Présentation du sous-dossier : la FASP à l’épreuve des médias

  • Presentation of the sub-file: The FASP and the Media

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Les deux articles retenus dans le sous-dossier thématique de ce numéro de Textes et Contextes sont issus de communications faites lors de la journée d’étude « La FASP à l’épreuve des médias : enjeux linguistiques, culturels et didactiques », organisée à l’Université de Bourgogne le 11 janvier 2013. L’objectif principal de cette journée d’étude était d’explorer la diversification médiatique de la fiction à substrat professionnel (FASP) et d’observer la prégnance du substrat professionnel et la circulation des discours spécialisés au travers de supports tels que les séries télévisées, les adaptations cinématographiques, les jeux vidéo, les forums de discussion et les blogs, moins étudiés que les romans populaires à dominante professionnelle.

Avant de présenter les articles, il semble utile de préciser le contexte théorique et épistémologique dans le lequel la notion de fiction à substrat professionnel a vu le jour. Le genre général de la FASP a été défini par M. Petit dans plusieurs articles fondateurs (1999, 2000, 2004) : il en a précisé le périmètre, celui d’un genre contemporain étroitement lié au genre plus ancien du « thriller », ayant pour terreau discursif, narratif et culturel le substrat professionnel issu d’une communauté spécialisée :

Nous postulons que cet ensemble d’ouvrages de fiction présente suffisamment de caractéristiques communes pour justifier une appellation générique, et que la nature de ces caractéristiques peut être résumée par l’appellation de « substrat professionnel », ce qui nous conduira donc à parler de fiction à substrat professionnelle, ou FASP. (Petit 1999 : 57)

Le genre général de la fiction à substrat professionnel, en tant qu’objet d’étude littéraire, se décline en genres particuliers (FASP juridique, FASP médicale, FASP technologique …) qui constituent des groupes génériques spécialisés. Il s’agit de productions émanant de milieux professionnels, dont l’intérêt épistémologique réside dans le fait qu’ils dépassent la simple représentation qu'ils en donnent : « C’est ce milieu professionnel « réel », la réalité sociale préexistante, qui constitue à proprement parler le substrat, et non pas le milieu professionnel représenté dans la fiction. » (Petit 2004 : 14). La prégnance du réel professionnel dans les productions de la FASP peut être jugée à l’aune de l’expérience professionnelle des auteurs, passée ou présente, à l’impact de ces œuvres de fiction sur les communautés spécialisées ciblées, mais aussi à la nature du paratexte (Petit : 2000) susceptible d’attirer un lectorat de non spécialistes ou d’apprenants en voie de spécialisation. À ce titre, l’étude des textes et du paratexte de la FASP semble tout à fait pertinent dans le cadre de l’enseignement de l’anglais de spécialité. La non-appartenance de l’auteur au milieu professionnel n’est pas un critère d’exclusion, mais il conviendra alors de faire la distinction entre la notion de « substrat professionnel », liée à la connaissance interne de la communauté spécialisée et celle « d’adstrat professionnel » (Petit 1999 : 67) ou « d’adstrat spécialisé » (Petit 2004 : 20), liée à une connaissance externe résultant de la fréquentation ou de l’observation du milieu professionnel. En résumé, les productions de la FASP telles qu’elles ont été définies initialement par M. Petit, possèdent les conventions centrales suivantes : ce sont principalement des romans contemporains à visée commerciale, écrits par des auteurs appartenant, ayant appartenu ou étant étroitement liés à un milieu professionnel/spécialisé, dont l’intrigue repose (de préférence, mais pas exclusivement) sur le suspense et les émotions fortes et dont le contenu narratif, discursif et culturel est à dominante professionnelle/spécialisée.

Prenant le relais de M. Petit, S. Isani poursuit l’exploration du territoire de la FASP. Souhaitant aller au-delà de l’approche normative qui a permis de définir clairement, mais de façon quelque peu monolithique, les limites de ce genre protéiforme, elle répertorie les multiples facettes et les variations des genres de la FASP (2004), étudie la vulgarisation des connaissances spécialisées et l’hétérogénéité du lectorat dans les romans de la FASP (2009), se penche sur la dynamique spéculaire et la question du réel fictif dans la mise en fiction du substrat professionnel (2010), et observe les divers substrats culturels de la FASP dans la perspective de la construction d’une compétence culturelle professionnelle(2011).

Pour en revenir à la diversification médiatique de la fiction à substrat professionnel, la première exploration de la FASP en tant que média original est à mettre au compte de R. De Charentenay (2001) alors que la FASP cinématographique est étudiée par S. Isani (2004, 2006) et G. Le Cor (2006). Toutefois, les séries télévisées spécialisées, à de rares exceptions près (Villez : 2004, Chapon : 2011), restent un support extrêmement populaire, mais encore relativement peu étudié. Les deux contributions de ce sous-dossier visent en partie à combler cette lacune.

Dans son article, G. Le Cor (Université Paris 8) examine la danse tournante et les interactions entre fiction et discours scientifique, plus précisément celui des mathématiques, un territoire de la FASP encore largement inexploré. Son analyse ne traite pas directement du substrat mathématique tel que des spécialistes du domaine pourraient se l’approprier, et l’ancrage théorique de son article ne fait pas exclusivement référence à celui de la FASP. Toutefois, son étude repose bien sur trois supports apparentés à la FASP : un extrait de la pièce de théâtre Arcania, écrite par T. Stoppard en 1993, où il est question de la relation équivoque entre le théorème de Fermat et l’étreinte charnelle ; la trilogie cinématographique de The Matrix, où les scénaristes font fréquemment allusion à la chaîne de Markov, qui permet de calculer la probabilité des événements ; et enfin, la série télévisée Numbзrs, dans laquelle la composante visuelle de la science et le récit visuel propre à ce genre sont liés de manière fusionnelle. L’auteure s’intéresse tout particulièrement au problème de la vulgarisation scientifique, dont l’objectif principal est la transmission des connaissances. Elle postule que l’œuvre de fiction, comme tout travail de création, n’est pas soumise aux contraintes de l’exactitude liée à la rigueur scientifique, mais peut contribuer à une certaine vulgarisation en facilitant la présentation, non pas d’une information scientifique exacte, mais plutôt d’une méthode ou d’un procédé scientifique. Ceci est particulièrement pertinent dans le domaine des représentations visuelles, inhérentes au raisonnement scientifique, qui sont nombreuses dans les films et les séries télévisées de la FASP. Dans une perspective didactique, l’utilisation de sources secondaires issues de la FASP peut donc permettre de mettre en relief l’impact visuel du mode de pensée scientifique et d’explorer le jeu d’écart et de rapprochement entre le mouvement narratif et la dynamique propre au discours scientifique.

Toujours dans une perspective didactique, S. Chapon (Université Grenoble-Alpes) traite exclusivement du genre sériel et des séries télévisées judiciaires d’origine nord-américaine comme The Practice (1997-2004), Boston Legal (2004-2008), The Firm (2012), The Good Wife (2009-2013). Dans son article, elle montre que, contrairement au genre écrit des « legal thrillers », le genre sériel judiciaire met en avant ses acteurs plutôt que ses auteurs. Elle insiste également sur le fait que les séries judiciaires sont le fruit d’un travail collaboratif entre producteurs exécutifs et scénaristes ; ceci signifie que certains scripts peuvent être rédigés par des non spécialistes du domaine, ce qui pourrait constituer un critère d’exclusion du genre général de la FASP, mais que dans tous les cas, il est fait appel à des experts juristes qui contribuent à la crédibilité juridique de la diégèse. Afin de vérifier l’authenticité du substrat professionnel dans ces séries télévisées judiciaires, l’auteure croise les regards portés, d’une part, par un scénariste professionnel issu du monde de la justice (J. Shapiro, qui enseigne le droit pénal à Los Angeles) et, d’autre part, par des professionnels de la justice s’exprimant sur leurs blogs. Il résulte de ces commentaires que, si les scénaristes prennent parfois des libertés avec les procédures judiciaires, le fondement juridique de ces séries reste fidèle à la réalité professionnelle. Toutefois, l’enseignement principal de cette contribution réside dans le fait que le genre sériel offre aux professionnels du droit devenus scénaristes une tribune politique leur permettant d’aborder des questions de société contemporaines comme la pertinence de la peine de mort. Enfin, concernant les enjeux didactiques relatifs à ce genre sériel, l’auteure conclut en postulant que les apprenants en voie de spécialisation peuvent vivre l’exercice de la justice par procuration grâce à la présentation d’univers juridiques différents et la mise à disposition de dialogues adaptés, mais globalement authentiques. Globalement, cet article apporte une contribution réelle à la connaissance objectale de la FASP judiciaire télévisuelle et à la recherche sur l’enseignement / apprentissage de l’anglais juridique.

Bibliography

Chapon, Sandrine (2011). « La peine capitale aux États-Unis à la croisée de la fiction à substrat professionnel et de la source primaire : une étude comparative », in : ASp 60, 21-39.

De Charentenay, Rosalyn (2001). « La fiction à substrat professionnel (FASP) : un(e) média (tion) pas comme les autres », in : ASp 31/33, 203-213.

Isani, Shaeda (2004). « The FASP and the Genres within the Genre », in : Petit, Michel et Isani, Shaeda (dirs.) Aspects de la fiction à substrat professionnel. Bordeaux. 25-36.

Isani, Shaeda (2006). «Revisiting Cinematic FASP and English for Legal Purposes in a Self-learning Environment», in : APLIUT, Vol. XXV n°1, 26-38.

Isani, Shaeda (2006). « Langue, lecture et littérature populaire : FASP et didactique des langues de spécialité », in : APLIUT, Vol. XXV n°3, 92-106.

Isani, Shaeda (2009). « Specialised fictional narrative and lay readership », in : ASp 56, 45-48.

Isani, Shaeda (2010). « Dynamique spéculaire de la fiction à substrat professionnel et didactique des langues de spécialité », in : ASp 58, 105-123.

Isani, Shaeda (2011). « Construction d’une compétence culturelle professionnelle à travers les multiples substrats culturels de la FASP : l’anglais juridique et The Coroner de M. R. Hall », in : APLIUT, Vol. XXX n° 2, 29-45.

Le Cor, Gwen (2004). « Primary colors, entre fiction et documentaire », in : Petit, Michel et Isani, Shaeda (dirs.) Aspects de la fiction à substrat professionnel. Bordeaux. 81-91.

Petit, Michel (1999). « La fiction à substrat professionnel : une autre voie d’accès à l’anglais de spécialité », in : ASp 23/26, 57-81.

Petit, Michel (2000). « Le paratexte dans la fiction à substrat professionnel », in : Bulletin de la Société de Stylistique Anglaise n°21, « Texte et paratexte » : Actes du Colloque de Nanterre 4-5 juin 1999, 173-195.

Petit, Michel (2004). « Quelques réflexions sur la fiction à substrat professionnel : du général au particulier », in : Petit, Michel et Isani, Shaeda (dirs.) Aspects de la fiction à substrat professionnel. Bordeaux. 3-23.

Villez, Barbara (2004). « Vers une didactique télévisuelle : Ally McBeal, la TASP et l’anglais de spécialité », in : Petit, Michel et Isani, Shaeda (dirs.) Aspects de la fiction à substrat professionnel. Bordeaux. 103-111.

References

Electronic reference

Jean-Pierre Charpy, « Présentation du sous-dossier : la FASP à l’épreuve des médias », Textes et contextes [Online], 8 | 2013, . Copyright : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=423

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Jean-Pierre Charpy

Centre Interlangues Texte, Image, Langage (EA 4182), Université de Bourgogne

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