Le diagnostic médical comme fiction religieuse

Le biopouvoir à l’épreuve de la phénoménologie du corps

  • Medical Diagnosis as Religious Fiction: Cocteau’s Critique of Biopower

DOI : 10.58335/revue3s.94

Résumés

L’article rend sensible la critique coctélienne du partage entre le sain et le pathologique à partir de la lecture de son journal intime, intitulé Opium, Journal d’une désintoxication. Rédigé en pleine cure de désintoxication, le journal remet en question la nosologie de l’institution médicale et en refuse les préceptes quasi « religieux ». L’institution médicale est accusée d’assujettir ses patients en les amenant à se constituer comme une subjectivité unitaire, transparente et confessante – sommés d’incorporer et d’incarner les étapes d’un récit téléologique et salvateur. Le parti pris du journal intime remet en cause le « récit » médico-religieux de l’addiction puisqu’échappant à toute totalisation rétrospective, révélant la complexité du vécu en souffrance. Le journal réussit à mettre en lumière l’aveuglement du corps médical face à la fiction inhérente au diagnostic et à la potentialité curative de la littérature.

The article sheds light on Cocteau’s critique of the dichotomy between the healthy and the pathological through an examination of his intimate journal titled Opium, Journal d’une désintoxication.Written during a period of detoxification, the journal challenges the nosology of the medical institution and rejects its quasi-“religious” precepts. The medical institution is accused of subjecting its patients by compelling them to adhere to a unified, transparent, and confessing subjectivity - urged to incorporate and embody the stages of a teleological and salvific narrative. The journal’s stance challenges the medical-religious “narrative” of addiction as it escapes retrospective totalization, revealing the complexity of the patient’s lived experience. Moreover, the journal succeeds in highlighting the medical establishment’s blindness to the inherent fiction of diagnosis and the therapeutic potential of literature.

Plan

Texte

Le pouvoir médico-religieux : un pouvoir narratif

Jean Cocteau rencontre l’opium par hasard. Une rencontre hasardeuse, un coup de foudre. 12 décembre 1923 : mort de Raymond Radiguet. Cocteau écrit au philosophe néo-thomiste Jacques Maritain :

« la mort de Raymond Radiguet m’avait opéré sans chloroforme »1. Max Jacob et l’abbé Mugnier tentent d’amener Cocteau à la pratique de la religion. Cocteau, agacé, aurait répondu à Jacob : « quoi, tu me conseilles l’hostie comme un cachet d’aspirine ? » – ce à quoi répond Jacob : « l’hostie doit être prise comme un cachet d’aspirine »2. Fuyant le médico-religieux auquel Cocteau ne croit pas, l’auteur se montre plus sensible à la recommandation de Louis Laloy : l’auteur du Livre de la fumée lui aurait conseillé de prendre l’opium. Le jus de suc de pavot est en effet présent dans la pharmacopée hippocratique dès le 4ème siècle pour soigner l’anxiété, l’insomnie et les douleurs. L’opium n’est donc pas envisagé par Cocteau comme motif d’expérimentation mais comme un simple « correctif », « fixatif », un remède métaphysique qui suspend l’absurdité de l’existence. « On veut me salir, c’est ignoble ! Parce qu’on a trouvé 3 grammes d’opium chez moi, chez un malade dont c’était le médicament ! » s’indigne l’auteur, tourmenté par le procès qu’on lui intente en 1939 pour possession d’opium. Il « est fou d’aller chez le dentiste et de refuser le secours de l’opium », souligne Cocteau qui aurait pris « le pavot à la place du Paraclet »3, octroyant à la divine fumée le statut de suprême intercesseur. Qualifier l’opium de remède divin ne peut qu’évoquer l’association typiquement médiévale entre l’action pastorale et le contrepoison – la grâce de l’Esprit Saint étant associée à la thériaque, appliquée contre le venin du péché. Préparée à base d’opium, la thériaque constitue le venin par excellence contre la morsure de serpent, qu’elle soit somatique ou spirituelle4. L’opiomanie de Cocteau rend non seulement sensible la dimension curative du religieux5, mais aussi la promesse salvatrice du diagnostic médical6 – prétention qui est indissociable de l’élaboration d’une fiction ésotérique. Telle est notre hypothèse : le pouvoir médical n’est divin (et la religion curative) qu’à la condition d’élaborer une trame narrative, un récit salvateur capable d’exorciser la maladie. La parole du médecin doit pouvoir révéler (nous retrouvons ici l’importance salvatrice du Verbe religieux) l’origine du mal, élaborer un récit transformationnel et agonistique susceptible de mettre fin (au sens de conclure et de guérir) à la maladie. Nous verrons en quoi Cocteau exhibe la trame narrative, la tension dramatique et les personnages inhérents à tout récit de désintoxication ; en quoi son écriture présente et déconstruit la violence et les rouages de la fiction médico-religieuse, d’ailleurs incapable de guérir l’opiomane de son mal. L’auteur traverse en effet plusieurs cures éprouvantes de désintoxication7 ; se heurte à la violence du récit médical auquel il opposera un contre-récit. Opium, journal d’une désintoxication est écrit entre décembre 1928 et avril 1929 en clinique alors que Cocteau subissait, après une rechute de quatre ans, une deuxième cure :

J’ai supprimé les dessins faits sous prétexte de me distraire. Bon gré mal gré, ils sentaient le travail plastique, quelle que fût ma sottise en face des problèmes à l’ordre du jour. Je relate une désintoxication : blessure au ralenti. Les dessins qui suivent seraient des cris de souffrance au ralenti, et les notes, les étapes du passage d’un état considéré comme anormal à un état considéré comme normal. Ici le ministère public se lève. Mais je ne témoigne pas. Je ne plaide pas. Je ne juge pas. Je verse des pièces à charge et à décharge au dossier du procès de l’opium8

« Je souhaite que ce reportage trouve une place entre les brochures de médecins et la littérature de l’opium »,9 écrit Cocteau, dont l’écriture cherche à documenter sa toxicomanie en faisant tabula rasa de toute connaissance médicale10. Le recours à la forme fragmentée du journal (un journal qui, de surcroît, est parsemé de dessins) n’est pas anodin : il permet de dénoncer la supposée compatibilité d’un récit totalisateur avec le vécu tourmenté du patient. En effet, les entrées du journal (dont la fréquence est extrêmement variable) s’apparentent à des jets spasmodiques dont la progression interdit toute linéarité, toute téléologie. Si « chaque notation, prise/ isolément, relève bien d’une configuration narrative à part entière »11, la suite des fragments narratifs ne s’inscrit pas dans une logique narrative, dans un ensemble cohérent construit en vue d’une fin (celle d’une guérison, par exemple). Le journal est l’écriture de l’inachèvement par excellence : « Le journal appartient au mode du discontinu. La mémoire n’y joue pas ce rôle organique, organisateur qui caractérise le rythme de l’autobiographie »12. Certes, l’absence d’une totalisation rétrospective (celle qui se donne à lire dans l’autobiographie) n’exclut pas que le contenu du journal puisse prendre une direction particulière, celle de l’existence : cette direction n’est toutefois pas totalisante (divine). Les annotations du diariste ne peuvent être reliées par un enchaînement causal ; « les événements ne réussissent pas à se combiner en une intrigue intelligible »13. Le récit implique en effet un processus de transformation diachronique, alors que le journal épouse le mouvement de la vie, en perpétuelle élaboration jusqu’à ce qu’une totale saisie rétrospective puisse lui conférer une unité formelle et événementielle (unité qui n’est accessible qu’à un regard divin). Philippe Lejeune ne caractérise-t-il pas le journal par « la répétition », par le « manque de cohérence ou de pertinence », par « l’absence de finalité a priori du récit » puisqu’« un journal réel est toujours écrit dans l’ignorance de son terme »14 ? Le journal est donc l’écriture qui se tient au plus près de notre facticité : nous sommes jetés dans l’existence, pétris d’angoisse et d’incertitude ; notre incarnation nous dépossède de tout regard de surplomb sur notre ancrage mondain. Le journal est donc le lieu idéal de contestation d’un récit médico-religieux – lequel se présente comme totalisateur, unitaire et téléologique.

Le journal de Cocteau montre que la médecine suppose une adhésion religieuse a) à un récit salvateur révélé ; b) à une transcendance lumineuse, omnipotente et omnisciente (personnage adjuvant, celui du médecin) ; c) à un ethos qui soumet le corps du fidèle/patient·e à un assujettissement garant de téléologie et de continuité narrative. Le journal permet aussi de remettre en question l’opposition paradigmatique santé-maladie narrée par le diagnostic médical, laquelle contribue à expliquer, pour Cocteau, l’échec de ses désintoxications. Le présent article entend donc rendre sensible la narrativité supposée par le discours médical, de dégager l’imaginaire religieux qui sous-tend tout diagnostic – l’élaboration d’une fiction salvatrice permettant de construire et de légitimer le biopouvoir propre à l’institution médicale.

La tentation du diagnostic : un geste religieux

La mission salvatrice de la religion médicale opère à partir de la prise en charge d’un patient, c’est-à-dire à partir de la narration de son vécu. Le personnage du patient est construit par le discours médical à partir d’une opposition paradigmatique, d’un antagonisme producteur d’une tension dramatique. Que le mal qui ronge le personnage soit spirituel ou biologique, le médico-religieux procède à la qualification d’un mal à soigner et à la détermination d’un remède : il s’agit en effet de conduire un individu d’un état de déchéance (le mal ou la maladie) à une forme de rédemption (la santé ou le salut). Algirdas Greimas définit en effet le récit comme « une manifestation discursive, déroulant […] un modèle transformationnel implicite »15, modèle qui ne saurait s’appliquer à l’errance discursive du journal intime. Le mal est narré par une narratologie symptomatologique, celle élaborée par l’institution médico-religieuse : progressif, il serait susceptible d’un regard régressif, analeptique (chercher la cause du mal) et proleptique (prévoir le remède). L’étiologie médicale se charge donc de soumettre l’obscurité de mal à une recherche régressive des motifs, de même que la religion fait remonter la déchéance actuelle du fidèle au péché adamique. La définition du patient/ pécheur implique aussi l’apparition de son corollaire, à savoir celle de son auteur : « comme tout autre mouvement de persécution, la campagne contre la toxicomanie procure des gratifications non négligeables à ses instigateurs : en définissant une minorité comme pécheresse (ou malade), elle se réaffirme en tant que sainte (ou saine) »16 écrit Thomas Szasz, médecin. Élaborer un diagnostic, narrer le vécu d’un patient suppose en postuler la lisibilité. L’auscultation, la dissection, la désintoxication, l’aveu, la confession sont des pratiques qui visent à faire parler le silence des organes et de l’âme, opération qui doit conduire à la dissolution, lumineuse, du mal et de la maladie. Apollon, dieu de la médecine, est aussi celui de la lumière : la valorisation du lumineux, portée par une pulsion scopique, se donne à lire dès la médecine nosologique (l’Antiquité jusqu’au 18ème siècle) ; classificatrice, elle dissèque les faits pathologiques en familles, genres et espèces ; à partir du 18ème  siècle, la médecine clinique se donnera pour mission de « démêler le principe et la cause d’une maladie à travers la confusion et l’obscurité des symptômes ; connaître sa nature, ses formes, ses complications ; distinguer du premier coup d’œil tous ses caractères et toutes ses différences » comme le souligne Michel Foucault dans Naissance de la clinique. Apparaît ici l’importance du regard, celui du médecin, capable de « de voir, d’isoler des traits, de reconnaître ceux qui sont identiques et ceux qui sont différents »17. Dans La formation de l’esprit scientifique, Gaston Bachelard décrit très bien l’importance accordée par la science à la visualisation des phénomènes, étalés dans l’espace en vue de leur prise de possession scopique. La connaissance est inséparable, dans l’imaginaire épistémologique occidental, de la vision imaginaire qu’examine Max Milner dans L’envers du visible18. Le journal de Cocteau traduit très bien le regard radioscopique de la médecine : ses dessins mettent en lumière un corps contorsionné, amputé et figé dans des postures d’auscultation19. Examiné en coupe, de profil ou de face, le corps est martyrisé et supplicié par des traitements qui s’apparentent plus à la sorcellerie qu’à une guérison. Vu l’indissociabilité du visible et du dicible dans l’imaginaire épistémologique, narrer un diagnostic revient à ramener un vécu objectivé (objectum, ce qui est jeté devant) à la visibilité : les dessins d’Opium représentent le corps nu d’un patient anonyme, écartelé et étendu sur une table d’auscultation. Si l’éternel est bien celui qui sonde les reins et les cœurs (Psaumes, 7:10 et 139:23 ; Livre de l’apocalypse, 2:23), le regard médical vient actualiser cette omniscience scopique. L’omnipotence du pouvoir médical – substitué à celui de Dieu à partir du 19ème siècle – effectue en effet un marquage du corps, convertissant les organes en signes lisibles. La violence de l’extrême luminosité à laquelle s’astreint le sujet prend alors l’allure d’une stigmatisation, signes qui ne renvoient plus au logos divin, mais à la violence du diagnostic médical.

Le corps, pôle d’application du pouvoir médical, devient le micro-lieu de la manifestation d’un pouvoir divin. Par ailleurs, les dessins d’Opium ne représentent jamais le médecin, mais ne figurent que ses œuvres – rappelant ainsi l’interdiction divine formulée à Moïse dans l’Exode, selon laquelle nul ne peut voir l’éternel de face et vivre (33:20). Ainsi, « l’on traite le nerveux comme un gâteux », écrit Cocteau ; « On lui cache le contenu des remèdes, on évite les rapports humains. Le docteur doit être inhumain. Un docteur qui parle, qui entre en contact avec le malade n’est jamais pris au sérieux. […] Plutôt que d’aborder la question de l’opium avec le malade qu’elle obsède, on l’évite. Un vrai docteur ne s’attarde pas dans la chambre. Il cache ses tours, faute de tours. Cette méthode a perverti les malades. Le docteur qui les écoute, le docteur humain leur est suspect »20. Le personnage du médecin est divin, intimant d’emblée au patient les contours de son ethos, de sa conduite. Voir Dieu de dos revient à recueillir les commandements et à se soumettre à une parole divine. La médecine est en effet religieuse en ce qu’elle impose un discours disciplinaire capable de contrôler la vie – ambition qui relève, pour Michel Foucault, du biopouvoir. La « confession » à l’œuvre dans le journal participe du biopouvoir puisqu’elle vise à produire une vérité sur soi. Le biopouvoir amène en effet le patient à élaborer un discours sur sa propre expérience21 (la psychiatrie n’est-elle pas la science-aveu par excellence ?) : le langage médical, sa pratique confessante s’introduit bel et bien dans la mise en récit de Cocteau. En effet, l’écriture d’un journal intime ne peut qu’évoquer la structure d’un dossier médical : Cocteau avoue avoir « voulu prendre des notes au fur et à mesure de [son] séjour à la Clinique » traduction fidèle des « étapes du traitement »22. Le journal intime prend l’allure d’un aveu, conformément aux injonctions du biopouvoir médical : la clinique se transforme en un confessionnal moderne, en une cellule d’isolement permettant au fidèle l’expiation du mal qui le ronge. Le journal trahit malgré lui le biopouvoir de la médecine confessante, laquelle opère une « codification clinique du “faire parler” », combinant « la confession avec l’examen, le récit de soi-même avec le déploiement d’un ensemble de signes et de symptômes déchiffrables » pour « réinscrire la procédure de l’aveu dans un champ d’observations scientifiquement acceptables »23. D’ailleurs, Cocteau se représente à genoux, les mains croisées, en posture de prière, crucifié par le mal qui parcourt son corps…24

L’écriture d’Opium donne donc à lire la perversité du biopouvoir, lequel amène le patient à expier son mal par le langage, à produire son propre assujettissement. L’assujettissement (sub-jecere, cette continuité qui sous-tend les actes et répond de soi en se narrant) est le processus par lequel un pouvoir qui s’exerce sur des corps individuels façonne aussi des sujets, des comportements. La formation de la subjectivité du « patient » résulte d’un assujettissement discursif : guérir un individu suppose le ficher dans le tableau d’une continuité narrative, unitaire et monadique – le ramasser sous l’égide d’un moi, jugé comme sain ou malade. Le corps assujetti par l’institution médico-religieuse se doit d’être impeccable, c’est-à-dire à la fois exclu de peccabilité et parfaitement fonctionnel sur le plan médical. Toute tache d’ombre parasitant le corps immaculé doit être lavée, contrôlée : ce n’est pas un hasard si plaies et épidémies se manifestent dans l’Ancien Testament comme les signes de représailles divines, exercées en cas de désobéissance et de péché, si le geste salvateur du Christ s’associe souvent à celui d’un thaumaturge et si le maintien de la vie figure même comme une Mitzva dans la Torah (Deutéronome 30:19). Symptomatique d’un mal moral ou d’un dérèglement à redresser, le pathologique est traqué au sein d’un corps qui constitue le point d’application suprême d’une éthique et d’une hygiène de vie. Le maintien du corps est incompatible avec l’usage débridé des drogues, condamnation morale confirmée par Thomas Szasz :

« Toute infraction au code imposé par l’Église était alors considérée comme une hérésie et punie par un châtiment approprié, appelé pénitence ; tout écart par rapport aux normes établies par la Médecine passe aujourd’hui pour une “manie” […] réprimée par les sanctions médicales appropriées, appelées traitements »25.

Cocteau souligne en effet très bien la répression médico-policière de la toxicomanie :

« Ne pas oublier que les prises de contact officielles avec l’inconnu finissent toujours par une affaire commerciale, comme Lourdes, ou par une descente de police »26.

La désintoxication est narrée par l’institution médicale comme l’exorcisme d’un mal qui serpente dans le corps : Cocteau décrit l’avidité des médecins qui consiste à découvrir « les cachettes de la morphine », à « l’attirer dehors par l’entremise d’une substance dont elle sera gourmande, comme d’un bol de lait le serpent »27. Pour mener à bien son entreprise lumineuse de purification, la doxa médicale impose en effet un ethos hygiéniste, cherchant à faire respecter religieusement au patient un ensemble de commandements. La tyrannie du biopouvoir s’apparente, dans Opium, en un exorcisme moderne, rejoignant par là même l’obscurantisme religieux qu’elle prétendait fuir : « les médecins qui désintoxiquent – on devrait dire simplement qui purgent – ne cherchent pas à guérir les troubles premiers qui motivent l’intoxication » ; Cocteau retrouvait donc son « équilibre nerveux et que je préférais un équilibre artificiel à pas d’équilibre du tout »28. Par conséquent, « on épuise le malade, on le vidange, on pousse la bile et, bon gré mal gré, on retourne aux légendes qui voulaient qu’on chassât les démons par des plantes, des charmes, des purges, des vomitifs »29 écrit Cocteau. La fumée d’opium parasitant l’organisme se spiritualise jusqu’à acquérir la consistance d’un esprit dont il faut organiser l’exorcisme. La désintoxication apparaît alors comme un rituel commandé par un idéal de pureté et mené par une inquisition médicale.

Le diagnostic, ou l’assujettissement du corps

L’assujettissement médical est connaissance par séparation (διάγνωση, diágnôsè, de δια-, dia, par, à travers, séparation, distinction et de γνώση, gnôsè, la connaissance, le discernement), geste diaïrétique30 qui permet l’élaboration d’un schéma narratif. Conduire un récit diagnostique vers sa fin, maîtriser l’issue d’une maladie revient à objectiver un corps parfaitement dicible et lisible – et ce conformément au primat métaphysico-scientifique de l’objet. L’objectivation du patient réduit à un corps permet au corps médical de se l’assujettir. Ainsi, « Dans l’expérience que la philosophie moderne a de l’étant, celui-ci apparaît comme l’objet » ; « L’étant se tient en face » de notre « appetitus » : nous avançons « la main vers l’étant » pour « l’amener à soi dans le concept »31. Un objet se conforme aux possibilités logiques et critiques que nous lui imposons : il est ce qui peut se concevoir logiquement sans contradiction (telle est la définition de l’étant dans l’ontologie puisque seul ce qui se conçoit sans contradiction peut être), ou bien ce qui se conforme aux conditions formelles de notre expérience32. Par conséquent, tout objet doit être possible avant que d’être effectif : le passage de la possibilité (établie a priori) à l’effectivité doit permettre l’anticipation d’un phénomène parfaitement pensable et non-contradictoire33. Parfaitement pensable et connaissable, écartant toute imprévisibilité et les aléas de la matière, l’objet est le phénomène privilégié de la métaphysique et de la science. L’objet est donc prévisible, re-productible à l’identique, conçu en série à partir d’un modèle-type (en l’occurrence conceptuel) et dématérialisé à souhait34. C’est l’exigence de distinction (geste critique, diagnostique) et de clarté qui conduiront le cartésianisme à la dissection anatomique d’un corps réduit à un cadavre (res extensa) ; le xviie siècle assimilera le corps à une horloge alors que le xviie et le xixe l’associent à des mécanismes autorégulés. Le corps physique est, depuis le xviie siècle, l’objet de la science positive, c’est-à-dire d’observations et d’expérimentations suffisamment définies pour qu’elles soient reproductibles par n’importe quel observateur. Machine composée d’os et de chair, le corps est un cadavre dépourvu de vie et de subjectivité (ce que la phénoménologie appelle le Körper) ; ses mécanismes sont par conséquent prévisibles, narrables. Un cadavre peut-il seulement se défendre ou s’exprimer ? Nous comprenons dès lors le triste constat de Cocteau face à une telle réduction, fort commode du reste pour l’institution médicale : « les savants ne sont pas curieux »35, d’où l’impératif de l’écriture coctélienne :

Ma garde me dit : « Vous êtes le premier malade que je vois écrire le huitième jour ». Je sais bien que je plante une cuiller dans le tapioca mou des jeunes cellules, que je gêne une marche, mais je me brûle et je me brûlerai toujours. Dans deux semaines, malgré les notes, je ne croirai plus à ce que j’éprouve. Il faut laisser une trace de ce voyage que la mémoire oublie, il faut, lorsque c’est impossible, écrire, dessiner sans répondre aux invites romanesques de la douleur […] aider les médecins que la paresse ne renseigne pas36.

La curiosité suppose de se laisser surprendre par l’altérité radicale, celle du patient ; elle est relancée par le désir de se tenir au plus près de ce qui demeure incompris, indicible, obscur. Elle est incompatible avec la prévisibilité, avec la reproductibilité, avec la lisibilité d’un objet parfaitement compris par le langage diagnostic (cum-prehendere, ce qui est saisi). En noyant le vécu du patient de lumière, en lisant ses organes, la médecine consacre sa paradoxale cécité. Aveugler la zone d’ombre de lumière pour mieux en refuser la décourageante complexité, c’est nécessairement en effacer le mystère, la réduire au silence. Cocteau singe très bien la divine absence du médecin : son retrait n’est que le signe de sa risible ignorance. « Le docteur doit être inhumain. Un docteur qui parle, qui entre en contact avec le malade n’est jamais pris au sérieux, […] la psychologie est l’ennemie de la médecine. Plutôt que d’aborder la question de l’opium avec le malade qu’elle obsède, on l’évite. Un docteur ne s’attarde pas dans la chambre. Il cache ses tours, faute de tours »37.

« N’oubliez pas qu’on ne laisse monter personne [dans la chambre du patient], qu’on enferme un nerveux, un demi-fou qu’on devait distraire, seul avec sa garde pendant des mois. Le médecin-chef entre une minute. Si le malade va bien, il prolonge. Si le malade va mal, il se sauve »38 ironise encore Cocteau.

Se soustraire à l’ethos lumineux du discours médical revient à proposer un contre-discours, à « rendre le mystère lumineux », « donc [à] lui rendre sa pureté de mystère »39. Cocteau s’attelle à la « besogne d’exprimer les tortures que l’impuissance médicale inflige à ceux qui chassent un remède en train de devenir un despote » ; c’est l’inadéquation du discours médical à son vécu qui explique le besoin « d’y voir clair dans le noir, de mettre les pieds dans le plat, d’aborder de face des problèmes qu’on aborde toujours de profil »40. L’écriture fragmentaire, contradictoire41 du journal intime, se rebelle contre tout assujettissement narratif et permet d’opacifier le vécu vivant (Leib) du patient, de rappeler l’irréductibilité du corps au Körper objectivé. Le Leib, dit corps propre, constitue le lieu pathique, pré-représentatif et anté-langagier du vécu et s’oppose clairement au Körper – corps anatomiquement dicible. Indicible en vertu de son originarité, le Leib comme flux d’impressions constitue la condition de possibilité de la connaissance ainsi que le sous-bassement de toute phénoménalisation et ne peut constituer un objectum, cette res extensa se tenant devant le sujet connaissant. Rappelons ici avec Jean-Luc Marion que la chair (Leib) se distingue du corps physique et cadavérique, objectivé (Körper, amas d’organes—le même pour tous) par la science et par la métaphysique : « La chair s’oppose aux corps étendus du monde physique, non seulement parce qu’elle touche et sent les corps, tandis que les corps ne sentent pas, même si un toucher les sent ; mais surtout parce qu’elle ne touche les corps qu’en se sentant elle-même les toucher autant, voire plus, qu’elle ne les sent »42. En effet, « La chair ne peut rien sentir sans se ressentir elle-même et se ressentir sentante (touchée, voire blessée par ce qu’elle touche) ; il peut même arriver qu’elle sente en se ressentant non seulement sentante, mais aussi sentie (par exemple, si un organe de ma chair touche un autre organe de ma propre chair). Dans la chair, l’intérieur (le sentant) ne se distingue plus de l’extérieur (le senti) ; ils se confondent dans un unique sentiment — se sentir sentant »43. Le corps propre est le lieu par excellence de l’ipséité qui s’auto-affecte : « Je suis là où m’affecte ce qui me touche, donc d’abord là où je m’affecte moi-même. Je ne suis pas d’abord là où je touche une autre chose que moi (où je la pense, la vise et la constitue), mais là où je m’éprouve touché, affecté et atteint »44. L’individu se découvre par conséquent comme celui « qui s’expose à la touche et au tact d’une affection »45. La personne est son corps propre, sa chair vivante : il est au monde comme une chair incarnée, intonée ; si « toute tentative de prendre du recul par rapport à elle [la chair] (avec l’hypocrite intention d’en prendre congé) équivaudrait, si j’osais l’effectuer, à me tuer, car je devrais m’éloigner, prendre congé et me défaire de moi-même »46, la médecine révèle sa véritable violence. La médecine objective le vécu, le dissèque, réduit le vivant au cadavérique. Or notre corps vivant est d’une immédiateté qui se refuse à tout clivage objectivant, à toute représentation extatique (typiquement scientifique) :

Je me pense encore lorsque je prends chair, même si je ne me pense plus selon la représentation, ni l’entendement. Je me pense en me sentant et selon la modalité du sentir, dans une immédiateté qui abolit l’écart propre à la représentation ; à l’encontre donc de la pensée sous la modalité de l’entendement. La pensée d’entendement procède en effet selon l’universel, travaille l’universalisable et opère en universalisant […] la pensée d’entendement ne se déploie qu’à la condition expresse de ne pas faire acception des personnes et de ne pas se singulariser (ce qui distingue le discours scientifique et juridique de la parole des poètes, des écrivains et des théologiens, parfois même des philosophes)47.

L’écriture (en l’occurrence celle de Cocteau) apparaît en s’opposant à la discursivité médicale, puisque n’obéissant pas au dictat de l’objectité – lequel rend possible la médicalisation. Crucifié à la douleur que lui inflige la désintoxication, Cocteau parle non pas de l’effet physique, mécanique du withdrawal, mais de son retentissement sur la « nuit étoilée du corps humain »48— reprenant la réflexion nietzschéenne selon laquelle « l’homme connaît à peine les instincts qui le meuvent. Leur nombre et leur force, leur flux et leur reflux, leur jeu et les règles de leur jeu, et avant tout les lois de leur développement qui lui demeurent inconnues »49. Les dessins de Cocteau cherchent précisément à rendre sensibles « les fantômes » qui peuplent son vécu désarticulé, représentation qui écarte délibérément toute « connaissance médicale »50. Cocteau décrit minutieusement le rapport du corps vécu à l’espace et au temps, rapport transfiguré par l’intoxication puis par la désintoxication. « Le fumeur fait corps avec les doigts qui l’environnent. Sa cigarette, un doigt tombent de sa main »51 ; il fait l’expérience d’une « vitesse lente », d’une distorsion des paramètres spatiotemporels calculables et mesurables52. Ainsi, si les dessins de Cocteau sont hantés par l’écartèlement médical, leur caractère anatomique ne participe pas d’une monstration médicale (totale, pornographique), mais renvoie à la bouche (érotique) de sa blessure53.

Si Cocteau insiste beaucoup sur l’indicibilité de l’opium comme drogue aérienne, subtile et fuyante, comme « substance qui échappe à l’analyse, vivante, capricieuse »54, c’est précisément pour mieux montrer la parfaite compatibilité de la drogue avec l’opacité vivante du corps propre. Car si l’opium s’ancre si bien dans le corps, c’est en vertu d’une compatibilité essentielle avec le corps propre, puisque les deux sont d’une ténébreuse invisibilité : « La désintoxication scientifique n’existe pas encore » écrit Cocteau ; « À peine dans le sang, les alcaloïdes se fixent sur certains tissus. La morphine se fait fantôme, ombre, fée »55. Une fois faufilée dans le vécu intérieur, la substance se fait « fantôme, ombre, fée », prenant refuge dans l’opacité de l’immanence. Par ailleurs, l’opium est une substance aérienne, fugace, serpentine ; trompeuse, elle est fondamentalement imprévisible et refuse toute saisie objectivante, médicale. « En préparant l’opium brut on combine les alcaloïdes au hasard. Il est impossible de prévoir les résultats »56 rappelle Cocteau qui insiste sur l’insaisissabilité et la ténacité de la substance : « Un fumeur complètement désintoxiqué et qui refume, n’éprouve plus les malaises de la première intoxication. Il existe donc, en dehors des alcaloïdes et de l’habitude, un esprit de l’opium, une habitude impalpable qui subsiste malgré la refonte de l’organisme […] La drogue morte laisse un fantôme. À certaines heures, il hante la maison »57. Impossible à saisir ou à prévoir, le mal est par conséquent impossible à guérir : alors que la médecine réduisait l’opiomane à un poumon (fig. 3), Cocteau rappelle que l’opium n’a pas de lieu, puisqu’il est vécu. Le diagnostic, parole apollinienne de clarté et de distinction et préliminaire essentiel de la confession curative, n’a aucun pouvoir de saisie sur le corps propre. Cocteau se heurte en effet à la difficulté de faire coïncider le langage objectivant, narratif avec l’opacité d’un corps douloureusement présent. La phrase de Cocteau se délie au maximum jusqu’à devenir un trait, jusqu’à l’éclatement textuel, jusqu’au dessin58. Se tenir au plus près du vécu du patient revient à incarner son écriture : « Le seul style possible, c’est la pensée faite chair… »59

Dire le vécu de la désintoxication se fait donc nécessairement grâce à une secousse du langage, lequel doit incarner les lignes et contours de la chair. Le langage doit donc se tordre, offrir des reliefs graphiques, syntaxiques afin de se tenir au plus près du vécu immanent, se doter d’une épaisseur charnelle, d’une certaine immédiateté. La « chair du papier » est sillonnée, rugueuse : il faut y graver des rainures pour que les mots ne « coulent pas », mais qu’ils « s’encastrent » sans « nuire à leur relief »60. Si le journal peut enregistrer l’expérience de la désintoxication, c’est précisément en vertu de la capacité de cette écriture à offrir des aspérités de surface, des « changements de niveaux »61, « une certaine perfection de la forme effac[ant] le relief »62 de l’œuvre. Les lignes des dessins de Cocteau, loin d’objectiver l’affect et le vécu du patient, figurent toujours par cinq, comme des portées de partition musicale63. La musique, art immédiat et pré-conceptuel pour Schopenhauer constitue d’ailleurs le langage même du Wille pathique64 ; ce langage est donc frappé d’un interdit épistémologique, évoquant par là même le mutisme de la théologie négative. Cocteau ne peut donc que se heurter à l’indicible, celui des « phénomènes incroyables d’une désintoxication, phénomènes contre lesquels la médecine ne peut rien que donner au cabanon l’aspect d’une chambre d’hôtel et exiger du médecin ou de l’infirmière, patience, présence, fluide, au lieu d’être ceux d’un organisme qui se décompose, doivent être, au contraire, les symptômes incommuniquées du nourrisson et des végétaux au printemps »65. C’est d’ailleurs précisément l’opium qui révèle à Cocteau la singularité du vécu, laquelle s’oppose à l’abstraction, à la généralité et à l’objectivation médicale : « nous portons tous en nous quelque chose de roulé comme ces fleurs japonaises en bois qui se déroulent dans l’eau. L’opium joue le rôle de l’eau ». Ce que l’opium dévoile surtout, c’est qu’« aucun de nous ne porte le même modèle de fleur. Il se peut qu’une personne qui ne fume pas ne sache jamais le genre de fleur que l’opium aurait déroulée en elle »66 — révélation qui marque l’incompatibilité d’un diagnostic général avec le vécu de l’opiomane. Ce que l’opium révèle, c’est que l’homme n’est pas un corps mécanique, mais un corps vivant : « Après avoir fumé, le corps pense. Il ne s’agit pas de la pensée confuse de Descartes. Le corps pense, le corps songe, le corps floconne, le corps vole »67. Par conséquent, il y a autant d’opiomanies que d’opiomanes ; le vécu du corps propre reste inaccessible au langage extatique, commun et général68. Or c’est précisément le silence – celui de la jouissance69 et de l’extrême souffrance, celui de l’opium et de son deuil – qui constitue le véritable mal de l’opiomane. Ce qui motive l’assujettissement médical d’un patient, ce qui sous-tend la nécessité de conformer son vécu à un diagnostic, c’est le contrôle et le maintien du corps social. Cocteau écrit que « L’opium nous désocialise et nous éloigne de la communauté. Du reste, la communauté se venge. La persécution des fumeurs est une défense instinctive de la société contre un geste antisocial »70. En proie au mal d’opium, Cocteau affirmera qu’il n’y a « rien de moins impur que ce chef-d’œuvre : un fumeur d’opium. Rien de plus naturel que la société, qui exige le partage, le condamne comme une beauté invisible »71. Ce dont se rend coupable Cocteau, c’est son refus de partager son vécu, de se conformer à une fiction, celle d’un diagnostic.

Conclusion

Cocteau se trouve incapable de croire au diagnostic établi par la médecine institutionnelle : sa lumineuse objectivation fait violence à l’opacité de son vécu. En ignorant la singularité du vécu, la médecine ne saisit pas la raison du recours à l’opium – d’où la récidive de l’opiomane. « Guéri », Cocteau écrit se sentir « vide, pauvre, écœuré, malade »72, puisqu’il est dépossédé du « fixatif » qui lui permettait de persévérer dans l’existence :

Vivre est une chute horizontale. Sans ce fixatif une vie parfaitement et continuellement consciente de sa vitesse deviendrait intolérable. Il permet au condamné à mort de dormir. Ce fixatif me manque. C’est, je suppose, une glande malade. La médecine prend cette infirmité pour un excès de conscience […] Tout me prouve chez les autres le fonctionnement de ce fixatif ridicule, aussi indispensable que l’habitude qui nous dissimule chaque jour l’épouvante d’avoir à se lever, à se raser, à s’habiller, à manger […] L’opium m’apportait ce fixatif. Sans l’opium, les projets : mariages, voyages, me paraissent aussi fous que si quelqu’un qui tombe par la fenêtre souhaitait se lier avec les occupants des chambres devant lesquelles il passe.73

Ce que Cocteau souligne ici, c’est la complexité de la guérison et du remède, toute substance pharmaceutique étant pharmakon. Ce n’est pas un hasard si la langue grecque établit un lien sémantique entre Pharmakos et Pharmakeus – désignant le pharmacien, l’empoisonneur et, par extension, le sorcier et le magicien, celui qui jette et lève les sorts. Par conséquent, « Ce n’est pas de l’opium qu’il faut guérir, mais de l’intelligence » martèle Cocteau, pour qui la « Faculté de médecine déteste l’intuition, le risque ; elle veut des praticiens, oubliant qu’elle les a grâce aux découvertes qui se butent d’abord contre le scepticisme, une des pires espèces du confort. On objecte : l’art et la science suivent d’autres routes. C’est inexact »74. Aborder la santé, la maladie et la drogue, revient à en affronter la dualité, à ré-écrire le récit et les personnages d’une désintoxication. Or le mot du médecin évitant tout entretien avec Cocteau (« oh ! alors, puisqu’on parle littérature, je ne monte pas. Je ne suis pas de force »75) dévoile l’aveuglement du corps médical, incapable d’assumer la fiction inhérente au diagnostic ou de tirer profit du potentiel curatif de la littérature. La recherche d’une expression capable de se tenir au plus près de l’immanence, la remise en cause du langage objectivant et commun, le dévoilement de la dramaturgie (les personnages, les répliques, les rôles…) et de l’imaginaire relatifs au milieu médical—préoccupations littéraires par excellence—ne permettent-elles pas de faire avancer la pratique médicale, laquelle serait à concevoir comme un art76 ?

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Notes

1 Cocteau 1993, 270.

2 Ibid., 271.

3 Magnan 1975, 43.

4 Cocteau décrit l’opium comme un « empoisonnement exquis » (Cocteau 2014, 84), une image qui rapproche la substance du serpent. « L’opium brut. Si vous ne l’enfermez pas dans une caisse de métal, et que vous vous contentiez d’une boîte, le serpent noir aura vite fait de ramper dehors. Soyez prévenu ! Il longe les murs, descend les marches, les étages, tourne, traverse le vestibule, la cour, la voûte, et bientôt il s’enroulera autour du cou du sergent de ville » écrit Cocteau dans Cocteau 2014, p. 104. L’opium côtoie le serpent dès le Moyen Âge grâce à l’élaboration médicale de la thériaque. En effet, la représentation de l’opium débute dans les traités de botanique et de pharmacie, le premier étant le livre des antidotes composé par le Pseudo-Galien, connu aussi sous le nom de Kitab al-Diryâq, au 12ème siècle. L’ouvrage présente les plantes nécessaires à l’élaboration de la thériaque, contrepoison aux morsures de serpent composée de très nombreux ingrédients, notamment la chair de vipère. « Le terme de thériaque, tiré du grec thêrion-bêtes féroces-renvoie à sa fonction première d’antidote aux morsures de serpents […] la fleur de pavot est l’une des composantes de la thériaque » écrit Franck Collard, Collard 2003, 46.

5 Chantoury-Lacombe 2012, 72.

6 En effet, à partir du 19ème, la figure du « medicine man » remplace progressivement celle des « médecins de l’âme », et des « directeurs de conscience » comme l’écrit Nietzsche dans Humain trop humain : le médecin se pose en « Sauveur moderne » grâce à l’empiricité de son savoir-faire qui le dispense des miracles.

7 « L’opium a presque constamment occupé Cocteau de janvier 1924 à décembre 1940, de la première fumerie avec Louis Laloy après la mort de Raymond Radiguet, à la cure « définitive » ordonnée par Jean Marais. Seize années de souffrances et d’ivresses, de lunes de miel et de lunes de fiel, de déclarations d’amour et de menaces de divorce » écrit Retaillaud-Bajac 2003, 10. Cocteau a suivi plusieurs cures : début mars 1925 à la clinique des Thermes Urbains, à Saint-Cloud, suivie d’une autre en novembre 1928 ; décembre 1933 à la clinique du Dr Salem, puis en 1940.

8 Cocteau 2014, 11.

9 Ibid., 253.

10 « J’ai voulu prendre des notes au fur et à mesure de mon séjour à la clinique, et surtout me contredire, afin de suivre les étapes du traitement. Il importait de parler de l’opium sans gêne, sans littérature et sans aucune connaissance médicale », ibid., 133.

11 Carron 2002, 156.

12 Didier 1998, 7.

13 Ryan 1992, 375.

14 Lejeune 2007, 9.

15 Greimas 1966, 213.

16 Szasz 1980, 73.

17 Foucault 1983, 88.

18 La pensée occidentale semble portée par une pulsion scopique — fantasme porté à son comble par la saisie immédiate de l’intuition intellectuelle ou par l’ambition systématique. L’allégorie de la caverne, sorte de scène primitive de la pensée occidentale, fait de l’ombre un repoussoir : son caractère inconsistant, mouvant, illusoire est à sacrifier à l’autel du vrai. Cette ascension lumineuse (sorte de rite initiatique) se fraie en un chemin méthodique, tracé par l’exigence cartésienne de distinction et de clarté (Règles pour la direction de l’esprit). La vérité obéit au paradigme de la simplicité ; elle s’étale devant le regard qui découpe et dissèque le réel. Les lumières reproduiront ce culte du visible, associant les ténèbres à la doxa obscurantiste ; leur entreprise encyclopédique ne fera que cerner le voyeurisme par la catégorisation, la définition.

19 Voir les dessins de Jean Cocteau in Opium, op. cit., p. 23, p. 33, p. 107, p. 113

20 Cocteau 2014, 101.

21 « Depuis le Moyen Âge au moins, les sociétés occidentales ont placé l’aveu parmi les rituels majeurs dont on attend la production de vérité : réglementation du sacrement de pénitence par le Concile de Latran, en 1215, développement des techniques de confession qui s’en est suivi, recul dans la justice criminelle des procédures accusatoires, disparition des épreuves de culpabilité (serments, duels, jugements de Dieu) et développement des méthodes d’interrogation et d’enquête, part de plus en plus grande prise par l’administration royale dans la poursuite des infractions et ceci aux dépens des procédés de transaction privée, mise en place des tribunaux d’inquisition, tout cela a contribué à donner à l’aveu un rôle central dans l’ordre des pouvoirs civils et religieux. L’évolution du mot « aveu » et de la fonction juridi­que qu’il a désignée est en elle-même caractéristique de l’« aveu », garantie de statut, d’identité et de valeur accordée à quelqu’un par un autre, on est passé à l’« aveu », reconnaissance par quelqu’un de ses propres actions ou pensées. L’individu s’est longtemps authentifié par la référence des autres et la manifestation de son lien à autrui (famille, allégeance, protection) ; puis on l’a authentifié par le discours de vérité qu’il était capable ou obligé de tenir sur lui-même. L’aveu de la vérité s’est inscrit au cœur des procédures d’individualisation par le pouvoir. » « L’homme, en Occident, est devenu une bête d’aveu. De là sans doute une métamorphose de la littérature : d’un plaisir de raconter et d’entendre, qui était centré sur le récit héroïque ou merveilleux des « épreuves » de bravoure ou de sainteté, on est passé à une littérature ordonnée à la tâche infinie de faire lever du fond de soi-même, entre les mots, une vérité » ; « L’obligation de l’aveu » « nous est désormais si profondément incorporée que nous ne la percevons plus comme l’effet d’un pouvoir qui nous contraint ; il nous semble au contraire que la vérité, au plus secret de nous- mêmes, ne « demande » qu’à faire jour », ibid., 78-80.

22 Cocteau 2014, 133.

23 Foucault 2011, 87.

24 Jean Cocteau in Opium, op. cit., p. 125, p. 151.

25 Szasz 1980, 77.

26 Cocteau 2014, 61.

27 Ibid., 17.

28 Ibid., 16.

29 Ibid., 25.

30 Nous renvoyons ici à l’approche de Gilbert Durand telle qu’elle se donne à lire dans Les structures anthropologiques de l’imaginaire. Durand aborde l’imaginaire comme la condition du déploiement de la pensée, saisissant à partir d’un nexus de gestes et de postures archétypaux qui informent la représentation. L’architectonique d’un concept (sa genèse et son orientation), conçue comme effectuation archétypale, est informée par un imaginaire conformément à une orientation anthropologique. Selon cette lecture, la médecine présente un imaginaire apollinien, solaire, conduisant le médecin à trancher, à disséquer les corps. L’imaginaire diurne, ramené à la verticalité anthropologique (caractéristique de l’hominisation et, donc, de la rationalité), privilégie tout geste conquérant l’instinct ou l’émotion (s’opposant au régime digestif ou sexuel— dit rythmique), champ par excellence de la pensée scientifique. Se caractérisant selon Durand par le déploiement d’une structure diaïrétique, antithétique et polémique, le régime diurne de l’image relève de l’homme dit apollinien, postural, conquérant et dominateur (notamment de la nature, rêve cartésien par excellence) ; maniant le glaive et l’épée (ce qui tranche et sépare, comme un bistouri), privilégiant des gestes ascensionnels et purificateurs.

31 Heidegger 1958, 282-283.

32 En effet, la phénoménalité de l’objet « doit se soumettre à ce que notre esprit peut recevoir et concevoir. On dira qu’est possible ce qui prend quantité, qualité et relation selon notre temps et notre espace, donc ce qui ultimement ne contredit pas notre esprit ; ou bien, est possible tout ce qui ne se contredit pas, c’est-à-dire ne se contredit pas dans notre concept, donc ne contredit pas notre concept. La non-contradiction de notre concept assure à l’objet – ce phénomène diminué – une possibilité, donc une essence sous condition, la nôtre » rappelle Marion 2003, 454.

33 Ainsi, « non seulement l’effectif reste possible, pensable et non‐contradictoire, mais, en retour, dès la possibilité, on sait qu’on suit la voie de l’effectivité ; il ne manque à la possibilité que la position pour poser le pied sur le sol de l’effectivité ; mais dans le développement technique de la métaphysique, la position devient le pas le plus facile à franchir. Ce qui constituait la difficulté (passer du possible à l’effectif) a disparu comme difficulté avec l’accomplissement technologique de la métaphysique, où il y a une chose que l’on sait toujours faire : passer du concept à la production », Marion 2016a, 27.

34 « L’objet (et par dérivation l’objet technique) gagne en certitude à proportion inverse qu’il perd en matière. Il se définit donc comme le résidu certain de la chose de nature (matériellement variable). Un tel résidu certain s’obtient par le filtre des conditions – l’ordre et la mesure, les modèles et les paramètres – qui ne gardent dans l’expérience que ce qui demeure identique à soi, donc épistémiquement certain. L’objet résulte de la distillation de l’incertitude en une expérience certaine, donc de la distillation en lui-même de sa matière », Marion 2016b, 160.

35 Cocteau 2014, 92.

36 Ibid., 26.

37 Ibid., 101.

38 Ibid., 98.

39 Ibid., 105.

40 Ibid., 133.

41 L’œuvre s’apparente donc à « une contradiction complète aux syncopes du jazz » écrit Cocteau dans son journal, Cocteau 2014, 261.

42 Marion 2003, 69.

43 Ibid.

44 Ibid., 68.

45 Ibid.

46 Ibid., 70.

47 Ibid., 70-71. Nous soulignons.

48 Cocteau 2014, p. 21.

49 Friedrich Nietzsche, philosophe adulé par Cocteau, examine la notion de Leib, d’un corps vécu, distinct du Körper inerte. Ce qui confère la vie au corps, c’est la catégorie de la Chair (Leib) en tant qu’être comme vécu, pulsionnel (Sein als Erlebnis) par opposition à l’être comme chose (Sein als Ding). Le soi est défini comme chair par Nietzsche : « derrière tes pensées et tes sentiments, mon frère, il y a un puissant Seigneur, un Sage inconnu – qui s’appelle le Soi. Il habite ta Chair, il est ta Chair », cité par Vioulac 2005, 221, « de Nietzsche à Husserl, la phénoménologie comme accomplissement systématique du projet philosophique nietzschéen ». En effet, Nietzsche pose une antériorité organique du corps sur l’intellect, lui-même conçu comme une partie du corps. La conscience est conçue comme la dernière et la plus tardive évolution de la vie organique, ce qu’il y a de moins accompli et de plus fragile en elle.

50 Cocteau 2014, 133.

51 Ibid., 103.

52 C’est le vécu tout entier qui se trouve désorganisé par l’opium, prouvant que le corps propre est irréductible au corps mécanique : l’opiomane vit des « bouleversements de la conscience affective (sur l’axe béatitude-angoisse), de la conscience représentative (perception, imagination, mémoire) et de la conscience volitive ». En effet, « ce que l’expérience de la drogue, considérée dans l’épochè phénoménologique, dévoile, c’est l’inanité de cette notion d’une vitesse vraie ou objective du temps » ; le temps et l’espace étant adaptés « à des intentionnalités de la conscience devenues toutes différentes, liées qu’elles sont aux remaniements du schéma corporel et à l’infinitisation de l’espace », Hulin 2014, 124, 133.

53 Jean Cocteau in Opium, op. cit., p. 99, p. 145.

54 Ibid., 85.

55 Ibid., 22.

56 Ibid., 86.

57 Ibid., 123-124.

58 Cocteau est très explicite quant à la relation entre le dessin et l’écriture : « écrire, pour moi, c’est dessiner, nouer les lignes de telle sorte qu’elles se fassent écriture, ou les dénouer de telle sorte que l’écriture devienne dessin. Je ne sors pas de là. J’écris, j’essaye de limiter exactement le profil d’une idée, d’un acte. Somme toute, je cerne des fantômes, je trouve les contours du vide, je dessine », Cocteau 2014, 105.

59 Ibid., 154.

60 Cocteau 2003, 13.

61 Cocteau 2014, 245.

62 Jean Cocteau, cité par Borgal 1989, 34.

63 Jean Cocteau in Opium, op. cit., p. 71.

64 Schopenhauer définit en effet le corps comme le révélateur immédiat de la chose en soi, d’une comme une volonté sans conscience, d’une impulsion qui échappe au principe de raison. Il pose la Volonté comme chose en soi : une Volonté qui n’est pas celle de la philosophie classique, dirigée par la connaissance, ni une velléité qui se manifeste par le biais de motifs abstraits. Si la Volonté (Wille) ne se définit pas comme la faculté de vouloir ou de ne pas vouloir, c’est précisément parce qu’elle est « volonté de vie » (Wille zum Leben). Alors que dans la nature organique la Volonté agit comme attraction, pesanteur, etc. — donc en tant que force extérieure—elle prend corps dans le règne organique. Par conséquent, le corps est manifestation de la volonté de vivre, force aveugle qui se « nourrit » « d’elle-même, puisque, hors d’elle, il n’y a rien, et qu’elle est une volonté affamée », Schopenhauer 2009, 203. Si Schopenhauer emploie le terme de « poussée » (Drang) pour désigner la Volonté, il parle corrélativement de son effort (Streben, Treiben) dépourvu de connaissance, donc inconscient. A contrario, la Volonté schopenhauerienne est comprise comme une impulsion (Drang), un instinct (Instinkt), un appétit (Begierde) ou encore une pulsion (Trieb), dominant l’intellect. La Volonté échappe à l’intellect ; elle est antérieure et indépendante de la conscience. « Dans notre propre conscience la volonté se présente toujours comme l’élément primaire et fondamental, sa prédominance sur l’intellect est incontestable », alors que « celui-ci est absolument secondaire, subordonné, conditionné » insiste Schopenhauer, ibid., 894.

65 Cocteau 2014, 15-16.

66 Ibid., 92.

67 Ibid., 148.

68 « La conscience en général ne s’est développée que sous la pression du besoin de communication » écrit Nietzsche ; « Nous ne nous estimons plus assez lorsque nous nous communiquons. Nos expériences personnelles ne sont pas le moins du monde volubiles. Elles ne pourraient se communiquer elles-mêmes si elles le voulaient. C’est que la parole leur manque. Ce pour quoi nous avons des paroles, c’est aussi ce que nous avons déjà dépassé. Tout discours comporte un rien de mépris. Le langage, semble-t-il, n’a été inventé que pour le médiocre, le moyen, le communicable. Avec le langage, celui qui parle se vulgarise déjà »,Nietzsche 1997 ; Nietzsche 2005. Nous comprenons donc le besoin que ressent Cocteau de travailler la matière même de l’écriture, de la soustraire au dogme du discours médical, cohérent, narratif, rationnel.

69 Si « l’opium donne forme à l’informe ; il empêche, hélas ! de communiquer ce privilège à autrui. Quitte à perdre le sommeil, je guetterai le moment unique d’une désintoxication où cette faculté fonctionnera encore un peu et coïncidera, par mégarde, avec le retour du pouvoir communicatif ». L’opium divin offre donc une résistance à l’expression ; « On s’emploie [le corps médical] à me faire transpirer jour et nuit. L’opium se venge. Il n’aime pas que ses secrets transpirent » écrit Cocteau 2014, 153, 215.

70 Ibid., 197.

71 Ibid., 117-118.

72 Ibid., 265.

73 Ibid., 38.

74 Ibid., 134.

75 Ibid., 95-96.

76 Voir à ce sujet Gadamer 2011, 247-260.

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Référence électronique

Pamela Krause, « Le diagnostic médical comme fiction religieuse », Soin, Sens et Santé [En ligne], 1 | 2024, publié le 16 septembre 2024 et consulté le 21 novembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. DOI : 10.58335/revue3s.94. URL : https://preo.u-bourgogne.fr/revue3s/index.php?id=94

Auteur

Pamela Krause

Université Saint-Joseph de Beyrouth

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