Dario Nardini, Il Calcio Storico Fiorentino. La rievocazione tra patrimonio e « identità »

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Dario Nardini, Il Calcio Storico Fiorentino. La rievocazione tra patrimonio e « identità », Florence, Leo S. Olschki, 2023, 246 p.

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Le calcio fiorentino est sans doute le jeu traditionnel de ballon qui se rapproche le plus des footballs modernes. Pratiqué entre la fin du Moyen Âge et le xviie siècle, sa forme, ses significations politiques et son déclin ont été étudiés par les historiens notamment Horst Bredekamp1. L’anthropologue Dario Nardini s’intéresse lui à sa pratique et à ses usages contemporains. Grâce à un financement de l’Istituto Centrale per il Patrimonio Immateriale, il a pu lancer une recherche ethnographique faite d’observation et d’entretiens. L’auteur n’est pas un inconnu en France où il a mené des recherches sur le gouren, la lutte traditionnelle bretonne. Les résultats de ses recherches toscanes sont consignés dans un livre dense et superbement édité, comprenant un cahier de 43 illustrations anciennes et contemporaines. Après avoir rappelé l’histoire du calcio fiorentino et son exhumation à la fin du xixe siècle (1898 et 1902), puis sous le fascisme (1930) et sa reprise à l’issue de la Seconde Guerre mondiale sous une municipalité communiste (1947), Dario Nardini s’attache à étudier les deux moments importants du tournoi de calcio fiorentino, quand la compétition n’est pas suspendue pour des faits de violence ou par une pandémie : le cortège historique et les parties (demi-finale et finale) disputées sur la place de la cathédrale Santa Croce. Quatre équipes représentant chacune un quartier historique s’affrontent alors soutenues par leur tifosi : les verts (San Giovanni), les rouges (Santa Maria Novella), les bleus (Santa Croce) sur la rive droite de l’Arno (Lungarno) et les blancs (Santo Spirito) sur la rive gauche, autrement dit l’Oltrarno.

Pour Dario Nardini, ce qui, de prime abord, pourrait apparaître comme une attraction folklorique à visée touristique qui contribue à forger le mythe de Florence doit être pris au sérieux. Le bon déroulement du cortège partant de la place Santa Maria Novella repose tout d’abord sur un travail important de reconstitution, notamment des costumes, mené sous la direction d’Emilio Pucci. Dès 1931, il s’agissait de rendre hommage au savoir-faire des artisans et tailleurs florentins. Être coopté comme membre du cortège suppose de savoir se transformer pour représenter dignement la Florence du xvie siècle, puisque l’on veut notamment rappeler la partie du 17 février 1530 disputée pendant le siège de la ville par les troupes de Charles Quint venues rétablir les Médicis. Il s’agit ainsi de rendre hommage à la résistance et au courage des habitants qui, pour presque la moitié d’entre eux, perdirent la vie pendant les dix mois de siège. Pour se rendre à ce rendez-vous avec l’histoire, on se taille la barbe à la mode de la Renaissance, on adopte une gestuelle d’époque, on apprend à tenir le pas au rythme des tambours. Adieu lunettes de soleil, smartphones et familiarités : il s’agit de se montrer digne en observant un silence presque solennel. Le cortège s’achève sur un moment choral et le cri final « Viva Fiorenza » qui précède le début de la partie.

Comme le rappelle Dario Nardini, les mêmes exigences ne sont pas attendues des calcianti, c’est-à-dire des 27 joueurs opérants torse nu sur le sable étalé sur la place Santa Croce. Ces derniers n’en préparent pas moins avec sérieux les rencontres annuelles. Dès la réinvention de la tradition, on a recruté chez les sportsmen florentins, puis chez les adeptes de la volata et du rugby, les deux disciplines fascistes ou encore chez les boxeurs et, aujourd’hui, jusque chez les adeptes du MMA. On se retrouve dans des gymnases pour se préparer physiquement sous la direction du président de chaque association qui représente et encadre l’équipe. Car le calcio fiorentino est marqué, comme les autres jeux traditionnels transalpins, par un processus de sportivisation. Les équipes sont regroupées dans une association membre de la Federazione Italiana Giochi e Sport Tradizionale affiliée au Comité olympique national italien (CONI) depuis 2008. Alors que l’on sait peu de choses des règles du jeu de la Renaissance malgré des gravures montrant la disposition des joueurs en trois lignes, on veut limiter les risques inhérents à un jeu marqué d’abord par l’affrontement d’homme à homme. La limite d’âge a été réduite à 40 ans et on a limité à cinq le nombre de joueurs n’habitant pas à Florence. Cet encadrement rendu nécessaire par des épisodes récurrents de violence et de rixes a conduit aussi à placer une femme, Elisabetta Meucci, avocate et adjointe au maire, à la tête du Comité du calcio fiorentino, entre 2005 et 2009, afin de pacifier le jeu. Car le calcio est d’abord une célébration de la virilité, une qualité considérée comme atavique par les Florentins. Entrer dans l’arène de Santa Croce, c’est montrer que l’on a du « fegato2 », que l’on est capable de prendre des coups – et d’en donner – pour l’honneur de son quartier. La préparation des calcianti contemporains a aussi conduit à affiner leurs corps. Dans les années 1970-1980, ils étaient souvent des panciuti, c’est-à-dire des hommes de poids arborant un ventre proéminent. Désormais, leurs corps sont sculptés par les heures passées à soulever de la fonte.

S’appuyant sur de nombreuses lectures, notamment celles des maîtres de la sociologie et de l’anthropologie, illustrant son propos par les témoignages des acteurs, Dario Nardini nous donne à voir le rôle culturel et social d’un événement que l’on prépare toute l’année. Que ce soit du côté des membres du cortège que des joueurs, le calcio fiorentino permet de redonner vie et substance à une ville dont les quartiers historiques sont occupés par des hôtels, des trattorias et les touristes. D’ailleurs, l’aire de recrutement des joueurs et de leurs tifosi dépasse très largement les limites du centro storico, où l’on réintroduit une sociabilité pour partie disparue. Même s’ils ne sont pas payés pour pratiquer ce qui serait « le sport le plus dangereux du monde », les calcianti reçoivent une rétribution symbolique en devenant les héros et les mythes de leur quartier. Ils tapissent les murs des restaurants où ils travaillent de photos de leurs exploits. Loin d’être des figures de la marginalité, ils réinventent un modèle de virilité que viennent rechercher dans les gymnases où ils s’entraînent des membres des professions libérales. Malgré la différence entre la solennité des participants du cortège et les parties dont la seule règle serait de n’en avoir aucune, les deux moments sont indissociables selon l’auteur. Le cortège et ses rites font monter une tension qui se libère avec le début de la partie. Ainsi, les deux séquences de cette tradition réinventée tissent d’abord un lien avec le passé et permettent aux Florentins qui y participent de se réapproprier symboliquement leur cité au temps du tourisme de masse globalisé.

Notes

1 Horst Bredekamp, Le football florentin. Les jeux et le pouvoir à la Renaissance, Paris, Diderot éditeur, 1995. Retour au texte

2 Du foie. Retour au texte

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Paul Dietschy, « Dario Nardini, Il Calcio Storico Fiorentino. La rievocazione tra patrimonio e « identità » », Football(s). Histoire, culture, économie, société [En ligne], 5 | 2024, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : https://preo.u-bourgogne.fr/football-s/index.php?id=836

Auteur

Paul Dietschy

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