Herméneutique du regard médico-légal : faits divers et criminologie, des sœurs Papin à l’« Érostrate » de Sartre

  • Hermeneutics of the forensic and medical gaze: faits divers and criminology, from the Papin sisters to Sartre’s “Érostrate”

DOI : 10.58335/revue3s.96

Résumés

À partir d’une contextualisation de l’imaginaire culturel, juridique et scientifique qui unit crime et folie, cet article propose de montrer comment Sartre mobilise, dans « Érostrate », l’herméneutique du regard médico-légal, afin d’interroger la notion de folie criminelle et la question de son diagnostic. L’analyse se fonde sur l’identification et l’étude de la relation intertextuelle que la nouvelle (écrite en 1936 et reprise dans Le Mur en 1939) entretient avec l’affaire des sœurs Papin telle qu’elle est racontée dans Détective et Paris-Soir, et une thèse de criminologie psychiatrique, De l’érostratisme ou vanité criminelle, soutenue en 1903 par Pierre Valette sous la direction du criminologue Alexandre Lacassagne. Il s’agit de montrer comment le texte fait jouer une source contre l’autre, renvoyant dos à dos deux figures de l’anormalité identifiées par Michel Foucault, celle du « grand monstre » et celle du « petit pervers ». L’article propose de lire la nouvelle par le prisme de l’hypothèse, défendue par Pierre Valette dans sa thèse, d’une « alcoolisation morale » des criminels par la « littérature ordurière », idée que Sartre mobilise en la déplaçant sur le plan idéologique. L’article montre ainsi comment « Érostrate » fonctionne comme un piège tendu à la figure du juré humaniste, forcé de s’identifier et de souscrire à l’antihumanisme du personnage. La nouvelle est enfin analysée comme un jalon de la réflexion sartrienne sur le trouble psychique, que Sartre envisage non pas dans une perspective médicale mais dans un cadre existentiel, détaillé en conclusion.

Contextualising the cultural, legal and scientific imaginary that links crime and madness, this essay shows how Sartre mobilises the hermeneutics of the forensic and medical gaze in “Érostrate”, to question the notion of criminal madness and its diagnosis. The analysis is based on the identification and study of the intertextual relationship between the short story (written in 1936 and published in Le Mur in 1939) and the case of the Papin sisters, as reported in Détective and Paris-Soir, as well as a thesis in psychiatric criminology, De l’érostratisme ou la vanité criminelle, defended in 1903 by Pierre Valette under the supervision of the criminologist Alexandre Lacassagne. The aim is to show how the text plays one source off against the other and debunks two abnormal “types”, as identified by Michel Foucault—that of the “great monster” and the “little pervert”. Finally, the essay reads the short story through the prism of the hypothesis, proposed by Pierre Valette in his thesis, of a “moral alcoholisation” of criminals by “trash literature”, an idea Sartre displaces onto the ideological plane. The essay argues that “Érostrate” works as a trap, laid out for the humanist juror, who is forced to identify with and subscribe to the character’s anti-humanism. The short story is also analysed as a milestone in Sartre’s thinking on madness, which he considers not from a medical perspective but through an existential framework.

Plan

Texte

Le 8 décembre 1932, Détective, « le premier hebdomadaire des faits-divers », accordait sa Une à l’ouverture d’une série d’articles intitulée « Démons et déments », « dramatique reportage » de Louis Roubaud consacré aux « fous criminels, à ces malheureux déments que la prison n’a épargnés que pour les livrer à l’asile perpétuel »1. Dans l’introduction, Marius Larique, le directeur de la publication, s’interrogeait : « Dans la diversité de ses formes et de ses causes, qu’est-ce que la folie ?… Se prête-t-elle à notre analyse ? Peut-elle, lorsqu’elle déborde la raison, être aperçue par la raison ? »2 Situé à la croisée des discours judiciaire, médical et sensationnaliste, le reportage de Louis Roubaud, qui couvre plusieurs numéros, illustre bien la manière dont le thème de la « folie criminelle » vient s’inscrire dans les colonnes de la presse de faits divers. Le développement de la criminologie au 19ème siècle par l’École anthropologique italienne de Lombroso, ainsi que la collusion du pouvoir juridique et médical avec l’obligation, pour chaque individu jugé aux assises, d’être examiné par des experts psychiatres, ont associé crime et folie, participant à la construction d’un imaginaire stigmatisant qui amalgame trouble psychique et violence3. La rhétorique du fait divers – dans les « deux actes » qui caractérisent sa structure narrative type, celui de la « narration des faits déviants », puis « celui du procès (ou, simplement, du commentaire de “l’opinion”) »4 – s’en ressent, puisque l’expertise psychiatrique y apparaît comme un temps fort du procès à raconter : la parole et les conclusions des médecins enrichissent le récit du crime en le dramatisant, et la question du diagnostic offre, comme le suggère Bertrand Marquer au sujet du roman, une « herméneutique » nouvelle5. Le criminel devient un cas, et le récit de son crime l’occasion d’un tableau clinique et d’un diagnostic.

Depuis 1810 et jusqu’en 1994, c’est l’article 64 du Code pénal, selon lequel il n’y a « ni crime ni délit, lorsque le prévenu est en état de démence au moment de l’action, ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister », qui acte le rapport d’exclusivité de la responsabilité et de la folie. Diagnostic et sentence se rencontrent au cours du procès : il s’agit désormais de « juger la folie », en un geste profondément paradoxal puisque, comme le souligne l’historienne du droit Laurence Guignard, « il entraîne précisément l’impossibilité de juger et de condamner les actes commis »6.

L’application de l’article entraîne de fait tout une série d’interrogations de teneur médicale : comment identifier « l’état de démence » et selon quels critères ? La question est d’autant plus épineuse que le savoir psychiatrique n’apporte pas vraiment de réponse satisfaisante : la faillite du « rêve du pathologiste7 », soit l’impossibilité d’enraciner l’aliénation dans une lésion organique, continue de hanter la recherche, aux accents eugénistes, d’une marque physique de la criminalité. Les aliénistes se tournent en outre vers l’histoire du patient, de sa personnalité, de sa famille, et guettent chez le sujet le moindre signe de déraison à défaut de pouvoir s’appuyer sur un critère stable. C’est la raison pour laquelle Michel Foucault écrit dans Surveiller et punir que l’arrivée de la parole médicale à la cour d’assises a pour véritable fonction, « sous le prétexte d’expliquer un acte », de « qualifier un individu » : « sous le nom de crimes et délits, on juge bien toujours des objets juridiques définis par le Code, mais on juge en même temps des instincts, des anomalies, des infirmités, des inadaptations, des effets de milieu ou d’hérédité »8. L’objet du procès et la sentence ne portent alors « non plus simplement sur les infractions, mais sur les individus ; non plus sur ce qu’ils ont fait, mais sur ce qu’ils sont, seront, peuvent être. »9 Ainsi, tout crime, poursuit Foucault, « porte en soi, comme un soupçon légitime, mais aussi comme un droit que [les accusés] peuvent revendiquer, l’hypothèse de la folie, en tout cas de l’anomalie »10. L’issue fondamentale du procès, c’est donc le diagnostic, et il n’est ainsi pas étonnant qu’il constitue l’objet principal des débats passionnés qui président à son établissement.

Autre élément important du contexte : l’identification de cet « état de démence » chez les accusés est d’autant plus difficile qu’elle met en concurrence deux conceptions de la folie qui fracturent le pouvoir juridico-médical. Laurence Guignard souligne en effet la dimension « archaïque »11 de l’article 64 du Code pénal, en tant qu’il défend une conception ancienne de la démence comme abolition totale de la volonté et de l’identité, en porte-à-faux avec une autre vision, plus moderne, selon laquelle la folie peut aussi relever seulement d’une déraison partielle, comme dans le cas, par exemple, de la monomanie homicide. Cet écart entre deux conceptions de la folie a bien été analysé par les historiennes et historiens de la psychiatrie, à l’instar de Gladys Swain qui a justement défendu la thèse selon laquelle l’aliénisme de Pinel avait rompu avec la conception d’une folie complète (en introduisant l’idée que lucidité et déraison pouvaient coexister)12, ou de Marc Renneville pour qui l’on passe progressivement du 19ème au 20ème siècle d’une conception de la « folie criminelle » comme « déraison totale » à la « folie du crime » comme déraison partielle13.

Pourtant, Michel Foucault a bien montré que l’expertise psychiatrique, y compris dans des affaires qu’il analyse et qui datent des années 1950, semble maintenir une conception essentialiste, totale de la folie, attirant l’attention sur une sorte de « régression, de disqualification, de décomposition du savoir psychiatrique dans l’expertise », qui explique pourquoi celui-ci, lorsqu’il est mobilisé aux assises, apparaisse « mille fois au-dessous du niveau épistémologique de la psychiatrie »14. Pour Marcel Gauchet, le pouvoir judiciaire ne s’est en effet jamais totalement départi d’une conception ancienne et populaire de la folie selon laquelle celle-ci, pour être identifiée comme telle, doit correspondre à une complète absence à soi-même, ce qui suppose que l’exemption de peine soit refusée à ceux qui auraient prémédité leur acte et qui en conservent le souvenir15. L’article 64 du Code pénal implique ainsi que la traque de la folie chez le criminel aux assises relève de ce que Foucault appelle dans Le Pouvoir psychiatrique le « diagnostic absolu », à savoir un type de diagnostic qui, par distinction avec une approche différentialiste et gradualiste, se réduit à une opposition en termes binaires, opposant strictement la folie à la raison, la maladie à la santé16.

La rencontre entre savoir psychiatrique et pouvoir judiciaire, ainsi que la conception duelle de la folie qu’elle implique, innerve la construction d’un imaginaire en commun de la folie criminelle. Dans Démons du crime. Les Pouvoirs du truand dans l’entre-deux-guerres, Vincent Platini rappelle que les concepts judiciaires, médicaux, criminologiques déterminent les représentations culturelles des criminels, tout en soulignant l’ambivalence de ces représentations, qui peuvent à la fois servir un dessein idéologique disciplinaire très clair en accord avec le pouvoir dominant ou bien, en assumant un certain « écart esthétique » par rapport à une norme, remettre en cause le contrôle social induit par cet appareil conceptuel17. Il apparaît ainsi nécessaire d’analyser la manière dont celui-ci circule, s’introduit voire se déforme dans les productions culturelles qui lui sont contemporaines : comme le rappelle Marc Renneville, « on aurait tort de dissocier – au nom de son impureté – cette production culturelle d’un discours scientifique réputé plus “objectif”, car, au-delà des différences réelles ou apparentes, dans leurs formes d’énonciation comme dans leurs modalités de circulation, l’une comme l’autre participent au façonnage d’un imaginaire partagé »18.

C’est justement sur cet imaginaire partagé de la folie criminelle que cet article souhaite se pencher, à partir de l’analyse d’un cas de circulation entre littérature médicale, reportage journalistique et fiction, en étudiant comment la notion de diagnostic absolu et son rapport au jugement viennent dramatiser une courte nouvelle de Sartre. Composé en 1936 et paru dans le recueil Le Mur en 1939, « Érostrate » nous plonge dans le discours intérieur d’un employé de bureau aussi médiocre que misanthrope, à qui il vient un jour l’idée de tirer sur les hommes. Il s’agit avant tout pour Paul Hilbert, le protagoniste, de se sentir fort en fomentant un crime pour atteindre, par le sang, une renommée semblable à celle d’Érostrate, l’incendiaire du temple d’Éphèse. Avant de passer à l’acte, il envoie à 102 écrivains humanistes une lettre dans laquelle il annonce son crime et sa haine des hommes tout en refusant d’être pris pour un « furieux ». Après plusieurs jours passés enfermé dans son appartement, dans le noir, sans manger ni dormir, il finit par tirer cinq coups de feu sur des passants rue d’Odessa, avant de paniquer, de prendre la fuite et de s’enfermer dans les toilettes d’un café.

Geneviève Idt, dans l’ouvrage qu’elle consacre au Mur, identifiait trois énigmes au cœur d’« Érostrate » : Paul Hilbert se suicidera-t-il ? Que va-t-il faire de son revolver ? Parviendra-t-il à s’évader hors de l’humain19 ? Mais, dans la mesure où le texte de Sartre se donne aussi à lire comme un cas judiciaire, il faudrait, du point de vue du droit, en ajouter une quatrième : Paul Hilbert est-il ou non en “état de démence” au moment de commettre son crime ? Et par conséquent, une cinquième : est-il responsable de ses actes ? La nouvelle mobilise en effet l’herméneutique du regard médico-légal, afin d’interroger la notion de folie criminelle et la question de son diagnostic. « Érostrate » dialogue ainsi avec un imaginaire culturel, juridique et scientifique associant crime et folie, essentiellement à partir de deux relations intertextuelles que nous souhaiterions explorer, à savoir l’affaire des sœurs Papin telle qu’elle est racontée dans Détective et Paris-Soir, et une thèse de criminologie psychiatrique, De l’érostratisme ou de la vanité criminelle, soutenue en 1903 par Pierre Valette sous la direction du criminologue Alexandre Lacassagne. Il s’agira de montrer comment le texte fait jouer une source contre l’autre et renvoie dos à dos deux figures de l’anormalité identifiées par Michel Foucault, celle du « grand monstre » et celle du « petit pervers », pour repenser les rapports entre démence et responsabilité pénale. Cet article proposera enfin de lire la nouvelle par le prisme de l’hypothèse, défendue par Pierre Valette dans sa thèse, d’une « contagion » des criminels par une certaine « littérature ordurière », idée que Sartre mobilise en la déplaçant sur le plan idéologique pour en faire un piège tendu à la figure du juré humaniste et à sa conception de la folie. Il s’agira de montrer aussi, plus largement, comment « Érostrate » constitue dès 1936 un jalon important de la réflexion sartrienne sur le trouble psychique, abordé à travers une perspective qui n’est ni médicale ni poétique, mais existentialle.

Les intertextes d’« Érostrate » et la question du diagnostic

La critique sartrienne a souvent proposé d’éclairer la genèse peu connue d’« Érostrate » par le goût de Sartre pour les faits divers, son intérêt pour « la modernité des mythes antiques »20, la connaissance d’un ami – Marco – se promenant sur les boulevards un pistolet dans la poche, et la lecture du Tempérament nerveux du psychiatre Alfred Adler. On peut toutefois faire l’hypothèse de deux autres sources – l’une journalistique, l’autre médicale – essentielles pour saisir la manière dont se pose la question du diagnostic dans la nouvelle de Sartre.

Première relation intertextuelle à explorer : le traitement médiatique de l’affaire des sœurs Papin, ces deux employées de maison qui assassinèrent en février 1933 leur patronne et sa fille puis mutilèrent leur corps. D’abord parce que le texte y fait référence de manière explicite (les sœurs, ces deux « belles filles », sont des modèles à suivre pour Paul Hilbert), ensuite (et surtout) parce que Sartre semble réécrire directement des textes journalistiques consacrés à l’affaire. La nouvelle entretient des liens très proches avec le récit du crime qui en est fait dans Détective et celui du procès dans Paris-Soir21, deux titres régulièrement consultés par Sartre, si l’on en croit Simone de Beauvoir22. Sartre y revient d’ailleurs plus tard, à l’occasion du Saint Genet où il compose un texte sur Les Bonnes, ainsi qu’en 1963, lorsqu’il écrit pour Le Monde une critique du film de Nikos Papatakys, Les Abysses. La même année, les Temps Modernes publient en novembre un article du psychiatre Louis Le Guillant, « L’Affaire des sœurs Papin », qui met l’accent sur la « condition domestique » des sœurs23. L’intérêt de Sartre pour cette affaire n’a toutefois rien d’original dans le milieu littéraire des années 1930, raison pour laquelle en évoquant les sœurs Papin, Sartre fait déjà retour sur les représentations littéraires de la criminalité et sur la figure culturelle du monstre.

Concentrons-nous plutôt, pour l’instant, sur la manière dont l’affaire des sœurs Papin a suscité un débat important sur la question de la folie criminelle et de son diagnostic, dans un contexte – les années 1930 – qui se caractérise par une médiatisation importante de l’aliénation mentale et des enjeux liés à sa prise en charge24. La question du caractère pathologique ou non de leur personnalité a en effet constitué le cœur d’un débat judiciaire particulièrement animé et abondamment commenté dans la presse. Si l’absence de motif conduit d’abord à voir dans cette affaire un « drame de la folie »25, l’expertise demandée par les magistrats instructeurs et menée par les docteurs Schutzemberger, Baruk et Truelle réfute cette hypothèse, en concluant à leur « normalité » (« ce sont des normales, médicalement parlant, et nous les considérons comme pleinement et entièrement responsables du crime qu’elles ont commis »26). Le docteur Logre, appelé à la barre par la Défense, critique quant à lui l’expertise de ses collègues, conclut que « les sœurs Papin ne sont pas normales » et demande à ce que soit fait un « nouvel examen » pour « permettre de poser un diagnostic sûr »27. Lacan donne aussi son avis médical avec la publication d’un article dans Minotaure : il rejoint le Dr Logre et émet l’hypothèse d’un cas de paranoïa28. Ainsi le désaccord des représentants de l’autorité scientifique, dont le savoir devrait normalement servir à trancher, illustre de fait l’insuffisance de la psychiatrie, de ses catégories nosologiques, mais aussi de ses méthodes pour rendre compte du crime. La presse s’en mêle, restitue certes les conclusions des psychiatres mais vient aussi concurrencer la médecine sur son propre terrain en proposant parfois ce qu’on pourrait appeler un contre-diagnostic, visant à infirmer la parole des experts, à l’image des envoyés spéciaux de Paris-Soir, Jérôme et Jean Tharaud, qui protestent dans leur compte rendu du 30 septembre 1933 : « Mais comment soutenir que Christine et Léa ne sont pas démentes ! »29 Dans cette affaire, la question du diagnostic vient ainsi dramatiser le récit du procès et constitue un écran sur lequel se projettent l’incompréhension et la fascination de l’opinion pour les faits divers sanglants et leurs auteurs.

Deuxième intertexte d’« Érostrate » à explorer, cette fois médical : il s’agit de la thèse de médecine de Pierre Valette, soutenue en 1903 à la Faculté de Lyon sous la direction du professeur Alexandre Lacassagne, De l’érostratisme ou de la vanité criminelle. « Co-créateur » de l’anthropologie criminelle, fondateur des Archives de l’anthropologie criminelle, Alexandre Lacassagne défend, contre la théorie du « criminel-né » de Lombroso, une approche « socio-phrénologique » du criminel30. La distinction avec la criminologie italienne est toutefois à nuancer, dans la mesure où l’insistance sur le rôle du milieu social n’implique pas une rupture avec la croyance en l’hérédité du crime (il s’agit plutôt, en réalité, d’une stratégie intellectuelle de différenciation)31. Lacassagne est à l’origine du terme d’érostratisme32, même si l’étude de Pierre Valette est la première à se consacrer entièrement à « cette vanité criminelle, à ce désir, à ce besoin d’approbation, de célébrité et de gloire malsaine » envisagée tour à tour comme un « instinct »33, un « syndrome psycho-morbide » ou encore une « manière de type criminel »34. Le Manuel alphabétique de psychiatrie clinique, thérapeutique et médico-légale de 1952 attribue à Valette la paternité du terme et en propose la définition suivante : « Par référence à l’exemple de l’incendie du temple de Diane à Éphèse par Érostrate, Valette a créé le terme d’érostratisme pour désigner l’association de la malignité avec l’amoralité et la vanité chez les débiles et caractériser le genre d’attentats résultant de ces dispositions mentales »35.

On peut faire l’hypothèse que Sartre a pris connaissance de cette thèse par le biais des Annales médico-psychologiques, qu’il consulte régulièrement à la bibliothèque de l’ENS. La proximité avec la nouvelle est en tout cas si frappante qu’il est difficile de ne pas y voir une référence directe. Certes la figure de l’incendiaire du temple d’Éphèse est bien connue (Marcel Schwob lui consacre d’ailleurs une de ses Vies imaginaires), mais le fait de l’associer à l’auteur d’un fait divers sanglant ne va pas de soi : l’écart entre le titre de la nouvelle et son contenu suggère plutôt que Paul Hilbert, selon les catégories de Valette, est un « érostratique » (soit un individu souffrant d’« érostratomanie »), ce qui autorise ainsi à comprendre la référence antique comme une clef de lecture médicale. Les similitudes entre le personnage de Sartre et le portrait de l’érostratique fait par Valette sont nombreuses. Le propre de l’érostratique est de commettre un crime par vanité, à l’image, donc, de « cet Éphésien obscur qui, souffrant de sa médiocrité et voulant à l’exemple des conquérants se rendre immortel par une destruction mémorable, incendia le temple de Diane à Éphèse pour faire passer son nom à la postérité sous le couvert d’un forfait retentissant »36. Dans la nouvelle, Paul Hilbert voit dans Érostrate l’incarnation de son « héros noir ». C’est son collègue, un certain Massé « qui avait des lettres », qui lui en parle : Érostrate, lui dit-il, « voulait devenir illustre et il n’a rien trouvé de mieux que de brûler le temple d’Éphèse, une des sept merveilles du monde »37. L’histoire d’Érostrate galvanise le protagoniste et le pousse au crime : « il y avait plus de deux mille ans qu’il était mort, et son acte brillait encore, comme un diamant noir »38.

Les « érostratiques », écrit Valette, évoluent vers le crime et deviennent des « anti-sociaux »39. Insatisfaits des relations sociales, ils glissent vers la misanthropie. Ils ont, selon Valette, les « stigmates psychiques des dégénérés mentaux : lacunes intellectuelles (troubles de la raison, de la critique ou du jugement) ou morales (absence de sentiments affectifs, pour la famille surtout, tendance à la cruauté), coexistant avec des aptitudes en normes ou en excès »40. Le mobile de leur crime, c’est la vanité : les « érostratiques » ont pour caractéristique d’avoir « cédé au désir de se rendre célèbres par un crime quelconque »41. Paul Hilbert, lui, est apparemment un employé de bureau sans histoire, mais aussi et surtout un « homme qui n’aime pas les hommes »42, l’auteur d’une lettre antihumaniste qui ne peut aborder les autres que « d’en haut » depuis la « perspective plongeante »43 rassurante que lui offre le balcon de son sixième : au milieu d’eux, « horriblement seul et petit »44, Paul Hilbert est terrifié par la foule qui menace de le submerger45. Il apparaît dans la nouvelle comme un personnage seul, ses relations avec les autres se réduisant à serrer la main avec dégoût à ses collègues de bureau, ou à humilier et terrifier les prostituées de la rue d’Odessa.

Les points communs ne s’arrêtent pas là. Pierre Valette consacre un des chapitres de sa thèse au « facteur social » de l’« érostratomanie ». Il pointe alors du doigt le rôle de la presse de fait divers – mais aussi une « certaine littérature ordurière » – qu’il accuse d’être « responsable des crimes vaniteux » par « une sorte de contagion qu’elle permet ou même favorise »46. Or la presse est elle aussi très présente dans la nouvelle de Sartre : outre le fait que Sartre pastiche à certains moments le style sensationnaliste de Détective, Paul Hilbert est fasciné par les photographies des sœurs Papin. La confrontation de leurs portraits avant et après le crime avait en effet circulé dans la presse sous forme de montage. Dans sa lettre aux écrivains humanistes (dont il espère peut-être qu’elle sera publiée ?), Paul Hilbert se projette déjà dans « les journaux de demain », tout en insistant sur le fait qu’il n’est pas « furieux » mais « très calme au contraire »47. Il s’aligne alors à nouveau sur la description médicale de Valette, selon lequel les érostratiques « ne redoutent rien tant que d’être considérés comme des malades et surtout d’être rabaissés au rang de fous »48.

Autre point commun : Valette s’attarde dans sa thèse sur un type d’érostratique, à savoir l’anarchiste, dont le motif politique n’est pour le psychiatre qu’un prétexte qui masque la simple recherche de la gloire. Or la figure de l’anarchiste hante le texte de Sartre : si Paul Hilbert refuse de voir dans les anarchistes de potentiels modèles car « ils aiment les hommes à leur façon »49, il s’imagine dans un rêve récurrent en train de commettre un attentat anarchiste et de se faire exploser devant une foule médusée : « j’étais un anarchiste, je m’étais placé sur le passage du tsar et je portais sur moi une machine infernale. À l’heure dite, le cortège passait, la bombe éclatait, et nous sautions en l’air, moi, le tsar et trois officiers chamarrés d’or, sous les yeux de la foule »50. La disqualification de l’anarchisme par Valette (qui relève somme toute d’une stratégie traditionnelle de psychiatrisation de la révolte politique pour mieux désamorcer toute forme de contestation) n’est toutefois pas reprise par Sartre, puisque malgré ce qu’en dit Paul Hilbert, il y a bien, nous le verrons, un sens politique à son geste, acte-manifeste d’un antihumanisme auquel Sartre semble souscrire.

Dernier point de croisement entre la thèse de criminologie et la nouvelle de Sartre : Lucien Morisset. On peut en effet se demander si ce cas étudié par Valette dans sa thèse n’a pas fourni à Sartre le modèle de son personnage. Lucien Morisset est, comme Paul Hilbert, un employé de bureau (il est « clerc de notaire ») qui, « ne pouvant se résigner à une expérience obscure », décide de s’« en prendr[e] à la société qu’il rend responsable »51. Le jeune homme, fasciné par la figure romantique de l’écrivain et assassin Lacenaire, comme Paul Hilbert l’est par celles d’Érostrate et des sœurs Papin, « tire des coups de revolver sans raison sur une bande de jeunes gens, en blesse deux, fuit en rechargeant son arme qu’il décharge à nouveau sur un paisible flâneur assis sur un banc »52. Au moment de son arrestation, il déclare avoir tué pour devenir célèbre53 : la proximité avec le personnage de Sartre ne peut là encore manquer de frapper.

Par rapport au traitement de l’affaire des sœurs Papin dans Détective et Paris-Soir, la question du diagnostic se pose de manière différente dans cette source médicale. D’abord, la notion d’érostratomanie, présentée tour à tour comme un « instinct » ou un « syndrome psycho-morbide », transcende les catégories sinon du normal et du pathologique, du moins de la responsabilité et de la folie. Coexistent en effet selon Pierre Valette dans le type de l’érostratique à la fois des « aptitudes normales » et les « stigmates psychiques des dégénérés mentaux »54, de sorte qu’il se situe « à des degrés divers de cette échelle pathologique, depuis les débiles mentaux simples jusqu’aux aliénés raisonnants »55. Dès lors, du point de vue médico-légal, Valette souligne qu’il est nécessaire d’examiner pour chaque cas si la responsabilité a été altérée ou non. On n’est donc pas dans la logique du diagnostic absolu telle qu’elle se polarise dans la représentation des sœurs Papin : le diagnostic d’érostratomanie ne suffit pas à assigner l’individu à la démence de l’article 64. Les deux intertextes de la nouvelle semblent alors entretenir un rapport conflictuel, et impliquer deux conceptions différentes de la folie : d’un côté, la folie totale du diagnostic absolu, tributaire de l’article 64 et d’une conception classique de la déraison, donnant à celui ou celle qui la vit une envergure mythique. De l’autre, la figure de l’« érostratique » brouille les frontières entre responsabilité et démence puisqu’elles restent indéterminées, et l’individu apparaît désormais, pour reprendre la formule oxymorique de Foucault, comme un « monstre banal »56 à corriger pour protéger la société. L’érostratique, donc, n’a rien d’un monstrum à la Sénèque : il incarne plutôt la figure de l’anormal tel qu’il se constitue en objet du pouvoir médico-judiciaire au tournant des 19ème et 20ème siècles.

Le corps imaginé, ou la tentation du diagnostic

Dans un article intitulé « Mutations du regard médical », Alain-Charles Masquelet proposait de dresser une « généalogie du regard médical sur le corps »57 et s’intéressait particulièrement au regard anatomo-clinique, qui domine la médecine de la fin du 18ème siècle jusqu’à l’avènement de l’imagerie moderne. Le regard anatomo-clinique, qui vise à « reconnaître les lésions par l’interprétation des signes », est ainsi défini comme un « regard transperçant qui permet une autopsie indirecte sur un corps vivant et clos, et de “faire affleurer en surface ce qui gît invisible en profondeur” »58. Comme l’ont montré les travaux de Michel Foucault ou de Juan Rigoli, cette entreprise de dévoilement repose ainsi sur un relevé et une interprétation de signes, formant un langage propre à telle ou telle maladie que le médecin aurait pour mission d’identifier. À l’horizon de cet art du dévoilement qui redéfinit la médecine avec l’avènement de la clinique se dégage « le grand mythe d’un pur Regard qui serait Pur langage », d’un « œil qui parlerait »59. Pour autant, cette autorité du regard anatomo-clinique à la source d’un nouvel « ésotérisme médical »60 s’est d’emblée vue ébranlée par le problème de la folie et de son diagnostic : comme l’a montré Juan Rigoli, la difficulté qui se pose dès les premiers temps de l’aliénisme est celui de l’absence d’inscription de la folie dans la matérialité du corps, érigé par l’anatomie pathologique en garant de la vérité médicale61. Le langage de la folie apparaît d’emblée comme brouillé, incertain, voire sciemment trompeur, dans la mesure où l’accusé est souvent soupçonné de falsifier ses symptômes en les simulant ou les transformant.

C’est ainsi cette idée d’une illisibilité de la folie qui permet d’éclairer, dans l’affaire des sœurs Papin, la mise en scène d’un regard médical à la recherche de signes tangibles qui permettraient de trancher la question de leur « normalité » (c’est le terme employé lors du procès). Le désaccord des psychiatres mais aussi de l’opinion à leur sujet peut ainsi se comprendre comme un conflit avant tout sémiologique, qui porte à proprement parler sur la rhétorique de la folie. Puisque le regard anatomo-clinique tend à « néglig[er] le récit du patient, jugé peu fiable » et à refouler les « facteurs psychologiques, sociaux et géographiques »62, c’est le corps, mis en avant comme le lieu de la preuve, que l’on doit faire parler. Or, si cette valorisation du corps rentre en tension avec l’absence de lésion organique propre à la pathologie mentale, elle témoigne en même temps de la prépondérance d’une conception organogénétique de la maladie. L’aliénisme tel qu’il se constitue à partir de la fin du 18ème siècle repose en effet non seulement sur le présupposé que la folie existe, mais aussi sur celui qu’elle est observable de la même manière que la nature l’est pour la science de Buffon63. Cette conception naturaliste de la folie continue, malgré quelques remises en cause, de dominer le champ de la psychiatrie dans les années 193064, comme en témoigne par exemple l’importance accordée à la notion de tare, qui repose sur un présupposé essentialiste et reflète le désir d’une folie marquée sur les corps et relevable objectivement. C’est justement elle qui est mobilisée dans le rapport des experts pour conclure à la responsabilité pénale des sœurs Papin :

Au point de vue héréditaire, au point de vue physique, au point de vue pathologique, nous n’avons trouvé chez ces deux femmes, nous ont-ils dit, aucune tare susceptible de diminuer dans une proportion quelconque leur responsabilité pénale. Elles ne sont ni folles, ni hystériques, ni épileptiques, ce sont des normales, médicalement parlant, et nous les considérons comme pleinement et entièrement responsables du crime qu’elles ont commis.65

Il est intéressant de noter que le réquisitoire du procureur de la République mobilise par ailleurs la métaphore de la dissection pour asseoir la scientificité d’un diagnostic dont l’ancrage anatomique ne peut justement être qu’imaginaire : « minutieusement, pendant des mois, ils les ont étudiées, scrutées, analysées ; ils ont vécu leur vie, ils les ont disséquées moralement et leur scalpel est allé jusque dans le cerveau, cherchant à dépister cette fissure morale par quoi s’avère l’aliénation mentale »66. Le tour de force rhétorique pour asseoir l’autorité du diagnostic des experts est ici considérable, surtout si l’on pense qu’on avait par ailleurs reproché aux trois psychiatres de ne pas avoir assez rencontré les sœurs Papin67.

Le traitement médiatique de l’affaire va lui aussi investir cette « mythologie de la tare »68 par exemple en évoquant « un petit cousin des meurtrières […] enfermé quelque temps dans une maison d’aliénés »69, mais aussi et surtout à travers des jeux de montage photographique particulièrement importants pour le cas des sœurs Papin. Visant à suggérer l’inscription de la folie sur le corps, les photographies participent ainsi de la construction stigmatisante d’un imaginaire du corps fou, qui n’est pas sans évoquer les planches de portraits de criminelles de Lombroso70 et les descriptions auxquelles elles donnent lieu. Notons aussi que cette pratique s’inscrit dans la continuité du tribunal, où il est d’usage que des portraits d’accusés circulent et que les magistrats sondent leur posture, leur allure et leur apparence physique71.

Deux photographies des sœurs avaient ainsi circulé dans la presse comme pour inviter le lecteur à se faire juré : l’une, qui avait fait la première page de Détective au moment des faits, représente les deux sœurs dans leur jeunesse, portant visiblement toutes deux leur uniforme d’employée de maison et arborant la même coiffure ; l’autre, en revanche, a été prise au moment de leur arrestation. La juxtaposition des deux photographies servait ainsi à figurer l’effet de rupture propre à la tension dramatique du fait divers, entre normalité et infraction (tension que représente l’oxymore avec lequel Détective titre sa Une : « Les brebis enragées »). Par ailleurs, le jeu sur la ressemblance, le choix d’une photographie où les deux sœurs posent ensemble, jouent sur ce mythe de l’hérédité en rappelant les liens familiaux qui unissent les sœurs, la possibilité d’un « délire à deux » et en même temps l’arrière-fond d’inceste que les journaux avaient fait peser sur l’affaire (la proximité des sœurs, qui passaient leur dimanche à deux dans leur chambre, et le fait qu’elles se soient couchées dans le même lit après le crime avaient ainsi suscité de nombreux commentaires). La deuxième photographie qui circule dans la presse, celle prise après leur arrestation, semble là aussi vouloir faire parler le corps. La légende de Paris-Soir (« les sœurs Papin, telles qu’elles apparurent, échevelées et l’air farouche, à ceux qui vinrent les arrêter après leur forfait »72) attire l’attention sur la chevelure en désordre des sœurs, qui se change en symbole de leur fureur, rappelant la figure de Méduse. Si l’on compare la reproduction de cette photographie dans Paris-Soir et dans Détective, il est intéressant de noter que le second semble avoir retouché les traits physionomiques des sœurs, en déformant la bouche de Christine Papin et en exagérant la direction de son regard vers le haut ainsi qu’en fronçant les sourcils de Léa Papin. L’intégration à un collage qui inclut les instruments du crime et désaxe les portraits des sœurs pour les positionner en diagonale par rapport à la page a un effet stigmatisant qui donne aux visages un aspect monstrueux, suggérant le fantasme d’une lisibilité de la folie sur le corps que le passage à l’acte ferait éclore.

Dans sa nouvelle, Sartre fait aussi référence à ces deux photographies. C’est moins la première, où les sœurs « respir[ent] l’hygiène et l’honnêteté appétissante », qui attire l’attention de Paul Hilbert, que la deuxième :

Après, leurs faces resplendissaient comme des incendies. Elles avaient le cou nu des futures décapitées. Des rides partout, d’horribles rides de peur et de haine, des plis, des trous dans la chair comme si une bête avec des griffes avait tourné en rond sur leurs visages. Et ces yeux, toujours ces grands yeux noirs et sans fond – comme les miens. Pourtant elles ne se ressemblaient plus. Chacune portait à sa manière le souvenir de leur crime commun. « S’il suffit, me disais-je, d’un forfait où le hasard a la plus grande part pour transformer ainsi ces têtes d’orphelinat, que ne puis-je espérer d’un crime entièrement conçu et organisé par moi. » Il s’emparerait de moi, bouleverserait ma laideur trop humaine…73 

Si cet extrait témoigne de l’héroïsation et de l’esthétisation des criminelles par le personnage, il permet aussi d’entrevoir le fantasme d’une fureur palpable dans la chair même des deux sœurs, de la transformation d’un corps précipité hors de l’humanité vers une monstruosité, ici rêvée par le personnage. Sartre pastiche à la fois la poétisation du crime par les surréalistes (Péret et Éluard avaient fait des deux sœurs des figures épiques, « sorties tout armées d’un chant de Maldoror »74), mais aussi la fascination qui résonne dans les colonnes de la presse (l’évocation des yeux n’est pas sans rappeler le commentaire des frères Tharaud au sujet du regard de Léa Papin : « les yeux ouverts, mais ouverts sur quoi, on ne sait pas »75).

Cet imaginaire du corps fou se manifeste par ailleurs plus largement, dans la presse à sensation, à travers la recherche d’une écriture du physiologique, qui tend à faire du désordre du corps la manifestation d’un trouble psychique. On peut lier cela à l’importance accordée au physiologique dans les sciences de la psyché du temps, comme en témoigne aisément l’encyclopédique Traité de psychologie dirigé par Georges Dumas (auquel Lacan dédie par ailleurs son article sur les sœurs Papin), qui rappelle, en invitant à mettre en parallèle les « faits matériels » et les « faits psychiques », que « toute sensation, pour un individu donné, dépend d’une impression physique ; toute manifestation extérieure de sa vie mentale est un mouvement musculaire ou une sécrétion »76. Ainsi Louis Roubaud, lorsqu’il retranscrit à la première personne le témoignage d’un patient dans la première livraison de son reportage « Démons et déments », porte une attention particulière à l’écriture du trouble physique : « je fus pris de nausées et de vomissements. Ma bouche et ma langue devenaient pâteuses, une sueur glacée coulait sur mon front… »77 Sartre reprend dans sa nouvelle ce style physiologique : « j’ai senti une sale douceur qui me prenait aux jambes et à la nuque, je me suis évanoui »78 ; « mes mains tremblaient »79, « je ne sentais plus ma faim, mais je me suis mis à suer »80, « le cœur me battait si fort que j’en avais mal dans les bras »81, ou encore « j’avais froid mais je suais abondamment »82. Le malaise, le débordement physique, devient alors un texte à décrypter pour le lecteur, incité par ces notations à porter sur le personnage un regard diagnostiquant.

En plus de jouer sur le trope du « désordre physiologique », Sartre construit et exhibe dans son texte tout un réseau intertextuel avec la littérature médicale, comme pour inciter le lecteur à voir en Paul Hilbert un cas à diagnostiquer. Outre l’influence du Tempérament nerveux d’Adler, il faut ici souligner la saturation de l’intertexte freudien, signalé d’emblée par l’importance accordée à la sexualité et aux rêves dans le texte, matière typiquement freudienne pour le lecteur des années 1930. Paul Hilbert condense en sa figure plusieurs traits de célèbres cas freudiens. Comme l’homme aux rats, Paul Hilbert tient à prouver son « endurance physique » (« il faudrait plus de quatre étages pour me faire perdre haleine ») et tous deux se retrouvent dans une situation similaire à perdre leur lorgnon alors qu’ils sont entourés d’hommes cruels (l’homme aux rats pendant une halte où il rencontre un officier partisan des peines corporelles, Paul Hilbert lorsqu’il se trouve au commissariat et qu’on le bat). Comme le président Schreber, le personnage de Sartre se pense victime d’un complot des hommes contre lui et a peur des femmes. Nombre de critiques ont ainsi cédé à la tentation – clairement encouragée par le texte – de porter un diagnostic sur le personnage de Paul Hilbert : Jean Bellemin-Noël évoque « la formule de la psychose paranoïaque [qui] court dans l’ombre tout au long du récit »83, Geneviève Idt plutôt un névrosé obsessionnel84, Josette Pacaly85 y voit aussi un paranoïaque, et Paul Rom et Heinz Ansbacher le considèrent comme une figure du tempérament nerveux décrit par Adler86. Cependant, comme l’a bien montré Jean-François Louette à propos d’une autre nouvelle du Mur, « La Chambre », la profusion des étiquettes nosographiques avec lesquelles Sartre joue dans la nouvelle illustre leur insuffisance : « cette thèse implicite de “La chambre” serait qu’il s’avère impossible d’étiqueter avec précision la folie. Non point par manque d’étiquettes nosographiques, mais en raison de l’excès de leur nombre, et de la concurrence qu’elles se font »87.

Ainsi, en jouant avec le lieu commun d’une inscription de la folie sur les corps et en multipliant les relations intertextuelles avec la littérature scientifique, la nouvelle incite le lecteur à porter sur son personnage un regard médicalisant, sans pour autant transformer Paul Hilbert en type pathologique.

« Sortir hors de l’humain » : du « grand monstre » au « petit pervers »

« Moi j’aime les héros noirs », déclare Paul Hilbert à ses collègues. Si le texte se contente, dans un discours narrativisé, de suggérer que Paul Hilbert en a une « conception », on comprend tout de même, au regard de son intérêt pour Érostrate et pour les sœurs Papin, que le héros qui plaît à Paul Hilbert correspond à la figure mythique du monstre : c’est l’horreur de son crime, son caractère sacrilège, qui lui garantit de se placer au-dessus de l’humanité dont il devient alors distinct à jamais. On sait, dès lors, comment s’articulent la volonté criminelle et l’antihumanisme du personnage : se métamorphoser en monstre et susciter la haine des hommes, à l’image des sœurs Papin, n’est-ce pas là le moyen le plus efficace pour « bouleverser [une] laideur trop humaine »88 ?

Le mystère qui entoure la figure des sœurs Papin a très clairement conduit la presse à résoudre la question insoluble du diagnostic par le recours à un vocabulaire mythique qui met en avant la notion de fureur tragique plutôt que de démence, et aborde ainsi l’aliénation dans sa dimension non plus médicale mais métaphysique, manière topique de dépasser le problème de l’absence de motif du crime. Ainsi, quelques jours après les faits, Détective décrivait en ces termes le meurtre commis par les sœurs : « une sorte d’hystérie meurtrière, de folie sanguinaire saisit les deux femmes. Durant une demi-heure, elles assouvissent, en torturant les moribondes, une fureur démoniaque »89. Ce passage illustre une forme de gradation qui va du vocabulaire médical (« hystérie », « folie ») – employé avec une approximation et une imprécision assumées (« une sorte de ») – à un vocabulaire mythique et métaphysique : la fureur donne aux sœurs Papin l’envergure du furor tragique d’une Médée ou d’un Atrée, et l’adjectif « démoniaque » en fait des forces du mal venues tout droit des Enfers. Cet imaginaire mythique vient aussi contaminer le discours médical, comme en témoigne l’article de Lacan qui, tout en proposant de comprendre les deux sœurs à partir d’une « entité morbide » précise (celle d’une psychose paranoïaque qui en réunit, selon Lacan, les traits définitoires principaux : « un délire intellectuel qui varie ses thèmes des idées de grandeur aux idées de persécution » ; « des réactions agressives très fréquemment meurtrières » ; « une évolution chronique »90) recourt à un vocabulaire tragique, hyperbolique et quasi-mystique. En effet, après avoir évoqué le « paroxysme de la fureur » et le « mystère des motifs » des deux sœurs, il conclut son propos en comparant Christine et Léa Papin à des figures mythologiques :

Elles arrachent les yeux comme châtraient les Bacchantes. La curiosité qui fait l’angoisse de l’homme depuis le fonds des âges, c’est elle qui les anime quand elles déchirent leurs victimes, quand elles traquent dans leurs blessures béantes ce que Christine plus tard devant le juge devrait appeler dans son innocence le “mystère de la vie”.91

Il faut en outre rappeler que Lacan publie cet article dans Minotaure, une revue d’avant-garde proche du surréalisme, qui voyait dans certains faits divers – celui des sœurs Papin mais aussi de Violette Nozières –, une matière poétique et politique. Les sœurs apparaissent ainsi possédées par une fureur, subissant, comme l’écrit Starobinski, la loi d’un pouvoir supérieur, d’une force surnaturelle et porteuse d’un savoir nouveau92. Le monstrueux offre ainsi un visage paradoxal : il implique l’exclusion hors de l’humanité du criminel, mais il lui confère en même temps un pouvoir, celui d’être le révélateur d’un mystère propre à l’humain et à sa quête de sens93.

Dans la thèse de médecine de Pierre Valette, la référence mythologique fonctionne différemment. Valette présente Érostrate comme un « Éphésien obscur » et insiste sur sa « médiocrité ». Il est un individu mû non pas par une force mystérieuse qui dépasserait l’humain, mais par sa simple vanité. L’antonomase forgée par Valette (les « érostratiques »), la transformation quasi-farcesque de l’individu en type, la réduction du mobile du crime à l’assouvissement d’un instinct proprement humain se caractérisant par le besoin de domination d’une part, et le besoin d’approbation d’autre part, ainsi qu’une forme d’« hypertrophie du moi », participent de cette dégradation de l’héroïsation du sacrilège94. Or, pour Foucault c’est justement par la notion d’instinct que s’opère, au tournant du 19ème et 20ème siècle, le « passage du grand monstre au petit pervers »95, qu’on retrouve dans le décalage entre la représentation des sœurs Papin par la presse et celle de l’érostratique par le discours médical. Or, Paul Hilbert, qui se rêve en « grand monstre » (« voilà une monstruosité, n’est-ce pas ? » demande-t-il aux destinataires de sa lettre), ne finit-il pas par s’apparenter plutôt à la figure du « petit pervers » ?

Effectivement, dans « Érostrate », la dynamique intertextuelle fait jouer la source médicale contre la figure du monstre chère à la presse de faits divers. Tout d’abord, en faisant le choix de la première personne, Sartre renonce au ressort narratif de l’impénétrabilité du criminel. À l’inconnu et aux suppositions des commentateurs, Sartre substitue l’exhibition de la chaîne causale des événements depuis la conscience du criminel. Par contraste avec le silence des sœurs Papin qui autorisait le déferlement de l’imagination, Paul Hilbert détaille ses pensées et justifie longuement son acte. Le crime est alors montré dans toute sa bassesse, puisqu’il s’explique essentiellement par le désir d’asseoir sur les hommes une supériorité qui se sait uniquement « de position », autrement dit de fait, compensation évidente du complexe d’infériorité96 ressenti par le personnage lorsqu’il se retrouve « de plain-pied avec les hommes », c’est-à-dire à égalité : « J’ai toujours prévu qu’ils finiraient par me battre : je ne suis pas fort et je ne peux pas me défendre. »97 On comprend alors la fonction du revolver, dont la possession constitue l’élément déclencheur, puisque c’est de là que lui vient « l’idée » de « tirer sur des hommes »98 : « De ce point de vue, tout est allé beaucoup mieux à dater du jour où je me suis acheté un revolver. On se sent fort quand on porte assidûment sur soi une de ces choses qui peuvent exploser et faire du bruit. »99 Se sentir fort : voilà qui résout finalement et bien banalement, dès la deuxième page, l’explication du crime. Le méfait s’en trouve alors réduit, trivialisé parce que motivé par un simple désir de démontrer sa force, de manifester une volonté de puissance dont la dimension nietzschéenne se voit ici ridiculisée : on est loin des explications du crime des sœurs Papin, tout empreintes de fascination pour le mystère de la folie criminelle.

La deuxième dégradation par rapport à ce mythe de la fureur touche le crime lui-même et son dénouement. Le crime est pensé par notre personnage comme un « diamant noir », rayonnant d’une beauté maléfique. Thomas de Quincey avait popularisé l’idée d’une approche esthétique du crime, que les surréalistes s’étaient aussi plus à reprendre et que Sartre garde sans doute en tête lorsqu’il fait s’extasier son personnage sur les « beaux yeux d’artiste et d’assassin »100 des sœurs Papin. Comme le rappelle Vincent Platini, l’association entre la figure de l’artiste et celle du criminel est dans l’entre-deux-guerres déjà devenue banale101 : la critique a d’ailleurs bien souligné le fait que c’est le surréalisme qui est aussi visé derrière la figure de Paul Hilbert102. Le crime des sœurs Papin s’était en outre donné à lire comme une œuvre d’art à décoder, et les commentateurs, dans une démarche herméneutique, s’étaient effectivement interrogés sur la valeur symbolique à attribuer à certains aspects du crime : yeux arrachés, mutilations des cuisses, etc. Mais à ce fantasme d’une volonté directrice du mal de « faire œuvre », Sartre substitue la confusion du crime. Le personnage, dont le projet était de tuer cinq personnes, se retrouve à tirer au hasard dans tous les sens sous l’effet de la panique : « À ce moment, je sus que j’allais me mettre à hurler. Je ne voulais pas : je lui lâchai trois balles dans le ventre. »103 Puis, au moment de la fuite : « Seulement j’avais commis une erreur impardonnable : au lieu de remonter la rue d’Odessa vers le boulevard Edgar-Quinet, je la descendais vers le boulevard Montparnasse. Quand je m’en aperçus, il était trop tard : j’étais déjà au bout milieu de la foule. »104 Enfin : « Une main se posa sur mon épaule. Alors je perdis la tête : je ne voulais pas mourir étouffé par cette foule. Je tirai encore deux coups de revolver. Les gens se mirent à piailler et s’écartèrent. J’entrai en courant dans un café. »105 Le crime, pourtant dûment planifié, apparaît confus et l’intention malfaisante se trouve tout entière embrouillée. Rien ne se passe comme prévu : alors que Paul Hilbert devait se réfugier en haut de son sixième pour se donner la mort, il finit par courir vers le bas de la rue et se réfugier dans les « lavabos » d’un café. Sartre semble ici s’être souvenu de la leçon de Beauvoir énoncée dans La Force de l’âge que nous citions plus haut au sujet des sœurs Papin : pas de « sauvage déchaînement de liberté » dans ce crime, et comme les sœurs Papin, Paul Hilbert finit par « frapp[er] plus ou moins à l’aveuglette, à travers des terreurs confuses »106. La série de dégradations que fait subir Sartre à son personnage se situe aux antipodes de la poétisation et mythification de la figure du furieux, dont le revers n’est autre que sa stigmatisation et sa précipitation hors de l’humanité. Paul Hilbert apparaît sous la plume de Sartre comme un personnage mauvais et pathétique, un homme non pas du sous-sol, comme chez Dostoïevski, mais des « lavabos ». Si le personnage évoquait la nécessité d’« étayer les supériorités morales par des symboles matériels »107, c’est sa bassesse qui est trivialement figurée dans l’épilogue qui semble rejouer la scénographie imaginée par Détective pour conclure le récit du crime des sœurs Papin, sauf que la porte close derrière laquelle le criminel entend les gendarmes approcher n’est pas celle d’une chambre à coucher. Sartre lui préfère la trivialité des lavabos et un autre bas corporel, donnant à cette fin un accent scatologique. La figure conjointe du « démon » et du « dément » se voit ainsi ramenée au rang de l’humain et de sa médiocrité, Paul Hilbert n’est pas un « héros noir », certainement pas un « grand monstre », puisque dans quel monde un monstre finit-il par ouvrir la porte aux hommes ?

Ainsi, le savoir psychiatrique permet à Sartre d’éreinter l’aura du monstre, et Paul Hilbert se voit ravalé au rang de l’humain auquel il espérait échapper. Mais ne nous méprenons pas en considérant que le texte prend le parti d’une source contre l’autre, qu’il dénonce comme Pierre Valette l’héroïsation du criminel au nom de l’hygiène publique et de la défense de la société. Il s’agit plutôt de mettre en cause la figure de l’humaniste et son jugement.

« Littérature ordurière » et « alcoolisation morale » : le juré humaniste dans le piège d’« Érostrate »

Sartre semble inciter dans sa nouvelle à porter sur Paul Hilbert un regard médical, sans jamais céder à cette tentation du diagnostic pourtant soigneusement arrangée. Ce regard diagnostiquant du lecteur sur le personnage est aussi un regard jugeant, dans la mesure où, on l’a vu, c’est du diagnostic que va dépendre l’issue du procès. Dans l’affaire des sœurs Papin, la question du diagnostic et celle de la justice entrent, comme c’est souvent le cas, en conflit. La presse met en effet en scène un tiraillement entre d’une part, le désir de reconnaître la responsabilité des deux sœurs pour qu’elles soient punies, ce qui implique d’exclure le diagnostic de folie, et d’autre part, la difficulté à décrire autrement que par un vocabulaire pathologisant et stigmatisant (et donc excluant) leur crime. D’un côté, il s’agit de ramener les sœurs Papin à un niveau humain, pour qu’elles puissent être jugées par leurs semblables ; de l’autre, la rhétorique stigmatisante tend au contraire à les précipiter hors de l’humanité, vers la monstruosité. On retrouve, dans la plaidoirie de la partie civile, l’idée commune que le diagnostic serait le signe d’une indulgence à l’égard des deux sœurs (« on essaiera […] à la faveur de ce trouble, d’obtenir quelque pitié en faveur des accusées »108), au point qu’elle serait même recherchée par Christine Papin : ainsi la crise qui la prend en prison ne s’expliquerait que par la volonté machiavélique de « se donner toutes les apparences d’une hystérique, d’une épileptique, d’une folle… », « l’attitude d’une personne absolument consciente de l’énormité de son crime et qui cherche à échapper au châtiment »109. Le « bon sens » auquel appelle Maître Houlière dans sa plaidoirie, qu’il oppose aux « sciences psychiatriques », manifeste ici son désir d’assister à l’expiation d’un crime. Comme l’écrit Beauvoir dans La Force de l’âge, « pour deux bourgeoises mises en pièces, il fallait a priori et en tout cas une expiation sanglante ; l’assassin n’était pas jugé : il servait de bouc émissaire »110. L’affaire se fait en effet procès en anormalité et on ne condamne pas seulement un crime mais aussi la marginalité des sœurs : on les présente comme des monstres sociaux, d’abord en tant qu’elles portent en elles l’image d’une révolte contre un ordre social inique marqué par la domination de la bourgeoisie, mais aussi parce qu’elles incarnent une identité féminine qui ne s’inscrit pas dans la norme hétérosexuelle dominante. La plaidoirie de la partie civile notait ainsi qu’elles avaient « toujours eu l’homme en horreur »111, et les frères Tharaud avançaient dans leur article : « leur vie fut bizarre. Elles ne sortaient pour ainsi dire pas, sauf quelques heures dans l’après-midi du dimanche. On ne leur vit jamais d’amoureux. »112

Dans « Érostrate », le lecteur diagnostiqueur se retrouve a priori à une place similaire à celle du juré, puisque diagnostiquer, pour un cas comme celui de Paul Hilbert, on le sait, c’est aussi juger. On peut s’imaginer que Sartre pense avoir comme narrataire-type un lecteur similaire à celui des « écrivains humanistes » de la lettre de Paul Hilbert, soit, pourquoi pas, « un philosophe humaniste » du genre que Roquentin décrit plus tard dans La Nausée, c’est-à-dire un homme « qui se penche sur ses frères comme un frère aîné et qui a le sens de ses responsabilités », un homme « qui aime les hommes tels qu’ils sont », « qui veut les sauver »113 avec ou sans leur consentement. À première vue, un lecteur humaniste pourrait bien, avec philanthropie, tendre une main secourable à Paul Hilbert, mais celui-ci a horreur de serrer la main des hommes, et si vraiment il doit le faire, il ne le fait qu’avec des gants. Paul Hilbert incarne alors la limite même de l’humanisme – et son hypocrisie – puisque comme il l’écrit dans sa lettre, celui qui n’aime pas les hommes est voué à l’exclusion : « nul n’entre ici s’il n’est humaniste »114. Et de fait, Paul Hilbert finit par se faire traiter comme un moins que rien : « quand ils m’eurent pris et qu’ils ont su qui j’étais, ils m’ont passé à tabac, ils m’ont tapé dessus pendant deux heures, au commissariat, ils m’ont donné des gifles et des coups de poing, ils m’ont tordu les bras, ils m’ont arraché mon pantalon et puis, pour finir, ils ont jeté mon lorgnon par terre et pendant que je le cherchais, à quatre pattes, ils m’envoyaient en riant des coups de pied dans le derrière »115.

Comme l’a écrit Jean-François Louette116, le texte de Sartre fonctionne comme un piège à l’encontre du lecteur humaniste : en le poussant à s’identifier au criminel antihumaniste que la nouvelle refuse, justement, de déshumaniser, Sartre sape toute possibilité d’une foi inconditionnelle en l’humanité, comme avait encore pu l’exprimer le roman au début des années 1930. Si dans la prose de Détective, le lecteur est amené à s’identifier d’abord au père et mari des victimes puis au magistrat (« Leur drame prenait aux yeux du magistrat une force si brutale, une couleur si noire, un ton si âpre qu’il en frémit soudain »117), le choix du discours intérieur et de la première personne pousse le lecteur à s’identifier à Paul Hilbert. En outre, le personnage refuse tout diagnostic comme pour mieux paradoxalement assumer sa communauté avec les hommes :

Lisez les journaux de demain, écrit-il dans sa lettre aux écrivains humanistes. Vous y verrez qu’un individu nommé Paul Hilbert a descendu, dans une crise de fureur, cinq passants sur le boulevard Edgar-Quinet. Vous savez mieux que personne ce que vaut la prose des grands quotidiens. Vous comprendrez donc que je ne suis pas “furieux”. Je suis très calme au contraire.118

Le personnage réfute ainsi le récit sensationnaliste de la presse de fait divers, qui tendrait à rendre compte de la rupture entre la vie banale et la fusillade par un discours pathologisant, celui du « coup de folie », de la « crise » ou de la « bouffée délirante ». Le rejet de cette narration de la rupture évoque le témoignage de Beauvoir dans La Force de l’âge au sujet de la lecture qu’elle faisait avec Sartre, à l’époque de la rédaction de la nouvelle, des faits divers. Évoquant la nécessité de « récuser les clichés des journaux », elle disait rechercher, à propos d’un homme et d’une femme mariés qui s’étaient suicidés après une nuit passée avec un autre couple, à « imaginer leurs vrais rapports : la partouze qui l’avait précédée n’était certainement pas un simple accident. »119 Cette volonté de comprendre cherche à restaurer un certain lien de causalité, celle-là même que Sartre exhibe dans « Érostrate », celle-là même dont le dysfonctionnement constitue pourtant le cœur de la rhétorique du fait divers selon Barthes120. L’identification est en outre forcée par le fait que la folie de Paul Hilbert – si folie il y a – apparaît comme une « folie raisonnante »121. La dimension explicative de la nouvelle permet ainsi de reconsidérer son système énonciatif : ne peut-on en effet pas lire « Érostrate » comme un écrit justificatif ou bien comme le mémoire d’un criminel dont Valette considère justement la rédaction comme le propre des « érostratiques »122 ?

Voilà le lecteur humaniste forcé de reconnaître son humanité dans le criminel antihumaniste. Ne risque-t-il alors pas, en s’identifiant à Paul Hilbert, de reconnaître sa propre violence et de se surprendre à « rêver au crime »123 ? Il me semble qu’un tel procédé n’est pas sans rappeler un certain nombre de préoccupations propres à la criminologie psychiatrique. Revenons à notre source : dans la conclusion de sa thèse, Pierre Valette proposait une série de mesures à prendre pour améliorer « l’hygiène sociale ». La mesure jugée la plus « efficace » est celle qui frappe d’interdiction cette « littérature ordurière » qui réveille les « érostratiques ». Il appelle ainsi à la « suppression des comptes rendus détaillés par les journaux de tous les crimes et attentats », ainsi qu’à l’interdiction, par ces mêmes journaux, de publier les photographies des criminels124. En fait, le propos de Valette n’est pas isolé, puisqu’on trouve dans la littérature criminologique l’idée que certaines « lectures malsaines » peuvent « contaminer » le lecteur et le pousser au crime : les textes qui célèbrent des criminels sont ainsi susceptibles d’une « empreinte, d’une “infestation” ou d’une “alcoolisation”, c’est-à-dire de la pénétration de la “mauvaise” littérature dans une “mauvaise lecture” de premier degré, une lecture d’imitation »125. Il avait justement été question de cette « alcoolisation littéraire » dans le cas de Lucien Morisset abordé par Valette, dont nous avons dit plus haut qu’il pourrait bien avoir inspiré Sartre pour le personnage de Paul Hilbert. En effet, on avait justement considéré que Lucien Morisset avait été victime d’une sorte d’« alcoolisation morale » qui lui était venue de la lecture des mémoires de Lacenaire : comme l’écrit Judith Lyon-Caen dans l’article qu’elle consacre à cette affaire, « “l’alcoolisation morale” est, dans le vocabulaire du juge, le mode d’influence de ce modèle : Lucien Morisset s’en est imbibé en le lisant. Son crime est un crime de lecteur. »126

D’une certaine manière, Paul Hilbert incarne cette « alcoolisation morale » par la lecture de la presse à sensation : s’il prend ses distances avec le modèle de la fureur dans sa lettre aux écrivains humanistes, il s’identifie tout de même à une représentation stéréotypée et sensationnaliste de la folie criminelle. Voyons son attitude juste avant de commettre son crime :

Alors j’ai pensé “Dans une chambre close, dans le noir Il est tapi. Depuis trois jours, Il n’a ni mangé ni dormi. On a sonné et Il n’a pas ouvert. Tout à l’heure, Il va descendre dans la rue et Il tuera.” Je me faisais peur. À six heures du soir, la faim m’a repris. J’étais fou de colère. Je me suis cogné un moment dans les meubles, puis j’ai allumé l’électricité dans les chambres, à la cuisine, aux cabinets. Je me suis mis à chanter à tue-tête, j’ai lavé mes mains et je suis sorti.127

Le personnage s’imagine ainsi – par le recours à la troisième personne, aux guillemets, à la majuscule – comme le héros d’un article de Détective, dont il parodie ici le style. Autrement dit, Paul Hilbert joue à se faire peur, performe les clichés des journaux sur l’état de fureur, la troisième personne étant le support de son objectivation. Sartre représente ainsi la fureur de Paul Hilbert comme une comédie que le sujet se joue à lui-même, une comédie dont il est toutefois le dupe et la victime (ce n’est donc pas la question classique en psychiatrie de la simulation qui est posée ici). Le personnage est alors envisagé non pas à partir du regard médico-judiciaire ni à partir du registre sensationnaliste, mais par le biais d’une description imaginaire de sa conscience qui semble annoncer, on l’aura reconnu, le concept sartrien de mauvaise foi. Celui-ci n’est pas, rappelons-le, une attitude morale, mais une structure psychique métastable qui caractérise pour Sartre toute conscience humaine, y compris celles susceptibles d’être psychiatrisées. « Érostrate » constitue ainsi un jalon important de la réflexion sartrienne sur la notion de folie à laquelle il refuse d’accorder tout au long de son œuvre un statut différent qui invaliderait l’approche existentielle et en compréhension qui caractérise le style de ses études de cas psychologiques et sa pensée de la subjectivité128. Contre le discours médical, contre le registre sensationnaliste, la nouvelle ancre ainsi la figure du furieux dans la communauté des hommes et sape ainsi, du même coup, le fondement idéologique d’un humanisme naïf et idéalisant ignorant sa propre violence et ses propres mécanismes d’exclusion.

Le lecteur qui a « l’humanisme dans le sang »129 se voit ainsi infecté par la morsure d’« Érostrate » : forcé de s’identifier à Paul Hilbert, de se heurter à la limite de sa sympathie, le texte l’incite à se convertir à l’antihumanisme que le personnage revendique dans sa lettre-manifeste. C’est là peut-être l’effet d’alcoolisation qu’exerce la nouvelle sur le lecteur : démolir son humanisme, sa foi – aussi – en la raison humaine, en le renvoyant à sa propre « folie raisonnante », celle de croire en l’homme et de vouloir, comme l’Autodidacte, les aimer. L’humaniste, ivre, n’a plus qu’à contempler sur le zinc du Rendez-vous des Cheminots ses idéaux en pièces, s’avouant, comme Roquentin, que les humanistes « se haïssent tous entre eux : en tant qu’individus, naturellement, pas en tant qu’hommes. »130

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Notes

1 Roubaud 8 décembre 1932, 1. Retour au texte

2 Larique 8 décembre 1932, 3. Retour au texte

3 Voir, à ce sujet, les analyses de Mathieu Bellahsen sur ce qu’il propose d’appeler la « culture de l’entrave » (Abolir la contention, Montreuil, Libertalia, 2023, p. 71-73). Retour au texte

4 Hamon 1997, 11. Retour au texte

5 Marquer 2015, 180. Retour au texte

6 Guignard 2010, 11. Retour au texte

7 Renneville 2003, 139. Retour au texte

8 Foucault 1993 [1975], 25. Retour au texte

9 Ibid., 26. Retour au texte

10 Ibid., 28. Retour au texte

11 Guignard 2010, 36. Retour au texte

12 Voir Swain 1977. Retour au texte

13 Renneville 2003, 11. Retour au texte

14 Foucault 1999, 34. Retour au texte

15 Gauchet 1994, XLVII. Voir aussi, sur le même sujet, Goldstein 1997 [1987], 223. Retour au texte

16 Foucault 2003, 268. Retour au texte

17 Platini 2022, 10. Retour au texte

18 Renneville 2003, 15. Retour au texte

19 Idt 1972, 25. Retour au texte

20 Sartre 1981, 1840. Retour au texte

21 Ibid., 1843. Retour au texte

22 Beauvoir 1960. Elle raconte aussi à quel point l’affaire des sœurs Papin l’avait passionnée avec Sartre. Retour au texte

23 Le Guillant novembre 1963, 868-913. Retour au texte

24 Renneville 2018. Retour au texte

25 Tharaud 29 septembre 1933, 1. Retour au texte

26 Revue des grands procès contemporains, t. XXXIX, 1933, 575-576. Retour au texte

27 Ibid., 610. Retour au texte

28 Lacan 1933-1934, 25-28. Retour au texte

29 Tharaud 30 septembre 1933, 3. Retour au texte

30 Voir à ce sujet Renneville 2005. Retour au texte

31 Mucchielli (dir.) 1985, 203. Retour au texte

32 Valette 1903, 8. Retour au texte

33 Idem. Retour au texte

34 Ibid., 9. Retour au texte

35 Porot 1952, 149. Retour au texte

36 Valette 1903, 8. Retour au texte

37 Sartre 1981, 269. Retour au texte

38 Ibid., 269. Retour au texte

39 Valette 1903, 9. Retour au texte

40 Ibid., 14. Retour au texte

41 Ibid., 34. Retour au texte

42 Sartre 1981, 271. Retour au texte

43 Ibid., 262. Retour au texte

44 Ibid., 274. Retour au texte

45 Voir, à ce propos, Cornille 2009, 189-212. Retour au texte

46 Valette 1903, 24. Retour au texte

47 Sartre 1981, 272. Retour au texte

48 Valette 1903, 61. Retour au texte

49 Sartre 1981, 269. Retour au texte

50 Ibid., 270. Retour au texte

51 Valette 1903, 42. Retour au texte

52 Ibid., 46. Retour au texte

53 Lyon-Caen 2018. Retour au texte

54 Valette 1903, 14. Retour au texte

55 Ibid., 63. Retour au texte

56 Nous nous appuyons ici sur l’analyse de Foucault 1999, 52. Retour au texte

57 Masquelet 2007, 58. Retour au texte

58 Ibid., 64. Retour au texte

59 Foucault 1985 [1963], 115. Retour au texte

60 Ibid., 115. Retour au texte

61 Rigoli 2001, 26-27. Retour au texte

62 Masquelet 2007, 65. Retour au texte

63 Rigoli 2001, 43. Retour au texte

64 Hochmann 2022, 80. Retour au texte

65 La Revue des grands procès contemporains, 575-576. Retour au texte

66 Ibid., 588. Retour au texte

67 Tiberghien janvier 2018, 108. Retour au texte

68 Hochmann 2022, 43. Retour au texte

69 Tharaud 30 septembre 1933, 1. Retour au texte

70 Lombroso et Ferrero 1896, 327. Retour au texte

71 Guignard 2010, 147. Retour au texte

72 Tharaud 30 septembre 1933, 1. Retour au texte

73 Sartre 1981, 273. Retour au texte

74 Le Surréalisme au service de la Révolution, no 5, 1933, 18. Retour au texte

75 Tharaud 1er octobre 1933, 1. Retour au texte

76 Dumas (dir.) 1930-1934, vol. 1, 23. Retour au texte

77 Roubaud 8 décembre 1932, 3. Retour au texte

78 Sartre 1981, 263. Retour au texte

79 Ibid., 268. Retour au texte

80 Ibid., 274. Retour au texte

81 Ibid., 275. Retour au texte

82 Ibid., 275. Retour au texte

83 Bellemin-Noël 1986, 78. Retour au texte

84 Idt 1972, 190. Retour au texte

85 Pacaly 1980, 222-224. Retour au texte

86 Rom et Ansbacher 1965, 32-40. Retour au texte

87 Louette 2008, 48. Retour au texte

88 Sartre 1981, 273. Retour au texte

89 Dupin, 9 février 1933, 7. Retour au texte

90 Lacan 1933-1934, 27. Retour au texte

91 Ibid., 28. Retour au texte

92 Starobinski 1974, 7. Retour au texte

93 Voir, à ce sujet, les analyses de Georges Auclair sur le diabolique et le monstrueux : Auclair 1970, 101-111. Retour au texte

94 Valette 1903, 14. Retour au texte

95 Foucault 1999, 122. Retour au texte

96 C’est là qu’intervient la relation intertextuelle avec Alfred Adler. Voir Adler [1926] 1955. Je ne détaille pas ce point ici, mais Sartre s’inspire du complexe d’infériorité tel que cet ancien disciple de Freud le décrit, notamment dans les pages consacrées à la sexualité du personnage. Par ailleurs, la haine que ressent le personnage pour les femmes nous invite aussi à lire le texte sous l’angle du masculinisme, et il serait intéressant d’élargir cette lecture à l’ensemble du recueil du Mur, et notamment à « L’Enfance d’un chef ». Retour au texte

97 Sartre 1981, 263. Retour au texte

98 Ibid., 264. Retour au texte

99 Ibid., 263. Retour au texte

100 Ibid., 272. Retour au texte

101 Platini 2022, 7. Retour au texte

102 Voir à ce sujet l’analyse de Geneviève Idt (Idt 1972, 181). Retour au texte

103 Sartre 1981, 276. Retour au texte

104 Ibid., 277. Retour au texte

105 Ibid., 277. Retour au texte

106 Beauvoir 1960, 151. Retour au texte

107 Sartre 1981, 262. Retour au texte

108 La Revue des grands procès contemporains, 579. Retour au texte

109 Ibid., 582. Retour au texte

110 Beauvoir 1960, 152. Retour au texte

111 La Revue des grands procès contemporains, 560. Retour au texte

112 Tharaud 30 septembre 1933, 3. Retour au texte

113 Sartre 1981, 139. Retour au texte

114 Sartre 1981, 271. Retour au texte

115 Ibid., 263. Retour au texte

116 Voir Louette 2018, 35-58. Retour au texte

117 Dupin 9 février 1933, 3. Retour au texte

118 Sartre 1981, 272. Retour au texte

119 Beauvoir 1960, 152. Retour au texte

120 Barthes 1964. Retour au texte

121 Aussi appelée « folie morale » par Morel dans son Traité des dégénérescences ou folie sans délire, elle désigne une « variété de folie dans laquelle l’intelligence paraît saine quoique la conduite soit désordonnée. L’expression de monomanie raisonnante signifie seulement que le malade est toujours prêt à justifier ses sentiments et ses actes » (Fabre [dir.] 1849, 535-536 ; cité dans Mucchielli [dir.] 1985, 92). Retour au texte

122 Pierre Valette écrit ainsi à propos des « érostratiques » : « C’est alors qu’ils écrivent leurs mémoires dans l’espoir d’arriver jusqu’au grand public, dispensateur de la célébrité aux héros de tout genre » (Valette 1903, 21). Retour au texte

123 Je paraphrase ici une phrase du Saint Genet (« les assassins trouvent leur gloire à contraindre les honnêtes gens de rêver au Crime ») dont Jean-François Louette a montré dans son article le lien qu’il entretient avec « Érostrate » (voir Louette 2018, 39). Retour au texte

124 Ibid., 67. Retour au texte

125 Lyon-Caen 2018. Retour au texte

126 Ibid. Retour au texte

127 Sartre 1981, 275. Retour au texte

128 Nous employons ici le terme de compréhension en référence à l’opposition classique en psychiatrie entre compréhension et explication. Sur la conception sartrienne du trouble psychique que nous n’avons pas la place de développer ici, nous nous permettons de renvoyer à l’un de nos articles : « La “solution” hystérique. L’Idiot de la famille dans le contexte de l’antipsychiatrie », Études sartriennes, n° 28, 2024. Retour au texte

129 Sartre 1981, 270. Retour au texte

130 Sartre 1981, 139. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Louise Mai, « Herméneutique du regard médico-légal : faits divers et criminologie, des sœurs Papin à l’« Érostrate » de Sartre », Soin, Sens et Santé [En ligne], 1 | 2024, publié le 16 septembre 2024 et consulté le 21 novembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. DOI : 10.58335/revue3s.96. URL : https://preo.u-bourgogne.fr/revue3s/index.php?id=96

Auteur

Louise Mai

Doctorante (CELLF, UMR 8599, Sorbonne Université)

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