Clandestins, clandestinités

Expressions et représentations de l’Antiquité à nos jours

  • Clandestine lives, clandestinity. Expressions and representations from Antiquity to present day

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Au cœur de l’actualité, en particulier en tant que migrant mais non exclusivement, le clandestin interroge, dérange, suscite admiration, compassion, curiosité, instabilité, insécurité, polémique… Celui qui pourrait se définir par le secret, la dissimulation, fait paradoxalement aujourd’hui la une de l’actualité. C’est le rapport à la loi, mais aussi à la règle, à la norme dans son sens le plus large qui est mis en question : si la notion de frontière est devenue sujette à (re)définition dans de nombreux travaux, où se situent précisément les contours définissant l’identité du clandestin ?

Des thématiques comme le phénomène social ou juridique de la clandestinité, la clandestinité politique, littéraire, l’interdit ou le secret, ont déjà fait l’objet de multiples recherches scientifiques. Notre projet se penche quant à lui à la fois sur l’identité du clandestin et sur l’expression, la représentation et l’autoreprésentation de cette identité. Être clandestin, que cela veut-il dire ? Comment des êtres clandestins (se) sont-ils représentés ? Quels aspects, quelles caractéristiques, quelles dimensions de leur être clandestin sont privilégiés dans leur représentation ou autoreprésentation ? Autrement dit, comment le clandestin est-il défini ou se définit-il lui-même ? S’agit-il uniquement d’une position d’irrégularité face à une norme établie – quelle norme ? – et comment cette irrégularité s’exprime-t-elle ? Il s’agit ici de s’interroger sur l’identité culturelle, existentielle, littéraire, ou toute autre forme d’identité susceptible de définir l’être clandestin. Au fil des différentes contributions se définissent – ou non – les modalités selon lesquelles cette identité se construit volontairement ou par nécessité, à partir du vécu du clandestin (tant son ressenti que l’adaptation de son comportement à une situation particulière) ou de l’image qui sera donnée de lui par lui-même ou par son entourage, ses contemporains ou les institutions étatiques. Cette interrogation fondamentale sur l’identité pourra, dans les cas extrêmes, mener à un processus de désidentification, que peut entraîner l’acte de refoulement ou de rupture avec l’identité première, que ce soit sous la contrainte, dans l’urgence, le péril, par désir de ‘disparaître’ pour ‘renaître’ ailleurs, autre part, autrement, etc., en endossant une autre identité fictive, provisoire, désirée, fantasmée, voire assumée. Peut-on alors penser que ce processus de désidentification suppose systématiquement une absence, une perte d’identité ou est-il possible d’envisager une identité autre ?

Le présent volume, constitué de treize articles universitaires ainsi que de deux textes originaux (un récit-témoignage et une pièce de théâtre), est issu d’une exploration en deux temps de la notion de ‘clandestin’ : on y trouvera d’une part les actes d’un colloque international qui s’est tenu les 11 et 12 octobre 2018 à l’Université de Bourgogne, d’autre part des contributions complémentaires, qui ont permis d’élargir la réflexion à des champs géographiques et diachroniques non abordés lors du colloque et ainsi de nourrir des interrogations nouvelles1. Si la thématique du colloque dont sont issus ces actes est au cœur de l’actualité, elle n’est cependant pas à confondre avec celle de la migration et des mouvements migratoires, malgré les points communs évidents que partagent ces notions. Nous avons par ailleurs souhaité que la prise de recul propre à tout travail scientifique permette de creuser le sujet au-delà des frontières géographiques européennes et contemporaines. Autrement dit, l’objectif poursuivi dépasse l’hyperactualité.

Les différents regards portés sur le sujet « Clandestins, clandestinités » permettent, en lien avec l’esprit du Centre Interlangues – Texte, Image, Langage (TIL, EA 4182) –, d’ouvrir la perspective à des aires géographiques et culturelles différentes, principalement l’Italie, le monde germanique des XXe et XXIe siècles et la Péninsule ibérique (Espagne et Portugal). Toutefois, grâce à quelques contributions, la perspective s’élargit dans l’espace extra-européen et dans le temps, au-delà de phénomènes contemporains, jusqu’à l’Antiquité et aux XVIIe et XVIIIe siècles.

L’ouvrage s’organise en trois volets : la première partie s’articule autour de la définition problématique, peut-être impossible, du ‘clandestin’ ainsi que des ambiguïtés qui entourent cette notion, sur les plans historique et artistique. La clandestinité est également une réalité vécue qu’il convient de saisir par le récit et/ou le document photographique, supports fragiles mais indispensables d’une mémoire clandestine qui continue à hanter les histoires familiales ; la deuxième partie, qui s’ouvre par un récit-témoignage, se constitue de ces souvenirs épars, première tentative d’une représentation de la clandestinité. La troisième partie est consacrée à certains phénomènes de construction et d’(auto)-représentation de la clandestinité dans les champs de l’histoire des idées et des arts ou de la littérature et du cinéma. Enfin, Puta, la pièce de théâtre qui clôt le volume mais non le débat est une mise en représentation tragique d’une clandestinité au féminin. Ainsi, les différentes contributions de ce volume permettent de comprendre que la notion de ‘clandestinité’ dépasse largement les contours du rapport à la loi et aux frontières d’une nation. Non seulement l’‘être clandestin’ est une réalité plurielle (1e partie) mais la littérature se révèle être un des meilleurs vecteurs de sa compréhension, de son expression (2e partie), de sa construction (3e partie) et de sa représentation (Puta).

Au vu des ébranlements politiques et climatiques multiples qui agitent le monde contemporain et entraînent tant d’êtres humains à fuir coûte que coûte leur pays d’origine, ces exemples ne sauraient évidemment apporter un point final à la complexité d’une interrogation où s’entrecroisent les notions d’identité – réelle ou construite, idéalisée ou fantasmée – et/ou de clandestinité, refuge précaire mais parfois protecteur. Cependant, il est permis de se demander si ce refuge – et donc toute existence clandestine – ne sera pas de plus en plus difficile à construire dans un univers dominé par la construction de nouvelles frontières, et de normes de plus en plus strictes et exclusives de ceux qui s'en éloignent.

Notes

1 Cette publication a bénéficié du soutien de plusieurs institutions que nous souhaitons remercier ici : le laboratoire TIL/ Centre Interlangues (EA 4182), l’UBFC, l’UFR Langues et Communication et la MSH de l’Université de Bourgogne pour l’organisation du colloque de 2018, le comité éditorial de la revue Texte et Contextes. Nous adressons aussi tout spécialement nos remerciements sincères à Mme Segura-Pineiro et M. Battesti pour le travail éditorial effectué en vue de la publication du présent volume. Return to text

References

Electronic reference

Hélène Mazzariol, Marie-Claire Méry and Michelle Nota, « Clandestins, clandestinités », Textes et contextes [Online], 17-2 | 2022, . Copyright : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=3869

Authors

Hélène Mazzariol

Maître de conférences en études italiennes, Centre Interlangues Texte, Image, Langage (TIL EA 4182), Université de Bourgogne, UFR Langues et communication, 4 Bd Gabriel, 21000 Dijon

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Marie-Claire Méry

MCF/HDR émérite en études germaniques, Centre Interlangues Texte, Image, Langage (TIL EA 4182), Université de Bourgogne, UFR Langues et communication, 4 Bd Gabriel, 21000 DIJON

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Michelle Nota

Maître de conférences en études italiennes, Centre Interlangues Texte, Image, Langage (TIL EA 4182), Université de Bourgogne, UFR Langues et communication, 4 boulevard Gabriel, 21000 Dijon

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