Patrick Charaudeau, Le sujet parlant en sciences du langage. Contraintes et libertés. Une perspective interdisciplinaire

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Patrick Charaudeau, Le sujet parlant en sciences du langage. Contraintes et libertés. Une perspective interdisciplinaire, Limoges, Éd. Lambert-Lucas, 2023, 296 p.

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Patrick Charaudeau est professeur émérite de l’Université Sorbonne Paris-Nord, spécialiste d’analyse de discours (politique). Son parcours étant hétérogène (études hispaniques, sémiolinguistique, philosophie, grammaire et enseignement du français), il n’est pas surprenant de retrouver des traces concrètes de sa richesse épistémologique dans les travaux réalisés en analyse de discours. Je souligne, dès à présent, que l’auteur situe ladite discipline dans un cadre linguistique et lui offre une perspective interdisciplinaire. Ces choix théorique et méthodologique peuvent paraître d’une banalité affligeante. Néanmoins, il me semble primordial de le rappeler, non seulement pour pouvoir mieux situer cet ouvrage parmi les références bibliographiques de l’auteur, mais aussi et de surcroît afin de pouvoir aborder la place du sujet parlant en sciences du langage ainsi que son rôle dans une construction que l’on peut nommer interdisciplinaire ou pluridisciplinaire. C’est également par ce biais qu’il nous sera possible de réaffirmer le point de départ de l’analyse de discours qui repose sur des principes primordialement linguistiques. Il s’agit en l’occurrence d’une approche qui dépasse largement les courants et les disciplines qui se veulent « exclusives ». En d’autres termes, il y a bien plus de choses à évoquer au sens linguistique – ou à la rigueur sémiotique –, que ce qui n’a été dit en analyse de discours (du contenu ?) essentiellement sociologique, philosophique, critique ou autre. D’ailleurs, l’importance de la perspective interdisciplinaire apparaît dans l’intitulé même de son dernier ouvrage, que je me propose de présenter ici.

Le sujet parlant en sciences du langage porte sur la question du sujet et touche, par son biais, à la construction du sens qui en émerge. L’approche de tradition (et non d’« école ») française se manifeste durant les 296 pages, entre autres par la présence de la notion-même de sujet parlant, d’interdiscours et par le mode énonciatif du discours. Tous ces points témoignent de l’importance et du poids du travail déjà réalisé par l’auteur lui-même. En effet, la notion de sujet parlant est tout sauf étrangère à Patrick Charaudeau. Une question essentielle qui – accompagnée des questions d’identité et soutenue par les analyses qui en découlent –, hante ses écrits depuis plusieurs décennies. D’ailleurs, je me permets ici, sur une note modérément personnelle, d’insister sur la valeur des analyses d’un tel sujet qui ont permis aux linguistes et/ou sémiologues d’affronter le sujet parlant avec sérénité méthodologique et théorique. Patrick Charaudeau a su aborder « le sujet du sujet » d’un point de vue linguistique en laissant la porte grande ouverte aux travaux qui ont suivi et qui ne tarderont pas à venir. Le livre dont je résume ici les grandes lignes est un ouvrage dont les (sémio)-linguistes, mais aussi tous ceux qui abordent l’analyse du discours sous différents angles, avaient grandement besoin.

Le sujet parlant en sciences du langage. Contraintes et libertés. Une perspective interdisciplinaire est un ouvrage de 296 pages, divisé en quatre parties. La première porte sur les acquis des disciplines qui se sont intéressées à la notion de sujet parlant. Elle comprend trois chapitres. Les trois dernières parties, de deux chapitres chacune, abordent les différentes dimensions du sujet parlant. Elles en traitent alors de manière thématique, en partant de l’énonciation, en passant par la communication et en s’achevant dans la dimension topicalisante.

La première partie Parcours interdisciplinaire représente un survol et une systématisation des acquis par discipline, chacune d’entre elles étant abordée dans un chapitre qui lui est consacré : 1. Parcours philosophique, 2. Parcours sociologique, et 3. Parcours linguistique. La particularité de cette partie introductive repose sur le fait que l’auteur présente les trois approches les plus importantes en analyse de discours et/ou en théories discursives successivement, indépendamment l’une de l’autre. Ce faisant, il accorde une grande importance au besoin de démêler les points de départ afin de mieux faire profiter les disciplines en question des résultats des unes et des autres. L’objectif fixé reste effectivement une perspective interdisciplinaire. À ma connaissance, un tel travail n’a pas été accompli auparavant, sans doute à cause du Je, depuis toujours abordé dès les premières lignes, dans sa complexité interdisciplinaire. La notion de subjectivité porte une part de responsabilité dans cette démarche. Il n’est pas sans importance de mentionner le soin apporté à l’aspect pédagogique de cette partie. En l’occurrence, l’index nominum, qui apparaît à la fin de l’ouvrage, permet au lecteur d’avoir une première idée des auteurs mentionnés. À titre d’exemple, nous y retrouverons Austin, Eco, Barthes, Baudrillard, Benveniste, Bourdieu, Cassirer, Foucault, Freud, Greimas, Grice, Hegel, Kant, Levinas, Locke, Merleau-Ponty, Maingueneau, Nietzsche, Pêcheux, Ricœur, Searle, Sartre, Spinoza, Todorov, Van Dijk, Wittgenstein, la liste n’étant pas exhaustive.

La deuxième partie La dimension énonciative confirme l’importance de l’énonciation dans l’analyse de discours de tradition française. Certes, la question de traduction du terme énonciation dans d’autres langues se pose. Toutefois, l’importance de son contenu ne réside pas dans sa particularité sémantico-lexicale. C’est dans le chapitre Le sujet parlant et la fabrique du sens que la construction du sens est examinée tout en prenant en compte l’intentionnalité et les compétences du sujet parlant. La compétence est considérée comme, grosso modo, un savoir-faire nécessaire pour « satisfaire à la fois aux processus de transformation et de transaction. Des calculs auxquels se livre le sujet parlant, qu’il produise l’acte du langage ou qu’il l’interprète » (p. 99). La construction du sens se manifeste ainsi en termes d’effets, le monde étant « commenté, c’est-à-dire décrit et structuré » (p. 98). L’idée évoquée est représentée dans un schéma portant sur les processus de transformation, d’interprétation et de transaction (ibid.). Le deuxième chapitre La mise en scène de l’acte de langage traite, par la suite, des questions d’identité. C’est ce chapitre, me semble-t-il, qui s’avère crucial dans la détermination du Je en tant que personne et/ou en tant que personnage. Il s’agit ici d’évoquer les jeux des interactions et des identités individuelles et collectives. L’identité discursive, quant à elle, se construisant « au moment de la mise en énonciation de l’acte de langage » (p. 128). Pour illustrer ces propos, l’auteur propose plusieurs exemples tirés de situations différentes : récit, publicité, ironie.

La troisième partie La dimension communicationnelle part à la recherche du Sujet parlant contraint d’une part, et du Sujet parlant en liberté surveillée d’autre part. Les notions de contrat de communication et de contrat de parole sont ainsi analysées. Une fois la situation de communication prise en compte, le contrat se dessine comme condition d’énonciation et d’interprétation. C’est ainsi que l’auteur postule que ce sont les conditions situationnelles « qui permettent aux participants de se situer dans un même cadre communicationnel, dans un même contrat » (p. 166). Effectivement, « On ne peut interpréter (et donc juger) un énoncé, sans savoir à quel contrat communicationnel il se rattache » (ibid.). C’est ainsi que les trois lieux de pertinence (lieu des conditions de production, lieu de l’acte d’énonciation et lieu des conditions de réception) sont abordés et qu’ils forment la coconstruction de la signification. Enfin, les contraintes analysées permettent d’enchaîner sur les libertés éventuelles du sujet parlant. Ces dernières se traduisent généralement par stratégies discursives qui reposent, à leur tour, sur les postulats d’intentionnalité. Sont traités ici notamment : relation Je-Tu, altérité, régulation, identification, dramatisation, influence, ethos, crédibilité.

Enfin, la quatrième et dernière partie traite de La dimension topicalisante. L’auteur rentre, in medias res, dans le sujet du savoir, de sa construction, des systèmes de pensée et des imaginaires (chapitre Les « imaginaires sociodiscursifs »), avant d’entamer la discussion portant sur l’interprétation et ses supports (chapitre Le sujet interprétant). Les imaginaires sociodiscursifs sont ainsi conçus en tant que combinaison de savoir, imaginaire et consciences de soi. Ou, pour citer l’auteur : « En effet, on formule l’hypothèse que le symptôme d’un imaginaire social est la parole. » (p. 239). Les imaginaires sont d’ailleurs analysés en termes de niveaux. Concrètement, ils se présentent en tant qu’imaginaires transculturels et socio-culturels. À la fin de l’ouvrage, et en partant de la compréhension et de l’interprétation en herméneutique, Patrick Charaudeau explique, dans un premier temps, les opérations interprétatives par inférence. Ce faisant, il rappelle que « l’inférence n’est pas une garantie de vérité » (p. 258), qu’elle soit centripète ou centrifuge. Il décortique ensuite les supports d’interprétation, tels le contrat de parole, les traits d’identité, ou encore les différents types de savoir. Il termine son analyse en abordant la situation et le statut du sujet interprétant. « Le sujet parlant est bien au centre de l’activité langagière, et il existe bel et bien en tant que tel, contrairement à ce qu’avancent certaines positions en sciences humaines et sociales qui tendent à le faire disparaître sous des déterminations de divers ordres, psychologiques, sociologiques ou anthropologiques » (p. 271).

Le sujet parlant, en tant que Je, en tant que Nous, reste défini par son implication discursive, que ce soit par l’identification ou par l’exclusion par rapport à l’autre (ou bien par les deux à la fois). Il est le témoin par excellence du fait qu’en analyse de discours – que l’on considère primordialement, mais non exclusivement linguistique –, nous cherchons des outils d’analyse dans une boîte commune à la quasi-totalité des sciences humaines et sociales. Néanmoins, cela ne veut pas dire que tout peut être rapporté au « simple » positionnement du Je. Au contraire, le sujet parlant dont il est question ici n’est parlant que parce qu’il est sujet pensant, sujet analysant, sujet interprétant. En somme, il est actif à tout niveau de réflexion et de production qui sont propres à l’espèce humaine, à l’être social. En tant que tel, il n’échappe point au conditionnement identitaire, qu’il soit culturel ou autre. Ce qui serait intéressant de voir comme suite, en termes d’analyse plus profonde, ce sont par exemple les conséquences de l’anonymat dans les discours publics d’aujourd’hui. Mais là encore, il s’agit d’une curiosité modérément personnelle.

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Dubravka Saulan, « Patrick Charaudeau, Le sujet parlant en sciences du langage. Contraintes et libertés. Une perspective interdisciplinaire », Savoirs en lien [Online], 2 | 2023, . Copyright : Les textes seuls sont sous Licence CC BY 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/sel/index.php?id=393

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Dubravka Saulan

Université de Bourgogne, CPTC

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