguer plusieurs manières d’aborder le sujet qui auraient mérité d’être davantage mises en exergue. Des communications font état des archives de la vigne et du vin telles qu’elles existent, dans un cadre local ou régional, et qui constituent de véritables boîtes à outils destinées aux chercheurs. D’autres s’interrogent sur la manière dont la vigne et le vin produisent des archives, ce qui conduit à cerner la finalité de ces documents au moment où ils ont été produits et nous éclairent sur ce qu’ils peuvent nous apprendre. Les contributions sur la production d’archives dans le domaine scientifique sont de ce point de vue fort éclairantes. On trouve également de manière transversale et en particulier dans les contributions des juristes, des informations précieuses sur la manière dont les archives, dans leur matérialité, leurs conditions de conservation, leur subjectivité, peuvent influencer l’histoire de la vigne et du vin – et on peut à ce titre regretter que toutes les communications n’aient pu être publiées. Il est dommage que plusieurs auteurs se soient contentés d’une monographie sur leur thème de spécialité sans pousser plus loin l’interrogation sur l’archive comme trace du passé et outil de construction du présent.

Citer cet article

Référence électronique

Benoît Musset, « Karen Fiorentino, Sophie Monnier (dir.), Les archives de la vigne et du vin. Enjeux patrimoniaux, juridiques et culturels », Crescentis [En ligne], 5 | 2022, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/crescentis/index.php?id=1224

Auteur

Benoît Musset

UMR 9016 TEMOS, Université du Mans

Articles du même auteur

Droits d'auteur

Licence CC BY 4.0