Bernard Gallinato-Contino, Le conseil général de la Gironde en lutte contre les fléaux de la vigne et du vin sous la IIIe République (1870-1940)

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Bernard Gallinato-Contino, Le conseil général de la Gironde en lutte contre les fléaux de la vigne et du vin sous la IIIe République (1870-1940), Bordeaux, Féret, 2019

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S’il est toujours agréable de saluer les travaux relatifs à l’histoire de la vigne et du vin, le plaisir l’est d’autant plus de présenter une étude consacrée à l’histoire des institutions vitivinicoles. Bernard Gallinato-Contino, professeur émérite à l’Université de Bordeaux, nous livre effectivement ici une étude originale intitulée Le conseil général de la Gironde en lutte contre les fléaux de la vigne et du vin sous la IIIe République (1870-1940). Publié aux éditions Féret en 2019, l’ouvrage a pour ambition d’embrasser l’activité des représentants des quarante-huit cantons de l’assemblée départementale girondine durant une période-clé de l’histoire vitivinicole de la France : celle des crises liées aux aléas de la nature, comme aux erreurs humaines – ces dernières étant parfois la conséquence des premières – et que les pouvoirs publics cherchent à contenir à travers une législation révélatrice de l’importance économique et sociale de la filière.

Organe essentiel de la démocratie locale, le conseil général de la Gironde apparaît comme la caisse de résonance des doléances de la propriété et du négoce, forces de proposition souvent opposées, mais unies en définitive dans leur volonté de préserver le fleuron de l’économie départementale. Par ses liens privilégiés entretenus avec les maires et le préfet, mais aussi avec les groupements agricoles et les institutions commerciales et, enfin, avec le Parlement – ses élus étant parfois députés ou sénateurs – le conseil général « cristallise les difficultés du monde vitivinicole ».

Il accompagne ainsi la viticulture lorsque cette dernière subit les conséquences des intempéries frappant le vignoble (hivers rigoureux, grêles, tempêtes, inondations). L’assemblée départementale n’hésite alors pas à aider financièrement la petite propriété, les métayers ou les ouvriers agricoles par des subventions régulières. Elle promeut également le crédit agricole en garantissant les prêts aux plus démunis et pousse le législateur à imposer l’assurance obligatoire. Les travaux des conseillers girondins sont également précieux dans la mesure où ils révèlent la volonté de prévenir les calamités agricoles en apportant leur contribution au développement de la météorologie dès la fin du xixe siècle (notamment en matière de lutte contre la grêle).

Bien plus spectaculaire est l’œuvre du conseil général relative à l’éradication des parasites de la vigne, l’épisode phylloxérique étant, et de loin, sa principale préoccupation durant le dernier quart du xixe siècle. Fins observateurs des ravages du terrible insecte, les élus girondins encouragent, en synergie avec le préfet, la recherche des meilleurs procédés permettant de lutter contre ce fléau (récompenses, financement de champs d’expérimentation, participation à des congrès antiphylloxériques). Ils ne peuvent cependant – à l’image des débats nationaux – éviter de s’opposer entre américanistes et détracteurs du greffage. L’ampleur de ces débats éclipse assez logiquement les discussions consacrées aux autres insectes et aux maladies cryptogamiques, la question de l’utilisation, comme de l’approvisionnement en sulfate de cuivre et en soufre alimentant néanmoins de nombreuses séances de l’assemblée.

Cette dernière ne saurait réduire son activité aux conséquences des catastrophes naturelles, l’activité humaine pouvant avoir des conséquences dramatiques sur l’ensemble de la filière. La question de la fraude sur la vente des vins en est l’illustration sans doute la plus connue. Le conseil général résonne, en effet, des mêmes débats que ceux développés au Parlement durant la Belle Époque afin de mettre un terme aux tromperies et falsifications vinicoles. L’élaboration de la loi du 1er août 1905 voit ainsi s’affronter les représentants locaux de la viticulture et ceux du négoce autour de l’épineuse question du coupage, tandis que celle du 5 août 1908 entraîne de vifs débats débouchant sur l’éviction des vignobles lot-et-garonnais et périgourdins de la délimitation administrative du bordeaux en 1911. La question de la qualité demeure, tout au long de l’entre-deux-guerres, l’un des fils directeurs des travaux de l’assemblée départementale, à travers, notamment, la problématique – encore présente de nos jours – de la chaptalisation des vendanges ou de la concentration des moûts.

La crise de surproduction marquant l’ensemble du vignoble français à partir de la première décennie du xxe siècle ne peut manquer d’appeler l’attention des élus girondins, le département produisant, en effet, des quantités non négligeables de vins de consommation courante. Aux vœux adressés à l’État en vue de l’inciter à en acheter des volumes importants afin d’étancher la soif des poilus durant la Grande Guerre s’ajoutent les propositions destinées à soutenir le mouvement coopératif et, in fine, à réguler la production, puis le marché durant les années 1930, à l’image du statut de la viticulture s’élaborant au même moment. Le conseil général apparaît surtout comme un puissant vecteur de propagande en faveur du vin, à l’image de la promotion des foires et fêtes vinicoles ou de la création du Comité départemental du vin de Bordeaux. Si bien que, dans les années 1930, il est devenu le principal acteur institutionnel de la défense des intérêts vinicoles girondins.

Par leurs liens étroits entretenus avec la propriété et le négoce, les élus du département ne pouvaient que s’opposer sur la politique commerciale devant être menée par le pays. À ce titre, si le vieil esprit libéral du négoce bordelais domine jusqu’aux années 1880, de sérieuses divisions apparaissent entre 1890 et 1914, la viticulture souhaitant un relèvement des tarifs douaniers afin de réduire les importations étrangères, notamment espagnoles, ainsi que celles des vins frelatés. L’hégémonie libre-échangiste semble, dès lors, avoir vécu. L’échec de l’instauration d’un port franc à Bordeaux et la suppression des entrepôts spéciaux en sont des exemples patents. L’union girondine transparaît néanmoins durant l’entre-deux-guerres lorsqu’il s’agit de déplorer le manque d’implication de l’État en matière d’exportations et de protection des marchés étrangers.

Enfin, le conseil général de la Gironde demeure un acteur essentiel en matière sociale. En témoignent les aides accordées aux viticulteurs les plus modestes, ainsi que la volonté de désenclaver la petite propriété en subventionnant, notamment, la modernisation des pratiques vitivinicoles, et en promouvant les mouvements associatifs ainsi que la création d’une chambre départementale d’agriculture. Soucieux d’améliorer le niveau de l’enseignement agricole, les élus locaux s’accordent aussi, et peut-être surtout, sur la nécessité de doter le département d’écoles de viticulture. La ferme-école de La Réole et l’école pratique de viticulture et d’œnologie de Blanquefort en sont les plus beaux témoignages.

Par l’ampleur du sujet qu’il embrasse, la période qu’il aborde et les sources qu’il sollicite, l’ouvrage de Bernard Gallinato-Contino tiendra une place de choix au sein des bibliothèques des spécialistes d’histoire vitivinicole et, plus largement, d’histoire économique, sociale et institutionnelle. En ressuscitant la parole des élus girondins de la IIIe République, il permet de confronter la pratique, la tradition, l’expérience et, en définitive, le savoir-faire à la généralité du dispositif législatif élaboré au niveau national. Il contribue, enfin, à relativiser les problématiques vitivinicoles actuelles en les replaçant dans leur contexte historique.

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Olivier Serra, « Bernard Gallinato-Contino, Le conseil général de la Gironde en lutte contre les fléaux de la vigne et du vin sous la IIIe République (1870-1940) », Crescentis [En ligne], 3 | 2020, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/crescentis/index.php?id=1093

Auteur

Olivier Serra

UMR6262 CNRS IODE (Institut de l’Ouest, Droit et Europe)

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