Kersten Sven Roth, Markus Wienen (Hrsg.), Diskursmauern – Aktuelle Aspekte der sprachlichen Verhältnisse zwischen Ost und West, 2008

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Kersten Sven Roth, Markus Wienen (Hrsg.), Diskursmauern – Aktuelle Aspekte der sprachlichen Verhältnisse zwischen Ost und West, Bremen: Hempen Verlag, 2008

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Ce recueil d’articles est le premier volume de la collection Sprache-Politik-Gesellschaft (langue, politique, économie). Il a pour objet de tenter de repérer, à travers 13 articles, un ou plusieurs « murs du discours » ou « murs discursifs » (Diskursmauern) par les moyens de l’analyse de discours.

Ruth Reiher: Zum Umgang der Linguistik mit dem sprachlichen Ost-West-Problem seit dem Mauerfall (pp. 1-19)

Ce premier article part du constat d’un déséquilibre dans les désignations géographiques des personnes ou phénomènes selon qu’il s’agit de l’Est ou de l’Ouest de l’Allemagne : tandis que Angela Merkel est naturellement désignée par ostdeutsche Frau, que certains Länder sont facilement qualifiés de ostdeutsch, il ne vient par exemple à l’idée de personne de parler d’un *westdeustcher Politiker. La fome ostdeutsch est donc marquée par rapport à la forme *westdeutsch, non employée car finalement synonyme de deutsch.

Après un panorama des colloques consacrés à l’hypothétique existence de deux langues allemandes dans les deux décennies qui ont suivi la chute du mur, l’auteure propose un résumé des grandes questions étudiées par la recherche linguistique sur les deux ex-Allemagnes. Celles-ci portaient essentiellement sur la transformation de la langue au niveau lexical ou au niveau des genres de discours ou de textes, et en particulier sur les changements de formes linguistiques employées dans les nouveaux Länder. Ces changements résident essentiellement dans la disparition de certaines formes, soit parce qu’elles sont désormais perçues comme archaïsantes (les référents désignés ayant eux aussi disparu, par exemple Kulturhausleiter), soit parce qu’un vocable concurrent existe en allemand de l’Ouest (Kaufhalle est par exemple concurrencé par Supermarkt). Enfin, les sens spécifiques existants en RDA pour des polysèmes comme Brigade ou Aktivist tendent à vieillir, tandis que leurs sens non spécifiques perdurent.

Les questions étudiées dans les recherches portant sur l’aspect « critique de la langue » sont variées (langue du parti, Witze, manuels scolaires, langue de certains phénomènes politiques – Montagsdemos, discours…). Les études publiées sur la question du changement linguistique après la chute du mur se sont particulièrement concentrées sur le lexique, car c’est le domaine qui réagit le plus directement et le plus rapidement aux changements sociaux.

Ruth Reiher consacre la dernière partie de son article aux problèmes de méthode posés par la recherche linguistique sur la problématique des relations Est-Ouest. Il arrive en effet que les analyses linguistiques mènent à des conclusions hasardeuses sur la société, et induisent notamment un jugement de valeur négatif sur les compétences linguistiques des locuteurs des anciens Länder de l’Est. Certaines analyses reposent sur une théorie de l’adaptation (Anpassungstheorie) qui envisage l’allemand de RDA comme une variante de l’allemand de l’Ouest, conçu comme norme. De là à apprécier l’allemand de RDA de manière négative, comme déficitaire par rapport à la norme, le pas est vite franchi.

L’auteure conclut son article en remarquant que le standard linguistique que constitue l’allemand de l’Ouest est lui-même trop peu étudié dans son évolution historique. Il n’en existe qu’une première tentative, sous la forme du « dictionnaire numérique de la langue allemande » (DWDS) constitué de textes publiés de toute sorte. Mais Ruth Reiher souligne qu’un véritable corpus devrait contenir également des millions de textes non publiés. Elle conclut son article en soulignant que la seule manière d’étudier l’allemand de l’Est, sans risquer d’y associer des jugements de valeurs, est de procéder au même travail avec l’allemand de l’Ouest.

Thomas Ahbe: Ost-Diskurse. Das Bild von den Ostdeutschen in den Diskursen von vier überregionalen Presseorganen 1989/90 und 1995, pp. 21-53

Avec la chute du mur en 1989, les media est-allemands découvraient un nouvel objet : les Allemands de l’Est avec leur spécificité, leur culture propre. L’auteur nomme discours sur l’Est (Ost-Diskurse) les discours publiés après la chute du mur et ayant pour objet les Allemands de l’Est et leur culture. Les premières parutions du genre avaient tendance à contenir des stéréotypes, le savoir objectif sur l’Est étant très lacunaire.

La réunification a été accompagnée d’une profonde modification du paysage journalistique, avec des changements de personnel de direction (en faveur de journalistes de l’Ouest), ce qui fait que les questions ayant trait aux nouveaux Länder furent traitées avec le regard d’Allemands de l’Ouest. Ces déficits ont été comblés dans les années 90 par des études scientifiques, sans que cette avancée se soit véritablement reflétée dans les media, dont le discours a continué d’être très stéréotypé.

L’auteur présente ensuite le projet « Ost-Diskurse » de l’Université de Vienne, dont l’objectif est d’analyser les représentations des Allemands de l’Est, de leur culture et de leur passé telles qu’elles sont livrées dans quatre organes de presse : la Frankfurter Allgemeine Zeitung, la Süddeutsche Zeitung, la tageszeitung, ainsi que Der Spiegel. Le corpus est constitué d’éditoriaux, de commentaires, d’articles des pages « littérature » ou « culture », de reportages, d’essais, de polémiques, tous genres subjectifs qui laissent une place à la sensibilité et à l’expérience des auteurs.

La perspective d’analyse est à la fois synchronique (comparaison des quatre journaux sur une seule période) et diachronique (évolution de la représentation des Allemands et de l’Allemagne de l’Est) dans un seul organe.

Période 1989/1990

La FAZ présente de l’ancienne RDA la mauvaise impression qu’elle fait sur les Allemands de l’Ouest, avec ses villes et ses monuments peu entretenus ou délabrés. Dans le débat sur les différentes options possibles quant à l’avenir de cette partie de l’Allemagne, le journal prend parti depuis le début pour la réunification.

La Süddeutsche Zeitung considère moins que ne le fait la FAZ la perspective de l’Etat, que celle des rencontres au quotidien, comme celle des nombreux Allemands de l’Ouest venus visiter les régions frontalières de la Bavière. La SZ fait parler d’anciens Allemands de l’Est qui font figure de reporters. Un autre sous-type est celui du Heimat-Besuch (visite de la terre natale) : des Allemands de l’Ouest visitent les régions où ils ont grandi mais auxquelles ils n’ont plus pu accéder pendant les dernières décennies de la RDA. Ce genre est caractérisé par l’emploi de superlatifs et de formules sentimentales.

Ces textes sont complétés par des reportages de la SZ sur les infrastructures et la situation écologique de l’Est ainsi que par des articles sur la petite ville de Guben, qui représente en miniature l’histoire et la situation actuelle de l’ex-RDA.

Le débat sur la réunification fait l’objet d’une présentation différente de la FAZ : les « antis » (-réunification) ne sont pas envisagés comme des profiteurs du régime, mais au contraire comme des révolutionnaires qui ont le courage de s’opposer à l’opinion majoritaire.

Le discours sur l’Est de la TAZ ne se superpose aux précédents qu’en ce qui concerne la présentation des infrastructures et des questions environnementales propres à la RDA. Le journal consacre un large espace à une série de 6 articles de plusieurs pages publiés par l’écrivain Gabriele Goettle, qui s’intéresse à la manière dont les petites gens vivaient au quotidien avec les limites et les chances que leur offrait le régime, à leurs doutes et leurs prévisions concernant l’avenir. Quant à la question de la réunification, elle est envisagée dans la TAZ avec un grand scepticisme.

L’hebdomadaire der Spiegel a un discours sur l’Est différent des trois quotidiens précédents, dans la mesure où il est exempt de toute identification et de toute utopie. Jusqu’à la fin janvier 1990, l’hebdomadaire présente les Allemands de l’Est principalement comme les victimes de circonstances malheureuses, souffrant de difficultés d’adaptation, de manque de logements, du mauvais accueil des Allemands de l’Ouest qui voient en eux des concurrents gênants. Dans un second temps, l’intérêt du journal porte sur l’inégalité des chances entre les Allemands de l’Ouest et ceux de l’Est qui se sont installés à l’Ouest. Le thème privilégié du journal est la concurrence entre les deux types de population. L’auteur remarque que le nombre de pages que le Spiegel consacre au Ost-Diskurs est bien plus important que dans les quotidiens, ce qui lui permet de construire une image plus riche et plus nuancée.

Période octobre / novembre 1995

Les différents journaux sont réétudiés pour les mois d’octobre et novembre 1995. La FAZ continue à cette période d’envisager la question Est-Ouest sous l’angle de la politique nationale, mais la question prédominante est celle de la normalité. Difficultés et dysfonctionnements sont présentés comme des problèmes transitoires, en passe d’être réglés, les journalistes occultent la parole critique sur une unification qui ne s’est pas faite de l’intérieur, en mettant en avant la nécessité de se montrer pragmatique et prêt aux compromis.

La période considérée coïncide avec la célébration par la Süddeutsche de son 50ème anniversaire, ce qui limite la place consacrée à la question Est-Ouest. Cependant, les conflits que vivent les allemands de l’Ouest et de l’Est y sont présentés plus nettement. On y laisse plus souvent la parole aux auteurs de l’Est et à leur regard critique sur les suites de la réunification.

Le discours de la taz présente les Allemands de l’Ouest dans deux perspectives : il étudie d’une part la dimension historico-politique de la rupture vécue par les Allemands de l’Est et d’autre part la vie des petites gens des nouveaux Länder. La désillusion et l’amertume des Allemands de l’Est le jour du 5ème anniversaire de l’unification ne sont pas tus.

Dans le Spiegel, une partie des articles de cette période de 1995 présente les Allemands de l’Est comme les sympathiques perdants de la réunification au niveau économique, une autre partie se veut objective et neutre et présente les Allemands de l’Est sous différents points de vue, soit comme des gens incapables d’assumer des responsabilités individuelles, des travailleurs inefficaces, soit comme les détenteurs d’un savoir-faire et d’une compétence que la Treuhand fait disparaître.

La dernière partie de l’article est consacrée à l’évolution diachronique du discours sur l’Est sur deux périodes, d’abord entre novembre 1989 et janvier 1990, puis entre octobre et novembre 1995. Dans la première période, le Spiegel livre une image assez objective des Allemands de l’Est et voit dans l’unification principalement l’élargissement de la société capitaliste, les traits de caractère qu’elle fait naître chez les individus étant présents autant chez les Allemands de l’Ouest que chez les Allemands des nouveaux Länder. La taz continue de faire le portrait des petites gens, qui cherchent à construire leur vie avec lucidité. Le discours de la FAZ est très partial, dans la mesure où il présente les Allemands de l’Est comme prisonniers de leurs conditions, comme les profiteurs d’un système corrompu à qui seul l’Ouest peut ouvrir les yeux. Le ton est dramatique, les Allemands de l’Est sont regardés de haut, le journal annonce une deuxième vague d’immigration « d’envergure catastrophique », voire une « guerre civile ». La SZ quant à elle se garde de discours généralisants et peint le quotidien des nouveaux citoyens de la République Fédérale, dont on ne doute pas qu’ils vont bientôt suivre les valeurs et les objectifs de l’Ouest et être aussi normaux que les lecteurs de la SZ. Mais le discours est assez naïf, parle de « retrouvailles » entre les deux parties de la population, et ne conçoit pas qu’une des deux n’ait pas envie de devenir comme l’autre. La taz est le premier quotidien à se demander si les Allemands de l’Est n’ont pas développé sous le régime socialiste d’autres valeurs et d’autres pratiques. Cette idée de « déformation psychique » n’apparaît dans les autres discours que plus tard, avec le constat que l’essor de l’Est et l’unité intérieure tant escomptés n’ont pas eu lieu.

Cinq ans plus tard, le Spiegel livre à la fois des peintures objectives des Allemands de l’Est et un certain nombre de textes dans lesquels ces derniers sont présentés avec sympathie, comme des héros du changement. Ils sont souvent le prétexte à une critique du système économique et de la domination exercée par la République Fédérale. Dans la FAZ, la question de la normalité devient prépondérante, les Allemands de l’Est ont décrits « d’en haut », du point de vue de la politique nationale. On a confiance dans la résolution future des problèmes encore existants. En 1995, la taz reste le pôle opposé à la FAZ, observant la situation « par en bas », du point de vue des petites gens. Le discours n’est plus aussi passionné qu’en 1989, il s’intéresse surtout aux fractures sociales. Celui de la SZ se situe entre les deux précédents : ni au niveau de la politique nationale, ni à celui du quotidien des couches populaires. On dépeint les perdants et les gagnants de la réunification à l’Est. Le discours gagne en profondeur car on laisse s’exprimer des auteurs de l’Est qui écrivaient déjà des reportages du temps de la RDA.

L’auteur conclut en observant que les discours sur l’Est ne reflètent pas seulement la réalité, mais aussi les identités des participants au discours. La représentation de l’Est est une partie de discours ouest-allemands concurrents sur l’identité. Le discours dominant sur les Allemands de l’Est est un discours Ouest-allemand.

Bettina Radeiski / Gerd Antos: ‘Markierter Osten’ – Zur medialen Inszenierung der Vogelgrippe auf Rügen und am Bodensee, pp. 55-67

L’article débute par le constat que les phénomènes concernant les nouveaux Länder sont la plupart du temps décrits dans les medias à l’aune de l’Ouest et comportent des jugements de valeur implicites. Ce fait peut être expliqué par l’idée qu’on est toujours dans un discours identitaire qui véhicule une image des citoyens de l’Est comme étant « les autres ».

L’hypothèse de l’article est que le discours sur l’Est est présenté – mais aussi perçu – aux niveaux communicatif, social et cognitif, comme « marqué ». Le « marquage » doit être compris non comme une déviance, mais comme l’appartenance à une zone périphérique de la catégorie – en référence à la version standard de la théorie du prototype : sans être le meilleur exemplaire de la catégorie, l’exemplaire étudié en fait néanmoins partie. Un phénomène est considéré comme « marqué » lorsqu’il porte une caractéristique supplémentaire par rapport à un autre phénomène auquel il est comparé.

Ce « marquage » sera étudié à propos des reportages et commentaires portant sur la grippe aviaire qui atteignit Rügen et le Lac de Constance en 2006.

Le corpus analysé est constitué de textes parus entre le 14 février et le 17 mars 2006 dans le Spiegel, la Frankfurter Allgemeine et la Zeit, ou de reportages télévisés diffusés dans le Tagesschau et les Tagesthemen sur ARD.

L’arrivée de la grippe aviaire à Rügen et au Lac de Constance est présentée de manière similaire dans les media ; c’est sur la question du traitement de la crise que les présentations divergent : les responsables locaux de l’île de Rügen sont présentés dans la Zeit comme débordés, stressés, voire incompétents. Le manque de matériaux nécessaires sur l’île est également souligné avec insistance, ainsi que la mauvaise organisation des services compétents. De plus, le journaliste retrace le parcours professionnel des personnalités locales au temps de la RDA, sans que l’utilité de cette information soit bien claire (sous entendus sur leur incompétence ?). La présentation du Tageschau et du Spiegel est écrite sur le même ton et avec le même (mauvais) esprit critique. Les mêmes journaux qui avaient annoncé que la grippe n’arriverait pas avant le printemps reprochent aux responsables politiques locaux leur manque d’anticipation et leur désorientation.

Les auteurs remarquent que lorsque le virus se propage dans le reste du pays – en commençant par le Bade-Wurtemberg et la Bavière la semaine suivante – la couverture médiatique est beaucoup moins large. Ce silence est selon les auteurs une forme de « non-marquage » à opposer au « marquage » du discours concernant les anciennes régions de l’Est. Les hommes politiques de Bade-Wurtemberg soignent également l’image qu’ils donnent de leur région en se montrant confiants et sûrs d’eux, afin de ne pas effrayer les touristes. Le traitement de la crise a certes été différent dans les deux régions, mais les protagonistes de Bade-Wurtemberg ont porté une grande attention à leur image dès le début, et les media ont utilisé dans leur sens cette différence de comportement. Ainsi le public gardera en mémoire non pas les données brutes liées à la grippe aviaire, mais l’image de l’Est qui a été donnée, fidèle à son stéréotype (auto-entretenu) : une image d’échec et de provincialisme.

Kersten Sven Roth: Der Westen als ‘Normal Null’ – Zur Diskurssemantik von ‚ostdeutsch*‘ und ‚westdeutsch*’, pp. 69-89

L’étude, qui ne s’appuie pas sur un corpus restreint, étudie « le » discours sur le concept de ‘ostdeutsch*’. Celui-ci est riche, puisqu’il apparaît dans diverses réalisations lexicales (ostdeutsch, Ostdeutschland, Ostdeutsche, etc). Il fait partie d’un discours fondamental qui est de caractère dichotomique puisqu’il s’oppose à un terme non marqué, servant de norme : ‘westdeustch*’. Ce dernier concept est sous-jacent en tant que terme de comparaison, mais n’est pas réalisé en discours. Le lexème westdeutsch est donc pauvre sémantiquement et n’apparaît que comme le négatif de ostdeutsch, avec le sens de nicht-ostdeutsch. De plus, on voit apparaître un certain flou dans l’emploi de ce mot, son référent géographique et son référent politique étant confondus : ostdeutsch tend en effet à être synonyme de « appartenant à l’ancienne RDA » (ex-DDR). Par conséquent, le contraire du concept de ostdeutsch, avec ce flou mentionné, peut être désigné par le terme de alte Bundesrepublik. C’est finalement ce concept qui s’impose pour désigner la réalité de l’ancienne Allemagne de l’Ouest par rapport à l’Allemagne réunifiée, sans qu’elle se borne à n’être que le terme de comparaison de la forme marquée ostdeutsch.

Anne-Laure Daux: Die ostdeusche Nachwendeliteratur als Gegendiskurs, pp. 91-114

L’auteure présente en introduction les concepts de discours (dans l’acceptation de Michel Foucault), de contre-discours (Gegendiskurs, dans la définition de Siegfried Jäger) et d’Interdiscours (Dominique Maingueneau). L’article a pour objectif de montrer comment la littérature est-allemande post-réunification peut être considérée comme un contre-discours au discours dominant sur l’Est. La littérature ainsi dénommée est constituée de textes qui non seulement reflètent la vie en Allemagne de l’Est avant et après la réunification, mais sont écrits du point de vue d’une instance est-allemande.

L’analyse s’appuie sur des textes qui mettent en scène un locuteur de l’Est « authentique », et qui traitent explicitement des problèmes d’identification des Allemands de l’Ouest dans l’Allemagne réunifiée. Le corpus est ainsi constitué de sept textes : Helden wie wir de Thomas Brussig (1995), Unter dem Namen Norma von Brigitte Burmeister (1994), Alles nur geklaut de Falko Hennig (1999), Zonenkinder de Jana Hensel (2002), Andere Umstände de Grit Poppe (1998), Die verkauften Pflastersteine de Thomas Rosenlöcher (1990) et Meine Freie Deutsche Jugend de Claudia Rusch (2003). Cette littérature de l’Est fonctionne comme contre-discours au discours dominant dans la mesure où elle y fait référence et le réfute à travers des (re)formulations spécifiques.

S’appuyant sur plusieurs exemples, l’auteure démontre comment les narrateurs des textes étudiés expriment leur souffrance de se voir l’objet d’un discours parfois stéréotypé, toujours généralisant, et comment ils réfutent ce discours dominant ou en jouent.

Contre ce discours dominant, les narrateurs est-allemands présentent une image d’eux-mêmes spécifique, qui est étudiée par le biais de l’emploi de la déictique personnelle. Le pronom personnel wir est ainsi souvent employé pour désigner une communauté humaine qui existait du temps de l’existence de l’Etat de RDA, et qui s’entend par opposition aux fonctionnaires de la RDA. Un autre emploi du même pronom personnel est lié aux souvenirs de la figure narrative : il désigne alors par exemple la famille, les collègues de travail.

La communauté humaine désignée par wir, que les narrateurs opposent au discours de l’Allemagne de l’Ouest, est différente selon les textes. Dans Unter dem Namen Norma de Brigitte Burmeister, il s’agit d’un « nous Allemands de l’Est » (opposés aux Allemands de l’Ouest), dans le livre de Jana Hensel, d’un « nous enfants de la zone [soviétique] » (opposés aux parents et à tous ceux qui ne font pas partie de la génération de la narratrice), et dans Helden wie wir, aucun sentiment de communauté n’apparaît.

Selon l’auteure, les narrateurs des textes du corpus n’expriment pas vraiment de sentiment d’appartenance à une communauté constituée des Allemands de l’Est ; et la raison en serait leur opposition au discours dominant sur l’Est.

Une partie de l’article est ensuite consacrée aux réponses faites au discours sur l’Est dans le corpus. L’auteure analyse les négations polémiques présentes dans les textes, et qui prennent appui sur le discours ambiant.

En conclusion, l’auteure souligne la mise en scène polyphonique des discours dans les textes étudiés, qui vise à réfuter le discours dominant sur l’Est pour son caractère généralisant, inexact voire erroné.

L’évitement du pronom ‘wir’ serait la trace de ce refus du discours généralisant et stéréotypé. Il permet également aux voix de l’Est de se faire entendre en surmontant l’opposition Est-Ouest, et de se mélanger ainsi au discours dominant. C’est ce qui fait du discours de la littérature post-Wende un contre-discours.

Constanze Spieß: Zur sprachlichen Konstruktion von Identität im medialen Zonenkinderdiskurs, pp. 115-139

Le point de départ de l’article est la problématique de l’identité liée au livre Zonenkinder de Jana Hensel, paru en 2002, et sa réception dans les média écrits.

L’auteure commence par interroger le concept d’identité, qu’elle soit sociale ou individuelle, en sociologie. Puis elle présente sa méthode pour analyser sur le plan linguistique, et plus précisément discursif, la construction du concept d’identité. L’approche des phénomènes de discours se fonde sur la théorie de Foucault. L’analyse linguistique du discours présent dans Zonenkinder s’est faite à trois niveaux : au niveau lexical, au niveau des actes de communication, et au niveau intertextuel. L’objectif de l’analyse est de mettre au jour la production discursive d’identités collectives et leurs réalisations linguistiques. Il s’agit donc de la construction linguistique dans le discours d’éléments de signification et de savoir.

Le discours concernant Zonenkinder constitue une partie du discours sur l’Est et l’Ouest (Ost-West-Diskurs) et appartient donc au domaine de la vie publique culturelle et politique. Ce discours comporte en premier lieu le texte initial Zonenkinder, dont la parution a suscité quantité de prises de positions et de commentaires critiques. La thématique de la construction de l’identité se décline à travers divers sous-thèmes : fin de la RDA, Unité allemande, perte, adaptation, présent et avenir, pays natal, communauté et appartenance, génération, passé et souvenir, enfance.

Le corpus comprend le texte primaire ainsi que des méta-textes, publiés dans les journaux ou sur Internet, ces derniers relevant de genres aussi différents que le reportage, l’interview, le commentaire, le courrier des lecteurs et l’essai.

L’auteure analyse et figure sur des tableaux les différentes manifestations langagières des phénomènes discursifs considérés. Elle consacre ensuite une partie de l’article d’abord à l’analyse des métaphores du chemin, qui caractérisent la thématique de l’adaptation, puis à celle des métaphores du bâtiment, employées par la thématique du passé et du souvenir.

En conclusion, l’auteure remarque que la thématisation de l’identité va de pair avec la mise en question des concepts identitaires dominants et la recherche d’alternatives. Cette recherche se manifeste sur le plan linguistique par des stratégies d’approbation et de délimitation. Dans le discours considéré, l’aspect de la construction identitaire qui domine est le processus d’adaptation à l’Ouest, dans lequel agissent comme facteurs d’identification l’origine (le passé commun), l’expérience historique (la perte) et l’objectif commun (l’adaptation). La construction de l’identité telle qu’elle est étudiée dans ce corpus montre bien que l’Ouest est conçu comme norme alors que tout ce qui a trait à l’Allemagne de l’Est est considéré comme une déviance.

Jürgen Schiewe: Vom Sprachwitz zur Sprachlosigkeit? Witzkultur in Ost und West vor und nach der Wende, pp. 141-156

L’article est consacré au mot d’esprit politique (politischer Sprachwitz) comme genre textuel. Les plaisanteries politiques sont des éléments d’un plan du discours qui se construisent en opposition au discours politique officiel et constituent donc un contre-discours.

La partie centrale de l’article est consacrée à l’analyse des plaisanteries politiques en RDA et dans l’ancienne RFA. Il peut s’agir de plaisanteries d’une certaine longueur, fondées sur des jeux de mots, des remotivations de termes d’une lexie, ou bien de contre-slogans (Gegenlosungen), du type : « Là où nous sommes, rien ne va ! Et : Nous sommes partout ! »

Les mots d’esprit politiques fonctionnent par déconstruction des significations conventionnelles et en particulier officielles. Prenant des formes diverses et concernant toute sorte de sujets politiques et sociaux, ils constituent un contre-discours.

Pendant les années 1989-90, ces mots d’esprit sont passés de la sphère privée à la sphère publique, élargissant par là-même le spectre des actes de discours qui leur étaient associés. Ces jeux de mots très créatifs, semblables à des aphorismes, sont typiques de l’époque de la réunification. Ils ne constituent plus seulement un contre-discours, mais un discours alternatif, dirigé vers le futur, porteur d’une nouvelle réalité socio-politique.

Les plaisanteries politiques existaient aussi du temps de l’ex -RFA, et portaient principalement sur des hommes et femmes politiques comme Adenauer, Kohl, Merkel… Toutefois, ce n’est pas tant leur politique qui est tournée en dérision, que leur personne-même.

Les plaisanteries de l’Allemagne unifiée ont, selon l’auteur, perdu ce sens de l’absurde et de la sophistication dans le maniement de la langue. Elles fonctionnent plutôt comme facteur d’identification d’un groupe au détriment d’un tiers (les blondes, les Ossis, les Wessis…).

L’auteur conclut en montrant que les mots d’esprit et plaisanteries politiques sont, en quantité comme en qualité, inversement proportionnels au caractère démocratique du régime. Ce qui expliquerait la différence qui sépare l’ex-RDA de l’Allemagne actuelle de ce point de vue.

Steffen Pappert / Melani Schröter: Der Vereinigungsdiskurs als Spaltungsdiskurs in der Spiegel-Berichterstattung 1990-2000, pp. 157-177

Le propos de l’article est d’observer, à l’aide d’un corpus de textes, en quoi le discours sur la réunification a été en vérité un discours de la séparation. Les analyses reposent sur des reportages du Spiegel des années 1990 à 2000 concernant des sujets ayant trait à l‘unification de l’Allemagne. Les deux sujets retenus par les auteurs de l’article sont d’une part les relations (ou l’absence de relation) entre les Allemands de l’Est et de l’Ouest et d’autre part l’économie ; ils sont traités dans une perspective propre au Spiegel, c’est-à-dire une perspective d’Allemands de l’Ouest ; ce qui explique que les sujets traitant d’économie s’intéressent essentiellement à la perte d’un certain niveau de vie pour les Allemands de l’Ouest et que, dans tous les cas, l’Allemagne de l’Ouest soit présentée comme un modèle pour l’Est.

Les questions économiques abordées dans le Spiegel sont essentiellement celles des coûts de l’unification et de la perte de niveau de vie, s’opérant toutes deux au détriment des Allemands de l’Ouest.

L’Allemagne de l’Ouest étant présentée comme modèle et jauge de l’Est, on attend de l’ancienne RDA qu’elle vienne se conformer à ce modèle, ce qui entraîne qu’on l’appréhende comme un pays en retard, arriéré tant du point de vue du mode de vie que des capacités cognitives de ses citoyens. Les Allemands de l’Est sont alors l’objet d’une catégorisation en tant qu’étrangers : ils sont perçus et traités comme les membres d’un groupe étranger aux Allemands de l’Ouest du point de vue culturel voire ethnique. On leur prête alors toute sorte d’attributs et de défauts : inefficaces, indolents, ingrats, ils souffriraient de leur complexe d’infériorité.

Les auteurs relèvent un paradoxe dans le traitement de la question Est-Ouest par le Spiegel. Les Allemands des deux ex-Etats étant unis par leur nationalité, les journalistes sont constamment tentés de chercher les ressemblances et les différences entre ces deux types de citoyens. Différents numéros de l’hebdomadaire dressent alors des comparaisons des Allemands de l’Est et de l’Ouest sur les questions des conditions de vie, des clichés, des images de Soi et de l’Autre, des systèmes de valeurs…. Le journal a également recours aux métaphores de la famille : les Allemands des deux Etats sont comme des frères et sœurs, ou même des jumeaux séparés à leur naissance, et qui ont grandi loin l’un de l’autre pendant 40 ans.

Les auteurs concluent l’article en remarquant que le discours sur l’unification présenté dans le Spiegel est bien plutôt un discours de la séparation, de la différence. Le journal a traité pendant la décennie 1990-2000 de préférence les aspects problématiques de la réunification, en présentant les Allemands de l’Est comme des étrangers arriérés. Les auteurs de l’article se demandent alors pourquoi les Allemands de l’Est et de l’Ouest n’ont pas été capables lors de l’unification de se découvrir mutuellement comme on découvre un pays étranger et ses mœurs. Ils en voient la raison dans l’idée que les Allemands se considéraient comme une nation et une famille : cette conception impliquerait un sentiment d’appartenance à une unité, qui serait la cause de ce que les Allemands, de part et d’autre de la frontière, auraient mal accepté la différence de l’Autre.

Stalina Katajewa: Westen statt Europa – Zur europäischen Ost-West-Problematik am Beispiel des russisch-ukrainischen Gaskonflikts, pp. 179-186

L’ancienne URSS a connu, à la suite du processus de démocratisation, des modifications massives, notamment dans le domaine du langage politique. Ces changements lexicaux se sont opérés sous forme de modernisation, mais aussi de retours en arrière, par la réactualisation de concepts appartenant au passé socialiste. La presse russe a ainsi récemment substitué au terme d’Europe le vocable Ouest, qui, dans le lexique soviétique, désignait un point cardinal, une réalité géographique, mais aussi une réalité politique, l’Ouest regroupant les pays capitalistes. Cette notion, profondément ancrée dans la conscience et l’usage des locuteurs soviétiques, faisait implicitement référence à la partition idéologique entre pays de régime socialiste et pays capitalistes et était donc connotée négativement. Mais ce vocable fut plus tard aussi employé comme synonyme d’Europe, sans connotation politique.

Des événements politiques récents ont contribué à la réactualisation des connotations idéologiques de l’idéologème Ouest, ainsi qu’à son alimentation par de nouveaux apports sémantiques qui stigmatisent l’opposition Est-Ouest. Deux événements politiques majeurs, à savoir les crises en Afghanistan et en Irak, ont alimenté les réserves de la population russe à l’encontre du modèle occidental de la démocratie et plus exactement contre ce qui est vécu, et ce pas seulement par la Russie, comme une tentative des pays occidentaux d’exporter leur conception de la démocratie. Cette vision est véhiculée dans la langue russe par des expressions comme démocratie de la violence, démocratie des bombes, démocratie totalitaire ou démocratisateurs.

Après une phase où les habitants de l’ex-Union soviétique avaient placé des espoirs extrêmes dans le modèle démocratique occidental et dans l’économie de marché, l’estime et la valeur accordées à ce modèle ont baissé de manière significative, notamment à la suite des tentatives d’ « export démocratique » associées à la gestion des crises irakienne et afghane. De même que les nations occidentales sont de moins en moins satisfaites de leurs démocraties bien établies, la population russe tend à se tourner vers son propre passé et à se caractériser par son abstention politique et son apathie. La part de la population russe qui considère l’Europe comme un modèle auquel il est souhaitable de s’ouvrir, décroît. Les media russes recèlent d’exemples d’opposition à l’Ouest, de réactualisation et de modernisation d’anciens idéologèmes qui présentent les pays occidentaux comme des adversaires de la Russie, menaçant sa souveraineté.

La réactualisation de l’idéologème l’Ouest, concept emblématique de la guerre froide a été particulièrement visible lors du conflit du gaz russe, qui éclata fin 2005-début 2006. L’appréciation et la désignation de ce conflit ont été diversement présentées dans les media russes et allemands. La crise a été déclenchée par la décision prise par l’Ukraine, et suivie ensuite par Moscou, de modifier le prix des livraisons de gaz, le faisant passer d’un tarif préférentiel – parce que subventionné par la Russie ­– au prix du marché. La présentation du conflit dans la presse allemande a obéi au modèle de la guerre froide, en ce qu’elle opposait des révolutionnaires pro-occidentaux à des contre-révolutionnaires pro-russes. La décision de l’Ukraine de vendre son gaz aux pays d’Europe occidentale a été présentée non pas comme un vol à l’égard de la Russie, mais de manière euphémique comme une perte ou un dérangement pour la Russie. A l’opposé, les media russes parlèrent explicitement de vol, d’infraction de la part de l’Ukraine.

En Europe, il était clair pour l’opinion publique que Gazprom vendait son gaz aux pays de l’ancienne Union soviétique à des prix bien inférieurs à ceux du marché. Lorsque la Russie a émis l’hypothèse de faire payer à l’Ukraine son gaz aux prix du marché, les media ont commencé à présenter la Russie comme un distributeur d’énergie peu fiable. Certains media, comme le Guardian, ont néanmoins critiqué l’hypocrisie des pays d’Europe de l’Ouest, qui faisaient mine de s’offusquer de ces pratiques préférentielles, alors qu’ils agissent de même lorsqu’ils privilégient les relations économiques avec les pays adhérant à leur modèle de démocratie, et punissent – sur le terrain économique s’entend – les pays récalcitrants à leur « export de démocratie ».

C’est ainsi qu’est apparu un parallèle entre le conflit du gaz et le modèle de l’export de la démocratie : la presse russe a comparé le fait que cette crise du gaz ait pu être qualifiée de guerre avec la réalité du conflit irakien, qui n’est autre qu’une véritable guerre du gaz et du pétrole cachée sous la bannière de la démocratisation du pays. Certains media, l’Independent, Neues Deutschland, mais aussi Iswestija, ont alors épinglé le double langage des pays de l’Ouest, qui soit déplorent, soit justifient leurs agissements et ceux des autres selon qu’ils s’accordent avec leur idée de la démocratie ou non. Ce renouveau du conflit Est-Ouest tel qu’il apparaît dans le resurgissement de l’idéologème Ouest reflète une opposition portant sur le concept même de démocratie occidentale et son interprétation dans la réalité politique.

Marita Roth: Die De- und Rekonstruktion des Selbst – Osteutsche Identitätsarbeit nach der Vereinigung und heute, pp. 187-198

L’essai est consacré à la question de l’évolution de l’identité des Allemands de l’Est depuis l’Unification. Le « corpus de Berlin », constitué d’interviews avec des locuteurs de Berlin Est et Ouest, montre comment les locuteurs est-allemands tentent de s’affirmer en réaction aux stéréotypes que leur renvoient les Allemands de l’Ouest.

L’identité sociale se forme, comme l’identité individuelle, par le biais du regard que l’autre porte sur soi. Or la révolution sociale qu’a constituée l’Unification pour l’ex-RDA s’est accompagnée d’une recrudescence des stéréotypes sur les Allemands de l’Est, et par conséquent d’une véritable crise de l’identité sociale de cette partie de la population, tandis que celle des Allemands de l’Ouest continuait d’être la même, voire était renforcée. En réaction à la stigmatisation de l’appartenance à l’Est se sont développés des courants comme l’Osttrotz et l’Ostalgie, reflets d’une véritable confrontation identitaire entre les deux groupes sociaux que constituent les populations de l’Est et de l’Ouest. Les Allemands de l’Est ont également développé des stratégies pour se constituer une identité sociale plutôt que de se voir absorbés dans celle des Allemands de l’Ouest au travers de l’Unification. Ils ont ainsi joué avec des auto-stéréotypes et des stéréotypes en miroir (reprise par exemple du stéréotype formé par les Allemands de l’Ouest sur la paresse des Allemands de l’Est), mais aussi avec la constitution de catégories transitoires ou englobantes : « ni seulement de l’Est, ni seulement de l’Ouest ». Le corpus de Berlin indique ainsi que, chez certains locuteurs, l’identité fondée sur l’appartenance à une couche sociale, à une profession, ou l’appartenance géographique à la ville de Berlin supplante l’identité définie par l’appartenance à l’un des deux Etats allemands.

On observe la même volonté de dépasser les oppositions dans certaines créations lexicales. Tandis que les années qui entourèrent l’Unification ont vu apparaître les néologismes Wessi et Ossi pour désigner respectivement les Allemands de l’Ouest et de l’Est, qui ont été par la suite agrémentés de caractéristiques péjoratives dans les dénominations Besserwessi et Jammerossi (renvoyant aux Allemands de l’Ouest qui donneraient des leçons à tout le monde et aux Allemands de l’Est qui se lamenteraient continuellement), un lexème dépassant les frontières géographiques, politiques et culturelles surgit : celui de Wossi. Ce lexème a été créé à Berlin et a désigné en premier lieu des Allemands de l’Ouest qui ne correspondaient pas vraiment à l’image que l’on se faisait de leurs compatriotes, puis à des personnages au passé ancré à la fois à l’Ouest et à l’Est, comme Wolf Biermann, et à des enfants nés de relations Est-Ouest.

Ce terme peut également s’appliquer à la génération que Jana Hensel qualifie dans son roman de Zonenkinder (2004) – des enfants différents de ceux de l’Ouest mais qui ne ressemblent pas non plus à leurs parents qui ont passé la majeure partie de leur vie à l’Est. Des politiciens originaires d’Allemagne de l’Est et ayant fait carrière après l’Unification peuvent également être considérés comme des Wossis : Angela Merkel, Wofgang Thierse, Matthias Platzeck.

Karin Birkner: Gesprächsanalytische Perspektiven auf die Interkulturalität ost-/westdeutscher Kommunikation, pp. 199-215

L’auteur s’intéresse aux marques d’interculturalité entre Allemagne de l’Est et Allemagne de l’Ouest telles qu’elles apparaissent dans un corpus authentique d’interactions entre locuteurs originaires des deux territoires géographiques et socio-culturels. Le corpus est constitué de trois types de données : 1) 41 entretiens d’embauche dans 7 entreprises, dans lesquelles des responsables des ressources humaines se sont entretenus avec 22 candidats est-allemands et 19 candidats ouest-allemands ; 2) 27 jeux de rôles tirés d’entraînements à l’embauche auxquels ont participé 18 stagiaires est-allemands et 9 stagiaires ouest-allemands ; 3) 11 interviews ethnographiques dans lesquelles des interrogateurs et d’autres responsables des ressources humaines se sont exprimés au sujet de leurs critères d’embauche et de leur expérience des entretiens avec des Allemands de l’Est et de l’Ouest. Les enregistrements datent des années 1993-1996.

On voit ainsi comment une candidate est-allemande emploie des termes faisant référence à une certaine réalité quotidienne (Armee, Kaderabteilung) sans recourir de manière systématique à l’équivalent ouest-allemand. Le corpus manifeste également des différences de compréhension de certains topoi ouest-allemands : Spaß haben (s’amuser) est ainsi accepté sans problème comme source de motivation au travail par une vendeuse ouest-allemande, tandis qu’il est conçu comme légèreté mal placée par une candidate est-allemande. Enfin l’auteure relève des différences interculturelles dans la compréhension de l’entretien d’embauche – un genre d’entretien propre aux sociétés capitalistes : certains candidats se présentent en effet sans maîtriser les règles du genre, en inscrivant par exemple dans la rubrique hobby de leur CV « rencontrer des gens » ou en se présentant à l’entretien simplement pour voir à quoi ressemble le poste.

Les entretiens d’embauche contiennent donc des traces de reconstruction et de déconstruction entre deux mondes qui peuvent êtres fatales aux candidats de l’Est. De leur côté, les examinateurs ouest-allemands ne sont souvent pas prêts à faire des concessions sur le respect des normes de l’entretien. Le fait que les connaissances de l’entretien d’embauche comme norme ne soit thématisées qu’avec les candidats d’ex-RDA montre bien la dimension interculturelle de ces rencontres.

Horst Dieter Schlosser: Schweigen die Wähler in Ost und West unterschiedlich? Hypothesen zur Stimmverweigerung bei den Landtagswahlen im März 2006, pp. 217-231

Après avoir posé que le silence était une manière particulière de communiquer, l’auteur se propose d’analyser les causes de l’abstention des électeurs allemands d’un point de vue communicationnel et linguistique. L’événement qui sert de point de départ à l’analyse est constitué par les élections régionales du 26 mars 2006 organisées en Rhénanie-Palatinat (41,8 % d’abstention), Bade-Wurtemberg (46, 3%) et Saxe-Anhalt (55,6 % d’abstention), le taux d’électeurs d’ex-RDA ne se déplaçant pas aux urnes étant en croissance constante depuis 2002.

L’auteur pointe le paradoxe entre cette situation et le désir d’élections libres qui animait les citoyens de RDA en 1989-90, et pose comme première hypothèse que les causes de l’abstention à l’Est dépassent celles qui commandent l’abstention à l’Ouest. Les élections régionales ont une signification particulière à l’Est, où les Länder avaient été supprimés dès 1952, mais leur création est allée de pair avec une complication de la vie quotidienne par le nouveau fonctionnement administratif et institutionnel ; cela amène l’auteur à poser comme 2ème hypothèse que l’abstention serait le signe de la déception de certaines attentes à l’égard de la politique, déception qui s’est fait sentir beaucoup plus rapidement et brutalement qu’à l’Ouest. La troisième hypothèse réside dans les préjugés déjà anciens que les électeurs de l‘ancienne RDA nourrissent à l’égard du pluralisme politique ; et le manque de clarté et de différenciation dans les programmes des différents partis ne sont pas pour arranger cela. La quatrième hypothèse réside dans la découverte que les hommes politiques de l’Allemagne unifiée n’ont pas plus d’intégrité politique que ceux de RDA, et la cinquième dans l’idée que le refus de voter est plus certainement un acte politique chez les Allemands des nouveaux Länder que chez leurs compatriotes (cette hypothèse s’appuie sur des sondages effectués en Saxe-Anhalt).

L’article se termine par un ajout, dans lequel l’auteur rappelle que l’abstention a continué d’augmenter en 2007 (30 % à Brême, 70 % en Saxe-Anhalt). L’auteur a interpellé le ministre-président de Saxe-Anhalt pour l’inviter à collaborer à une recherche interdisciplinaire sur l’abstention, mais celui-ci n’a jamais répondu, renvoyant à la Landeszentrale für politische Bildung de Magdebourg qui n’a guère soutenu le projet.

Rainer B. Jogschies: Blick in die Vier Wände durch die fünfte Wand. Rückblende auf einen Fernsehfilm aus dem Jahr 1990, p. 233-250

L’article traite d’un film de télévision oublié intitulé Vier Wände. Eine deutsche Einheit (Quatre murs. Une unité allemande, Jogschies, 1990). Ila été diffusé le jour de l’Unité allemande, le 3 octobre 1990, et met en scène un allemand de l’Ouest qui regarde chez lui, entre ses quatre murs, la télévision, où défilent des images des événements de l’année précédente. Il présente les images qu’il voit et que tout un chacun a vues à la télévision depuis l’automne 1989.

Au-delà de la présentation de ce film tourné par l’auteur, l’article est une critique du rôle qu’ont joué les media dans la réunification (mercantilisme, starisation, multiplication des images de l’unité et de la réconciliation alors que l’isolement des individus grandit, schizophrénie d’une population qui préfère se voir à la télévision plutôt que de participer à l’événement), mais aussi les hommes politiques (proclamation du caractère historique des événements dès leur surgissement présent…). La thèse de l’auteur est que la télévision a séparé les Allemands au lieu de les réunir parce qu’elle a empêché la constitution d’un passé commun, ce que montre l’image de cet homme enfermé dans ses quatre murs pour regarder un an après la chute DU mur.

Malgré quelques redondances, le recueil d’articles est d’une grande richesse et d’un grand intérêt, tant par l’originalité de la thématique choisie que par la quantité et la diversité des points de vue adoptés par les différents contributeurs. On ne peut que souhaiter la parution prochaine des prochains numéros de la collection.

References

Electronic reference

Stéphanie Benoist, « Kersten Sven Roth, Markus Wienen (Hrsg.), Diskursmauern – Aktuelle Aspekte der sprachlichen Verhältnisse zwischen Ost und West, 2008 », Textes et contextes [Online], 4 | 2009, . Copyright : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=221

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Stéphanie Benoist

Centre Interlangues Texte, Image, Langage (EA 4182), Université de Bourgogne, UFR Langues et Communication, 2 bd Gabriel, F-21000 Dijon

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