« Modello, regola, ordine ». Parcours normatifs dans l’Italie du Cinquecento est un ouvrage collectif dirigé par deux jeunes chercheurs post-doc, Hélène Miesse et Gianluca Valenti, consacré à la recherche de la norme en littérature et dans les Arts au Cinquecento. Les auteurs ont fait le choix d’un cadre épistémologique dans la droite ligne des nouvelles approches de la réception de Bembo en Italie. En évitant de se contenter d’une simple confrontation des écrivains et des artistes à une norme prédéfinie, imposée « d’en haut » par des linguistes et des grammairiens ou autres codificateurs faisant autorité pour mesurer leur écart par rapport à la règle, les chercheurs plongent dans le bouillonnement d’inventivité – revendiquée par un Guidiccioni ou un Lomazzo – qui caractérise le XVIe siècle italien et redéfinissent ainsi le sens même de la norme. La question posée est celle de la cause et de la conséquence : est-ce la norme qui s’impose d’en-haut et conditionne les écritures et les créations artistiques, ou bien plutôt l’inventivité des écrivains et des artistes qui devient elle-même source de nouvelles normes ? Ce que les auteurs cherchent à montrer, c’est que les normes du Cinquecento ne sont pas uniquement forgées par des confrontations aux modèles, mais aussi la résultante d’un processus permanent d’inventivité. Le développement des recherches sur les lexiques techniques spécialisés (la danse, les armes, l’art et l’artisanat…) est un apport majeur de cet ouvrage. En effet, le débat sur la langue et ses normes au Cinquecento n’est pas seulement l’affaire des poètes, elle est aussi celle de toute écriture en langue vulgaire : si le vulgaire peut désormais accéder à la dignité littéraire, de même toute activité nécessitant l’usage d’un vocabulaire spécifique et codifié doit pouvoir accéder à la dignité des arts libéraux. La recherche de la norme linguistique devient ainsi le cadre et l’expression d’une conception du monde et de la société. Cette période est l’occasion, par le biais de la codification des langages spécialisés, d’élever des arts comme la danse ou la peinture à la même dignité que la politique ou la littérature. Mais l’inventivité n’est pas seulement le choix conscient de se référer à une multiplicité de modèles, ni la mise au jour littéraire de termes autrefois relégués aux ateliers, elle peut aussi résulter de décisions politiques ou de contextes socio-économiques étrangers à la seule beauté de la langue, qu’il s’agisse du développement du vocabulaire militaire durant les guerres d’Italie, du rêve d’universalité politique d’un Côme de Médicis ou encore des multiples commandes et pérégrinations d’un Parmigianino au style hybride par la force des choses.
L’ouvrage a le mérite de porter un regard renouvelé sur le rapport à la norme et sur sa définition au Cinquecento. Si l’on peut regretter la qualité très inégale des contributions et la difficulté parfois à entrevoir le fil rouge épistémologique dans cet ensemble disparate, les auteurs ouvrent de multiples pistes de recherche pour des travaux ultérieurs, qu’il s’agisse d’éclairer d’un regard nouveau des œuvres célèbres ou de porter à la connaissance des chercheurs des textes ou autres sujets d’étude jusqu’alors méconnus.