Dostoïevski, Soloviev et Merejkovski : Antéchrist et société nouvelle

  • Dostoyevsky, Soloviev and Merejkovsky: Antichrist and the New Society

Abstracts

Cette étude s’intéresse aux figures de l’Antéchrist dans le Court récit sur l’Antéchrist de Soloviev (1900) et dans la trilogie de Merejkovski Le Christ et l’Antéchrist, dont les romans sont consacrés à Julien l’Apostat (La Mort des Dieux, 1895), Léonard de Vinci (Les Dieux ressuscités, 1901) et Pierre le Grand et son fils (Pierre et Alexis, l’Antéchrist, 1904). Ces textes sont étudiés dans le sillage de l’œuvre de Dostoïevski, avec qui Soloviev et Merejkovski se lièrent d’amitié, et dont la figure antéchristique célèbre se révèle être le Grand Inquisiteur, dans la légende racontée dans Les Frères Karamazov.
Ces auteurs lient christianisme et révolution dans le cadre d’une réflexion sur l’avènement d’une société nouvelle, la venue de l’Antéchrist représentant le déclenchement d’une révolution destiné à mettre fin à une société corrompue pour en instaurer une nouvelle, régénérée.

This paper studies the figures of the Antechrist in Soloviev’s A Story of Antichrist (1900) and in Merejkovski’s Christ and Antichrist trilogy, which novels deals with Julian the apostate (The Death of the Gods, 1895), Leonardo da Vinci (Ressurection of Gods, 1900) and Peter the Great and his son (Peter and Alexis, The Antichrist, 1904). This novels are considered as being in the wake of Dostoevski’s work, an author with whom Soloviev and Merejkovski were friends, and whose famous Antichrist is The Grand Inquisitor, in the legend told in the novel The Brothers Karamazov.
These autors make a link between christianism and revolution, within the framework of their thought about the advent of a new society. In effect, the cming of the Antichrist represents the start of a revolution, which would end a corrupted society and instaur a new one, regenerated.

Outline

Text

Au tournant du xixeet du xxe siècles en Russie, dans un contexte marqué par la montée des élans révolutionnaires et par de réels actes de terrorisme et de révolution, se développe également une pensée liant religion et révolution chez les penseurs et artistes du mouvement symboliste. Jutta Scherrer précise ainsi dans « Pour une théologie de la révolution. Merejkovski et le symbolisme russe » :

La religion est alors considérée comme la puissance spirituelle centrale et centralisatrice non seulement dans la vie de l’individu, mais surtout dans celle de la société. À cette revalorisation de la religion est liée l’idée d’un bouleversement révolutionnaire, l’espoir d’une société nouvelle fondée sur des principes socialistes ou marxistes, voire anarchistes. (Scherrer 1978 : 28)

On s’intéressera dans cette étude à une figure récurrente dans la littérature russe de cette époque, celle de l’Antéchrist et à la manière dont elle éclaire cette réflexion sur l’avènement d’une société nouvelle. Les figures de l’Antéchrist les plus éloquentes en la matière apparaissent dans le Court récit sur l’Antéchrist de Soloviev (1900) et dans la trilogie de Merejkovski Le Christ et l’Antéchrist, dont les romans sont consacrés à Julien l’Apostat (La Mort des Dieux, 1895), Léonard de Vinci (Les Dieux ressuscités, 1900) et Pierre le Grand et son fils (Pierre et Alexis, l’Antéchrist, 1904). Ces textes seront étudiés dans le sillage de l’œuvre de Dostoïevski, que Soloviev et Merejkovski connurent et avec qui ils se lièrent d’amitié : on dit que Soloviev est un des modèles d’Aliocha dans Les Frères Karamazov et Dostoïevski est un de ceux qui encouragèrent Merejkovski à écrire. La figure du Grand Inquisiteur, qui apparaît dans la légende qu’Ivan Karamazov raconte à son frère Aliocha est, sinon la matrice de l’Antéchrist russe, du moins son représentant le plus illustre. Rappelons que la vie de Dostoïevski est marquée par un séjour au bagne, auquel il est condamné après avoir été gracié par le tsar, alors qu’il se tient sur le poteau d’exécution, arrestation elle-même motivée par sa participation aux réunions d’un groupe fouriériste. De retour du bagne, ses opinions politiques et religieuses ont radicalement changé, et il devient un fervent détracteur du socialisme. Dans Les Démons (1871), il dénonce le risque que les groupuscules révolutionnaires font courir à la Russie.

Ces auteurs seront donc envisagés à la lumière de l’histoire littéraire, puisqu’ils se rattachent au mouvement symboliste, qui lie christianisme et révolution dans le cadre d’une réflexion sur l’avènement d’une société nouvelle. Précisons toutefois qu’une génération sépare Merejkovski de Soloviev : ce dernier meurt en 1900 et, s’il est un des principaux inspirateurs du symbolisme, il n’en voit pas les développements ultérieurs. L’intérêt de ce corpus réside aussi dans son hétérogénéité : au plan philosophique, les textes de Merejkovski qui forment pourtant une trilogie témoignent de l’évolution de sa pensée au fil des dix années et notamment d’une dimension qui ne sera pas examinée ici, celle des revirements qui entourèrent la lecture par Merejkovski de Nietzsche. L’hétérogénéité est aussi formelle, et la légende du Grand Inquisiteur place le règne de l’Antéchrist dans la Séville du XVIe siècle, dans un apologue à dimension historique, mais dont le titre de « légende » est essentiel à la compréhension. Les romans de Merejkovski sont des romans historiques et il est d’ailleurs intéressant de noter que les éditeurs français gomment leur appartenance à la trilogie Le Christ et l’Antéchrist pour mettre en avant que leur régime biographique, ce qui est particulièrement notable pour le roman sur Léonard de Vinci. La nouvelle de Soloviev, enfin, relève du genre de la contre-utopie et l’action est placée au XXIe siècle. Elle est enchâssée dans un texte-cadre qui la fait passer pour des notes retrouvées par un des personnages, ce qui crée un effet de distanciation ironique. Ainsi, pendant que Monsieur Z. va chercher le manuscrit, ses auditeurs discutent du trouble qui plane dans l’air : « LA DAME. – Je le remarque aussi depuis un an, mais dans mon âme comme dans l’atmosphère ; je ne vois pas non plus ici cette ‘clarté parfaite’ dont vous parlez. Partout semble régner comme une inquiétude, comme le pressentiment d’une catastrophe1. » (Soloviev 1900 : 4) Toutefois, on peut relever une caractéristique qui relie Soloviev et Merejkovski dans la constellation des auteurs symbolistes : tous deux joignent à l’écriture fictionnelle, poétique au sens large, une pensée abstraite, métaphysique ou politique.

Après avoir identifié les traits caractéristiques des personnages antéchristiques, on s’intéressera donc aux sociétés dans lesquelles ils font leur apparition et celles qu’ils instaurent, pour voir en quoi le mal dont est porteur l’Antéchrist est paradoxalement le vecteur d’une transformation permettant l’avènement d’une société renouvelée, et meilleure que l’ancienne, dans la perspective d’une pensée de la révolution.

1. Les figures de l’Antéchrist dans les œuvres

1.1. Des figures de porteurs (prétendus) de la vraie foi

Le Grand Inquisiteur constitue la matrice des figures d’Antéchrist de notre corpus. Homme d’Église, il a soif de pouvoir et ne fait qu’exploiter sa situation pour dominer les hommes, ce dont il tire une satisfaction individuelle mais aussi une jouissance au titre de l’institution qu’il représente. La structure de la légende du Grand Inquisiteur repose sur le face-à-face entre ce dernier et le vrai Christ, revenu à Séville, mais que le Grand Inquisiteur fait passer pour un imposteur. Il souhaite l’écarter de Séville, où il règne en maître.

Le deuxième volume de la trilogie de Merejkovski repose sur une dualité analogue : il raconte la vie de Léonard, que beaucoup tiennent pour l’Antéchrist, mais qui est en réalité un homme bon et incarnant le génie de l’esprit renaissant. Face à lui se dresse, plus discret, mais présent dès le début du roman, Savonarole. Celui-ci dirige alors la république chrétienne et religieuse de Florence d’une main extrême, dans le but de restaurer la vertu, qu’il estime perdue. Le portrait qu’en fait Merejkovski ne laisse aucun doute sur le jugement négatif qu’il porte sur le personnage. Dès sa première apparition dans le roman, les traits rappelant le maléfisme sont soulignés :

Giovanni vit gravir lentement l’escalier de la chaire un homme vêtu de l’habit noir et blanc des Dominicains, le visage maigre et jaune comme de la cire, les lèvres épaisses, le nez crochu, le front bas. […] Les yeux du moine s’allumaient comme de la braise. Il se taisait et l’attente devenait insupportable2. (Merejkovski 1901 : 49)

Le sermon qu’il prononce dans ce chapitre est un discours apocalyptique : « ‘Regardez, regardez, le ciel s’assombrit déjà. Le soleil est pourpre comme du sang séché. Fuyez ! car voici la pluie de feu et de lave, et la grêle de pierres rougies à blanc3 !’ » (Merejkovski 1901 : 50)

Mais celui qui fait apparaître son caractère antéchristique n’est autre que Léonard de Vinci, dans la caricature qu’il croque pendant le sermon :

C’était, non pas le visage de Savonarole, mais celui d’un vieux diable en habit de moine ressemblant à Savonarole, épuisé par des tortures volontaires, sans avoir vaincu son orgueil et sa lubricité. […] les sourcils arqués se hérissaient, et le regard inhumain, plein de supplication têtue, presque méchante, était fixé vers le ciel4. (Merejkovski 1901 : 52)

Il se trouve en outre que parmi les combats de Savonarole pour ce qu’il estime être la restauration de la foi figure la lutte contre les images, en particulier licencieuses (Merejkovski 1901 : 207). Il suggère ainsi qu’il reconnaît une puissance à l’image et pour le lecteur, sa caricature prend une connotation encore plus forte : il ne s’agit pas seulement d’une image satirique, mais d’un dessin doté d’une puissance révélatrice, mettant au jour le mal que porte Savonarole.

Le Grand Inquisiteur et lui luttent donc pour le maintien ou le rétablissement de la foi et de la morale catholique, mais sont montrés par les écrivains comme des individus représentant le mal et parés du masque de la vertu.

L’Antéchrist de Soloviev, pour sa part, se présente lui-même comme l’anté-christ :

[…] il se mettait au premier rang après Dieu et se considérait comme l’unique Fils de Dieu. En un mot, il croyait être ce que le Christ fut réellement. Mais cette conscience de sa haute dignité ne faisait pas naître en lui le sentiment d’une obligation morale à l’égard de Dieu et du monde, mais le sentiment de son droit à l’emporter sur les autres et, avant tout, sur le Christ. Dans le principe, il n’avait pas de haine pour Jésus. Il reconnaissait le Messianisme et la dignité du Christ, mais il voyait sincèrement en Lui son grand prédécesseur5. (Soloviev 1900 : 15)

Son personnage est celui du corpus qui formule le plus explicitement la pensée apocalyptique.

Le Christ, pensait-il, est venu avant moi ; je viens le second ; mais ce qui suit dans le temps, précède dans l’être. Je viens le dernier, à la fin de l’histoire, précisément parce que je suis le sauveur définitif et parfait. Le Christ fut mon annonciateur. Il eut pour mission de préparer mon apparition6. (Soloviev 1900 : 16)

Une des caractéristiques majeures de cet Antéchrist relève bien de son rôle historique, celui de venir clore le cycle du temps, dimension que les personnages de Dostoïevski et de Merejkovski portent de manière moins importante en raison justement de leur ancrage historique. Le statut de récit contre-utopique du texte de Soloviev lui permet de placer effectivement l’Antéchrist hors du temps, en aval du temps de lecture de ses contemporains, et ainsi de signifier la perspective à venir de la restauration du bien.

1.2. Des empereurs fous

Les personnages d’empereurs sont également avides de pouvoir, et le réalisent au plan politique, même si le pouvoir religieux est articulé au pouvoir politique.

L’Antéchrist de Soloviev est ainsi un empereur persuadé qu’il apportera le bien à son peuple, conviction dont on sait maintenant qu’elle est le terreau des totalitarismes :

Le Christ, dit-il, en enseignant et en réalisant dans sa vie le bien moral, a été le redresseur de l’humanité, moi, je dois être le bienfaiteur de cette humanité en partie redressée, en partie non redressée. Je donnerai aux hommes tout ce dont ils ont besoin. En sa qualité de moraliste, le Christ a divisé les hommes par les notions du bien et du mal, moi je les unirai par les bienfaits qui sont également nécessaires aux bons et aux méchants. Je serai le vrai représentant du Dieu qui fait briller son soleil sur les méchants et sur les bons et fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. Le Christ a apporté un glaive ; moi, j’apporterai la paix. Il a menacé la terre du jugement dernier ; mais c’est moi qui serai le juge et mon jugement ne sera pas le jugement de la seule justice, mais celui de la miséricorde. La justice contenue dans mes sentences sera une justice distributive et non rémunératrice. Je ferai la part de chacun, et chacun aura ce qu’il lui faut7. (Soloviev 1900 : 17)

L’Antéchrist réalise ainsi son objectif lorsqu’il fonde la monarchie universelle (27), qu’il gouverne sans ombrage ni opposition. Le caractère absolu de son pouvoir de même que son orgueil personnel ne sont plus guère visibles pour un peuple qui se réjouit de la paix ainsi instaurée.

Dans Julien l’Apostat, Merejkovski lui aussi met en avant l’orgueil que ressent le jeune homme qui, nouvellement empereur, change d’allure et gagne en virilité : « seuls les yeux de Julien continuaient de brûler du même feu étrange, trop vif, comme fiévreux, qui faisait que quiconque le rencontrait, même brièvement, se souvenait d’eux8. » (Merejkovski 1895 : 131) Cet orgueil le conduit à affirmer lui-même qu’il est l’Antéchrist, dans un élan de triomphe sur la foi mortifère et destructrice des Chrétiens :

Mon cœur est empli de la joie de Dionysos. Aujourd’hui se lève l’antique Titan, qui arrache ses chaînes, et rallume le feu de Prométhée sur terre. Titan contre les Galiléens. Je viens pour donner aux hommes une liberté et une joie telles qu’ils n’ont jamais osé en rêver. Galiléen, Ton règne s’efface comme une ombre. Réjouissez-vous, générations et peuples terrestres. Je suis le messager de la vie, je suis le libérateur, je suis l’Antéchrist9 ! (Merejkovski 1895 : 185)

Cet orgueil est précisément ce qui le conduit à la chute, d’abord aux yeux de ses armées puis à la chute politique, puisque c’est son élan hubristique qui le pousse à faire des erreurs grossières dans sa conquête de la Perse et à devoir battre en retraite piteusement. Ainsi, le titre d’Antéchrist qu’il avait proclamé glorieusement devient, dans la bouche de ses soldats, l’explication du désastre qu’ils subissent : « Il leur semblait que l’Antéchrist lui-même, un homme rejeté par Dieu, les avait volontairement conduits dans ce lieu maudit, pour les tuer10. » (Merejkovski 1895 : 274)

C’est également la volonté de toute-puissance de Pierre le Grand qui le conduit à être identifié comme l’Antéchrist par les raskolniki, c’est-à-dire les schismatiques qui s’estiment être les vrais croyants. Ainsi le père Cornily trace une généalogie qui part de l’an 1666 et conduit jusqu’à Pierre :

[…] il s’éleva contre Jésus-Christ notre Seigneur, se constituant lui-même chef de l’Église, pasteur omni-puissant. Et, jalousant la primauté du Christ dont il est dit : ‘je suis le premier et le dernier’, il se nomma Pierre Ier. Et, en l’an 1700, au premier jour de janvier, il annonça, dans une fête de feu, la nouvelle année de l’ancien dieu romain Janus : son temps était arrivé. Et, dans le chant d’église pour la victoire de Poltava sur les Suédois, il s’est fait appeler Christ. […] Il est apparu en Russie, c’est-à-dire dans la troisième Rome, ce Pierre, fils de perdition, blasphémateur et ennemi de Dieu, Antéchrist11 !... (Merejkovski 1904 : 73-74)

Il est intéressant de noter que les trois auteurs ne proposent pas la même définition du pouvoir. Pour Dostoïevski et Soloviev, les pouvoirs politique et religieux sont véritablement confondus, d’où l’importance de la figure de l’homme d’Église chez Dostoïevski, et de l’Antéchrist comme nouveau Christ chez Soloviev. Dans les romans de Merejkovski, cette confusion est moins nette, sauf pour ce qui concerne Savonarole, qui toutefois ne peut être défini comme un personnage de premier plan dans l’intrigue. Or il ne s’agit pas pour Merejkovski de limiter le champ du pouvoir au politique, mais bien au contraire de proposer une vision théocratique. Ainsi, Jutta Scherrer signale un texte de 1906, « Le prophète de la révolution russe », que Merejkovski écrivit pour le vingt-cinquième anniversaire de la disparition de Dostoïevski, et où il avançait que l’âme de la révolution russe était œcuménique et universelle, ce qui signifiait que la composante religieuse était d’emblée présente : « Même si le socialisme n’a pas tout à fait réalisé cet idéal, l’intelligentsia anti-chrétienne est en fait, pour lui, plus proche du Christ que le christianisme officiel antisocial. » (Jutta Scherrer 1978 : 35) C’est précisément cette configuration qui sous-tend le Roman de Léonard de Vinci, dans lequel le génie de la Renaissance passe pour l’Antéchrist alors qu’il est un homme fondamentalement bon. Les forces qui s’acharnent à le détruire témoignent du caractère artificiel du christianisme institué et par son personnage, Merejkovski appelle à sa chute au profit d’un christianisme authentique. C’est en cela que doit consister la révélation, l’apocalypse.

2. La société dans laquelle ils apparaissent

2.1. Des sociétés où le christianisme est faible ou dévoyé

Cette émergence de l’Antéchrist se fait donc naturellement, dans des sociétés qui, selon les auteurs, seraient celles qui auraient rompu avec le christianisme authentique. Merejkovski en place l’affirmation dès les premières pages du roman sur Pierre le Grand, dans la bouche d’un personnage s’adressant au tzarévitch :

Je crois, Votre altesse, au témoignage des saints Pères qui affirment que les dieux sont des démons chassés de leurs temples par le nom du Christ crucifié ; ils ne sont réfugiés dans des endroits déserts, perdus et s’y sont établis ; ils n’ont fait semblant de mourir et de ne plus exister que pour un temps. Mais, lorsque notre chrétienté est devenue débile, lorsque s’est produite la nouvelle impiété, les dieux ont ressuscité et ils sont sortis, en rampant, de leurs repaires12. (Merejkovski 1904 : 26)

Cet affaiblissement de la foi chrétienne et sa rivalité avec le paganisme sont incarnés dans un événement qui intervient dans deux romans de la trilogie, la réapparition d’une statue de Vénus. L’écho entre les deux romans est explicitement fait par l’auteur : « Et une fois encore, ainsi que deux cents ans plus tôt à Florence, la déesse ressuscitée sortit de son cercueil13. » (Merejkovski 1904 : 38) Au même endroit dans le roman, c’est-à-dire à l’ouverture, Léonard de Vinci a également participé à l’extraction de la « diablesse blanche », enterrée par les païens à l’époque où les chrétiens détruisaient ces idoles. Le retour des dieux antiques, Les Dieux ressuscités étant le sous-titre du Roman de Léonard de Vinci, est associé à la venue de l’Antéchrist et à la fin des temps, ce que formule le père Faustino qui exige qu’on lui remette la statue et essaie de soulever l’indignation des paysans par les mots d’Anselme de Canterbury : « Ipse vero Antichristus opes malorum effodiet et exponet14. » (Merejkovski 1901 : 42)

La situation dans Julien l’Apostat est légèrement différente, puisque l’action se situe aux débuts du christianisme, alors que celui-ci est encore fragile face à une population païenne importante. Les fondements de la foi chrétienne ne sont pas solides pour tous ses fidèles, et un personnage tente ainsi d’en convaincre un autre :

- Pourquoi as-tu adopté la foi des Galiléens ? demanda l’un.
- Juges-en par toi-même, lui répondit son camarade, - les chrétiens n’ont pas deux fois, mais cinq fois plus de fêtes. Personne n’est ennemi de personne. Je te la recommande à toi aussi. Avec les chrétiens, c’est bien plus libre15 ! (Merejkovski 1895 : 174)

L’Antéchrist n’intervient donc pas dans un contexte aléatoire. Sa venue est rendue possible par un terrain favorable à l’apparition du maléfique. Dans le texte de Soloviev, ce contexte est celui d’un brouillage des repères. Le matérialisme théorique a été abandonné :

Aucun esprit sensé ne se satisfait plus de la conception qui fait du monde un système d’atomes en mouvement et, de la vie, le résultat de l’accumulation mécanique des transformations de la matière. L’humanité a dépassé pour toujours ce stade de jeunesse philosophique16. (Soloviev 1900 : 13)

Pour autant, le spiritualisme n’a pas pris le dessus de manière radicale ou en tout cas sincère : « Des notions comme celle d’un Dieu faisant le monde de rien, ne s’enseignent même plus dans les écoles primaires17. » (Soloviev 1900 : 14) La structure du court récit de Soloviev met très nettement et simplement en évidence le rôle du contexte dans la possibilité pour l’Antéchrist de s’implanter dans ce terreau fertile, puisque c’est précisément dans le paragraphe qui suit la présentation du contexte idéologique qu’intervient l’apparition de celui qui est d’abord nommé « le Sur-homme » :

Il était encore jeune, mais, grâce à son génie, il jouissait à trente-trois ans du renom de grand penseur, de grand écrivain et de grand homme d’action. Sentant en lui-même la grande puissance de l’esprit, il avait toujours été un spiritualiste convaincu et sa claire intelligence lui avait toujours montré la vérité des notions auxquelles il faut croire : le bien, Dieu et le Messie. Il croyait en ces vérités, mais il n’aimait que soi18. (Soloviev 1900 : 14)

Il est à noter que Dostoïevski propose une contextualisation très différente de celle des deux autres auteurs présentés ici. Ivan précise bien, en effet, dans le prologue à sa légende, que le Christ ne vient pas sur terre à l’heure de l’apocalypse : « Non, chez moi, Il ressent le désir, même pour une seule seconde, d’aller visiter Ses enfants, et à l’endroit précis où les bûchers des hérétiques ont commencé à crépiter19. » (Dostoïevski 1880 : 449) Le contexte historique entre bien en ligne de compte, puisque le passage du Christ sur terre intervient au moment où se développe le luthérianisme et où flambe l’Inquisition. Mais ces éléments contextuels ne justifient pas qu’advienne la fin des temps. Le Christ descend sur terre essentiellement pour ranimer une foi qui commence à vaciller, ce que le doute face aux miracles vient illustrer.

2.2. Des sociétés d’hommes aliénés, dominés par l’artifice et le mensonge

La religion proposée par le Grand Inquisiteur, pour sa part, n’est qu’un artefact destiné à asseoir son pouvoir et n’a rien à voir avec la foi véridique professée par le Christ. Cette atmosphère hypocrite et éloignée de la vérité rend favorable le terrain sur lequel naît et prospère l’Antéchrist. Dès le troisième chapitre de Julien l’Apostat, on découvre que le futur empereur encore enfant a des dons inégalés pour le mensonge : « Julien avait, dès son enfance, appris à se comporter en hypocrite à un degré de perfection qui n’avait rien d’enfantin20. » (Merejkovski 1895 : 31)

La société dans laquelle émerge l’Antéchrist est donc peuplée d’hommes aliénés, si tant est que la vérité rend libre. La vraie foi doit libérer l’homme, tandis que la fausse foi, celle prônée par l’Antéchrist se repaît justement d’aliénation. Dans la nouvelle de Soloviev, l’empereur écrit un traité Vers la paix et la prospérité universelles, dont on apprend qu’il prône notamment l’union d’une « liberté de pensée illimitée avec une très profonde compréhension des choses mystiques21 » (Soloviev 1900 : 22). Mais cette liberté de pensée est une illusion puisque le narrateur précise également que

tout cela est assemblé et cimenté avec un art si génial que chaque penseur, chaque homme d’action, peut accepter l’ensemble en gardant son point de vue propre sans faire le moindre sacrifice à la vérité, sans se hausser pour elle au-dessus de son moi, sans renoncer le moins du monde à son esprit de parti, sans corriger en rien l’erreur de ses vues et de ses tendances, sans même les compléter dans ce qu’elles ont d’insuffisant22. (Soloviev 1900 : 22)

Avec ces éléments de contexte historique, on perçoit sans difficulté la possibilité d’établir des correspondances métaphoriques avec le contexte des auteurs, et notamment avec la pensée révolutionnaire :

Pour Merejkovski, cette quête éternelle du Royaume de Dieu est un processus révolutionnaire : ‘Tout le christianisme n’est rien d’autre que l’interprétation révolutionnaire de l’histoire du monde, dans laquelle l’Apocalypse ne représente, en fin de compte, rien d’autre que la plus grande de toutes les révolutions.’ (cité par Scherrer 1978 : 35)

L’ancrage dans la temporalité humaine du processus apocalyptique et révolutionnaire est notable : la révélation qui doit avoir lieu pour mettre à terre cette société corrompue et faire place nette pour une société vraie intervient dans le temps humain, historiquement situé. Seul Soloviev, on l’a vu, écrit un apologue contre-utopique, relativement détaché d’un ancrage historique, mais il situe son apocalypse au XXIe siècle, dans un avenir pas si éloigné de l’époque de rédaction de la nouvelle. À l’inverse, Dostoïevski ancre la Légende du Grand Inquisiteur dans un contexte historique bien déterminé, mais fait écrire à Ivan un récit qui a sans conteste une portée contre-utopique, dans la mesure où l’on lit, derrière les traits du Grand Inquisiteur, ceux d’un personnage gouvernant les hommes par la privation de liberté et dominant la société par la promesse d’un bonheur illusoire. La venue du Christ annonce la fin de ce christianisme hypocrite et fondé en violence, pour qu’il laisse place à un christianisme authentique, mais le paradoxe de ces récits est qu’ils ne montrent pas davantage que la société qu’instaure l’Antéchrist, sans dévoiler l’aboutissement de l’apocalypse, qui est celui de la révolution. Ils ne font donc que suggérer ce que sera la société post-révolutionnaire, en négatif de la société telle qu’elle est promise par les Antéchrists venus prétendument apporter le bonheur aux hommes. On le voit, le concept de révolution est à comprendre au sens large, sans nécessairement le confondre avec sa compréhension historique, et peut-être en ayant à l’esprit son acception physique de mouvement autour d’une orbite.

3. La société que les Antéchrists promettent

3.1. Paix et prospérité

L’objectif que le Sur-homme met en avant dans le récit de Soloviev est l’établissement de la paix universelle :

En sa qualité de moraliste, le Christ a divisé les hommes par les notions du bien et du mal, moi je les unirai par les bienfaits qui sont également nécessaires aux bons et aux méchants. Je serai le vrai représentant du Dieu qui fait briller son soleil sur les méchants et sur les bons et fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. Le Christ a apporté un glaive ; moi, j’apporterai la paix. Il a menacé la terre du jugement dernier ; mais c’est moi qui serai le juge et mon jugement ne sera pas le jugement de la seule justice, mais celui de la miséricorde23. (Soloviev 1900 : 17)

Il peut sembler étonnant, au premier abord, de prétendre que la paix souhaitée par l’Antéchrist doit être dépassée pour aboutir à une société heureuse. Pourtant, cette déclaration révèle en quoi précisément la paix projetée par le Sur-homme doit être rejetée comme une simple étape négative dans un processus analogue à celui, dialectique, de la révolution. L’Antéchrist propose en effet d’annuler l’opposition entre les notions de bien et de mal, ainsi que la valeur de la justice, qu’il souhaite remplacer par la miséricorde, mais une miséricorde qui ne correspond en rien à la notion comprise par le Christ et qui s’apparente davantage à une lâcheté permettant d’éviter de juger.

Plus loin dans le récit intervient la monarchie universelle précédemment mentionnée, qui souligne en quoi la paix souhaitée par l’Antéchrist repose sur des fondements pervers : « En un an, il fonde une monarchie universelle, au sens précis du mot. Les germes de guerre sont tous détruits. La ligue internationale de la paix se réunit une dernière fois, fait un solennel panégyrique du grand pacificateur et, n’ayant plus de raison d’être, se dissout24. » (Soloviev 1900 : 27) Certes, la guerre n’a plus aucune raison d’être déclenchée, mais c’est un prix d’une stérilisation des antagonismes, stérilisation aussi mortifère que celle de l’opposition entre les notions de bien et de mal. Le pluralisme que pouvait représenter la ligue de la paix cède la place à l’unicité du gouvernement de l’Antéchrist, et les débats ou les discussions – à l’éloge et à la glorification de ce dernier. Le monologue triomphe.

3.2. Culte du corps et de la vie

Si la nature de la paix suggérée par Soloviev en filigrane de celle de l’Antéchrist est un dépassement de celle qu’offre ce dernier, en ce qu’elle tolère la discussion et la pluralité, la perspective suggérée par Merejkovski dans Julien l’Aspotat relève elle aussi de la synthèse. L’empereur Antéchrist travaille à restaurer la célébration de la vitalité, en réponse à un christianisme célébrant la mort. En effet, ce qui conduit Julien à se détourner de la foi chrétienne qui lui a été enseignée dans son enfance est la prise de conscience que cette religion est mortifère, qu’elle enseigne la vénération d’un crucifié et la jouissance dans la souffrance. Devenu empereur et assumant son statut d’Antéchrist, il affirme, devant ses subordonnés : « Je suis venu pour prêcher au monde une nouvelle foi, non pas une foi servile et superstitieuse, mais une foi libre et joyeuse, comme le ciel des dieux de l’Olympe25 ! » (Merejkovski 1895 : 193)

Il ne s’agit pas seulement pour Julien de restaurer la foi païenne, mais plus précisément de cibler dans cette foi les forces vives, notamment par le biais d’un culte solaire, dionysiaque. Le récit de son initiation aux mystères met en avant cette dimension vitaliste. Pour être débarrassé de la froideur chrétienne qui l’imprègne encore, Julien est notamment aspergé de sang chaud (p. 164), ce qui lui permet de devenir une partie du dieu Soleil.

En cela, Julien se fait le porteur de la pensée personnelle de Merejkovski, qui rassemble autour de lui un groupe de pensée qui se nomme « La Nouvelle conscience religieuse » et dont le fondement est la condamnation du christianisme dit « historique » : « Ainsi, pour Merejkovski, le christianisme est arrivé à son déclin à cause de son attitude négative par rapport au monde, à la société et à la culture. » (Scherrer 1978 : 32) Il ne s’agit donc pas de rayer le christianisme et de le remplacer par l’athéisme, mais bien au contraire de « sanctifier la vie » (Scherrer 1978 : 32), dans la lignée de la pensée de Berdiaev, membre de ce groupe : « La religion doit devenir terrestre, séculière, pour que le monde devienne spirituel. La religion ne doit pas être une fonction de la vie : elle doit être la vie même » (cité par Scherrer 1978 : 32).

La société post-révolutionnaire que l’on doit déceler quand le règne de l’Antéchrist sera à son tour dépassé est celle d’une intégration dans la théocratie ainsi instaurée d’une dimension vitale. Il s’agira de ne pas revenir à une religion désincarnée et morte, mais de faire vivre une foi dans l’incarnation au sens plein du terme.

3.3. Culte de la force ou de la raison ?

Les deux derniers volumes de la trilogie de Merejkovski proposent un horizon complexe, et rappelons une nouvelle fois que, si Merejkovski considère bien cet ensemble comme une unité, la pensée de l’auteur a elle-même évolué au fil du temps, occasionnant une forme d’hétérogénéité dans le discours porté par ces romans.

La société promise dans Le Roman de Léonard de Vinci n’apparaît pas en filigrane mais en double négatif : Léonard ne se proclame jamais lui-même Antéchrist et dénie cette accusation portée contre lui, dans la mesure où au contraire, il est un individu sincère et passionné, éloigné de l’hypocrisie du christianisme historique, dévoyé et vidé de sa substance. Sans aller jusqu’à voir en lui une figure christique, on peut supposer que Merejkovski met en avant la créativité et le génie comme qualités de la société nouvelle, qui aura dépassé le règne des Savonarole.

Il semble donc cohérent que le troisième et dernier volet de la trilogie, consacré à Pierre le Grand et constituant une synthèse, célèbre en creux l’esprit, qui reprendra ses droits lorsque sera parvenu à son terme le règne de la force et de la violence promu par le tsar Antéchrist, tsar infanticide qui finit par faire exécuter son fils Alexis. La venue du règne de l’esprit, de la spiritualité, qui s’appuie sur la force, celle de la foi, et non plus sur celle, desséchante, de la raison, est suggérée en contexte martial. En effet, on peut percevoir une continuité thématique entre Julien et lui, liée à leur statut commun de chefs d’État et de l’armée. Si Julien est acclamé empereur par ses soldats, notamment grâce à sa proximité avec eux qui le reconnaissent comme un des leurs, le rapport de Pierre à ses armées n’est que peu mis en scène par Merejkovski, mais apparaît essentiellement par le biais du discours du narrateur. Ainsi, alors qu’il est question de la sincérité de sa foi, ce dernier commente :

Ce n’est pas de l’hypocrisie. Il croit certainement en Dieu. Comme il le dit, ‘il espère dans le Dieu fort des armées’. Mais il semblerait que son Dieu ne fût pas le Dieu chrétien : plutôt le dieu païen Mars ou bien la fatalité Némésis. Pierre est l’opposé du chrétien. Que lui importe le Christ ? Quelle fusion peut-il y avoir entre le fer de Mars et les lis de l’Évangile26 ? (Merejkovski 1904 : 159)

L’Antéchrist n’est pas celui qui réalise la synthèse, et son règne doit à son tour être dépassé pour qu’advienne celui du Christ. Dans le dernier roman de Merejkovski, celui qui figure le Christ, le tsarévitch Alexis, est assassiné sans que rien laisse entrevoir une forme de résurrection ou de retour. Pourtant, si la fusion « entre le fer de Mars et les lis de l’Évangile » semble encore impossible, c’est bien elle que Merejkovski promeut, et dans cette dynamique, le maléfisme apparaît bien comme le catalyseur de l’histoire.

Les récits et romans étudiés ici mettent en évidence l’effet funeste sur les hommes et les sociétés du règne de l’Antéchrist. Ils semblent d’autant moins porteurs d’espoir qu’ils s’achèvent sur le triomphe de ce dernier, à l’exception du récit de Soloviev, qui voit celui du Christ :

Au moment où la sainte ville leur apparaissait, le ciel fut traversé par un grand éclair allant du levant jusqu’au couchant et ils virent le Christ allant vers eux dans un vêtement royal et avec les plaies faites par les clous dans ses mains ouvertes. En même temps la foule des chrétiens, conduite par Pierre, Ioann et Paul, allait du Sinaï vers Sion et de tous côtés couraient aussi d’autres foules enthousiastes : c’étaient les Juifs et les chrétiens que l’Antéchrist avait fait massacrer. Ils avaient ressuscité et allaient régner avec le Christ pendant mille ans. C’est ainsi que le père Pansophii voulait achever sa nouvelle, qui avait pour sujet non pas la catastrophe universelle de la fin du monde, mais seulement le dénouement du processus historique, l’apparition, la gloire et la perdition de l’Antéchrist27. (Soloviev 1900 : 58-59)

Toutefois, si la Légende du Grand Inquisiteur et la trilogie de Merejkovski ne mettent pas en récit l’avènement du règne du bien, ce règne est préparé et construit en creux, comme l’aboutissement nécessaire de la dynamique historique, qu’il viendra achever. À ce titre, le maléfique n’est pas une puissance destructrice et délétère, du moins pas sur la longue durée, puisqu’il n’apparaît que comme l’étape et l’épreuve historique indispensable à traverser.

Bibliography

Ouvrages

Dostoïevski, Fiodor (1880). Les Frères Karamazov. Traduction d’André Markowicz (2002), Actes Sud : Babel.

Texte russe de la légende du Grand Inquisiteur

http://ilibrary.ru/text/1199/p.37/index.html

Merejkovski, Dimitri (1895). La Mort des dieux. Julien l’Apostat. Les citations sont des traductions personnelles.

Texte russe

http://lib.ru/RUSSLIT/MEREZHKOWSKIJ/hostos.txt

Merejkovski, Dimitri (1901). La Résurrection des dieux. Le Roman de Léonard de Vinci. Traduction de Jacques Sorrèze (2006), Le Livre de poche.

http://royallib.com/read/meregkovskiy_dmitriy/voskresshie_bogi_ili_leonardo_da_vinchi.html#0

Merejkovski, Dimitri (1904-1905). L’Antéchrist. Pierre et Alexis. Traduction de Michel Dumesnil de Gramont, revue et corrigée par Victor Loupan (2008), L’œuvre éditions.

http://www.lib.ru/RUSSLIT/MEREZHKOWSKIJ/petr.txt

Soloviev, Vladimir (1900). Court récit sur l’Antéchrist, in Trois entretiens sur la guerre, la morale et la religion. Traduction de J.-B. Séverac, introduction et choix de textes, Paris, Michaud, 1910, accessible en ligne sur le site http://bibliotheque-russe-et-slave.com 

https://bibliotheque-russe-et-slave.com/Livres/Soloviev%20-%20L'Antechrist.htm

http://az.lib.ru/s/solowxew_wladimir_sergeewich/text_1900_tri_razgovora.shtml

Texte russe

http://royallib.com/read/meregkovskiy_dmitriy/voskresshie_bogi_ili_leonardo_da_vinchi.html#0

Merejkovski, Dimitri (1904-1905). L’Antéchrist. Pierre et Alexis. Traduction de Michel Dumesnil de Gramont, revue et corrigée par Victor Loupan (2008), L’œuvre éditions.

http://www.lib.ru/RUSSLIT/MEREZHKOWSKIJ/petr.txt

Soloviev, Vladimir (1900). Court récit sur l’Antéchrist, in Trois entretiens sur la guerre, la morale et la religion. Traduction de J.-B. Séverac, introduction et choix de textes, Paris, Michaud, 1910, accessible en ligne sur le site http://bibliotheque-russe-et-slave.com 

https://bibliotheque-russe-et-slave.com/Livres/Soloviev%20-%20L'Antechrist.htm

http://az.lib.ru/s/solowxew_wladimir_sergeewich/text_1900_tri_razgovora.shtml

Texte russe

http://www.lib.ru/RUSSLIT/MEREZHKOWSKIJ/petr.txt

Soloviev, Vladimir (1900). Court récit sur l’Antéchrist, in Trois entretiens sur la guerre, la morale et la religion. Traduction de J.-B. Séverac, introduction et choix de textes, Paris, Michaud, 1910, accessible en ligne sur le site http://bibliotheque-russe-et-slave.com 

https://bibliotheque-russe-et-slave.com/Livres/Soloviev%20-%20L'Antechrist.htm

http://az.lib.ru/s/solowxew_wladimir_sergeewich/text_1900_tri_razgovora.shtml

Texte russe

http://az.lib.ru/s/solowxew_wladimir_sergeewich/text_1900_tri_razgovora.shtml

Ouvrages critiques

Berdiaev, Nicolas, L'Esprit de Dostoïevski (1923). Traduit du russe par Alexis Nerville (1974), Paris, Stock.

Evdokimov, Paul, Dostoïevsky et le problème du mal (1942), Paris, Desclée de Brouwer, coll. « Théophanie », 1978.

Motchoulski, C.V., Dostoïevski – L’homme et l’œuvre, traduit du russe par G. Welter (1963), Paris, Payot.

Articles

Savelli, Dany, « Le péril jaune et le péril nègre. Eléments pour une  représentation de la France et de l’Allemagne chez Vladimir Soloviev et André Bely», in : Transferts culturels triangulaires : France-Russie Allemagne, 1996 ; 257-272.

Scherrer, Jutta (1978). « Pour une théologie de la révolution. Merejkovski et le symbolisme russe », in : Archives des sciences sociales des religions ; 45/1 ; 27-50.

Notes

1 Дама. « А я вот с прошлого года стала тоже замечать, и не только в воздухе, но и в душе: и здесь нет ‘полной ясности’, как вы говорите. Все какая-то тревога и как будто предчувствие какое-то зловещее. Я уверена, что и вы, князь, то же самое чувствуете. » Return to text

2 « Джованни увидел, как на кафедру медленно взошел и откинул куколь с головы человек в черной и белой доминиканской одежде, подпоясанный веревкой, с лицом исхудалым и желтым, как воск, с толстыми губами, крючковатым носом, низким лбом. […] Return to text

   Неподвижные глаза монаха разгорались все ярче, как уголья. Он молчал, – и ожидание становилось невыносимым. »

3 « Смотрите, смотрите, вот уже небеса почернели. Солнце багрово, как запекшаяся кровь. Бегите ! Будет дождь из огня и серы, будет град из раскаленных камней и целых утесов ! » Return to text

4 « Это было лицо не Савонаролы, а старого безобразного дьявола в монашеской рясе, похожего на Савонаролу, изможденного самоистязаниями, но не победившего гордыни и похоти. […] вздернутые брови щетинились, и нечеловеческий взор, полный упрямой, почти злобной мольбы, устремлен был в небо. » Return to text

5 « […] счел себя вторым по Боге, единственным в своем роде сыном Божиим. Одним словом, он признал себя тем, чем в действительности был Христос. Но это сознание своего высшего достоинства на деле определилось в нем не как его нравственная обязанность к Богу и миру, а как его право и преимущество перед другими, и прежде всего перед Христом. У него не было первоначально вражды и к Иисусу. Он признавал Его мессианское значение и достоинство, но он искренно видел в нем лишь своего величайшего предшественника […]. » Return to text

6 « Христос пришел раньше меня; я являюсь вторым; но ведь то, что в порядке времени является после, то по существу первее. Я прихожу последним, в конце истории именно потому, что я совершенный, окончательный спаситель. Тот Христос – мой предтеча. Его призвание было – предварить и подготовить мое явление. » Return to text

7 « Христос, проповедуя и в жизни своей проявляя нравственное добро, был исправителем человечества, я же призван быть благодетелем этого отчасти исправленного, отчасти неисправимого человечества. Я дам всем людям все, что нужно. Христос, как моралист, разделял людей добром и злом, я соединю их благами, которые одинаково нужны и добрым, и злым. Я буду настоящим представителем того Бога, который возводит солнце свое над добрыми и злыми, дождит на праведных и неправедных. Христос принес меч, я принесу мир. Он грозил земле страшным последним судом. Но ведь последним судьею буду я, и суд мой будет не судом правды только, а судом милости. Будет и правда в моем суде, но не правда воздаятельная, а правда распределительная. Я всех различу и каждому дам то, что ему нужно. » Return to text

8 « только глаза Юлиана горели все тем же странным, слишком острым, как будто лихорадочным, огнем, который делал их памятными для всякого, даже после мгновенной встречи. » Return to text

9 « В сердце моем Дионисова радость. Ныне восстает древний титан и разрывает цепи, и еще раз Прометеев огонь зажигается на земле. Титан – против Галилеянина. Вот я иду, чтобы дать людям такую свободу, такое веселие, о каких они и мечтать не дерзали. Галилеянин, царство твое исчезает, как тень. Радуйтесь, племена и народы земные. Я – вестник жизни, я – освободитель, я – Антихрист ! » Return to text

10 « Им казалось, что сам Антихрист, человек отверженный Богом, завел их нарочно в это проклятое место, чтобы погубить » Return to text

11 « […] и возвысился против Господа нашего, Исуса Христа, сам единою безглавною главою церкви учинился, самовластным пастырем. И первенству Христа ревнуя, о коем сказано: Аз есмь первый и последний, именовал себя: Петр Первый. И в 1700 году, Януария в первый день, новолетие ветхоримского бога Януса в огненной потехе на щите объявил: се, ныне время мое приспело. И в кануне церковного пения о Полтавской над Шведами победе Христом себя именует. […] Антихрист, в России, сиречь в Третьем Риме, и явился оный Петр, сын погибели, хульник и противник Божий, еже есть Антихрист. » Return to text

12 « - Верю, ваше высочество, свидетельству святых отцов, что боги суть бесы, кои, изгнаны именем Христа Распятого из капищ своих, побежали в места пустые, темные, пропастные и угнездились там, и притворили себя мертвыми и как бы не сущими – до времени. Когда же оскудело древнее христианство, и новое прозябло нечестие, то и боги сии ожили, повыползли из нор своих. » Return to text

13 « И опять, точно так же, как двести лет назад, во Флоренции, выходила из гроба воскресшая богиня. » Return to text

14 « L’Antéchrist déterrera les Anciens dieux et de nouveau les mettra au jour… » Return to text

15 « - Зачем ты принял веру галилеян? Спрашивал один. Return to text

- Сам посуди, ответил товарищ, у христиан не вдвое, а впятеро больше праздников. Никто себе не враг.

И тебе советую. С христианами – куда вольнее ! »

16 « Представление о вселенной как о системе пляшущих атомов и о жизни как результате механического накопления мельчайших изменений вещества – таким представлением не удовлетворяется более ни один мыслящий ум. Человечество навсегда переросло эту ступень философского младенчества. » Return to text

17 « Таким понятиям, как Бог, сделавший мир из ничего и т. д., перестают уже учить и в начальных школах. » Return to text

18 « Он был еще юн, но благодаря своей высокой гениальности к тридцати трем годам широко прославился как великий мыслитель, писатель и общественный деятель. Сознавая в самом себе великую силу духа, он был всегда убежденным спиритуалистом, и ясный ум всегда указывал ему истину того, во что должно верить : добро, Бога, Мессию. В это он верил, но любил он только одного себя. » Return to text

19 « Нет, он возжелал хоть на мгновенье посетить детей своих и именно там, где как раз затрещали костры еретиков. » Return to text

20 « Юлиан научился лицемерить с детства с недетским совершенством. » Return to text

21 « […] неограниченная свобода мысли с глубочайшим пониманием всего мистического […] ». Return to text

22 « И все это будет соединено и связано с таким гениальным художеством, что всякому одностороннему мыслителю или деятелю легко будет видеть и принять целое лишь под своим частным наличным углом зрения, ничего не жертвуя для самой истины, не возвышаясь для нее действительно над своим я, нисколько не отказываясь на деле от своей односторонности, ни в чем не исправляя ошибочности своих взглядов и стремлений, ничем не восполняя их недостаточность. » Return to text

23 « Христос, как моралист, разделял людей добром и злом, я соединю их благами, которые одинаково нужны и добрым, и злым. Я буду настоящим представителем того Бога, который возводит солнце свое над добрыми и злыми, дождит на праведных и неправедных. Христос принес меч, я принесу мир. Он грозил земле страшным последним судом. Но ведь последним судьею буду я, и суд мой будет не судом правды только, а судом милости. » Return to text

24 « В один год основывается всемирная монархия в собственном и точном смысле. Ростки войны вырваны с корнем. Всеобщая лига мира сошлась в последний раз и, провозгласив восторженный панегирик великому миротворцу, закрыла себя за ненадобностью. » Return to text

25 « Я пришел, чтобы проповедовать миру новую любовь, не рабскую и суеверную, а вольную и радостную, как небо олимпийцев ! » Return to text

26 « Это не лицемерие. Он, конечно, верит в Бога, как сам говорит, "уповает на крепкого в бранях Господа". Но иногда кажется, что Бог его – вовсе не христианский Бог, а древний языческий Марс или сам рок – Немезида. Если был когда-нибудь человек, менее всего – похожий на христианина, то это Петр. Какое ему дело до Христа ? Какое соединение между Марсовым железом и Евангельскими лилиями ? » Return to text

27 « Когда святой город был уже у них в виду, небо распахнулось великой молнией от востока до запада, и они увидели Христа, сходящего к ним в царском одеянии и с язвами от гвоздей на распростертых руках. В то же время от Синая к Сиону двигалась толпа христиан, предводимых Петром, Иоанном и Павлом, а с разных сторон бежали еще иные восторженные толпы : то были все казненные антихристом евреи и христиане. Они ожили и воцарились с Христом на тысячу лет. На этом отец Пансофий хотел и кончить свою повесть, которая имела предметом не всеобщую катастрофу мироздания, а лишь развязку нашего исторического процесса, состоящую в явлении, прославлении и крушении антихриста. » Return to text

References

Electronic reference

Natalia Leclerc, « Dostoïevski, Soloviev et Merejkovski : Antéchrist et société nouvelle », Textes et contextes [Online], 12-1 | 2017, 21 November 2017 and connection on 04 October 2024. Copyright : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=524

Author

Natalia Leclerc

PRAG, docteur en littérature comparée, membre associé à l’EA 4249 HCTI (Héritages et Constructions dans le Texte et l’Image), université de Bretagne Occidentale, 3 rue des Archives, 29200 Brest

Copyright

Licence CC BY 4.0