1. Introduction
Le présent article aborde la problématique du recueil sous l’angle de l’identité nationale1. En effet, la question identitaire est au cœur des interrogations historiques sur des concepts tels que nation et état, elle conduit à explorer les processus (linguistiques, symboliques, idéologiques, culturels et politiques) qui président à la construction de l’identité nationale. Nous avons choisi de mener l’enquête à propos de l’Aragon de la fin du XVIe siècle, c’est-à-dire à une époque où cette couronne faisait partie de la Monarchie hispanique, gouvernée par Philippe II.
Les Rois Catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, passent pour avoir fondé à la fin du XVe siècle l’unité territoriale et religieuse de l’Espagne par leur mariage en 1469 et grâce à leur victoire en 1492 sur l’ennemi séculaire musulman. On sait cependant qu’il y a une forme de malentendu à propos de cette unité qui est une union personnelle et morale plutôt qu’une véritable unification politique puisque chacune des deux couronnes conserva ses propres lois et traditions (Carrasco, Dérozier et Molinié 2004 : 13-14). La monarchie établie par les Rois Catholiques et léguée à leurs successeurs, Charles Quint et Philippe II, est une monarchie composite où chaque couronne conserve ses propres spécificités institutionnelles, même si toutes ont en commun le même roi. Face à cette réalité morcelée, fruit d’un passé médiéval où la lutte contre l’Islam a été menée en ordre dispersé par la Navarre, le Portugal, l’Aragon et la Castille, l’historiographie royale, qui est surtout une historiographie castillane, a bâti au fil des siècles une légende qui s’impose à l’époque moderne. Selon cette construction historiographique, l’Espagne chrétienne, occupée pendant près de huit cents ans par les musulmans, s’est progressivement libérée de leur joug par une sorte de croisade séculaire que les Rois Catholiques ont menée à son terme par la prise de Grenade. Suivant cette relecture du passé, l’Hispania romaine, devenue l’Espagne wisigothique, est assimilée à un paradis perdu. Cette perte est interprétée comme une chute puisque ce sont les péchés du dernier roi wisigoth, don Rodrigue, qui ont causé l’invasion musulmane. L’histoire nationale est conçue comme un décalque de l’histoire sacrée de telle sorte que la reconquête patiemment menée par les rois chrétiens pendant sept cents ans est perçue comme une croisade contre l’infidèle, au terme de laquelle se produit une rédemption. La conquête de Grenade marque le triomphe du peuple élu (les Espagnols) qui parvient à recouvrer le paradis perdu (l’Espagne) tout en recréant l’unité originelle, celle de l’âge d’or antérieur à la faute et au péché. (Milhou 2000 : 13-30)
Au XVIe siècle, donc, et en dépit du fait que la Monarchie de Philippe II est un ensemble composite reposa