Cet ouvrage s’inscrit dans la ligne de plusieurs livres parus sur l’influence de John Keats au Japon, mais il présente plusieurs spécificités. Tout d’abord, la première partie du livre compare la réception de Keats à celle des autres poètes romantiques anglais au Japon, ce qui permet une mise en perspective souvent très éclairante. D’autre part, la seconde partie, plus personnelle, s’efforce d’expliquer à un public occidental ce qui peut plaire au lectorat japonais chez John Keats. L’ouvrage se conclut par une annexe autobiographique, qui décrit la visite de l’auteure à Guy’s Hospital, où Keats fit son apprentissage de médecin.
La première partie propose une présentation très précisément contextualisée de la réception des romantiques anglais au Japon en distinguant entre deux périodes, avant et après la seconde guerre mondiale. Cette première partie est pleine d’intérêt car elle explique en quoi ces poètes pouvaient parler aux lecteurs japonais, à l’issue de plusieurs siècles d’isolationnisme culturel. Okada rappelle à cette occasion que le premier département d’anglais fut fondé à l’université de Tokyo en 1887. Les premières traductions datent de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, et l’éditeur du premier volume de traduction, Naotaro Nakamura, présenta les poètes romantiques comme autant de modèles de réussite. Grâce à leurs efforts, ils parvinrent à percer malgré l’adversité, et le pied bot de Byron prend autant de valeur que les origines modestes de Keats. En fait, la biographie de ces poètes joue alors un rôle déterminant pour les faire accepter au Japon.
Le second chapitre s’intéresse à l’effet de la seconde guerre mondiale, qui commença par faire reculer l’influence de l’anglais, devenu langue de l’ennemi. La poésie romantique en fit également les frais. Mais avec l’arrivée de la démocratie après-guerre, le modèle de réussite américain inspira le Japon, les premiers étudiants furent envoyés aux Etats-Unis pour y étudier dès 1949, et les romantiques connurent un regain d’intérêt. Okada présente alors les livres critiques majeurs publiés au Japon sur le romantisme, en précisant que depuis cette période, Keats est l’auteur le plus populaire, dont la poésie a même inspiré certains poètes japonais.
C’est à l’influence de Keats que se consacrent plus précisément les deux chapitres suivants, qui analysent en détail les ouvrages critiques parus au Japon sur le poète, et recensent les traductions, de poèmes et de lettres, en analysant l’évolution de la réception du poète, qui débuta par une phase de traduction, d’imitation et d’édition des poèmes, avant d’en venir à des analyses critiques plus fouillées, et à des traductions de critiques étrangers. Dans un deuxième temps, le chapitre 4 analyse les traductions de Keats, en montrant comment les traducteurs cherchent à adapter l’original pour plaire au lectorat japonais, qui n’est pas du tout habitué à la poésie occidentale. Ce chapitre entre dans les détails, en citant des strophes et même des vers pour préciser la manière dont ils ont été traduits, et ce qu’elle révèle.
Cette première partie contient énormément d’informations concrètes pour qui s’intéresse au rayonnement des poètes romantiques au Japon, et plus particulièrement à celui de Keats. Elle permet donc au lecteur occidental d’élargir ses connaissances sur les traducteurs, les critiques japonais de Keats, mais aussi de mettre les faits en relation avec un contexte toujours précisément présenté.
La seconde grande partie de l’ouvrage, plus personnelle, cherche à expliquer ce que l’auteure de l’ouvrage aime chez Keats, en tant que lectrice japonaise. Cette seconde partie est moins convaincante, car l’analyse y semble moins poussée que dans la première partie. Elle consacre trois chapitres à trois aspects de la poésie de Keats qui plaisent particulièrement à des lecteurs japonais, la dimension médicale, le recours au surnaturel et enfin l’utilisation du langage. Le premier chapitre reprend des données biographiques déjà bien connues sur Keats en montrant les parallèles avec certains poètes japonais. L’auteure sélectionne ensuite les poèmes de Keats qui lui semblent en rapport avec la médecine. Bien qu’intéressant, ce chapitre aurait gagné à approfondir la comparaison avec les poètes-médecins japonais, domaine encore inexploré.
La démarche est conservée dans le second chapitre, où le goût de Keats pour les fées et les créatures mythologiques est mis en relation avec les croyances japonaises sur les esprits de l’eau, mais là encore, on aurait aimé une analyse plus centrée sur le côté japonais que sur la poésie de Keats, l’analyse demeurant peu précise.
Enfin le chapitre consacré au vocabulaire de Keats propose une lecture très personnelle des textes que l’auteure apprécie particulièrement, avec une explication de ses choix comme étant le résultat de sa culture japonaise.
Le livre se termine par un appendice relatant la visite de l’auteure à Guy’s Hospital, l’hôpital où Keats fit son apprentissage. C’est donc un texte autobiographique, ponctué de réflexions sur la vie du poète.
La mise en relation de l’expérience personnelle de l’auteure, de ses goûts et de ses connaissances sur la situation littéraire au Japon donne à ce livre un ton particulier, qui mérite certainement la lecture, même si la première partie du livre apparaît plus convaincante que la suite.